𝐗𝐈 - À l'aube du départ
« Trac ?
— Oui.
— T'inquiète, c'est bon pour toi. Mais n'angoisse pas trop, parce qu'après, tu auras mal au ventre, et moi, je déteste avoir mal au ventre. »
Link partait demain.
Mais, tourmenté, non seulement par son voyage, mais aussi par son texte qui lui faisait toujours défaut, il n'avait su trouver le sommeil. Ou le sommeil n'avait su le trouver. Ou les deux, peut-être, prenaient des directions radicalement opposées. Personne n'en savait rien.
Alors, Link avait pris la direction du balcon, et de là, Daruk, ou du moins sa forme spectrale, l'avait trouvé.
Comme pour chacun des Prodiges, Link n'avait que très peu de souvenirs de lui. Mais Daruk ne semblait jamais s'en tracasser, et bien que Link le revoyait de temps en temps durant ses insomnies, il avait l'impression d'avoir partagé toute sa vie avec le défunt chef des Gorons.
« Tu sais, je ne sais pas si je te l'ai racontée, celle-là, commença le fantôme, mais une fois, j'ai été invité chez Mipha, pour faire connaissance. Notre rendez-vous était donc au Domaine Zora. Et je n'ai jamais compris le chemin à prendre pour y entrer.
— Pour y entrer ? s'étonna le jeune homme.
— Mais oui ! Leur Domaine est planté au milieu d'un lac. J'avais beau l'apercevoir depuis la côte, je n'arrivais pas à en trouver l'entrée !
— Et tu as fait comment, alors ?
— J'ai attendu que Mipha vienne me chercher. Visiblement, elle était habituée aux visiteurs perdus, donc ça va, ma dignité était sauve. »
Link pouffa.
Autour d'eux, la nuit tiède les enveloppaient, comme une douce couverture agréable que partageraient deux amis.
Il n'y avait pas un vent. Ou alors, peut-être que Link avait les sens trop endormis pour le sentir.
« Bon alors, récapitule-moi ton petit voyage. Peut-être que je pourrais te voir passer dans la nuit !
— Il dure une semaine, expliqua Link. Je commence d'abord vers l'Est, par ton village, justement.
— Ah, ça, c'est bien ! s'exclama le Goron. Tu verras, tu seras acclamé comme il se doit — parole de Goron ! »
Link eut un petit sourire.
Daruk avait toujours la moitié de son visage englouti par un énorme sourire. Ses petits yeux, insérés entre ses arcades et ses rondes pommettes, rayonnaient tels deux petits saphirs.
Link reprit :
« Puis je fais le tour d'Hyrule, dans le sens horaire si tu veux. Je fais minimum un village par jour. Akkala, les Zoras, Cocorico, Elimith, le village des pêcheurs, la Cité Gerudos, le peuple piaf... et je crois que c'est tout.
— Beau trajet, tout de même ! Et tu fais tout ça tout seul ? »
Link acquiesça.
« Eh bé ! fit Daruk. Ça forge la jeunesse, tu verras. Et au fait, comment elle va, la princesse ?
— Son couronnement est à mon retour, alors elle est un peu tendue. Mais... sinon, elle va bien. »
Link omit soigneusement l'histoire des cristaux.
La vague de pierres turquoises avait continué de s'épandre sur Hyrule. Pire que tout, on avait appris que son contact pouvait, au choix, soit brûler, soit glacer.
On pouvait toujours démolir les cristaux, ils restaient assez peu solides, mais ils laissaient alors échapper une étrange fumée verdâtre, qui en avait fait tomber malade plus d'un.
Ainsi donc, on avait organisé maladroitement des « vidanges » de village, où les villageois quittaient leur maison et leur ville, une journée, le temps de laisser les plus courageux détruire toutes ces pierres nuisibles.
Alors oui, ça, pour être tendue, Zelda était tendue, et ce comme une corde de violon.
Elle avait pris une journée à aider des villageois à démolir les cristaux, mais ils avaient repoussé de plus belle, ce qui l'avait dévastée.
En quoi tous ces problèmes d'humains intéressaient un fantôme ?
