𝐗𝐈𝐈 - Les terres volcaniques
Link avait l'impression d'avoir oublié quelque chose.
Pourtant, il avait tout vérifié, son bagage, ses provisions... Et puis, ce n'était pas comme s'il avait besoin de grand-chose.
De toute façon, il était trop tard pour se souvenir de son oubli : le château d'Hyrule était déjà bien loin derrière lui.
Seul, au beau milieu d'une plaine verdoyante, il menait sa monture au pas, plongé dans ses pensées.
Au moins, le trajet n'était pas ardu : le volcan était juste en face de lui, se découpant nettement dans l'horizon.
Mais qu'avait-il bien pu oublier ?...
Peut-être était-ce ce discours qui continuait de tourner dans son esprit. Il n'en avait aucun. Il n'avait pas réussi à en réécrire un, et l'ancien était toujours dans les mains de Zelda, s'il n'avait pas été brûlé depuis.
Ou peut-être avait-il tout simplement oublié la sensation d'être... libre, en quelques sortes. De parcourir Hyrule, sans avoir la moindre idée princière.
Oui, c'était peut-être ça, après tout.
Je n'ai pas dit au revoir à Zelda.
À vrai-dire, il aurait pensé que son entrevue avec elle hier avait fait office d'au-revoir.
Mais peut-être s'était-il trompé ? Peut-être aurait-il du aller la revoir ?
... Non, parce que sinon, il aurait dû se déraciner du château pour débuter son voyage.
Il avait tout le trajet pour réfléchir à un discours. Deux heures.
Deux heures, qui pouvaient se révéler très courtes, s'il ne les utilisait pas à bon escient.
... Heureusement qu'il commençait par la région Goron. Il aurait eu beaucoup moins d'entrain s'il avait d'abord commencé par se diriger vers les contrées Piafs.
... Mais quand-même... quelle était cette appréhension ?
Link éperonna doucement sa jument.
La monture ralentit, et se stabilisa sur ses quatre pattes, laissant son cavalier pivoter sur sa scelle.
Au loin, dans l'horizon, se découpait la vague ombre désormais du château d'Hyrule.
Où était la chambre de la Princesse, d'ici ? N'était-ce pas cette colonne, sur la gauche ?
Link se demanda si elle pouvait le voir, depuis la fenêtre de ses appartements.
Peut-être voyait-elle un petit point doré, au beau milieu d'une marée de vert.
Ou alors, elle ne prêtait même pas attention à sa fenêtre.
Oui, ça devait être ça.
Une semaine...
Sa jument renâcla ses mords en un soupir, ramenant rapidement Link là où il était censé être : sur le chemin des Gorons.
Le jeune homme caressa doucement le flanc de l'animal, dont le poil était scintillant sous ce délicat soleil automnal.
« Allez, fit-il. On doit y aller. »
La jument émit une espèce de petit hennissement, que Link traduisit par un petit rire rempli d'ironie.
Car la seule personne qui devrait recevoir ces paroles, ici, c'était bien lui.
△▲△
Waaaaw... Dites donc, on est où, là ?
« Bientôt aux Terres Gorons », répondit Link.
Le sol commençait à se faire plus bruyant sous les sabots de sa jument, alors qu'il émettait un doux ronronnement mousseux quand il était parsemé de pelouse.
La terre se faisait plus sèche, et était fissurée de toutes parts, traversée par des millions de minuscules rivières, mais asséchées depuis longtemps.
La température montait, mais Link attendait le prochain relai pour pouvoir mettre pied à terre.
Incroyable... J'ai jamais mis les pieds ici. Enfin, je ne sais plus. En tout cas, ça vaut le détour. Mais au fait, qu'est-ce que tu fais là ?
« Mon voyage », répondit à nouveau le jeune homme, les yeux rivés sur la route.
Il vit les oreilles de sa jument se raidir, avant de s'abaisser nerveusement à l'horizontale.
« Je ne te parle pas, fit Link, frottant amicalement le flanc de sa monture. Ne t'inquiète pas. »
Ah, parce que tu crois qu'elle te comprend ?
« Il n'est pas prouvé qu'elle ne peut pas comprendre. »
Mais bien sûr. Elle va se mettre à te parler, et à boire du thé, bien entendu.
Link leva les yeux au ciel.
Finalement, être une victime de la solitude n'est pas si terrible que l'on le croit, quand la seule compagnie qu'on a est ce type de personne.
Et on arrive bientôt ?
