𝐗𝐈𝐕 - Visite aquatique

Il avait perdu plus d'une fois ses mots, toussé d'une toux pleine de gêne, mais pas une fois, il n'avait laissé la présence de son regard disparaître.

Et, même s'il n'était pas particulièrement fier de lui, ni encore totalement remis de ses émotions, la foule avait l'air, elle, plutôt satisfaite de cette prestation.

Quand Link était redescendu de l'estrade, une petite somme notable de villageois s'étaient pressés autour de lui, avides d'en savoir plus sur les conditions d'un garde au château, l'entraînement à suivre, et toutes ces petites questions que son discours avait éveillées dans l'esprit du public.

Le jeune homme y avait répondu, assez soulagé. Il préférait nettement se trouver en face de son interlocuteur plutôt que le dominer, élevé par une estrade.

Link, allongé dans son lit, ce soir-là, ressentait presque encore la tension de son cœur, repensant à son premier discours.

En revanche, il n'avait pas tenu parole sur un point : son texte avait fait près de six minutes. Loin des dix minutes et plus qu'Euzero avait espérées, mais au moins, lui aussi semblait heureux de cette prestance.

Mais il avait tenu — et, honnêtement, Link ne savait pas si ça allait être le cas.

Depuis le couloir, résonnaient des bruits de pas. Ils devaient appartenir à ces clients tardifs, dont le voyage avait été plus compliqué que prévu, et qui n'avaient trouvé de toit qu'à cette heure avancée de la nuit.

Le jeune homme se détourna machinalement entre ses draps, et fixa, sur sa table de chevet, la petite chandelle dont la cire fondue glissait jusqu'au bougeoir.

Doucement, il déplia son bras en-dehors de sa couverture, et le porta à la lumière.

Les traces continuaient de le hanter, déchirant son pâle épiderme...

Mais où était passée cette voix qui les accompagnait ?

Lui manquait-elle ? Certainement. Cela allait bientôt faire une journée que Link n'avait pas entendu ce timbre nasillard et cinquantenaire, un record.

Discuter avant de s'endormir avec lui avait fait partie de son quotidien...

... De toute façon, il ferait mieux de dormir.

Demain, aux aurores, il partirait pour le Domaine Zora... Avec beaucoup moins d'appréhensions certainement, connaissant désormais le jeu d'un artiste de scène (s'il pouvait se définir ainsi) et celui du public.

Et puis, les Zoras avaient toujours été adorables avec lui, le considérant comme le meilleur ami de leur défunte princesse.

Il y avait le frère de... de Mipha, aussi. Sidon. Un drôle de personnage, rempli de charisme et de gratitude envers le jeune Hylien.

C'était certain : les Zoras ne seraient pas les spectateurs les plus difficiles.

Et puis, mine de rien, Link avait hâte de retrouver son ami.

△▲△

Petite pause.

Link n'avait fait pourtant qu'une des deux heures de son trajet, mais il ressentait déjà le besoin de se reposer.

Peut-être parce qu'il n'avait dormi qu'une seule et misérable heure, au village d'Euzero ?...

Si seulement on trouvait un remède contre les insomnies... Ou contre les cauchemars répétés... Link serait preneur.

Assis contre un rocher couvert de mousse, il fouillait dans son sac, à la recherche d'une gourde d'eau. La rivière était à deux pas.

Aujourd'hui serait une très grosse journée : il allait faire le Domaine Zora, pour partir en début d'après-midi, puis faire toute la région de Necluda.

Soit la région ravagée par les cristaux.

On disait que des spécialistes se chargeaient de les démolir chaque jour, mais qu'ils doublaient le jour suivant...

Le Domaine Zora devait être particulièrement vigilant sur la situation. Link s'imagina ses hauts balcons et ses diverses passerelles arpentées par des Zoras armés jusqu'aux dents, parés à tout éventualité.

Oui, mais même si les gardes les plus puissants avaient été envoyés, il n'empêchait qu'ils ne pouvaient absolument rien faire contre ces cristaux maléfiques...

Lui-même n'avait pas su quoi faire, la veille, quand des cristaux avaient jailli du sol.

Link se leva, et franchit les quelques mètres de pelouse le séparant de la rivière.

Aussitôt, sa jument releva la tête, prête à suivre le mouvement.

« Non non, fit le jeune homme, je vais juste à la rivière. Tu peux rester là, toi. »

Et voilà qu'il se remettait à parler à un vulgaire cheval...

C'était sûr : la présence qui habitait son bras le manquait. Peut-être finalement n'allait-elle jamais revenir ?

Il y avait tant de mystères qui planaient autour d'elle... qui était-elle, que faisait-elle là, comment était-elle morte...

Pensif, Link plongea sa gourde dans le courant du torrent.

La poche en peau de Moblin se gonfla doucement.

Il aperçut son bandage dépasser de sous son gant droit qu'il ne quittait désormais plus.

Cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas changé son pansement. Et encore plus de temps qu'il n'avait pas remit de baume, prescrit par son cher médecin Alphonse.

Alphonse.

Link s'étonna de ne plus se souvenir de leur dernière rencontre. Elle devait remonter à un petit bout de temps déjà.

Ou alors, il s'était passé tellement de choses...

Que pouvait faire le médecin fraîchement diplômé, à l'heure qu'il était ?...

... Oh non.

Link sursauta soudain.

Et si Alphonse avait déjà invité Zelda au bal du couronnement ?

Évidemment qu'elle ne refuserait pas. Après tout, il était devenu son ami, et le bal étant dans une semaine, les couples de danseurs commençaient à se former en vue de cette occasion.

Quelle honte ce serait, si Link arrivait après le passage du pédant médecin, demandant à Zelda de lui accorder une valse...