Mipha le lui avait dit elle-même : s'ils étaient là, tous, c'était parce que leur salut n'avait pas été exaucé comme il le fallait, et que quelque chose les gardait sur Terre.
Mais quoi ?
« Tu t'entends toujours avec elle ? »
Link l'observa quelques instants, sans comprendre.
« Qui ?
— La Princesse.
— Ah. »
Il expliqua en quelques mots que tout allait bien.
Quand soudain, Link s'arrêta net dans ses mots.
Les informations venaient de s'assembler dans son esprit.
« Je me trompe, commença-t-il prudemment, ou vous quatre, Revali, Urbosa, Mi... Mipha et toi me posez toujours cette même question ? »
C'était peut-être stupide à relever. Cette question était anodine, beaucoup trop anodine pour la dissocier du hasard.
Mais pourtant, Daruk sourit, d'un air de connivence.
« Tu n'as pas tort, mon p'tit gars. C'est parce que, je ne sais pas si tu t'en souviens ou si on te l'a expliqué, mais avant, c'était... compliqué, entre vous.
— À force de l'entendre, j'en ai le vague souvenir. »
Ou la vague impression ? C'était difficile à évaluer.
Daruk insista :
« Tu ne te rends pas compte ! Vous étiez comme chien et chat avant ! Enfin, disons que la princesse était plus offensive que toi. Je pense que c'était ton impassibilité qui l'énervait. »
Link conserva le silence.
« ... Vers la fin, en revanche, votre relation s'est beaucoup améliorée, tu sais. Tellement que quand un Gardien t'a arraché de Zelda pour te jeter dans le royaume des morts, nous autres, Prodiges, même sous notre forme spectrale, on était tous abasourdi ! »
Il s'adossa à la balustrade, puis souffla, le nez levé vers le firmament :
« C'est que, tu vois, on trouvait ça réellement dommage qu'une si belle amitié soit ainsi soufflée... »
Link sentait le sujet délicat approcher cette discussion.
Un ange passa, survolant les deux hommes, emplissant la nuit noire et ce balcon éclairé de ses plumes étouffantes.
Puis, doucement, Daruk fit :
« Tu sais, puisque je suis visiblement encore là pour un petit bout de temps, tu peux me demander des conseils.
— Des quoi ? »
Le Goron éclata de rire, faisant fuir à tout jamais cet ange.
« Peu importe, sache que je suis là pour la moindre de tes questions et hésitations. Ce serait un plaisir de vous aider, toi, et Zelda.»
△▲△
« ... Hé, Jérôme... Tu ne le trouves pas bizarre, le capitaine, ces temps-ci ?
— Il a l'air de mauvaise humeur. On dirait qu'il en a après tout le monde. »
Malgré son casque, Link entendait parfaitement cette petite discussion chuchotée entre deux de ses officiers, non loin de lui, sur le terrain de joute.
Il eut l'impression de s'étouffer. Oppressé par ces jugements et ces remarques, qu'il ne pouvait nier ou contre-dire, puisqu'il lui arrivait facilement, ces temps-ci, de vouloir faire taire quelqu'un à tout jamais, et de savourer son horrible silence éternel.
Son bras était plus gonflé que jamais. Link avait décidé de laisser tomber le baume d'Alphonse, qui n'avait jamais rien amélioré, de toute façon.
« En ligne ! harangua-t-il. Nous allons travailler la souplesse du mouvement, sur une monture mouvante. Préparez vos chevaux au galop. »
Les deux gardes cessèrent d'échanger, et obéirent instantanément au jeune homme. Ils allèrent se positionner avec leurs collègues, et commençaient déjà à raccourcir les rênes dans leurs poignes.
L'heure tournait difficilement, mais le cour finit par toucher sa fin. Les officiers quittèrent leurs montures, et regagnèrent les vestiaires.
« Nous n'aurons pas cours, alors ? questionna un garde auprès de Link. Pendant toute une semaine ?
— Exact. Mais rien ne vous empêche de vous entraîner.
— Oui, mon capitaine ! »
Le garde repartit vers son banc, visiblement heureux à l'idée de cette semaine de repos.
