𝐗𝐈𝐈𝐈 - Un premier discours

Le lendemain, aucun Goron ne fut intéressé par les propositions de Link.

Peut-être faudrait-il préciser qu'elles étaient un peu hasardeuses, ses propositions. Et que les motivations qu'il leur trouva n'étaient pas bien motivantes.

Ce fût donc bredouille que Link quitta les terres des Gorons, après une étrange nuit de sommeil et un petit-déjeuner « de roc ».

Au moins, là où il allait, il n'allait plus avoir besoin de remède ignifus. Enfin, plus pour l'instant, du moins.

Yunobo lui adressa un chaleureux adieu, au détriment de Buldo, qui ne s'était toujours pas remis de la fête d'hier soir, et qui devait certainement être plongé dans un sommeil profond.

À présent, Link avait retrouvé sa monture au relai aux pieds du volcan, et continuait sa route vers l'Est, en direction d'Akkala.

... C'est beau, quand-même.

Il n'avait pas tort.

Les vallées d'herbes vertes s'étendaient, partout où l'on portait le regard. Çà et là, de petits troupeaux d'arbres orangés poussaient, semant autour d'eux, dans la pelouse, leurs défuntes feuilles.

L'automne pouvait avoir un charme.

Et donc, il y a un village à Akkala ?

« Le village d'Euzero, répondit Link. Il n'existe que depuis un an, à peine. J'ai participé à sa création. »

Quoi, t'es en train de me faire croire que tu as construit un village ?

Link hocha la tête, dans un hm-mh affirmatif.

Nan, c'est fou, je n'aurais jamais cru ! Tu as fait quoi, les bâtiments ?

« J'ai fait venir les populations. »

Ah, alors, il y a quoi, là-bas ? Des Hyliens ? Des Zoras, peut-être, je crois que, de mémoire, ils ne sont pas si loin...

« Il y a de tout. »

De tout ?

« Oui. Hyliens, Zoras, mais aussi quelques Gorons, des Piafs, et même des Gerudos ! »

Des Gerudos ? Vraiment ?...

Soudain, le balancement régulier de la monture de Link s'arrêta net.

Le jeune homme, dressé sur ses gardes, analysa aussitôt les environs.

Sa jument ne pouvait s'arrêter ici à tout hasard.

Ses oreilles se dressaient en pointes, tournées vers l'extérieur, peut-être elles aussi en train de chercher la menace qui pesait.

... Tout va bien, mon garçon ?

Link fit valser son regard sur la plaine dans laquelle il se trouvait, et enfin, son regard accrocha sur ce qui semblait effrayer sa jument.

Contre un arbre, redressé maladroitement dans une position que la mousse maintenait à peu près stable, sommeillait une carcasse de Gardien.

Le jeune homme eut un instant de latence.

... Tiens tiens, il en reste.

Les yeux fixés vers le robot, Link descendit de sa jument, et s'approcha doucement de la relique.

Qu'est-ce qui se passe ?

« C'est un Gardien, expliqua brièvement Link. Enfin, les restes. »

Ce qui l'étonnait, c'est que Zelda avait entrepris la quête de désactiver tous ces gardes mécaniques. Il se souvenait d'avoir longuement parcouru Hyrule naguère, afin de pourchasser le moindre Gardien. Zelda les avait pour la plupart rapatriés au château, afin de les conserver pour de nouvelles recherches — sauf ce Gardien, évidemment.

Mais la Princesse n'avait peut-être pas eu le temps de se replonger dans cette science ancienne.

L'œil laser du Gardien était éteint, et la nature s'y était immiscée. Quelques feuilles écarlates reposaient sur ses vieux rouages usés.

Même si cette bestiole était morte, Link sentait sa présence hanter son œil éteint.

« ... J'imagine que tu étais vivant, quand les Gardiens se sont rebellés », souffla-t-il.

Oui, oui, en effet. Perspicace, mon jeune homme, tu continues de vouloir percer mon identité ?