Au fait, savait-il danser ?

L'idée venait tout juste de le percuter.

Link retira sa gourde de la rivière, la referma soigneusement, et retourna voir sa jument, qui continuait de satisfaire sa faim en retournant le gazon de ses dents.

Danser.

Plus exactement, valser.

Link ne se souvenait pas d'avoir eu l'occasion de valser, depuis sa renaissance. Et même s'il ne se souvenait pas non plus de son passé, il avait cet infime espoir que cette compétence l'ait suivi jusqu'ici, dans sa propre ignorance.

Il réfléchit.

Puis leva le nez vers le ciel bleu, cherchant dans cette belle couleur réponses à ses nombreuses questions.

Mais rien ne lui revenait, à part, comme d'habitude, l'impression de creuser là où ses souvenirs n'étaient pas enterrés.

Cela confirmait beaucoup de choses. Parmi elles, que oui, inviter la princesse Zelda à danser est une mauvaise idée, et que non, aucun atout quelconque ne l'a suivi durant son long sommeil.

C'était déprimant.

Link se laissa tomber contre son rocher dans un lourd soupir.

Sa monture n'avait pas bougé, et demeurait non-loin de là, broutant paisiblement.

Le jeune homme farfouilla dans sa besace, et décida d'en ressortir sa gourde.

Un peu d'eau fraîche dissiperait certainement ses soucis et les tensions de son esprit.

Tout à coup sa main se raidit.

Ses doigts s'écartèrent brusquement des uns des autres, et s'inondèrent de douleur.

La gourde dégringola de son emprise, et exhala toute sa boisson au sol.

Link inspira bruyamment.

Toute sa tête fondit, brûlante, tapante.

Puis tout se calma.

Ahuri, Link dévisagea sa main gantée.

Puis la gourde, gisant dans l'herbe.

△▲△

Il y avait un lac gigantesque, dont les eaux miroitaient d'un bleu profond et élégant.

En son cœur, se dressait un immense palais, à la paroi rocheuse azure et aux sculptures fines et délicates.

Sur son dessus, veillait l'imposante statue d'un Poisson Légendaire, que les habitants de la région prénommaient Jabu-Jabu.

Le Domaine Zora.

Contrairement à Daruk, Link n'avait eu aucun mal à trouver le chemin. Il s'était même étonné de la facilité de son trajet.

Le défunt Goron devait avoir, de son vivant, un très, très mauvais sens de l'orientation.

Il ne restait plus qu'à descendre les montagnes, et de trouver l'entrée du Domaine Zora.

Link étalonna doucement sa jument, qui devait être un peu agacée de ces randonnées longues et difficiles.

« Ne t'inquiète pas, lui murmura-t-il, là-bas, je vais essayer de trouver du foin meilleur que nos derniers villages... »

Et le voilà reparti à converser tout seul.

Il resserra prestement les rênes entre ses poings, serrant les lèvres, et reprit la route, fulminant de honte.

Il longea le lac, et descendit les petites collines le séparant de l'entrée, qui se trouvait dans une vallée bordée de ces pics rocheux.

De drôles de buissons aux teintes améthystes vinrent caresser ses bottes à son passage.

Ici, la roche rayonnait sous le soleil d'un bleu pur et magique. Link se sentait planer, comme plongé dans un royaume différent du sien, là où la roche était, la grande majorité du temps, un caillou gris bête et stupide.

Et, au bout de l'allée, il découvrit enfin les portes du Domaine Zora.

Comme présumé, elles étaient soigneusement gardées par des soldats aux tridents longs et aiguisés comme des dards d'abeilles.

Link n'avait rien à craindre, il le savait.

Enfin... sauf si la voix meurtrière reprenait le dessus.

Il déglutit nerveusement à cette idée.

Mais l'esprit était endormi, désormais... n'avait-il plus rien à craindre durant un petit moment ?

Mais pourquoi la douleur était-elle réapparue ?...

Link laissa en plan ses pensées. Il se demandait si les Zoras seraient partant pour s'enrôler dans le corps de garde.

Peut-être que tout ceci allait se conclure comme chez les Gorons ? Le Roi des Zoras allait déclarer que la plupart des Zoras étaient déjà enrôlés dans leur cavalerie à eux, et qu'il n'y en avait plus suffisamment pour les envoyer à l'autre bout du royaume ?

Link allait le savoir.

Quelques mètres avant le portail, il descendit de sa monture, et l'attrapa par les rênes.

Il s'apprêtait encore à lui susurrer quelque chose, avant de se retenir. Il fallait vraiment chasser cette vilaine manie.

Link n'eut même pas à ouvrir la bouche pour se présenter : les gardes levèrent automatiquement leur trident, et de grands sourires vinrent étirer leur visage.

« Oh, est-ce vous, maître Link ? plaida l'un d'entre eux, dont l'écaille était d'un doux vert profond.

— Mais oui, imbécile, marmonna l'autre, levant les yeux au ciel. Tu ne vois pas l'épée qu'il a dans le dos ? Excusez-le, messire, continua-t-il, se tournant vers le jeune homme. Il est nouveau, il ne connait pas tout encore du code de la chevalerie. »

Link secoua la tête, en signe de non-importance.

« Connaissez-vous un endroit où je pourrais déposer ma monture ? interrogea-t-il, désignant du menton sa jument qu'il tenait toujours par les rênes.

— Navré messire, nous ne prenons pas ce genre de bestiole.

— Ah.

— Ah bon ? s'étonna le Zora émeraude, se tournant vers son collègue.

— T'as déjà vu un cheval ici ?

— Non, mais je ne pensais pas que c'était strictement interdit comme ça...