Link ne pouvait pas lui en vouloir. Aucun de ses officiers n'allaient travailler, durant cette semaine, c'était certain. Il était même dit que quelques uns quitteront le château quelques temps, afin de retrouver leurs familles.
Mais il repensait tout de même à leurs mots, pleins de bravoure et d'enthousiasme, énonçant leur désir de vouloir protéger le royaume...
Peut-être les jugeait-il trop vite, et à tort.
Link souffla les quelques bougies éclairant les vestiaires, et les salua intérieurement. Il ne reverrait plus ces bancs amoncelés de vêtements et d'armures durant une bonne semaine.
Une étrange saveur amère remontait à sa gorge tandis qu'il remontait et dévisageait les couloirs. Son regard semblait s'accrocher partout, sur des détails qu'il ne semblait jamais avoir considérés avant. C'était presque s'il regrettait de ne pas avoir assez de temps pour faire plus amplement connaissance avec ces spécificités, alors qu'en temps normal il ne s'y serait jamais attardé.
« Messire Link ! »
Link s'arrêta, et se détourna.
Astrid marchait d'un pas pressé vers lui, parée d'un sari rose cette fois, que Link ne lui avait jamais vu. La teinte chaude faisait ressortir ses joues et sa bouche, cette dernière qu'elle avait coloré d'un beau framboise.
Pourquoi est-ce que tout le monde s'amusait à changer le jour avant son départ ? C'était vraiment injuste.
« Messire Link, reprit-elle, chassant le pan de son châle en le rejetant dans son dos. Saviez-vous que notre rencontre était inscrite là-haut ? Mais non, pas au plafond, abruti ! s'énerva-t-elle, tandis que Link, fatigué, levait le nez vers le lustre du couloir. Je parle des étoiles, du ciel, du destin !
— Ah.
— Je crois que vous êtes en proie de quelques infortunes, mon pauvre. »
Link aurait voulu ricaner, mais il dut malheureusement ravaler son sarcasme — ce qui était vraiment une sensation désagréable.
L'œil d'Astrid s'illumina :
« Si, si ! Je le vois dans votre regard ! Vous ne passez pas une bonne journée, n'est-ce pas ?
— ... Normale.
— Mais bien sûr. Vous ne pouvez me mentir, vous savez. Je vois tout.
— Bien entendu. »
Link n'avait même plus la force de clore rapidement cette discussion. Moins ses réponses comportaient de mots, mieux c'était.
Astrid reprenait :
« Selon moi — après, ça n'engage que moi, c'est mon avis, qui, comme tout avis, est purement personnel —, vous devriez vous armer. »
Link haussa un sourcil.
« M'armer, répéta-t-il.
— Vous armer, affirma Astrid. Vous armer contre le mauvais sort. Et j'ai exactement ce qu'il vous faut ! »
Elle saisit la petite sacoche qui pendait en bandoulière contre sa hanche, que Link n'avait pas encore aperçue.
Elle trifouilla rapidement à l'intérieur, et les bruits remontant du sac laissaient croire qu'il y avait bien plus d'objets qu'il ne pouvait en contenir.
La voyante marmonna entre ses dents. Visiblement, cet armement était difficile à trouver, dans tout le bazar que dissimulait son réticule.
Link profita de cette courte pause pour laisser courir son regard par-delà les grandes fenêtres du couloir.
C'était sous un triste ciel que s'étalait la Cour Principale. Malgré la menace de la pluie, quelques dames se baladaient, ombrelles dans le creux du coude, bavardant entre elles, dissimulées sous de larges chapeaux de toute dernière mode.
Une partie de Link enviait leur insouciance.
« Ah, et voilà ! »
Soudain, Link sentit ses cheveux tirés sur la gauche.
Il tourna brusquement la tête, juste à temps pour apercevoir Astrid, terminant de lui mettre... quelque chose dans les cheveux.
« Mais qu'est-ce que— »
Astrid souriait de toutes ses dents :
« Ça vous va à ravir ! Non non, ne touchez pas ! s'exclama-t-elle plus sévèrement. Je sens déjà le mauvais sort s'éloigner ! Et puis, qui n'est pas contre un petit relooking ? »
Relooking ou pas, Link sentait tout son cuir chevelu tiré par cette chose qu'Astrid avait glissée dans ses cheveux.