« Mais oui. Dans une heure, un peu moins. »
Hein, quoi ?! C'est ça que t'appelle « bientôt» ?! Mais c'est quoi, un long trajet, pour toi ?... Non, ne me réponds pas.
« Comme tu voudras. »
Tu m'as l'air étrangement las.
Il avait raison. Link était las, ennuyé d'être là.
Il allait perdre une semaine, une semaine entière, à voyager entre les peuples.
Il ne savait même pas ce qu'il allait dire aux représentants des territoires. De toute façon, il ne savait même pas quoi dire pour son discours, donc il était bien mal parti.
Et, pire que tout : Zelda lui manquait déjà.
« Fatigue. »
Oui, je veux bien le croire. Et si tu dormais ?
« Pardon ? lâcha Link d'un ton acerbe. Ce n'est pas comme si une certaine personne me réveillait chaque nuit quasiment, et qu'elle m'infligeait de violentes douleurs, sans que je comprenne pourquoi. D'ailleurs, j'aimerais savoir qui tu es, encore et toujours, et que tu arrêtes d'hanter mon bras. »
Pour les douleurs, ce n'est pas de ma faute.
« Bien sûr ! » ironisa Link.
Hé, j'te jure ! Il n'est pas dans mon but de te faire souffrir le martyr. C'est... un effet secondaire, disons.
« Un effet secondaire de quoi ? »
Hem... compliqué à expliquer. Vraiment, beaucoup trop compliqué.
« Essaie quand-même. »
Non, c'est juste un prétexte pour ne pas te révéler ce que je sais. Ne cherche pas, petit, les parents font toujours ça avec leurs gosses.
Link arqua les sourcils d'étonnement.
Était-ce lui, ou venait-il de distinguer, dans la voix de l'inconnu, une soudaine ombre de mélancolie ?
Une idée se matérialisa dans son esprit.
Le jeune homme se refit un peu de salive, et, pesant chacun de ses mots, énonça :
« Tu n'as jamais été père ? »
La présence mit du temps à répondre, et Link devina à quel point les mots devaient lui coûter, et les souvenirs, le ruminer.
Non, jamais. Et ça ne sera probablement jamais le cas.
Suivi d'un drôle de soupir, comme si la voix s'effritait sous la tristesse.
Link se sentait mal à l'aise. Il n'avait pas prévu à son voyage une conversation sérieuse avec cette présence.
Que pouvait-il bien répondre ? Que c'était mieux ainsi ? Qu'il était désolé pour lui ?
Arrête de te creuser la tête, garçon. C'est... juste un des seuls remords que j'ai. Si je revenais sur Terre... et que j'avais un vrai corps... À moi tout seul, que je ne partage pas...
À l'avant, la jument exhala.
Link se sentit soudain fautif.
Car c'était lui qui retenait l'esprit prisonnier en lui-même.
« Je veux bien te libérer, déclara Link. Mais dis-moi simplement comment on fait. »
Il rajouta :
« Je ne connais toujours pas ton prénom, d'ailleurs. »
Je n'en ai plus vraiment. Et non, ça ne marche pas comme ça, tu sais. Et puis... Roh, c'est trop compliqué.
Link resserra inconsciemment les rênes entre ses mains.
La peine lui butinait le torse, comme un mauvais chagrin qui ne passait pas.
... Tu sais, j'ai remarqué que, quand tu es préoccupé, tu serres les lèvres. Je me trompe ?
En effet, ses lèvres étaient vissées l'une contre l'autre, et c'était presque si la supérieure recouvrait l'inférieure, parfois.
À cette remarque, Link les fit aussitôt retomber dans une expression neutre.
Y'a un truc qui ne va pas, p'tit gars ?
Le jeune homme eut ce petit fragment de confidence, qui remonta un court instant en lui.
L'idée de se confier l'effleurait à chaque fois que la présence lui posait la question.
Mais, comme à chaque fois, le petit fragment disparut. Ou, du moins, Link ne le saisit pas.
«... De la fatigue », marmonna-t-il, les yeux rivés vers la crinière dévalant le cou de sa monture.
J'avoue que tu nous as vraiment tirés aux aurores, là ! Franchement, il y a des fois où je me demande comment tu fais.
Envolé, le ton chagriné de la voix : elle avait retrouvé ses paroles familières et enjouées, ses commentaires un peu futiles, ses expressions ringardes.
Et, même si Link devinait toujours la présence de ses regrets, il préférait l'esprit ainsi.
△▲△
La température montait indéniablement.