— Roh là là, mais on dirait que tu es arrivé hier... »

L'aîné des deux Zoras soupira lourdement, agacé par son apprenti.

« Et pourquoi ? voulut savoir ce dernier.

— Ordre du Roi. Tu peux toujours aller lui demander. »

Évidemment, le jeune officier préféra oublier cette interrogation plutôt que d'aller déranger leur vénéré souverain.

Link revint à la charge :

« Mais où pourrais-je la déposer, alors ?

— Vous pouvez toujours l'accrocher à un arbre, répondit le garde. Celui-là me semble intéressant.

— Je ne reste pas qu'une dizaine de minutes, fit le jeune homme. Je ne sais pas si la laisser accrocher là...

— Ça me fendrait le cœur, cap'taine », coupa soudain le Zora vert, se tournant de nouveau.

L'aîné fusilla du regard son officier.

« C'est vrai ! renchérit ce dernier. Vous aimeriez être accroché à un arbre durant plusieurs heures ? »

Même s'il semblait peut-être un peu naïf, le jeune Zora vert commençait à grimper dans l'estime de Link. Il lui développait inconsciemment une certaine sympathie.

« Tu veux plutôt la laisser se faire dévorer par le lynel des côtes ? gronda le capitaine. Alors tais-toi, un peu ! »

C'était étrange, mais malgré ses paroles dures, l'aîné des deux Zoras ne parvenait pas à être injuste.

Link sentait simplement dans son regard une certaine vigilance, celui d'un père veillant durement sur son fils, afin de lui enseigner le meilleur.

Il coupa le débat :

« Bon, je vais la laisser ici. Vous pourrez veiller sur elle, pour moi ?

— Pas d'soucis, maître Link ! répondit coup sur coup le jeune officier.

— On dit messire Link, répliqua le plus vieux.

— Les deux ne me dérangent pas, sourit le concerné. Ou alors, appelez-moi Link.

— Je n'oserai pas ! » répondirent cette fois en chœur les deux Zoras.

Et, sur ces paroles, ils se décalèrent respectueusement, avant de rajouter :

« Le Prince Sidon vous attend, ne le faites pas patienter davantage ! »

Link acquiesça, puis se détourna vers le sapin que le plus vieux des deux Zoras avait désigné.

« Je suis désolé, chuchota-t-il, passant une corde autour de l'écorce. Je vais essayer de passer te voir de temps en temps... On repart en début d'après-midi. »

Soit d'ici quatre bonnes heures. Mais ça, Link ne voulait pas le formuler à voix haute.

Mais la jument semblait l'avoir deviné : elle s'agita subitement.

« Chut, chut... s'il te plaît, je suis désolé... Mais... »

Mais voilà : le nœud était terminé.

Sa jument était à présent enchaînée à ce sapin.

L'animal toisa l'arbre avec véhémence. Elle cherchait à se dérober de son emprise.

Link se demanda peut-être s'il pouvait la laisser à l'air libre.

Après tout... si les gardes veillaient sur elle, il n'y avait pas de raison qu'elle aille bien loin... si ?

Il aurait du passer par un relai, afin de la déposer... Mais il n'avait plus le temps de faire l'aller-retour.

Link fit quelques pas en arrière, observant la scène.

Sa monture, furieuse, tirant contre l'arbre, ce dernier commençant sérieusement à trembler.

« Bon bon, d'accord ! soupira-t-il, vaincu. Je te libère, va... Mais ne va pas trop loin ! »

Il dénoua rapidement la corde.

Une fois libérée, sa jument braqua sur lui non pas un regard de gratitude, mais de colère.

Il voulut lui offrir une petite tape amicale, mais elle se détourna, visiblement vexée.

Bon. Il fallait bien que ça arrive un jour...

Les gardes, derrière lui, le regardaient, médusés.

« Vous parliez avec votre cheval ? »

Cette fois, Link ne s'en était même pas rendu compte.

Était-il réellement en train de devenir fou ?

△▲△

Le Domaine Zora n'avait pas changé.

Des fins voiles d'eau s'écoulaient de part et d'autre, décoratifs, élégants, reposants.

Link se demanda s'il n'aurait pas mieux fait de prendre son armure Zora. Peut-être se serait-il plus senti dans son élément.

Le jeune homme esquiva des bambins qui semblaient partager un jeu de course endiablé, avant de se stopper net.

Il était arrivé sur une grande place, qui précédait les escaliers montant au palais.

Au cœur de l'endroit, sur un piédestal, s'élevait une majestueuse statue, qui semblait être taillée dans la plus pure des pierres précieuses.

C'était une Zora.

Elle tenait entre ses mains une lance, pointée vers le bas.

Ses yeux minutieusement et délicatement dessinés accrochaient ceux de Link comme l'aurait fait une vive couleur.

Quelques mots explicatifs étaient gravés dans la roche, à ses pieds.

Il s'agissait de la Princesse Mipha.

La statue lui faisait toujours quelque chose, et Link n'arrivait pas à savoir pourquoi.

Certainement son ancien-lui, qui finissait tout de même par se réveiller un peu.

Mipha.

Toutes les fois où elle venait le voir, ces nuits d'insomnies, elle l'avait marqué de par son incroyable connaissance de lui-même.

À quel point avaient-ils été proches, auparavant ?

Peut-être la préférait-il à Zelda, à cette époque ?...

« En pleine contemplation ? »

Link se détourna de la statue.

Un grand et athlétique Zora était là, les poings sur les hanches, un grand sourire aux lèvres.

Sidon.

Link laissa son propre sourire grimper à ses propres lèvres.

Le Prince lui tendit une main, d'une manière si chaleureuse, et si amicale, que le cœur de Link fondit d'un seul trait.