« Toujours. Et... Tu es mort durant la Calamité, hein ? »

Trop d'informations, trop d'informations... Tu devrais te remettre en route, ou tu vas finir par être en re—

Tout à coup, le sol se mit à trembler.

La carcasse de Gardien tapa contre l'arbre sous l'impact, et les arbres tressaillirent.

La jument de Link, restée sur le sentier, se cabra, paniquée, et s'engagea dans un galop affolé.

Le jeune homme se détourna vers sa monture fuyante, et s'apprêta à se lancer à sa suite quand brusquement, un craquement d'outre-tombe déchira l'air et la barrière du son.

Link fit volte-face.

Deux arbres étaient à présent au sol, leur feuillage aplati contre l'herbe.

Et, à leur ancienne place...

Link n'en croyait pas ses yeux.

À leur ancienne place, se dressaient désormais des cristaux turquoises.

Bouche bée, il détailla leur base caillouteuse, leur vive lueur, puis les arbres, au sol, puis à nouveau les pierres bleues.

C'était donc vrai, alors ?

Des cristaux poussaient à même le sol, renversant tout ce qui se trouvait à sa surface ?...

Dire que Link aurait pu poser le pied un peu trop loin, et se retrouver éjecter vers le ciel...

Et, comme si ce n'était pas assez, son bras se réveilla en hurlant de douleur.

Tout, depuis le début de sa main jusqu'à sa mi-épaule, s'enflamma au quart de tour.

La douleur arracha un cri à peine étouffé de la gorge de Link.

Il fit quelques pas en arrière, s'éloignant prudemment des cristaux turquoises.

Car il venait de se rendre compte que sa main prenait cette même couleur.

△▲△

... Wow, p'tit gars, relève-toi !

Peut-être Link s'était-il endormi. Peut-être que son esprit n'avait pas supporté la douleur, et qu'il s'était recroquevillé sur lui-même.

À présent, la voix résonnait dans sa tête, à lui en déchirer les tempes.

Il était allongé dans l'herbe, entouré par quelques arbres, qui semblaient se pencher au-dessus de lui d'un air bienveillant.

Un peu plus loin, il distingua sa jument, qui broutait tranquillement l'herbe que lui offrait Akkala.

Puis il regarda sa main.

À nouveau, la douleur s'était éteinte de la même manière qu'elle était venue. À présent, sa peau prenait une teinte d'un vert sombre, très sombre, celui qui rappelait les algues et le varech des plages.

Ah, te revoici !

Où étaient les cristaux ?

Link se souvenait vaguement de lui-même, courant à toute vitesse dans leur direction opposée.

Mais lui, où était-il, exactement ? S'était-il encore... perdu ?

Si toute la semaine se déroulait comme ça, Link n'était pas sûr de revenir au château, comme Zelda le lui avait si demandé.

Zelda.

Doucement, il se redressa, puis se mit debout.

Il sentait encore dans ses jambes un restant de tension, dû à la terreur qui l'avait épris.

Mais encore une fois, les maux avaient disparu, après avoir ravagé son corps de douleur et d'émotion.

Heh, ça va, p'tit ?

« Je... Je ne sais pas », murmura faiblement Link.

Faut pas flancher. Il est encore loin, le village d'Euzero ?

« Je ne sais pas... J'ai perdu le chemin. »

Link se dirigea vers sa jument. Cette dernière releva la tête de cette herbe verdoyante, et fit, elle aussi, quelques pas dans sa direction.

Au moins, elle ne s'était pas enfuie.

Ou alors, peut-être que tout ceci n'avait été que le fruit de son imagination ?...

« ... On est d'accord que des cristaux ont poussé du sol ? » questionna Link, tout en frictionnant distraitement les oreilles de son animal.

Affirmatif.

« ... Pourquoi tu me fais subir cette douleur, à chaque fois ? »

Quoi ?

La jument recula, une once de surprise et de peur dans les yeux.

