𝐕𝐈𝐈 - Changements
« ... Bon, je crois qu'on a tout. »
Zelda dégaina son calepin, où elle y avait noté au préalable toutes ces petites choses qu'elle aurait à faire une fois dans la caverne.
« Roche, c'est bon, lut-elle, de l'eau, j'en ai pris, de la végétation, pas la moindre trace, j'ai fait l'ébauche d'une carte des lieux... Ah, j'ai pas pris d'échantillon de cristaux, tiens.»
Ils n'étaient pas bien difficiles à trouver. À à peine quelques mètres de là se dressait un petit troupeau de ces roches turquoises.
Zelda fouilla dans sa besace, et en sortit un petit couteau à la lame fine et propre, ainsi qu'un petit bocal.
Elle approcha l'outil de l'un des cristaux.
Link eut soudain un petit sursaut incontrôlé.
« ... Quoi ? fit Zelda, éloignant la lame du cristal. Ça va ?
—... Fais attention. »
Ce cristal semblait rayonner de bonheur à l'approche de Zelda. Comme s'il se faisait une joie d'avoir une nouvelle proie...
Link devait devenir fou, il n'y avait pas d'autres solutions.
Zelda lui sourit.
« Ne t'inquiète pas, souffla-t-elle, comme amusée. Je fais extrêmement attention. »
C'est ce qu'elle fit : avec minutie, Zelda gratta la paroi de verre de la pierre.
Quelques petites miettes de roche dégringolèrent, et tombèrent dans le bocal.
Aussitôt détachés, ils perdirent leur éclat surnaturel.
Zelda loucha sur les quelques miettes de roches, puis haussa les épaules, refermant le bocal.
« Ça ira. Oh... Et... Je voulais te demander...»
Zelda se leva sur ses pieds, portant son regard vert dans celui de Link.
Et brusquement, son bras se réveilla.
La moindre parcelle de peau se tordit de douleur, transperçant tout ce qui pouvait bien se trouver sous cette couche de chair.
Link, pris soudain de court, poussa un cri de douleur, qu'il ne put étouffer.
La présence était revenue en lui. Elle s'était lassée de son bras : elle siégeait dans son torse, sur ses épaules, à sa gorge, dans sa tête.
Il vit le visage de Zelda se décomposer. Ses doigts se délièrent du bocal, et il ne fallut que quelques infimes secondes avant qu'il ne rejoigne le sol, et ne s'explose en mille morceaux.
« Link, qu'est-ce qui se passe ?! »
Les syllabes, les consonnes, les voyelles se disloquèrent à ses oreilles, le son bavait, ou au contraire s'élevait.
Il ne pouvait pas répondre. Il ne pouvait plus répondre.
Il avait trop mal, beaucoup trop mal.
Il se dirigea vers la paroi rocheuse.
« Link, qu'est-ce que tu fais ?! » s'écria Zelda.
Elle le saisit par les épaules, avant que sa figure ne touche le mur, retenant sa tentative de détruire la douleur par la douleur.
Puis soudain, plus rien.
Brusquement.
Plus aucune émotion ; plus aucune sensation.
Plus rien.
Stupéfaction.
La stupéfaction de ne plus rien ressentir, d'avoir soudain un corps immunisé contre le sentiment, ou de, justement, ne plus avoir de corps du tout.
Link tenta de refermer ses poings sur eux-mêmes, mais comme il s'en était inquiété, ses doigts restèrent morts.
Doucement, il laissa sa carcasse couler, sa nuque se relâcher, et ces bras, ces solides bras, l'enrouler et le recueillir, puis l'amener au sol.
Seul, il sentait son cœur battre, résonnant dans son corps vide.
Comptait-il les dernières et ultimes secondes ?...
Link souleva les paupières.
Et il vit que Zelda était là.
Sa chevelure dorée pendait vers lui. Quelques vulgaires centimètres les empêchaient de cajoler ses joues.
Et, dans ses yeux...
Il n'y avait plus un son.
Ne restait plus que cette image, et cette drôle d'aura planant autour d'eux, que seul le sixième sens pouvait percevoir.
Peut-être n'était-ce qu'une image. Une simple image, censée apaiser le souffrant avant son funèbre voyage.
La réalité se dérobait de son emprise. Bientôt, il ne resterait plus rien.
Non. Link ne pouvait pas mourir.
Il devait se raccrocher à quelque chose. À quelque chose qui le tiendrait en vie.
Doucement, il leva le bras.
Ses muscles grincèrent.