« Allez, viens me serrer la main, déclara-t-il. Mon cher ami ! »

Soutenant son regard, le jeune homme se rapprocha, et donna sa main à la poigne du Zora.

« Héhé, tu as pris du muscle, toi, je le sens ! rit Sidon, secouant de façon masculine la main du garçon. Tu me donneras tes recettes, parce que moi, je n'ai plus grand-chose dans les bras...

— Tu es toujours aussi modeste, toi », releva Link avec un sourire sarcastique.

Des épaules du jeune Zora se dessinaient d'importants muscles, d'une rondeur et d'un lisse qui accrocherait le regard de n'importe qui.

Sidon éclata de rire.

« Je suis un Zora ! Les muscles sont plus facilement visibles de l'extérieur, c'est sûr. Mais l'habit de fait pas le moine, pas vrai ?... Mais attends... Tu as froid ? »

Son regard était penché sur sa main.

Sa main gantée.

Link retira prestement le bras.

« Petite blessure, mentit-il, tournant son poignet sur lui-même. Rien de grave, mais... il faut mettre une crème, et il faut éviter d'afficher la crème au soleil.

— Ah ! Comment tu t'es fait mal ?

— Certainement en améliorant mes muscles, tiens ! »

Ils se sourirent.

Décidément, ce voyage avait tout de même du bon...

« Alors, tu viens nous faire un petit discours ? s'enquit Sidon. Je suis vraiment content que tu passes par chez nous, durant ton petit pèlerinage, tu sais.

— Oui, pour motiver des gens au corps de garde d'Hyrule, hocha Link. Mais... Je suis déjà tombé sur une ville, et le chef m'avait prévenu qu'aucun des villageois ne voudraient venir, car ils étaient très préoccupés...

— Quel village ? interrogea le prince, surpris.

— Les Gorons. »

Sidon leva dramatiquement les bras au ciel, les yeux écarquillés.

« Ah ! Les Gorons ! soupira-t-il. Ce mot est depuis quelques temps maudit aux oreilles de Père, et banni de son vocabulaire.

— Pourquoi ça ?

— Je ne sais pas vraiment... Père voulait faire quelque chose avec eux, et puis ça avait mal fonctionné. C'est une histoire taboue désormais, et si, par malheur, tu laissais échapper cette histoire-là, ne t'inquiète pas : mon père leur refera le portrait, en long, en large, en travers ! »

Quelle surprise...

Link avait vraiment du mal à y croire. Le Roi des Zoras était un homme qui avait certainement le quadruple de son âge — années passées au sanctuaire de la renaissance comptées —, comment pouvait-il se laisser avoir par ce genre de disputes puériles ?

Et puis, pourquoi n'avait-il jamais entendu parler de ce conflit ?

« ... Et... Ça fait longtemps ?

— Oh non, un mois, à peine ! Et puis, cette histoire de cristaux les a un peu divisé, aussi... »

Link hocha gravement la tête, pensif.

« ... Mais bon, tu sais, on a toujours des hauts et des bas, déclara Sidon. Il ne faut pas oublier que mon père — sans vouloir t'offenser, mon cher papa —, c'est un fossile. Il a connu les grands-parents de Sa Majesté Zelda, tu sais ? Oh, au fait, comment va-t-elle ? Elle s'est faite une nouvelle coupe, non ? »

Link acquiesça.

« Depuis un petit moment, même.

— Franchement, ça va. C'est pas de toute beauté, mais ça ne l'enlaidit pas. »

Le jeune prince sourit :

« De toute façon, je ne suis pas du meilleur conseil, je n'ai même pas de cheveux. »

Le jeune homme lui répondit par un petit rire.

Il y eut un court silence. Ce genre de petit silence, qui suit les premières discussions endiablées d'une amitié retrouvée. Un temps pour savourer la présence de l'autre.

Sidon n'avait pas changé. Le temps ne prenait pas les Zoras de la même manière que de simples Hyliens. Entre sa dernière visite et aujourd'hui, peut-être n'y avait-il qu'une ride de différence — les Zoras prenaient-ils des rides ?

Soudain, le jeune Prince interrompit le silence :

« À ce propos ! Je parlais de Père, tout à l'heure. Il faudrait que tu ailles le voir, il t'attend ! Tu te souviens des lieux ? »

Oui, Link s'en souvenait étrangement bien.

Il fit un petit demi-tour sur lui-même, et retomba nez-à-nez avec le piédestal de Mipha.

Link eut la soudaine impression qu'elle avait tout écouté.

△▲△

« Oh, Link ! Mon cher Link ! »

Un énorme poisson géant était à moitié avachi sur son trône.

Quand il vit le jeune homme entrer, il se mit à frétiller de plus belle.

D'un étonnement amusé, Link ploya en une sincère et respectueuse révérence.

« Il est venu ! continuait d'exulter le Roi des Zoras. Il est venu, celui qui a triomphé, oui, ou plutôt devrais-je dire, le meilleur, le plus beau, le...

— Link suffira amplement », coupa le concerné.

Il crut durant un instant avoir manqué de tact : le Roi braqua sur lui un regard globuleux, la gueule semi-ouverte, avant de faire résonner dans ses bronches un rire rauque. Son immense bedaine écaillée, touchant le sol, se mit à rebondir peu gracieusement. Link était certain d'avoir entendu les murs en frémir de peur.

« Oui, on peut se contenter de cela aussi ! acquiesça l'énorme poisson. Link. Petit, rapide, efficace. C'est tout toi ! »

Le jeune homme n'était pas sûr que le petit lui soit concerné. Il ravala son sarcasme.

Le Roi cessa enfin de rire, et étendit la nuque, approchant ses yeux de son invité.