Link fouillait le paysage du regard, les grandes roches écarlates fragmentant le sol, le volcan, au loin, surplombant la région, mais il ne trouvait toujours pas son relai.
Il commençait à regretter de s'être fié à son instinct.
Waouh, p'tit gars, il commence à faire lourd !
Tout le monde, ici, n'en ressentait pas moins : la jument commençait à faiblir, et Link sentait son propre corps ramollir.
Peut-être était-il temps de commencer un compte-à-rebours, du moment où il terminerait sous la forme d'une masse molle et informe.
T'as pas de l'eau ?
« ... Et même si j'en avais, je ne pourrais pas t'en passer », répondit le jeune homme.
Ces petits mots lui avaient coûté une salive inimaginable. Il sentait sa langue, posée au fond de sa bouche, terrassée et sèche.
Quoi, t'es sérieux ? Tu n'as pas d'eau ?! On ne t'a jamais dit que...
« Je sais ! » coupa Link, excédé.
Il pensait trouver un relai plus vite, où il allait pouvoir s'y ravitailler, justement.
Mais l'établissement n'était nulle part...
Je ne veux pas mourir ! Mourir desséché, quelle horreur ! Et moi qui, de mon temps, ne craignait pas la chaleur...
D'un geste grinçant et fatiguant, Link porta un bras à son front, qui commençait à suinter.
Il se rendit soudainement compte que c'était son bras blessé qu'il venait de frotter à la naissance de ses cheveux.
C'était stupide, en soi, de relever ceci. Ce bras restait son bras, et non la demeure d'un défunt esprit.
Link aurait du écouter Zelda, alors qu'il faisait ses bagages. Lui voulait partir avec le moins de choses possibles, et était persuadé de tout trouver en route, au grand contraire de Zelda, qui lui aurait bien rajouté trois sacs.
À présent, il n'avait ni eau, ni remède ignifus, ces luxueuses potions capables d'étancher la soif, et de solidifier le corps à l'égard de la chaleur...
Il n'était même pas sûr de pouvoir en trouver les ingrédients.
Peut-être que la voix avait raison ? Ils allaient mourir sous cette torride chaleur ?
... P'tit gars, je ne sais pas si tu pourras survivre bien longtemps.
« Pardon ? » fit Link, émergeant de son fil de pensées.
Je disais qu'il y a peu de chances de survie. Tu sais, à l'intérieur, je ne sais pas si tu sais ce qui s'y passe, mais là, c'est pas... tip-top, disons. Dépêche-toi de trouver ce fichu relai, et vite !
Link ne pouvait presser sa monture davantage, il le savait : il la sentait se hisser de sabot en sabot avec difficulté, et soutenait son cavalier à bout de forces.
Tu n'as pas une carte pour te repérer ?
« ... On va faire une pause. »
Link tira doucement sur les rênes ; la jument s'arrêta net, comme si elle n'attendait que cet ordre depuis plus d'une heure.
Il passa une jambe de l'autre côté, et se laissa glisser par-terre plus qu'il ne se réceptionna au sol.
Quelques instants plus tard, il était écroulé contre un rocher. Sa tunique bleue gisait piteusement entre les herbes sèches, il avait retiré ses bottes, et sentait le soleil l'aplatir de plus en plus.
Nan nan nan, il ne faut pas baisser les bras ! Li-link, si tu t'endors, je ne sais pas si tu te réveilleras. Parole de mort !
Link n'en pensait pas moins.
Mais désormais, il sentait le véritable poids de la gravité jouer sur tout son corps. Elle le drainait vers le bas, et la chaleur l'oppressait dans ce même sens ; comment résister, lui, et son pauvre corps d'Hylien ?
Link ! C'est pas vrai, c'est pas le moment de faire la sieste. Imagine le coup de soleil que tu vas ramener à Zelda !
Les mots se brouillaient dans ses oreilles, sa tête dodelinait. Doucement, Link sombrait, sombrait, sombrait...
Les petits graviers s'enfonçaient dans son dos...
Le Soleil tapait sur sa peau...
Quelque chose lui chatouillait l'épaule, puis le ventre...
... Link, qu'est-ce qui te regarde, là ?
Péniblement, le jeune homme lutta contre ses paupières.
Sur son torse, sagement, reposait une espèce de petite branche, racornie et sèche...
... Avec des pattes ?
Et des yeux ?
Un lézard ignifus !
Aussitôt, Link abattit ses mains sur la bestiole.
Mais vicieuse, elle s'entortilla entre ses doigts, et par une acrobatie prodigieuse, elle sauta hors de ses paumes, et détala à toute vitesse.