Sa main grimpa vers le visage de Zelda.
Quand finalement, après un éternel voyage, ses doigts effleurèrent sa joue, Link sentit que désormais, il était vivant.
Aussitôt, sa main s'étala. Sa paume toucha à son tour sa peau, et ses doigts vinrent se réfugier à l'orée de ses cheveux.
C'était doux. C'était terriblement doux.
Les sons revenaient. Le contact se faisait de plus en plus fort, de plus en plus vif, comme si, peu à peu, le sens du toucher lui revenait.
Un nouveau contact oppressa le dessus de sa main.
Zelda venait de la recouvrir de la sienne.
Ses doigts étonnamment froids vinrent se poser, et creuser l'écart entre ceux de Link.
Enfin, ses lèvres s'étirèrent en un sourire soulagé ; ce qu'elle tenait dans sa main était bien encore vivant.
Ses yeux se liquéfièrent brusquement.
« Link. Ton bras. »
Le bandage s'était défait.
Sa main lâcha la sienne, et souleva l'une des bandelettes, renfermant la peau verdâtre.
« Link, retire ta manche », ordonna-t-elle.
Sa manche.
Link n'avait même plus la force d'envoyer un regard vers elle. Comment pourrait-il réussir à l'enlever ?
Zelda le comprit vite à ses yeux vitreux, et empoigna le col azur du jeune homme.
« Comment est-ce qu'on enlève ce truc, déjà ? » marmonna-t-elle entre ses dents.
Link sentit sa main s'enfouir sous le tissu, tâtonner son épaule droite, chatouiller sa clavicule.
Vide, il la laissa faire.
Il sentit soudain ses doigts saisir l'élastique, tendu sur sa peau, maintenant sa manche.
Quelques instants plus tard, l'élastique sauta. Sa manche dévala son bras jusqu'à son poignet.
Zelda eut un mouvement de recul, apeurée.
Link jeta enfin un œil à la blessure.
Elle avait englouti son coude, et pataugeait à la naissance de son biceps.
Était-ce déjà comme ça, la dernière fois qu'il l'avait vue ?
Link rattrapa la manche, et la remonta le long de son épaule, mais c'était trop tard : Zelda savait.
« Link, dit-elle fermement. C'est quoi, ça ? »
Link rattacha sa manche, et se remit doucement sur ses pieds, encore nauséeux.
« C'est ça qui te faisait mal, hein ? poursuivit Zelda. Tu ne mets plus le baume d'Alphonse ? Et pourquoi tu ne m'en disais rien, tu m'assurais que tout allait bien ? »
La colère commençait à inonder sa voix.
« Pourquoi tu me cachais ça ? Hein ? Pourquoi ?
— Je ne sais pas ! trancha Link. Je ne sais pas... je ne me rendais pas compte que la blessure grandissait.
— Ce n'est pas la première fois que tu as mal, hein, avoue-le ! »
Link s'apprêtait à répondre, quand soudain, l'énergie de débattre le quitta.
Il baissa le nez, penaud.
Zelda l'observa un instant, avant de secouer la tête.
« Il y a beaucoup de choses que tu me caches, comme ça ?
—... Même si tu l'avais su, tu n'aurais pas su quoi en faire, finit par relever Link.
— C'est vrai, mais je ne supporte pas qu'on me mente. À présent, Link, regarde-moi dans les yeux : est-ce qu'il y a autre chose que tu me caches ? »
En vérité, Link aurait pu démentir longtemps. Dire que non, c'était la seule chose, et passer sous silence toutes ces choses qu'il devrait avouer.
Mais une étrange aura s'était abattu sur lui, qui rendait ses pensées mousseuses, et bizarrement paisibles.
Qui, de la fatigue, de la douleur ou des émotions en étaient le ou la responsable, Link ne saurait dire.
Mais il ne supportait plus ce regard véhément que lui posait Zelda, alors il souffla :
« J'entends une voix. »
Les sourcils de Zelda s'écarquillèrent.
« Une voix ? »
Link acquiesça, se refaisant un maximum de salive pour énoncer des explications qui lui coûteraient.
« Depuis l'autre jour... enfin... Non, peu de temps après. Une étrange présence à commencer à se manifester. En premier lieu, elle... »
Les images lui revinrent soudain, telles des dizaines de petites fléchettes venant de planter dans son torse.
« ... Elle m'a dictée d'attaquer un de mes officiers. »
Zelda, effarée, eut un mouvement de recul, et Link en regretta toutes ses révélations.