Mais il avait beau passer ses doigts entre ses mèches blondes, il ne trouvait pas l'élément qui provoquait cette pénible et stupide douleur.
« Qu'est-ce que c'est que ce truc ?! lâcha Link, frictionnant tout son crâne à la recherche de l'élément parasite.
— Ne touchez pas, j'ai dit ! C'est un cadeau, et on ne refuse pas le cadeau d'une dame ! Où avez-vous été éduqué ? »
Vaincu, Link laissa retomber ses bras le long de son corps.
Ses cheveux étaient toujours douloureux, et devaient maintenant être hérissés comme les pics d'un hérisson, après ses fouilles.
Mais bon, il avait le temps de revenir à sa chambre, et de s'inspecter dans un miroir...
« Bon, reprit Astrid, il faut que j'y aille. J'avais promis à Alphonse de passer.
— Alphonse ? »
L'air étonné de Link rosit les joues de la voyante, qui répéta :
« Oui oui, Alphonse... pourquoi ?
— Pour rien. Je crois que c'est... votre arme qui est en train d'opérer sur mon cerveau.
— Fort bien ! Alors maintenant que ma tâche est remplie, je m'en vais. »
Et, sur ce, elle tourna le dos, et s'en fut, sautillant gaiment.
Link ne chercha pas à enfouir ses doigts dans sa chevelure davantage, et prit prestement le chemin vers sa chambre.
Par chance, les couloirs et les corridors étaient tous vides ; midi venait de sonner, et les courtisans étaient certainement déjà attablés, s'ils ne digéraient pas déjà leur repas.
L'accessoire qu'Astrid avait glissé dans ses cheveux le démangeait vraiment.
Il pressa le pas.
D'un regard hâté, il parcourut le paysage s'étalant derrière les vitres, essayant d'y repérer son propre reflet, et ainsi découvrir quelle forme le diable avait-il pris pour autant lui tirailler les cheveux.
Soudain, Link se stoppa.
Depuis cette fenêtre, il pouvait clairement apercevoir deux tours, côte à côte — la chambre de Zelda et son étude.
Cette dernière, bien isolée du reste du château, semblait étrangement habitée : des ombres dansaient de l'autre côté du carreau, et les couleurs se bousculaient.
Pas de doute : Zelda était en train d'y travailler.
Link eut un petit sourire apaisé. Il imaginait son amie, épanouie au milieu de ses livres, de ses croquis, de ses recherches, le cerveau rempli d'idées folles et pourtant bien souvent laborieuses.
Il s'apprêtait à reprendre son chemin et le train de son quotidien quand il se souvint qu'il partait demain
Et que, durant une longue, longue semaine, il ne reverrait pas Zelda...
△▲△
Pas un bruit.
Link avait beau se concentrer de toutes ses forces sur son ouïe, il n'entendait que le silence, un silence qui n'avait pas raison d'être. Ou, du moins, pas une raison heureuse.
Comment pouvait-on travailler sans émettre le moindre son ? Apparemment elle ne travaillait pas. Link aurait alors entendu depuis longtemps le bruit d'une page tournée, le grattement fébrile de la plume contre le papier, ou des petits mots, lâchés çà et là, soient des exclamations (« Zut ! », « Ah ! », « Déesse Hylia ! »), soient des formules à retenir pour quelques secondes, ou soient des petits rires, parce que parfois, la science pouvait être si absurde et si dérisoire, et pourtant si simple qu'elle relevait du comique.
Mais rien de ces bruits. Du silence. Rien que du silence.
Peut-être n'était-elle pas là, finalement ? Ses yeux lui avaient joué un tour ?
Peut-être que le « cadeau » d'Astrid lui faisait voir trouble ? Non, ça, c'était stupide.
Soudain, un bruit inespéré et inattendu vint rompre le silence.
Un reniflement.
Le cœur de Link frémit, et lui-même fit un pas en arrière.
Il dévisagea le battant.
Que pouvait-il renfermer ? Link avait-il raison de croire Zelda dans son élément, enfermée entre ces quatre murs ?