RATTRAPE-LE !!
Link bondit sur ses pieds.
Le lézard continuait de serpenter entre les herbes à tout allure, paniqué, tandis que le jeune homme s'élançait à sa poursuite.
Il marqua un subit temps d'arrêt, avant de plonger sur la petite bête, les mains grandes ouvertes.
Il heurta le sol à plein torse, et, emporté dans son élan, son corps se mit à dégringoler le sol granuleux.
Tout, à son passage, avait décidé de son mal : l'herbe dure perçait sa peau, la terre griffait ses bras nus, les petits cailloux s'infiltraient dans son haut.
Quand enfin, Link crut que sa longue chute touchait à sa fin, une énorme surface dure marqua le coup final, à même son front.
Le paysage se déroba un instant à ses yeux.
... Ça va, garçon ?
Le ciel au-dessus de lui était parsemé d'ombres et d'étranges couleurs...
Les nuages prenaient des formes plus que fantaisistes, et bougeaient très rapidement.
Link tenta de chasser ces illusions, battant des paupières à plusieurs reprises.
Doucement, il posa une main sur son front.
Déjà, il distinguait, en haut de sa tempe, une déformation bossue de sa peau, qui gémissait d'algie.
Rien de cassé ?
« ... Non, je ne crois pas. »
Link ferma les yeux, un peu plus longtemps cette fois, afin de détruire définitivement toutes ces ombres qui se baladaient dans sa vision.
Puis il redressa le buste.
Il avait descendu tout une pente. Elle n'était pas si longue, en vérité, mais sa chute avait été si éprouvante qu'il s'étonna qu'elle ne soit pas plus raide.
Le petit rocher qui lui avait déposé un brutal baiser sur le front était à à peine quelques centimètres. Lui, en revanche, ne semblait avoir rien reçu.
Soudain, un détail du paysage accrocha l'œil de Link.
Était-ce encore un jeu de lumière, ou...
C'est pas vrai, on a loupé ce fichu lézard ! Rah, on aurait pu en finir, avec cette chaleur, et puis...
« ... Le relai !... » souffla Link.
Il était là, au détour de la route.
De là où il était, Link pouvait distinguer la petite étable, mitoyenne au relai, remplie de montures, soigneusement repliées à l'ombre.
Quelques clients semblaient s'y activer à l'intérieur, et d'autres badauds passaient devant.
Le jeune homme se remit sur ses pieds, et remonta toute la pente.
Hein, quoi ? Mais qu'est-ce que tu fais, ne me dis pas que tu vas refaire un tour de « je descends la pente en cascade » ?
« Il y a le relai ! J'ai trouvé le relai ! »
Link exultait de joie.
Il réveilla sa jument, qui était plongée dans un étrange sommeil qui devait certainement la reposer de la chaleur, et reprit sa tunique et ses bottes.
Le relai ? Cela veut dire...
« Cela veut dire beaucoup de choses, répondit Link, déposant de petites tapes sur le flanc de sa monture. Que l'on va pouvoir boire, manger, se faire des provisions, se reposer... »
Wah, c'est super ! J'adore les relais !
« Moi aussi ! »
△▲△
Le village des Gorons.
Il était posé pile sur une rivière de lave, à même la couche rocheuse qu'offrait le volcan.
Des ponts métalliques pendaient au-dessus de la trachée enflammée, reliant les mignonnes petites maisons aux toits arrondis entre elles.
Link sourit.
Enfin, il retrouvait un souvenir à l'égard de cet endroit. Une présence familière.
Le jeune homme descendit rapidement le pic rocheux depuis lequel il s'était élevé afin d'apercevoir le village, et s'engagea sur la route principale.
Dès qu'il franchit les portes de la cité, des bruits d'enclumes tapées et de bruyantes conversations l'accueillirent.
Dans les allées, de petites créatures imposantes et tout en chair se promenaient, allaient et venaient, une charge sur l'épaule ou un outil dans les mains.
Cette atmosphère chaleureuse détendit immédiatement Link.
Il savait que les Gorons ne le prendraient jamais en traître.
Soudain, un Goron qui passait par-là, un casque de chantier jaune enfoncé sur le crâne, s'exclama :
« Eh, mais c'est pas Link ?!! »
Aussitôt, un autre Goron à sa gauche se détourna de ses préoccupations, et dévisagea le petit blond.
« ... Mais si, c'est lui !
— Il est arrivé ? demanda un autre.