« ... Et... et tu l'as écoutée ? »
Non, il ne l'avait pas écoutée ; il l'avait subie.
La voix s'était emparée par force de son poignet, et, sous les yeux horrifiés et interloqués de Link, avait agi.
« J'ai pu la contenir à temps. Avant que... qu'elle n'aille trop loin. »
Que pensait-elle ?
Que pensait la princesse d'Hyrule, devant cette malédiction dont il était touché ?
Link avait beau réfléchir et analyser son visage, aucun sentiment, aucune expression n'étaient clairs.
Un drôle de mélange de surprise, un restant de colère, mais où était la peur, cette peur qu'elle devait forcément ressentir face à cet homme qui ne contrôlait plus la violence ?
Pourquoi ne reculait-elle pas ? Pourquoi ne lui demandait-elle pas de retirer son épée de son dos, afin d'être sûre qu'il ne lui arriverait rien ?
Sa bouche s'ouvrit, et se referma.
Quatre fois.
Sans qu'un seul son n'en sorte.
« Depuis lors, poursuivit Link, qui trouvait ce silence parfait à briser pour continuer son récit, elle discute avec moi.
— Qui ?
— La voix.
— Ah ! Excuse-moi. »
Zelda referma ses bras autour de sa poitrine, tourmentée.
Oui, c'était cela. Tourmentée.
Juste tiraillée entre ses pensées.
« ... Et elle te dit quoi, cette voix ? questionna-t-elle.
— Tout. Elle discute avec moi. Elle me parle, comme... comme si toi tu me parlais.
— Ah, tu oses la comparer à moi ! » plaisanta Zelda.
Elle eut un petit rire nerveux, qui ressemblait plus à un grincement rauque venant du fin fond de sa gorge qu'à un éclat de voix enjoué.
Elle détacha son regard de celui de Link, et le laissa tomber sur la pointe de ses bottes.
Pensive, elle se mit à arpenter le sol rocheux, le menton posé sur son poing fermé.
« ... Et cette voix... continua-t-elle. Et cette voix, comment est-elle ?
— C'est un homme, assurément, répondit-il. Un homme, avec une voix... je dirais une voix de cinquantenaire. Mais... qui utilise des termes assez... étranges. C'est... déstabilisant, parfois.
— Une voix d'homme, réfléchit Zelda. Une voix d'homme. J'aimerais bien l'entendre. »
Pourtant, le ton de sa voix semblait en dire tout le contraire.
« Et tes ''excès de violence'', dit-elle en mimant des guillemets de ses deux doigts, sont-ils revenus ?
— Pas depuis. »
C'était vrai, ça, d'ailleurs. Était-ce parce qu'il avait « amadoué » cet esprit qu'il avait décidé de ne plus agir ?
Ou attendait-il d'infliger le coup de grâce ?
Tant de questions, pour si peu d'indices...
Zelda semblait n'en penser pas moins. Perdue dans ses pensées, ses yeux planaient dans le vague, tantôt au sol, tantôt au plafond, et passait de temps en temps sur Link.
« Il faut faire quelque chose, murmura-t-elle. Alphonse ne peut plus rien y faire... »
Comme c'est étonnant, pensant sarcastiquement Link.
Zelda soupira :
« N'y a-t-il pas un médecin, un sorcier qui pourrait nous en dire plus sur ce que tu as ?! »
Link haussa les épaules.
La fatigue commençait à laisser tomber son voile sur ses pensées, et il était dur désormais de suivre le fil de l'une d'entre elles.
« Mais depuis quelques temps, ça va mieux, crut bon d'ajouter Link. En fait, la voix m'a même aidée à finir mon discours.
— À finir ton discours ? »
Link acquiesça.
« Elle m'a fourni des idées. »
Le regard de Zelda s'illumina.
« Pourrais-je avoir ton discours ? demanda-t-elle vivement. J'aimerais cerner quel genre de personne pourrait bien habiter ton bras.
— Pas de problème.
— Merci. Et... Bon, je ne t'en veux plus trop de m'avoir menti. Mais la prochaine fois, préviens-moi, s'il te plaît. Que... que je n'apprenne pas ta mort de mes yeux vus, avec ton cadavre dans les bras. »
△▲△
Bah alors, garçon, non seulement on ne dort pas, mais en plus, on ne va pas voir ses amis fantomatiques ?
Link se détourna dans sa couche, fixant le plafond.
Il avait senti l'esprit lui revenir, petit à petit, si bien qu'entendre enfin la voix n'était plus source de surprise.