Link se détourna d'elle. Ce serait bête que sa monture prenne la fuite juste à cause d'une erreur d'interlocuteur.

« J'ai dit, répéta Link, détachant chaque syllabe les unes des autres : Pourquoi tu me fais subir cette douleur ? »

La voix en resta sans voix, on pouvait le dire.

Elle sembla chercher ses mots, elle aussi, comme Link le faisait si souvent.

Je...

« Ne va pas me faire croire que ce n'est pas toi qui m'inflige tout ça à chaque fois », poursuivit-il, d'un ton grandissant de colère.

... Mais Li-Link...

« C'est toi qui me détruis la vie depuis cette fois où je suis allé dans la Cathédrale du Temps ! finit-il par gronder. Je ne sais pas qui tu es, ni ce que tu es. Pourquoi tu t'évertues à me faire du mal ? Pourquoi ? Est-ce que moi, j'ai fait quelque chose de mal ? »

Il eut la soudaine envie de voir cette voix, en chair et en os, devant lui.

Peut-être pour pouvoir traquer plus facilement l'émotion au travers de son visage. Peut-être pour pouvoir la saisir par les épaules, et la secouer comme un prunier.

Ou peut-être juste pour donner un peu plus de sens à cette colère, qui semblait s'évaporer dans le ciel sans atteindre son destinataire.

... En quelques sortes, oui.

Silence.

Ses épaules s'affaissèrent, descendant le long de son corps, sous le poids de l'étonnement et de la stupéfaction.

« ... Mais qu'est-ce que j'ai fait, alors ? murmura-t-il. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter... ça ? »

L'idée de mériter amplement tout ce qui lui arrivait l'assourdissait.

Ne s'était-il pas rendu compte de quelque chose, qu'il faisait à tort, à l'atteinte des gens ?

Peut-être était-ce son ancien lui, l'ancien Héros de Légende, d'il y a cent ans, dont il ne pouvait se souvenir ?

Pourquoi ne pouvait-il pas mettre sa main sur sa mémoire ?

Pourquoi était-il condamné à rapprendre la personne qu'il a été, qu'elle lui convienne ou non ?

... Je... Pardon, Link. Pardon.

Et maintenant la voix qui s'excusait...

Mais que lui cachait-on, au juste ? Quelles informations lui dissimulait-on sous son nez ?

Rah, mais pourquoi je dis ça ! Sache que je déteste m'excuser, ça s'entend je pense.

« ... Pourquoi, alors ? Pourquoi vous faites ça ? »

Link se rendait compte à quel point il s'entendait bien avec la conscience qui habitait son bras.

Avait-il eu tort de s'attacher à ce parfait inconnu ?

... Je... Je pense que je vais aller me reposer. Ne m'appelle pas, je ne répondrai pas.

Pourtant, Link avait envie de crier son nom.

Même s'il n'en avait plus, disait-on.

△▲△

Il y avait, en contre-bas, juché sur un îlot de terre s'élevant au milieu d'un lac, un regroupement de petites maisons cubiques et colorées.

De là où il était, Link entendait déjà des éclats de voix, des échos de conversations volées par le vent, et ces petits bruits qui caractérisent si bien ce genre de village.

Il avait retrouvé son chemin assez rapidement, au moins.

Il talonna doucement sa jument, qui s'était certainement, elle aussi, accordée une pause pour admirer le charmant village d'Euzero.

Le jeune homme espéra un soudain retour de la voix, s'exclamant sur ce petit village peut-être, ou relevant un petit détail futile et stupide, qui le caractérisait si bien.

Mais rien. La présence avait disparu, et Link ressentait pour la première fois le besoin de la réentendre. Juste de sentir sa présence au sein de son bras.

Un panneau se dressant sur la route confirma : ce petit hameau chaleureux était bien le village d'Euzero.

Il n'était pas mécontent de faire enfin une escale. Il en avait bien fait une sur la route, mais il n'était pas sûr que son dos en ait reçu une quelconque chose gratifiante.