— Oui oui, je crois que c'est lui ! »
Bientôt, une petite foule de Gorons se forma autour de lui.
Les salutations fusèrent de partout, et Link eut du mal à répondre à chacun.
« Hé, mais arrêtez ! s'écria soudain l'un d'entre eux. Vous l'étouffez, il doit certainement vouloir voir le chef !
— Ah mais oui mais oui ! » acquiescèrent d'un seul mouvement de tête les villageois.
Au moins, ici, les décisions pour le village ne devait pas être difficile à prendre. Tout le monde semblait tomber en accord assez rapidement.
Les informations coulèrent de toutes parts :
« Le chef est dans sa maison !
— Il doit t'attendre !
— Tu te souviens où c'est ?
— C'est au fond, là !
— Ne te fais pas attendre, surtout ! »
Link acquiesça vigoureusement. Il se souvenait, en effet, de la demeure du maître Buldo.
Il se demandait comment le vieux Goron se portait. Aux dernières nouvelles, il avait d'importants problèmes de dos...
Les restants de la civilisation passée meurent... pensa Link tristement.
Il faisait tout son possible pour se rattacher à Hyrule, à son passé... Mais Link nouait ses souvenirs avec les mourants...
Mais comment pouvait-il faire autrement ?
△▲△
« Oh ! Link ! »
Buldo était dans l'unique pièce de sa maison, avachi dans un de ces lits de Gorons faits de charbon.
Dès qu'il vit le jeune homme s'introduire chez lui, il se redressa tant bien que mal en une position acceptable.
« Link ! répéta-t-il. Te voici enfin ! »
Le garçon le salua, reconnaissant ce vieux visage borgne qu'il avait laissé un an plus tôt, après avoir calmé Vah'Rudania du haut de son volcan.
Les Gorons avaient une vieillesse belle. Aucune nouvelle ride n'était apparue sur sa peau de roc, et les anciennes ne semblaient qu'embellir son vieil âge.
Buldo tentait de se dépêtrer maladroitement de son siège, sur lequel il devait être assis durant plusieurs heures, devina Link.
« Ne vous levez pas, assura ce dernier immédiatement, voyant le vieux Goron grincer sur ses os défaillants. Pas besoin.
— ...Pardonne-moi, mon garçon, fit piteusement le chef. Je suis bien vieux... Mon corps se dérobe avec le temps, et il m'emporte dans sa chute, malheureusement. »
À ces mots, Link fut assailli par les images de sa propre chute à lui, durant son voyage, lors de sa chasse au lézard ignifus.
Son front était encore gonflé par le choc avec le roc. Il avait tout de même passé un tissu humide, mais il n'était pas sûr du tout de son efficacité.
Et il en doutait encore plus à cet instant.
Le chef Gorons interrompit le fil de ses pensées :
« Alors, mon bonhomme, comment ça se passe ? Comment vas-tu ? Installe-toi, regarde, je crois qu'il y a un tabouret pour les visiteurs... »
En effet, près d'un petit bureau, sommeillait un petit troupeau de tabourets, qui se révélaient être des rochers taillés en cylindre.
Quelques uns prenaient des formes étranges et tordues, et Link ne put s'empêcher de s'imaginer que certains Gorons s'étaient pris pour des visiteurs.
Il s'empara de l'un d'entre eux, et le ramena vers le fauteuil du chef, tandis que ce dernier continuait ses questions :
« Tu as mis longtemps à venir ? Pas de soucis en route ? Pas de mauvaises rencontres ? Enfin, je ne pense pas que toi, ça te pose problème. C'est plutôt les monstres qui devraient te craindre. Oh ! Et au fait, comment va la Princesse ? »
Link la revit, confinée dans son étude, assise à son bureau, les yeux larmoyants.
Et dire que, peut-être, ce même schéma se déroulait au même instant, à mille lieues d'ici...
« Bien. »
Le visage du chef se fendit en un sourire géant qui engloutit ses joues et son œil unique.
« Ah, parfait ! J'aime quand les choses vont bien. Alors, raconte-moi un peu ta vie : comment ça se passe, au château ? »
Link passa une agréable demi-heure à discuter avec Buldo. Le vieux chef, même si son âge le pénalisait un peu, ne semblait en revanche pas du tout regretter ses journées : il continuait d'assister aux matchs de golf Gorons, de tirer aux canons — Link ne sut jamais exactement sur quoi—, de se rendre aux mines, qui reprenaient peu à peu de l'ampleur, et de s'occuper de Yunobo.