Il réfléchit quelques instants.
Puis il toqua.
Une silence coula.
« ... Entre, Link. »
Il sursauta à l'entente de son prénom, puis obtempéra.
C'était le bazar, comme d'habitude : des livres renversés ou entrouverts, des papiers tarissant l'existence du parquet, des pièces en tout genre, des chandelles mortes ou presque, des outils, et des milliards d'autres objets que Link ne saurait nommer tous en une vie.
Link avait longuement associé ce bureau désordonné à l'esprit de Zelda.
Puis finalement, il était parvenu à la conclusion que son cerveau était beaucoup, beaucoup, beaucoup plus rempli que cela.
Zelda était assise, le dos tourné à Link, en face de son bureau. Ce dernier était si grand qu'il faisait deux angles du mur, mais le nombre d'objets et de papiers empilés dessus le montraient plus petit qu'il ne l'était.
« Bonjour, fit-elle, sans se retourner. Tu veux quelque chose ? »
Ses mots étaient courts, ses phrases étaient brèves et concises : visiblement, Zelda ne voulait pas s'attarder avec qui que ce soit.
Ou alors, ne voulait-elle pas utiliser sa voix, de peur qu'elle la trahisse ?...
« ... Pas spécialement. »
Autrefois, cette phrase lui pesait, car Link se sentait honteux de déranger Zelda pour... rien. Il se rendait seulement compte que sa présence était inutile sur le pas de sa porte.
Mais finalement, ces quelques mots-là la faisaient rire. Et à force de débouler dans son bureau sans aucune raison apparente, et à force de sortir cette phrase plus qu'automatique, elle était devenue une tradition.
Et le rituel ne manqua pas : Zelda étouffa un petit rire.
« Ça m'étonne de toi » ironisa-t-elle.
Link sentait son souffle diminuer, et l'intensité de sa voix faiblir, et trébucher sur beaucoup trop de syllabes.
Il comprit soudain qu'il était vraiment venu au mauvais moment.
Zelda continuait de lui tourner le dos. Si seulement il pouvait distinguer derrière cette cascade de cheveux dorés ce qui se tramait sur son visage...
« ... En fait, reprit Link, se détachant enfin de la poignée où ses phalanges avaient commencé à blanchir, je voulais te dire au revoir. Je ne pense pas qu'on se reverra d'ici-là.
— Oh, je vois. »
Elle semblait subitement se souvenir du voyage de Link.
Elle laissa échapper un long, long soupir, ce qui confirma bien une chose : les larmes n'étaient pas loin, si elles n'avaient pas déjà été.
Link sentit sa propre gorge se nouer.
Il devrait s'en aller, laisser Zelda et ses songes mélancoliques. Il savait qu'il était de trop, dans ce bureau.
Mais partir était au-dessus de ses forces.
Poussé par ces deux raisons contraires, comme deux murs le poussant de devant et de derrière, il resta figé.
Un long silence coula dans l'étude, la remplissant de tension à ras-bord.
Link se décida enfin.
Encore incertain de son choix, il souffla, doucement et prudemment :
« ...Est-ce que tout va bien ? »
Et, tarissant à tout jamais l'envie de quitter le bureau, il ferma la porte.
Zelda soupira :
« J'ai connu mieux. »
Enfin, elle osa se tourner.
Quelques vaisseaux parcourant l'orbite de ses yeux demeuraient écarlates, et ses cils conservaient un écart que seules les larmes pouvaient leur donner.
Link ne s'était donc pas trompé.
« Mais ça va, finit-elle par sourire faiblement. Simplement... juste...
—... Fatiguée ? termina Link. Je connais ça.»
À nouveau, ses lèvres s'entrouvrirent en un mince sourire.
« Tu vois... J'ai reçu... Une missive, et des nouvelles des cristaux. Et... la situation ne s'arrange pas du tout... »
Link décela du regard une enveloppe décachetée, posée en face de Zelda, et un long parchemin, parcourut d'une toute petite écriture.
Il reconnut immédiatement l'expéditrice. C'était l'écriture d'Impa.