Link s'engageait à présent sur une espèce de pont naturel, survolant l'eau, reliant les hautes collines au reste du village.

... Peut-être la voix ferait-elle une soudaine réapparition ?

Consciemment, Link attendit.

Il comptait les pas de sa monture, claquant sur l'herbe douce, en guise de seconde.

1.
2.
3.

La voix ne revenait toujours pas.

Mais à quoi s'attendait-il ? N'avait-elle pas déclaré qu'il pouvait l'appeler en vain, et qu'elle ne répondrait plus ?

Il ferait mieux d'arrêter de compter. Il perdait son temps.

Elle reviendrait forcément... n'est-ce pas ?

Link se rendit soudain compte qu'il avait franchi les portes du village, et qu'il se trouvait désormais sur sa grand-place, face à une étrange fontaine.

Devançant la tombée d'eau, se dressait une statue de la Déesse Hylia.

Son regard le fixa longtemps, insistant.

« Link ! Le Héros de Légende ! Le co-créateur de ce village ! Vous êtes là ! »

Link tourna la tête.

Un homme quarantenaire déboulait depuis une maison verte, une étrange masse de cheveux bruns sur la tête.

« Bonjour, fit prudemment Link.

— Ah, Link ! continua l'homme, s'arrêtant devant sa jument, et s'appuyant sur ses genoux pour reprendre son souffle. Je suis si heureux, cela faisait longtemps que je voulais vous voir. Tenez, je voulais vous inviter, mais vous savez... Lancer un postier sur les routes d'Hyrule est un luxe, désormais... Et c'est surtout très dangereux, avec cette menace de cristaux qui plane... »

Incroyable, le sujet était remonté sans crier gare, et si rapidement.

Link se demanda s'il devait parler de cette éruption de cristaux sur son chemin.

Mais Euzero — car oui, c'était lui — semblait si heureux qu'il n'eut le cœur à lui gâcher ce grand sourire.

Il se contenta alors de hocher la tête, approuvant ses propos.

« Nous avons prévu un petit endroit où votre monture pourra dormir, poursuivit Euzero. Elle sera traitée comme une reine ! Oh, et nous avons aussi monté une estrade pour votre discours !

— Mon... discours. »

Link réalisa qu'il n'y avait pas pensé une seule misérable seconde durant son trajet.

Alors que, durant celui vers les Terres volcaniques, Link s'était un minimum préparé mentalement, rassemblant quelques phrases qui pourraient faire l'affaire, là, il n'avait clairement rien fait, rien pensé, si ce n'était au fameux retour de l'esprit défunt.

Mais cette fois, il n'y échapperait pas. Une estrade avait été dressée pour lui, pour qu'on l'élève, pour qu'on le mette en valeur aux yeux des autres.

Et tous ces gens qui allaient venir l'écouter...

Un village entier...

Des enfants, des familles, des seniors...

Link n'avait jamais envisagé la chose sous cet angle, et fût soudain pris d'appréhension.

« ... Maintenant ? fit-il, soucieux.

— Oh, on vous laisse tout de même le temps de souffler, héhé ! »

Link descendit de sa monture, et, tandis qu'il attrapait ses rênes, Euzero renchérit :

« Vous faites quand-même un sacré chemin, évidemment que l'on va vous laisser du temps ! Vous vous souvenez des lieux ? Vous savez où se trouve l'auberge ? »

Silencieusement, le jeune homme acquiesça.

Le chef du village fit frapper ses mains :

« Parfait ! Parfait ! Écoutez, si vraiment vous voulez savoir, j'ai prévenu les gens en leur disant que votre discours serait vers... quatre heures. Oui, c'est ça. Quatre heures.

— Ah... Et... il est quelle heure ?

— Bonne question ! »

Euzero plongea sa main sous son veston bleu-roi, et fouilla quelques instants la doublure, avant de grogner :

« Zut, j'ai encore oublié ma montre... »

Il héla une jeune Gerudo qui passait :

« Excusez-moi, avez-vous l'heure ? »

Elle lui répondit par la négative.