Yunobo. Link se souvenait du frêle petit Goron, celui qui n'avait pourtant pas hésité, bien que tremblant de peur, à l'accompagner dans son assaut de Vah'Rudania.
Il était bien peureux, et c'était bien pour cela que Link le trouvait brave.
Les chaleurs redescendirent un peu, et Link dut interrompre sa discussion pour s'abreuver d'un remède Ignifus, à nouveau, afin de préserver son corps des hautes températures.
Tandis qu'il buvait, la véritable raison de sa présence en ces lieux lui revint à l'esprit.
Il repartait le lendemain, assez tôt. Peut-être était-il temps de réunir le village pour ce fameux discours, qu'il allait totalement improviser ?
Au moins, Buldo et la chaleureuse atmosphère du village avaient réussi à mettre Link à l'aise. Il n'avait plus peur de s'élancer avec ses mots, ou du moins presque plus.
Alors, quand il termina de boire sa potion, il se tourna vers le chef, et questionna :
« Vous voulez que je fasse mon discours dans un endroit particulier ? »
L'œil valide du chef le fixa, d'un air dubitatif. Même derrière son cache-œil, Link sentait la présence de son autre œil, bien qu'il soit inexistant désormais.
« Ton ? réitéra Buldo, sans comprendre.
— Mon discours. »
Le Goron se gratta la tête de sa large main, comme pour remuer les méninges qui y reposaient.
« ... Pour l'armée Hylienne, finit par ajouter Link, voyant que le vieux chef semblait toujours aussi perdu.
— Ah mais oui ! La raison de ta visite ici ! s'écria-t-il. Oh, pardonne-moi, veux-tu. Mais... »
Mais ?
Link ne s'attendait pas à ça. Pas à un mais, si tôt dans son aventure.
« ...Mais ? » l'encouragea le jeune homme.
Le vieux Goron réussit enfin à se remettre droit.
Il se pencha vers Link, d'une manière un peu confidentielle.
« ... Tu vois, mon petit, je vais te l'avouer : je ne sais pas si tu amadoueras beaucoup de mes villageois. »
Link pencha la tête sur le côté, interrogatif.
Voyant cette gestuelle, le chef poursuivit :
« En fait, les Gorons ont fort à faire. Ça charbonne dans les mines, si j'ose dire. Et quand ils ne sont pas en train d'extraire des minerais, eh bien, ils les vendent... Ou alors, ils tiennent des boutiques... »
Link commençait doucement à voir la véritable raison venir.
« ... Et puis, nous aussi, on a une armée. Nous sommes prêts à donner main-forte aux Hyliens quand ils le souhaitent, mais pas de se mêler et de former qu'une seule et grande armée... Ce n'est pas contre vous, bien entendu... D'autant plus que les Gorons sont plus à l'aise en volcan qu'ailleurs, vois-tu. »
Il se pencha davantage, et souffla à voix basse :
« Et puis, ces histoires de cristaux... Ils continuent de se propager, et apportent bien des inquiétudes. Nous avons besoin de notre armée. »
Link ne savait plus quoi penser.
Alors, il avait fait tout ce trajet pour rien ?...
Les Gorons refusaient obstinément de se joindre à eux ?...
« ... Sûr ? laissa-t-il tout de même échapper.
— Sûr. Après, tu peux toujours faire ton discours, ton animation, ou je ne sais pas quoi, ça ne mange pas de pain — et puis, tu es venu pour ça. Mais... Je ne sais pas si grand-monde viendra acquiescer, ni même écouter tes paroles. »
Link hocha la tête.
Buldo avait sûrement raison, et ce n'était pas quelques paroles de motivation improvisées qui allaient changer leurs avis, ni leurs envies.
Donc, il n'avait plus qu'à repartir. Quelle déception.
« ... Mais... tenta tout de même Link, Daruk, le Prodige...
— Oui ? l'encouragea Buldo.
— ... Comment faisait-il, lui, pour quitter le volcan, si les Gorons ne sont pas très aptes aux températures Hyliennes ?... »
Le vieux chef bascula sur son derrière, s'appuyant contre le dossier de son siège, la main portée pensivement à son menton.
Sous lui, les fragments de charbons roulèrent un court instant.
« Bonne question, murmura-t-il. Daruk faisait partie de ces Gorons qui ont la peau très dure, et qui sont capables d'endurer n'importe quelle condition. Mais... Les générations sont passées, et la plupart des Gorons ont décidé de rester chez eux, détruisant ainsi ces précieux gênes, et empêchant leurs enfants de les développer. Mais après tout, peut-être certains sont-ils encore résistants aux sols Hyliens... »
Link n'en savait rien.