De tous les Zoras que Link connaissait et avait croisés, aucun ne possédait les yeux de leur Roi. Ils étaient si spéciaux, ils ressemblaient à deux larves dans leur orbite, frétillantes de curiosité.

Dans ses prunelles, il se vit, lui, tout petit en effet.

« Alors Link, commença lentement le Roi. Je vois que tu n'as pas changé. Enfin, tu as repris... un peu de gabarit, celui que tu as du perdre durant ton long sommeil. »

Sidon lui avait fait la même remarque. Décidément.

« Pas de problème en chemin ? » poursuivit le Roi, le coupant dans ses réflexions.

Link secoua négativement la tête.

L'énorme Zora reprit à voix basse :

« Pas de... de cristaux ?

— Non non. Rien. »

Ça n'était pas totalement vrai. Mais Link ne voulait pas être annonciateur de mauvaises choses.

Et puis, les cristaux qu'il avait vus lui, avaient poussé à Akkala. Loin, loin d'ici...

« Quand repars-tu, au fait ? Tu restes la journée ?

— Non, malheureusement. Je pars en début d'après-midi.

— Oh, vraiment ? fit le Zora, déçu. C'est fort dommage... Peut-être peux-tu... »

En vérité, Link était si content de savoir que son ami Sidon patientait à à peine quelques mètres de là qu'il se demandait s'il ne pouvait pas rester un peu plus.

Mais il se rappela de sa jument, qui devait trotter à l'air libre, totalement déroutée, toute la région de Necluda qui l'attendait, et Zelda, surtout, à qui il avait fait la promesse de revenir au plus vite la voir.

Cette petite matinée était largement suffisante pour profiter de son ami, non ?

Du moins, il essayait de se résonner ainsi.

« Non, je ne peux pas. J'aurais beaucoup aimé, vraiment... Mais je reviendrai !

— Ah, çà, c'est une tâche à laquelle je t'oblige — et il n'y a pas que moi, je pense !»

Le Roi s'étira, se redressant de la position dans laquelle il s'était mis afin d'écouter son invité.

Link vit ses yeux se firent plus loin et plus profonds, comme si le vieux Roi était aspiré de l'intérieur par ses propres pensées.

« Je me souviens, murmura-t-il. Je me souviens de ma fille... Mipha... qui était si heureuse quand tu venais la voir... »

Link ne s'en souvenait pas. Mais néanmoins, il le devinait.

Et si aujourd'hui, le Roi lui faisait part de ce souvenir de famille, c'était parce que ces temps étaient finis : Mipha était morte. Tuée dans sa Créature Divine, par le plus impitoyable des tueurs : Ganon.

Link était mort, lui aussi, mais il avait revécu.

Et même s'il avait libéré l'âme de la défunte princesse, désormais pesait sur lui le poids de sa mort.

Link avait la vague impression d'avoir esquivé La Faucheuse, et de l'avoir laissée à ses amis.

Le Roi le regardait fixement. Link se rendit compte qu'il avait peut-être dit quelque chose, que lui n'avait pas entendu.

« Excusez-moi, je ne crois pas avoir entendu...

— Rien. »

Le Roi sourit. De ses lèvres, Link pouvait apercevoir une rangée de canines défraîchies.

« Allez, va ! Je suis heureux que tu sois là — et que tu aies calmé Vah'Ruta ! Pour ton discours, dis-moi simplement quand tu te sens prêt. Tu pourras te mettre en haut des escaliers du Domaine — ou sur le balcon, à toi de voir. »

Oui, Link avait besoin de comparer, et de voir lequel des deux était le moins élevé.

Le jeune homme hocha de nouveau la tête, avant d'incliner une nouvelle fois le buste.

« Merci beaucoup.

— Mais de rien ! Je ne pense pas que l'on puisse te rendre un jour la pareille, pour tout ce que tu as fait pour nous ! »

△▲△

« Alors, qu'est-ce qu'il t'a dit ? »

Sidon patientait tranquillement sur les marches menant à la salle du trône, adossé à l'élégante rambarde, face à la statue de sa sœur.

Le ciel s'était assombri. Le Soleil avait disparu, et seuls quelques rayons de lumière acrobates arrivaient encore à faire scintiller le Domaine et son lac.

« Des informations pour le discours », répondit Link.

Sidon se détourna de la statue.

« Tu veux le faire quand ? Tu veux faire une répétition ?

— Une répétition ? réitéra le jeune homme, sans comprendre.

— C'est ce que je faisais avec ma sœur, quand elle avait un discours à faire. Je prends la place du public, elle récite, et je lui dis ce qui va et ce qui ne va pas. »

Link se souvint l'avoir déjà fait avec Zelda.

C'étaient ces conseils-là qui avaient soudainement resurgis, le jour de son premier discours, au village.

Mais cette fois-là, le jeune homme n'avait servi que de public, tout bonnement incapable de donner ne serait-ce qu'un bon conseil à une excellente oratrice qui ne souffrait que de stress.

Link acquiesça.

« D'accord.

— Ça marche. Oh ! Et il faudrait que je te passe quelque chose. Tu m'y feras penser ? Ce serait bête si j'oubliais.

— Oui, pas de souci.

— Alors, c'est parti, Link-et-ses-muscles-en-béton ! »

Link et le Prince des Zoras se dirigèrent vers le Nord du Domaine, et son ami lui indiqua une petite porte à la dérobée, que Link n'avait jusqu'ici jamais remarquée, malgré toutes ses visites précédentes.

« C'est le logement de la famille royale, lui expliqua Sidon. Il est juste en-dessous de la salle du trône. Tu verras, c'est beaucoup moins grand que le château d'Hyrule !... »

En vérité, sa demeure était composée de nombreux et longs couloirs, voyageant entre différentes pièces et différents étages : les chambres, les cuisines, la salle à manger, le dressing...