Link commençait à avoir la tête qui tournait.

Toutes ses brouillonnes idées de discours s'étaient volatilisées, comme une nuée d'oiseaux que l'on avait pourtant aperçue de loin, mais qui avait déguerpi parce qu'on était passé trop près.

Et tous ces gens qui allaient venir l'écouter...

Il aurait du s'écouter, et rester au château d'Hyrule, près de Zelda.

Zelda.

Il pensait décidément beaucoup à elle. Peut-être un peu trop.

Mais bon, si cette pensée-là écartait ses habituelles questions qui tournoyaient vicieusement dans son esprit...

Euzero, à côté de lui, semblait terriblement confus.

« Mais personne n'est fichu de me donner l'heure, ici ?! » rouspéta-t-il à la ronde.

Link décida d'intervenir :

« Ce n'est pas grave. Je vais à l'auberge, je verrai bien qu'elle heure il est là-bas. »

Le chef le dévisagea un instant, sous ses épais sourcils bruns.

Puis il hocha la tête.

« Bien. Note pour plus tard : installer une horloge de ville. »

△▲△

D'après l'horloge que lui offrait sa nouvelle chambre, Link découvrit que son discours était dans une quinzaine de minutes.

Quinze minutes. Neuf cents secondes.

Bon. Tout était possible, après tout.

Il était encore temps de se préparer.

Le jeune homme laissa tomber son bagage sur son lit, et s'empressa d'installer une chaise face à une espèce de petite commode, qu'il rebaptisa aujourd'hui en bureau.

Il n'avait ni papier, ni plume, ni idées. Il était bien mal parti.

Que pouvait-il dire ? Que pouvait-il dire ?

Il plongea son visage entre ses mains, et enfouit ses doigts dans sa chevelure en un grognement sourd.

Pourquoi son esprit refusait-il d'opérer ?

Pourquoi n'arrivait-il pas à réfléchir ?

Pourquoi n'était-il pas un parfait écrivain ? Peut-être l'avait-il été...

Pourquoi n'arrivait-il jamais à poser des mots sur ce qui se passait ?

Pourquoi lui ?

Link tourna la tête derrière lui.

Dix minutes.

C'était fichu d'avance, il le savait.

Comment pouvait-il être aussi faible ? Aussi faible face à une émotion, telle que l'angoisse ?

Un Héros de Légende, lui ? Hilarant.

Sept minutes.

Link laissa tomber sa figure dans ses bras croisés sur ce prénommé bureau, le nez contre le bois, le front sur ses poignets.

Bon. Il fallait peut-être se concentrer sur sa prestance plutôt que sur le contenu. Car si Link se présentait comme ça sur cette estrade, il ne lui donnait qu'une petite minute avant de tomber dans les pommes, et de s'effondrer sur le public.

Le public.

Combien de paires d'yeux seraient braquées sur lui ? Et combien d'yeux au total ?

Combien d'âmes, combien d'esprits, allaient réfléchir sur ce qu'il disait ?

Cinq minutes.

Non, il ne pouvait pas.

Il ne pouvait pas passer. Il n'était qu'un corps tremblant d'anxiété, soutenu d'un souffle ténu et saccadé.

D'ailleurs, pourquoi ses poumons grinçaient-ils autant ? Mauvais signe ?

Respirer, respirer...

... Peut-être allait-il finalement se déclarer incapable. Incapable de tenir sur scène.

Euzero comprendrait. Ou pas.

Deux minutes.

Il devait y aller. Il ne pouvait pas se dérober.

Que dirait Zelda ?

Zelda.

Une minute.

Link plaqua un poing tremblant sur le bureau, et leva péniblement sa figure du meuble.

Ignorant son esprit qui lui hurlait de faire marche-arrière, il descendit un pas mécanique l'escalier de l'auberge.

En bas, dans la partie restauration de l'établissement, patientait Euzero, adossé au comptoir du tavernier.