La conversation le dépassait. Il avait préparé son esprit durant tout le voyage au moment où il allait devoir s'adresser à tout un peuple de créatures différentes de lui, et on venait de lui annoncer que ses anticipations avaient été vaines.
Il se sentait légèrement vide et vaseux, là où il aurait du se sentir soulagé de ne pas être passé et agacé du premier échec de son voyage.
À présent, il ne restait qu'à se tourner vers sa destination suivante, et d'espérer que les Euzerois soient plus réceptifs.
Buldo bascula de nouveau sur son siège vers le jeune homme :
« Au fait, tu repars quand ?
— Demain, à l'aube, répondit-il. Enfin, normalement. Je vais peut-être partir plus tôt, du coup. »
Au moins, cela lui permettrait d'être rentré au château avec plusieurs heures d'avance, voire même peut-être une journée entière.
Le Goron s'écria :
« Ne va surtout pas croire que je te chasse, bien au contraire ! Je suis heureux de recevoir l'un des proches amis de notre grand Daruk. Reste au moins jusqu'à demain matin ! Oh ! Il faut absolument que tu commandes à l'auberge un massage !
— Un massage ? »
Link avait le vague souvenir d'avoir déjà eu affaire à ce genre de discours. Certainement un gérant d'auberge d'ici qui, un an plus tôt, lui en avait proposé un.
Mais à vrai-dire, à ce moment, Link n'avait aucune envie qu'on s'occupe de son corps et de ses muscles. En réalité, il voulait plutôt s'isoler un temps, afin de faire le point sur la situation.
Mais Buldo insistait, endiablé par son idée :
« Oui oui oui, c'est la spécialité de notre village ! Notre auberge est renommée pour cela. Si tu savais combien de touristes viennent ici, juste pour recevoir un massage Goron ! Impossible que tu passes à côté ! Tiens, si tu veux, je te l'offre !
— Non, ça ira, répondit Link, du ton le plus poli qu'il puisse prendre.
— Oh, tu es sûr ? Je te jure que ça fait un bien fou à la musculature ! Moi, j'en fais pour mes douleurs de rein. Et sportif comme tu es, tu dois certainement ressentir plus d'une douleur musculaire ! Hein ? Alors, c'est toujours non ?
—... Non, vraiment. Merci beaucoup. »
Il ne voulait pas offenser le vieux chef Goron, mais l'idée de ce massage lui paraissait insurmontable.
Buldo finit par se laisser vaincre :
« Bon, d'accord. Mais fais-moi signe si tu changes d'avis. Hé, peut-être devrais-tu voir Yunobo ! Roh, et puis tu dois absolument assister à ce match de Golf Goron qui se déroule... dans quoi... Une heure ? Hein, quoi, une demi-heure ?! Bon allez, presse-toi, mon petit, on verra Yunobo là-bas. Tu vas voir, c'est vraiment génial ! »
△▲△
Pourquoi tu n'as pas accepté le massage ? J'en ai besoin, moi !
Link sursauta.
Avant d'exhaler un profond soupir.
Il faisait nuit.
Après un long match de Golf Goron rempli de rebondissements et de prolongations, où Link avait passé une heure à en comprendre les règles, il était allé rejoindre Yunobo, quand le gagnant du match avait décidé d'inviter tout son public pour un banquet.
Tout le monde avait accepté avec des cris de joie barbares, et Link avait compris à ce moment-là qu'en effet, Buldo avait raison : donner un sage et simple discours sur l'armée n'avait vraiment pas sa place, ce jour-là.
Le jeune homme était bien entendu invité à ce fameux banquet, et, bien qu'il soit fatigué de par son voyage et par la tournure des évènements, il s'y était rendu de bon-gré : il avait un souvenir mémorable de la nourriture Goron, et il avait le ventre vide depuis son passage au relai.
Et c'était à minuit passé que Link s'était éclipsé des festivités afin de rejoindre l'auberge, et de dormir un peu — et de digérer, aussi. Son ventre commençait à lui faire comprendre qu'il n'aurait pas du reprendre une cinquième part de gigot.
Mais le défunt esprit de son bras avait raison sur ce point : Link se sentait cassé et tordu de partout.
Sa fraîche bosse continuait étrangement de pousser sur son front, soulevant sa rouflaquette dorée qui, jusque-là, avait assez bien réussi à cacher les dégâts.