Le tout, taillé dans cette sublime roche bleue, qui donnait à Link l'impression de s'enfoncer au cœur d'un château de glace.

Soudain, après avoir traversé nombreux corridors, Sidon se stoppa net, et poussa la porte sur sa gauche :

« Bienvenue dans ma chambre ! »

Link s'étonna immédiatement de sa taille, qui ressemblait à sa propre chambre à lui, au château d'Hyrule.

Ne réservait-on pas une chambre plus imposante et plus spacieuse à l'héritier du trône Zora ? Comment devaient être les chambres des courtisans, alors ? Des placards à chaussures ?

« Je sais, ce n'est pas bien grand, dit le jeune Zora, qui avait certainement relevé la perplexité sur le visage de son ami. C'est moi qui en ai décidé ainsi. Quand c'est trop grand, je perds tout, et c'est le bazar dans ma chambre... »

Link hocha la tête.

Au moins, avec une armoire encastrée, une commode à trois tiroirs, et un petit bureau pourvu de quelques étagères, il n'allait pas se perdre, ou alors pas bien longtemps.

Sidon s'était brusquement assombri. Il s'avança vers son lit, se détourna sur ses talons, et, les yeux perdus dans des pensées visiblement douloureuses, se laissa tomber sur le matelas.

« ... Et puis... fit-il, d'un ton incroyablement bas, si je changeais de chambre... On me mettrait dans celle de Mipha. »

Link comprit immédiatement que l'idée lui était inconcevable.

Lui-même en pensait de même : irait-il dormir dans la chambre de sa défunte sœur ?

Certes, il n'en avait pas. Enfin, pas qu'il sache. Peut-être était-elle morte il y a cent ans, après tout.

Mais il s'imaginait lui, chaque soir, fondre dans le lit ayant contenu une humaine qui n'était plus de ce monde, voir l'obscurité macabre l'oppresser, sentir la présence de cet esprit, qui se demandait qui, mais quel mortel assez effronté était capable de lui voler sa place...

Link frissonna.

Sidon s'était levé, et avait retrouvé les teintes de la bonne humeur.

« Bon alors, raconte-moi tout. Que faisait notre cher Héros de Légende, durant ce temps immensément long qu'était son absence parmi nous ? »

△▲△

« ... Et du coup, pour le couronnement, tu seras là ? »

Il n'y avait pas d'horloge visible dans la chambre de Sidon, Link ne saurait dire combien de temps dura leur conversation. Mais il était persuadé qu'elle avait duré pas loin d'une heure.

Les sujets s'étaient enchaînés, et il n'était même plus sûr de se souvenir de tous. Quoi qu'il en était, il ne se souvenait pas du précédent, celui qui l'avait amené à poser cette question.

Sidon, assis sur une espèce de petit fauteuil dans un coin de la pièce, roula comiquement les yeux vers le plafond.

« Mais évidemment ! souffla-t-il. Ne pas être présent serait une honte. Ou de l'irrévérence. Ou ce que tu voudras, mais pas quelque chose de positif, en tout cas.

— Je vois.

— En plus, mon père ne viendra sûrement pas. Déjà que le moindre de ses déplacements se révèle à chaque fois être une galère sans nom, il ne va pas aller à une fête tout en sachant qu'il y aura potentiellement des Gorons là-bas. »

C'était à ce point ?

Link n'en revenait pas qu'une telle haine envers un peuple puisse encore naître dans ce type d'esprit, vieux et fatigué, que possédait le Roi des Zoras.

Sidon conclut :

« Donc, honneur de Zoras, je dois représenter mon peuple. Et ça sera un immense plaisir de revoir Sa Majesté ! Comment ça se passe, entre vous deux ? »

Link eut un instant de latence.

L'âme de Zelda venait de ressurgir dans la sienne, comme une réminiscence.

Les mots de Sidon avaient enflammé toutes les véritables réponses qui auraient convenues, mais qu'il ne pouvait décidément pas extérioriser, en tout cas pas dans leur forme originelle.

« ... Bien », finit-il par lâcher, sobrement.

Puis une pensée émergea parmi son flot de semblable.

Link n'y réfléchit même pas à deux fois :

« J'aimerais l'inviter pour une danse. »

Aussitôt, le jeune homme fut assailli par les mauvaises conséquences que pouvait engendrer cette déclaration.

Sidon allait certainement penser à des choses que Link ne voulait pas forcément qu'il pense, se dire que si tout s'était passé autrement, Link aurait pu inviter sa sœur Mipha pour cette fameuse danse.

Si Sidon n'avait ressenti qu'une once de tout ceci, il n'en révéla rien.

Il écarquilla simplement ses yeux noisettes, quelques secondes, avant de lâcher :

« Cool ! »

Il bondit sur ses pieds palmés :

« Tu sais danser ? »

À son tour, Link se leva du lit.

« ... Je ne sais pas. Je ne pense pas.

— Il est grand temps de vérifier ça. Allez, en piste ! De la valse, je suppose ? »

Link acquiesça.

Lui et Sidon se positionnèrent face à face, à une distance d'un mètre l'un de l'autre.

Le jeune Zora se mit à rire :

« On dirait que tu vas m'engager dans un combat d'escrime ! Relax ! Il n'est pas dans tes plans d'embrocher la princesse Zelda, n'est-ce pas ?

— Non, bien sûr.

— Bon, alors, selon toi, comment se positionnent deux valseurs ? »

Link analysa son partenaire d'entraînement.

Il avait, enfouie dans son esprit, l'image de deux danseurs, délavée et embuée d'incertitude.