« Ah, Link ! s'exclama-t-il d'un ton joyeux. Alors, la forme ? »

Le torse comprimé, Link bougea sa tête de haut en bas, puis de bas en haut. Il entendit sa nuque grincer sous l'effort.

« Parfait ! Venez, la foule se forme. Quelle star ! »

La foule.

Combien de personnes pouvaient abriter ces petites maisons cubiques et colorées ?

Il n'y en avait pas tant, si ?

Peut-être...

Link termina de descendre les escaliers.

Puis rejoignit Euzero.

« Allez, venez. Vous en avez pour combien de temps ? »

Pour combien de temps ?

Link se tâta de répondre ''une minute'', mais il n'osa pas.

« ... Dix minutes... dix minutes ? » souffla-t-il.

Son timbre résonnait bizarrement à ses oreilles ; le stress commençait à modifier sa voix.

« Dix minutes ? s'étonna Euzero. C'est un peu léger, non ? »

Link puisa dans ses dernières forces, forçant le passage sur sa gorge nouée :

« C'est... pour... Pour ne pas que les gens... passent trop de temps... debout.

— ... Ah, en effet, hocha l'homme. C'est en effet une bonne idée. Bon point, monsieur le Héros ! »

Et, à ces mots, il poussa la porte de l'auberge.

À à peine quelques pas de là, se dressait une estrade en bois, et, à ses pieds, s'étalait une flopée de villageois.

Tous se détournèrent d'un seul mouvement au bruit de la porte de l'auberge.

Link reçut donc plus d'une cinquantaine de regards en une simple seconde.

Son cœur marqua un arrêt.

« Allez, Monsieur Link, l'encouragea Euzero, lui gratifiant d'une petite tape sur l'épaule. C'est votre tour ! Montez, n'ayez pas peur !»

Son corps obéit, et se mit en marche vers l'estrade de bois.

Il gravit les quelques marches, et, très rapidement, il se retrouva en haut, face à tous ces villageois.

Il ne s'était pas trompé, quand il avait voulu renseigner la conscience sur ce village : il y avait de toutes les créatures. Des Zoras, des Gorons, des Hyliens, des Piafs...

... La voix...

Si seulement elle pouvait se réveiller subitement, et, quoi, souffler une petite blague stupide, qui décoincerait cet espèce de bâton qui bloquait toute la circulation de son air entre ses poumons ?

Ou alors, mieux : lui souffler des mots d'un discours ! Il pouvait être un si bon écrivain, parfois.

Link se rendit soudain compte que cela faisait une minute qu'il ne disait rien, et que la foule était tout aussi silencieuse.

Peut-être fallait-il arrêter de les dévisager un par un.

Allons bon, avait-il eu une quelconque réticence, le jour de la première attaque de cristaux, au château d'Hyrule, quand il avait fallu s'adresser à tous les domestiques du palais ?

Non, bien sûr que non. Ou peut-être une demi-seconde, mais il n'y avait pas pensé.

Pourquoi la magie du moment n'opérait désormais plus ?

Link décolla enfin ses lèvres l'une de l'autre.

« Bonjour. »

Pas un mouvement.

... Comment faisait Zelda, pour toutes les conférences, toutes les réunions qu'elle tenait ?

Il se souvint soudain de cette fois où la Princesse l'avait réquisitionné lui, Link, afin qu'elle s'entraîne à réciter un discours pour une fête importante et populaire en Hyrule.

Elle arpentait la scène, délectait chacun de ses mots, et les déclamait avec une puissance et une passion, qui rendait intéressant le moindre petit mot, la moindre petite tournure de phrase.

« Le tout est dans le regard. Ton regard doit montrer ce que les gens veulent voir, et ce qui les apaisent, et ce qui les captivent. »

Alors, Link osa enfin faire voler son regard à travers l'assemblée.

« Je suis Link. Chevalier au château d'Hyrule, et capitaine du corps de garde Hylien. »

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