Oh, t'as de petits yeux. Dors !
« Je ne peux pas. »
Bah si, ferme les yeux, pour commencer.
Qu'il était stupide.
Non, Link n'allait tout de même pas faire ce que la voix lui dictait futilement de faire...
... Oh, et puis, après tout, il avait toute la nuit devant lui.
Link ferma les yeux.
«... Et ensuite ? » souffla-t-il, les paupières closes.
Quoi, ça marche pas ?
« Bah non. »
Ah, j'avais oublié à quel point le sommeil chez les vivants était bizarre. Sérieux, je crois que j'avais une grande-tante qui s'endormait dès que son énorme postérieur se posait sur une surface à peu près confortable...
Link se mordit les lèvres.
Quoi ?
Il réprimait peu à peu l'énorme fou rire qui lui montait.
Ah bah d'accord. Tu es bien sympathique envers ma tante, toi.
« Peu importe. »
... En fait, après réflexion, je pense que j'aurais effectivement rigolé.
Les yeux de Link glissèrent sur la petite lucarne.
Dans le ciel d'encre, naviguait un beau disque diaphane, rayonnant de mille feu.
T'es encore là ?
« Oui. »
Mais dors !
« Pourquoi j'ai mal au bras ? »
Au bras ? T'as mal au bras, petit ?
« Oui. Enfin, plus maintenant, mais tout à l'heure, avec Zelda... »
Ah, Zelda, ça fait longtemps que je ne l'ai plus vue. Dis-moi, mon garçon, j'ai une question à te poser. Tu l'aimes ?
Link garda le silence.
Bon, si tu veux que je prenne ça pour un oui, continue comme ça.
« Pas exactement. »
Mais bien sûr ! Le déni, le déni, et toujours le déni ! Un jour, on devrait faire une étude sur le nombre de choses que les humains dénient, et là, on verrait qu'ils se mentent à eux-même plus qu'ils ne dorment !
« T'en as beaucoup, des remarques intelligentes, toi. »
Ah, j'aime quand tu dis ça. Enfin, c'est peut-être de l'ironie, mais qu'importe. Ça reste des mots que l'on peut employer dans un compliment.
Le regard de Link glissa cette fois sur son épée, sagement posée contre la chaise de sa chambre, près de la porte.
Elle scintillait d'un doux éclat, comme si la divinité qui l'habitait sommeillait, mais gardait tout de même un œil sur le monde des mortels.
Dire que les ancêtres de Link, avant lui, l'avaient tous prise au moins une fois, pour défaire le mal...
Et que lui-même la transmettrait au Héros suivant...
Tiens, je pourrais te chercher un petit surnom. Ça te dirais, Li-Link ?
« Donc, pourquoi j'ai mal au bras ? »
... C'est déjà la seconde fois que tu me coupes, je vais finir par être vexé. Bah écoute, héberger une conscience dans son corps, ce n'est pas de tout repos, et sans douleur. Deux consciences, deux âmes dans un seul corps.
« Hum hum. »
Tu me dis, si ça t'intéresses pas.
« Je réfléchis. »
Comme toujours. Tu sais, trop penser à une fille, parfois, ça nous colle des maladies dont on ne peut plus se dépêtrer.
Link se tourna, épaule et tempe contre l'oreiller, désorienté par les images qui fusaient dans son esprit.
...Et zut, je crois que cette déclaration t'aura valu une nuit blanche de re-questionnement.
Link laissa descendre de ses narines un grand soupir de lassitude.
... Bon, j'avoue que ce n'était pas très fin, ce que j'ai dit tout à l'heure. Allez, décroche ! Parle-moi plutôt de... de... hem... Ah, tiens, pourquoi n'es-tu pas allé voir tes amis, ce soir ? Les jeunes, ça sort, pourtant !
En vérité, Link avait plutôt pensé à passer une nuit seul, avec lui-même, mais dès qu'il avait senti la présence revenir, il avait compris que c'était fichu.
Après tout, peut-être que cette voix avait raison, et qu'en fermant les yeux, le sommeil finirait par venir.
... Oh non, p'tit gars, ne me dis pas que tu dors déjà ! T'étais en pleine forme il y a à peine une minute !
« Je dois dormir, tu l'as dit toi-même. »
Pas faux. Mais ne me laisse pas tout seul, je suis bien réveillé, moi, par contre !
Link !
Oo-oh, Link !
Li-link !
...Ça sonne bien, n'empêche. Je garde.
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