Qui étaient ces deux danseurs de ses souvenirs tâchés d'oubli, ça, il ne savait pas, mais ils étaient là, dans sa tête.

Il avait beaucoup d'images, ainsi. Des images remplies de mystères, des fresques de moment de sa vie morcelées, un puzzle dont certaines pièces étaient désormais — et à jamais — introuvables.

Mais dès qu'il se concentrait sur ce fin et ténu souvenir, l'image fondait, et laissait place au néant.

« Je ne me souviens pas, murmura-t-il. Je l'ai pourtant sur le bout de la langue... »

Il fit instinctivement un pas vers son partenaire, plongé dans ses réflexions.

Puis, timidement, il posa une main sur son épaule :

« Comme... ça ? »

Sidon éclata de rire :

« Je sais que je ne suis peut-être pas le meilleur compagnon de danse pour toi, vu ma taille par rapport à la tienne, mais là, tu es bien réservé ! »

Brusquement, Sidon détacha ses mains qu'il gardait fixées à ses hanches, et les rabattit brutalement dans le dos de Link.

Le jeune homme fit un vol-plané, avant de se retrouver la joue aplatie contre le ventre de son ami.

Sans qu'il n'ait le temps de réfléchir d'avantage, Sidon s'empara de son bras gauche et de son bras droit, et les nicha respectivement dans sa propre main puis sur son épaule.

« Comme ça. Pas trop haut ? »

Le bras de Link avait dépassé l'angle droit, et tentait vainement de rester accroché à l'épaule rebondie du Zora.

Le jeune homme fût surpris — et peut-être un peu gêné — de la proximité que quémandait cette danse.

« Non, ça va, souffla-t-il.

— Zelda a à peu près ta taille, ça devrait être beaucoup plus naturel avec elle, dit Sidon. En vérité, ta main gauche doit être sur son omoplate.

— Son omoplate, assimila Link. Compris.

— Et ta main droite...Comme ça. Bon, là encore une fois, c'est un peu compliqué, mais en théorie, c'est comme ça. »

Oui, ce que racontait Sidon avait du sens.

L'image des deux valseurs revint une brève seconde, et Link releva que les éléments cités par Sidon étaient bien présents au sein du couple.

« Bon, déjà, tu as la position de départ. Hé, regarde-moi ! Suis-je si laid ? »

Link sursauta. Il avait posé son regard sur la commode derrière son ami, où reposait sagement un cadre, emprisonnant un dessin de la douce Mipha.

Cette œuvre l'interpellait depuis le début de son arrivée dans la chambre.

Sidon déclara :

« Règle d'or n°1 : ne jamais fuir du regard son ou sa partenaire. Il faut être pré-sent ! Allez, tu peux le faire ! »

Link dressa son regard dans celui du Zora.

Il sourit :

« Parfait ! Maintenant, les pas ! Tu sais qu'une valse se compte en trois temps, pas vrai ? Déjà, apprenons le pas de base, puis après on apprendra à tourner, pour voyager à travers la piste, et éclabousser les invités de votre merveilleuse danse ! »

Link n'osa pas répondre.

Bientôt, la voix de Sidon rebondit contre les murs, des 1, 2, 3, tourne! joyeusement scandés.

La chambre était malheureusement petite, et plus d'une fois, Link manqua de s'étaler sur le lit, ou de renverser des petits bibelots posés sur la commode qu'il bousculait.

Laisse! disait Sidon. Tourne!

Et Link tournait.

△▲△

Il y avait une petite foule, aux pieds des escaliers.

Des Zoras patientant sagement que le Héros de Légende soit fin prêt avant de passer sur scène.

Sidon se tourna vers lui :

« Ça va aller ? On n'a pas beaucoup répété ton texte, du coup... J'avoue que ça m'est un peu passé au-dessus...

— Ne t'en fais pas, répondit Link. Au moins, j'ai appris à valser.

— N'oublie pas : tu n'as que trois temps ! Ni deux, ni quatre ! Trois ! »

Link sourit, ré-entendant ce même conseil, dont la pratique lui faisait défaut.

Sidon sourit à son tour d'un air entendu, de son grand sourire blanc éclatant.

Puis, il posa familièrement un bras sur son épaule :

« Allez, va déchirer et mettre la foule des Zoras en extase ! Je suis persuadé que tu vas revenir en Hyrule avec toute une brigade de Zoras — et deux ou trois belles petites Zoras en poche par la même occasion ! »

Il allait bien être déçu. Link n'avait pas tellement retouché son discours par rapport à celui du village d'Euzero, mis à part le fait, peut-être, qu'il avait déjà l'expérience de l'avoir fait.

Link se détacha enfin de son ami, et quitta la salle du trône.

De derrière, il entendit un ultime :

« Tu peux le faire, Link ! »

Suivi d'une grosse voix :

« Tu n'en fais pas un peu trop, mon fils ? »

Link apparut donc enfin aux yeux du public.

Aussitôt, les conversations se turent, et les derniers petits chuchotis furent tus par des chhut! agacés.

Une dizaines de paires d'yeux se relevèrent vers lui, curieux, impatients, mais emplis de respect et de gratitude.

Link ne comprendrait ainsi jamais la logique Zoras. N'étaient-ils pas censés le haïr, pour ne pas avoir pu sauver leur princesse, le jour de la renaissance de Ganon ?

Peut-être n'était-ce qu'une façade... Ils avaient préféré dissimuler leur chagrin et leur colère juste le temps d'une petite dizaine de minutes, afin de laisser à Link l'idée qu'ils ne lui en voulaient de rien.

Il se racla la gorge.

Et il débuta.