Zelda avait suivi son regard :
« Impa m'a écrit... Les Cocoricoïs ont peur de l'invasion de cristaux, qui se rapprochent dangereusement un peu plus chaque jour de leurs habitations... Tout Necluda doit être ravagé... »
Une profonde ride d'anxiété se creusa sur son front.
« ... Et je ne peux rien faire... »
Les commissures de ses lèvres se tirèrent vers le bas, et tout son visage fondit en une grimace sanglotante.
Impuissante, Zelda se détourna, dissimulant une nouvelle vague de larmes.
Pendant ce temps, Link bouillonnait.
Ce n'était pas à Zelda que l'on devait en vouloir pour les cristaux.
C'était à lui.
C'était de sa faute. Il était le seul, et l'unique coupable de la situation.
Il s'était laissé aspirer par la lumière verte, ce jour-là. Il n'avait même pas eu l'envie de lutter, il s'était totalement laissé faire.
C'était lui qui avait déclenché cette espèce de malédiction.
Et maintenant, c'était contre Zelda que tout le monde se tournait. Maintenant, c'était sur elle que reposait tous les devoirs, par sa seule et unique faute.
Comment la Déesse Hylia pouvait-elle laisser passer de telles injustices sur ses terres bien-aimées ?
Mais l'heure n'était pas aux remontrances malheureusement, même si Link avait bien envie de se jeter par la fenêtre. Il fallait d'abord redonner un peu d'espoir à Zelda.
« Zelda, on est venu à bout de Ganon, commença-t-il. Pourquoi ne pourrons-nous pas arrêter une simple vague de cris...
— Tu as vu le temps que cela nous a pris ?! s'écria-t-elle, le coupant. Tu as vu tout ce que cela nous a coûté, à toi, à moi, à Hyrule ?... Tu crois vraiment que notre Hyrule balafrée peut encore endurer ça ? »
Elle n'avait pas tort.
Il était décidément bien compliqué de garder le moral face à quelqu'un qui n'en avait plus.
« Les cristaux sont dangereux, poursuivit-elle, essuyant d'un rapide revers de main les pleurs sur ses joues. Ils détruisent des biens matériels, mais aussi la santé des gens : ceux habitant non-loin de ces cristaux se sont retrouvés avec des tâches sur la peau, des brûlures importantes ou des engelures profondes...
— Il est trop tôt pour crier victoire ou défaite d'un côté ou de l'autre du champ de bataille, déclara Link, arrêtant le flot de pensées sombres de son amie. On ne sait pas grand-chose de ces cristaux, on aura tôt fait de les arrêter. »
Sa raison et sa logique secouèrent négativement la tête d'un même mouvement.
Link se garda bien de les écouter.
Zelda soupira :
« Si seulement... Il va falloir que je redouble les recherches. Avec le couronnement qui arrive, en plus... »
Là, Link ne pouvait plus lutter : la situation tombait vraiment dans un vase déjà rempli à ras-bord.
Vaincu, il laissa ses derniers espoirs se faire consumer par le silence.
Le nez de Zelda se pencha vers la lettre d'Impa.
Puis, d'un geste lent et minutieux, la princesse replia la missive, et la glissa de nouveau dans son enveloppe, avant de refermer son rabat d'un pli étudié.
« Link, tu te souviens de ma promesse ? »
Link releva la tête.
« Oui, bien sûr. »
Zelda n'en parla pas plus.
Mais avoir affirmé de se souvenir de sa promesse semblait l'avoir légèrement détendue.
Elle frotta rapidement ses joues une dernière fois, et, ayant recouvert une voix à peu près ordinaire, questionna :
« Ça va mieux, ton bras ? »
Link haussa les épaules :
« Ça peut aller. »
Soudain, il se souvint de l'une de ses nombreuses conversations avec cette présence. Plus précisément celle précédant la catastrophe des cristaux.
« Au fait, est-ce que tu te souviens de tes prétendants ? »
Zelda se tourna vers lui, le sourcil arqué en point d'interrogation.
« Mes prétendants ? répéta-t-elle, sans comprendre.