Et puis, ne parlons pas de son dos, qui avait subi plusieurs heures de voyage, de ses jambes, qui étaient raides de fatigue, et de sa peau, qui, malgré les remèdes Ignifus, lui en faisait voir de toutes les couleurs.
Mais Link n'avait toujours pas envie de massage.
Il se détourna dans son lit de charbon.
Étonnamment, c'était assez confortable. C'était simplement étrange de dormir sans couverture. Mais qui serait assez fou, ici, pour le faire ?
Hé, tu m'écoutes ?
« ... Pardon, souffla Link à voix basse. Je réfléchissais. »
J'ai cru comprendre. C'est pas de chance, ton histoire de discours. Mais d'un côté, c'est bien, parce que tu n'avais rien préparé.
Link se contenta d'acquiescer silencieusement. Le sommeil lui ôtait peu à peu la voix.
En vérité, ça avait l'air appétissant, ce que tu mangeais. Quand j'étais petit, je ne mangeais jamais rien. Puis j'ai grandi, et j'ai commencé à m'empiffrer ! On racontait que j'avais quatre estomacs. Moi, j'aurais plutôt dit cinq. C'est ce genre de petites rumeurs qui forgent la réputation. Pas vrai ?
À nouveau, Link hocha la tête.
Par contre, le petit Goron, là, avec sa petite crête de gosse, c'est vraiment un descendant de Daruk ?
Nouvelle affirmation silencieuse.
Eh bah, j'aurais jamais cru ! Il n'est pas si musclé. Et puis, il tremblait comme une fillette ! Rien que quand tu lui as tapoté l'épaule, tout à l'heure, il a failli s'envoler au plafond !
Link avait finalement réussi à discuter avec Yunobo, malgré tous les évènements, durant le banquet ouvert par le gagnant du match. En effet, le jeune Goron ne semblait pas s'être attendu à la visite du jeune blond.
Puis il s'était mis à parler très vite, à sortir tout un tas de phrases endiablées, dont lui-même ne devait pas en saisir le sens exact.
Mais il a tout de même été d'une gentillesse et d'une bienveillance incomparable.
Et puis, Yunobo partageait avec ses semblables cette même caractéristique : celle d'être bavard.
Quelle journée ! Et ce voyage va durer une semaine, j'adore ! Je n'aurais pu rêver mieux. C'est trop bien. C'est un peu ma première lune de miel.
« ... Hein, que, quoi ? »
Tous les sens de Link s'étaient dressés à cette déclaration.
Le jeune homme se dressa sur son lit charbonneux, légèrement endormi, mais surtout stupéfait.
« Une lune de miel ? »
Bah écoute, une lune de miel, c'est quoi ? C'est un voyage à deux, non ? Et là, on fait quoi ?
« Une lune de miel, c'est surtout un voyage que font deux personnes fraîchement mariées, juste après le mariage, justement. Et... je ne crois pas que l'on corresponde à ça. »
Même endormi, t'es quand-même plutôt pointilleux. Et offensant, mais ça, que ce soit à l'aube du sommeil ou du réveil, tu l'es toujours. Bon, c'est quoi notre prochaine destination, moussaillon ?
« Akkala. »
Akkala ! Il y a un village à Akkala, maintenant ?
« Oui. »
Eh bah ! Tout change... Hé, mon garçon, reste un peu avec moi ! Ne t'endors pas déjà, tu ne dors jamais à cette heure-ci, d'habitude !
« Link, tu te souviens de ma promesse ? »
Link rouvrit grands les yeux, effaré.
Les images de la veille venaient d'imploser dans son esprit. Zelda, assise à son bureau, tournée vers lui.
Zelda.
Comment allait-elle ?
Link se rendit compte à quel point il ne lui avait servi à rien, cette après-midi-là.
Il n'avait pas prononcé une miette de discours, pas fait une seule allusion au corps de garde d'Hyrule.
Peut-être parce qu'on le lui avait déconseillé, mais peut-être aussi parce qu'il n'en avait rien à dire.
Tandis que Zelda devait se morfondre sur l'avenir de son royaume, lui, avait suivi un match de Golf.
Pitoyable.
Link se tourna dans sa couche dans un grognement de honte.
Demain, il serait au village d'Eurezo. Demain, il ferait son discours.
Peut-être même que, demain, avant de quitter le volcan, il demanderait à quelques Gorons si cela les intéresseraient de venir dans l'armée d'Hyrule.
Il le fallait.
Pour Zelda.
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