« Je le savais ! Je le savais ! exultait Sidon. Link, tu es formidable ! »

Sur la grand-place du Domaine se dissipait peu à peu les spectateurs Zoras, la tête désormais emplie de réflexions.

Certains conversaient entre eux, et, au sourire qu'ils arboraient, ce n'était pas pour pointer ses défauts.

Link sourit, légèrement secoué, et à nouveau surpris que tout ceci se soit bien déroulé — voire même mieux que la dernière fois.

Car en effet, tandis qu'il se remémorait avant de prononcer les idées de son discours, d'autres idées lui étaient venues en cours de route. Pourquoi n'étaient-elles pas venues avant, ça, il l'ignorait, mais au moins, elles étaient arrivées, et ce, juste à temps !

Les questions avaient été plus nombreuses, et le public, plus enjoué à chaque réponse. Le discours s'était finalement étalé sur une bonne demi-heure, sans compter tous les auditeurs de fin qui s'étaient empressés de lui décocher un compliment ou une nouvelle question avant qu'il ne s'en aille.

« Je ne comprends pas trop, avoua Link. Ce que je disais n'avait rien d'extraordinaire... Mon texte était à peu près le même que celui d'hier, et pourtant, je n'avais pas eu cette... cette ovation...

— Link, c'est parce que tu es un génie ! répliqua Sidon. Tu as un passé hors du commun ! Tu es dans la famille royale d'Hyrule, tu as été le chevalier servant de la princesse, tu es mort, tu as revécu, tu as été l'ami de Mipha, tu es le profil parfait ! On voit qui tu es dans ton regard, et cette personne, peu de gens arrivent à la détester ! »

Le cœur de Link battait chaudement dans sa poitrine.

Les compliments de Sidon, quoique peut-être un peu bateau aux premiers abords, avaient une merveilleuse saveur fondante et sucrée. Link aurait pu en composer une recette, et il en aurait mangé à chaque repas, jusqu'au crépuscule de ses jours.

« Quel homme, murmura Sidon, mais quel homme ! »

Il éclata de rire, à nouveau.

Puis un petit silence s'installa entre les deux amis.

Link se rendit soudain compte du lourd ciel de cendre qui planait au-dessus de leur tête, et se demanda s'il allait devoir repartir sous la pluie.

Sidon avait du suivre son regard, puisqu'il commenta :

« Oh oh... la pluie ne devrait tarder...

— Je dois partir, malheureusement.

— Quoi, déjà ? Je n'ai pas vu le temps passer, c'est fou. J'imagine que c'est inutile de demander, mais sache que tu peux rester un peu, en attendant que la météo se calme... »

Link secoua négativement la tête.

« Non non, je dois partir. Je dois faire tous les villages de la région de Necluda, cet après-midi. Et puis... j'avais promis de ne pas être en retard pour mon retour.

— Je comprends. Toute la région de Necluda ? Hé bé, ça te fait une belle trotte, avec ton cheval ! »

Link se souvint brutalement qu'il avait laissé sa jument à l'entrée du Domaine, sans la moindre attache, ni la moindre surveillance.

Raison de plus pour quitter le Domaine au plus vite.

Qui sait ce qui aurait pu lui arriver ?

Link remarqua soudain le lourd regard que lui portait Sidon, un regard si lourd que lui-même peinait à le tenir droit.

« Bon, eh bien... Je te vois à la cérémonie du couronnement, de toute façon !... Oh, attends, j'ai failli oublier ! Je voulais te donner un truc ! Tu as encore du temps ? »

Link opina doucement de la tête.

Sidon se précipita vers le bas du Domaine, et entra dans la demeure royale, à nouveau. À sa suite, Link regardait les corridors défiler autour de lui, avec une petite pensée d'au revoir.

Sidon bifurqua, et entra dans sa chambre en trombe, avant de se jeter sur les tiroirs de sa commode.

Il en tira le second, et y plongea presque la tête à l'intérieur.

« Ne bouge surtout pas, Link, j'en ai pour une minute ! Rah là là, même avec tout ça, j'arrive encore à perdre mes affaires... »

Tandis que le Prince des Zoras fouillait, le regard de Link fut de nouveau attiré par le petit dessin de la princesse Mipha, posé sur la fameuse commode.

Oui, il avait du y avoir quelque chose avec elle, par son passé. Sinon, il n'aurait pas cette drôle d'impression... Ce drôle de petit pincement au cœur, un goût amer de regrets dans la bouche.

Si seulement il pouvait le savoir...

« Ah ah ! clama soudain Sidon. Le voilà ! »

Du bazar qui sortait à moitié de la commode, le jeune Zora retira brusquement son bras, au bout duquel était fermement tenu...

Un carnet.

Solennellement, Sidon tourna sur ses talons, et descendit sur ses genoux, à la hauteur de Link.

Le jeune homme détailla l'objet d'un œil curieux et étonné.

Il redressa la tête vers son ami.

Son visage était peint d'une gravité et un sérieux qui contrastait avec la bonne humeur dont il avait fait preuve tout au long de la journée.

Que se passait-il ?

Que pouvait bien contenir ce carnet ?

« Link, commença Sidon d'une voix douce. Ce carnet, ce n'est pas n'importe quel carnet stupide. Il était à ma grande sœur. »

Un carnet, mais dont les pages n'étaient plus vierges depuis plus d'un siècle.

Il s'agissait d'un recueil des pensées de Mipha.

Link porta un regard nouveau sur la couverture de cuir.

« Il est à toi, souffla Sidon, rapprochant son présent du torse de son ami. Prends-en soin, surtout... je pense que... que Mipha t'aurait de toute manière raconté tout ce qu'elle y a noté. Prends ceci pour une façon d'embellir votre belle amitié... Et puis, peut-être que tout cela te ramènera la mémoire... »

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