— Avant la Calamité, expliqua Link. Il paraîtrait que tu avais une liste de prétendants. Je ne sais pas de quand ça date exactement, mais est-ce que tu te souviens de quelques uns de tes soupirants ? »
Link n'aimait pas vraiment ce dernier terme, mais il n'avait rien trouvé de mieux.
Les yeux de Zelda se firent lointain.
« Des prétendants... murmura-t-elle. Ma mémoire doit me jouer des tours... »
Ça ne doit pas beaucoup l'avoir marquée.
Inconsciemment, cela détendit un peu Link.
Elle appuya sa joue contre son poing, accoudée à la table.
« Hummm... Ah oui ! Je me souviens ! »
Elle eut soudain un petit rire totalement inespéré.
« Quelle histoire ! Je me souviens, désormais. Surtout le dernier, Andrew !
— Andrew ? interrogea Link, surpris.
— C'était l'un des fameux soupirants. Celui qui est allé le plus loin dans l'aventure ! Même si je savais pertinemment que mon sort était réservé au mariage, je voulais m'assurer quand-même que mon futur mari et moi avons un minimum d'atomes crochus. Je l'avais dit à Impa, étant plus jeune. »
Elle s'appuya sur le dossier de sa chaise, et raconta.
Oui, je l'avais dit à Impa... Elle était ma nourrisse, à l'époque. Mais seulement, je n'avais fait que lui en toucher un mot, et j'étais prête à sacrifier une partie de ma vie aux côtés d'un homme, quel qu'il soit, tout en continuant de gouverner mon royaume ! C'était là mon devoir, alors pour une fois, j'ai ravalé mon caractère de cochon, et je me suis tue.
Mais c'était sans compter sur Impa ! À chaque rencontre de prétendant, elle l'analysait, de la tête aux pieds, sondait toute son âme, et quand il ne lui convenait pas, elle trouvait toujours un moyen de le renvoyer dans ses contrées !
« Et le fameux Andrew était le seul qui ait pu passer sous son radar. J'étais donc promise à ce fameux Andrew... Et puis finalement, ça ne s'est pas fait.
— Pourquoi ?
— À cause de mon père ! Andrew a fait une erreur capitale, selon lui. Je ne sais plus exactement ce que c'était, mais c'était vraiment stupide. Je crois qu'il avait mélangé la sauce de la viande avec ses pommes de terre lors d'un repas, et ça n'est pas passé aux yeux du Roi. Le soir-même, Andrew avait quitté le château. »
Cette histoire lui semblait complètement délirante.
Et le pire, c'était que :
« Mais Zelda, moi, je mélange la sauce de la viande et les pommes de terre... »
Elle se figea, les yeux écarquillés.
Puis elle éclata de rire.
« Non, Link, pas ça !
— Mais c'est sec, une pomme de terre sans sauce...
— Mais rajoute-y du beurre !
— Ben voyons ! Ce n'est pas là le régime d'un capitaine de la garde !
— Et la sauce de la viande, c'est pas calorique, peut-être ? »
Le débat s'étendit sur quelques minutes, puis, n'ayant plus rien à conseiller ou à reprocher à l'autre, les deux éclatèrent de rire à nouveau.
« Au fait ! fit Zelda. Qu'est-ce que tu as, dans les cheveux ? »
Avec tout ça, Link en avait oublié le petit cadeau d'Astrid.
Il tourna la tête de profil :
« Est-ce que tu peux me dire ce que c'est ? C'est Astrid qui me l'a mis dans les cheveux. Il paraît que ça porte bonheur.
— Fais voir... »
Link s'approcha, et, comme Zelda était assise, il s'agenouilla.
Il sentit une mèche de ses cheveux soulevée, puis il entendit Zelda rigoler :
« Ah çà, pour un cadeau d'Astrid, on voit bien que c'est un cadeau d'Astrid !
— Qu'est-ce que c'est ? »
Habilement —du moins, plus habilement que Link—, elle glissa ses doigts parmi la chevelure dorée de Link, et enfin, ce dernier sentit ses cheveux se relâcher.
Zelda conserva l'objet en main quelques instants, l'identifiant d'un œil pétillant de rire, puis le tendit à Link.
C'était une petite barrette rose, ornée d'un lapin...
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