𝐕𝐈 - Investigations

Jeudi.

Link se leva, avec l'étonnante impression d'avoir bien dormi, alors qu'il s'était réveillé au beau milieu de la nuit, à nouveau.

Il s'étonna également de la petite pile de papiers, trônant sur son bureau, et se souvint qu'il avait enfin terminé ce discours, et qu'il était même incroyablement bon, sans vanité aucune.

Il n'y avait pas d'entraînement, le jeudi, c'était le jours de repos. Alors, il s'accorda plus de temps pour passer sa tunique, mettre ses bottes, tout enlever parce qu'il avait oublié de faire sa toilette, et de relire une sempiternelle fois ce discours, qui lui semblait tout droit sorti de l'imaginaire.

Car il était vraiment bon. Link avait réfléchi, et il était persuadé qu'il convaincrait plus d'un Hylien ou Hylienne, ou n'importe quelle autre créature de ce monde.

En tout cas, qui qu'elle était, la personne habitant son bras savait sacrément bien jouer avec les idées et les mots.

Link reposa son discours sur son bureau, et glissa le fourreau de l'Épée de Légende dans son dos.

Tiens, peut-être devait-il la nettoyer. Elle n'était plus aussi scintillante qu'autrefois.

Il se détourna, et ouvrit la porte.

Se dessinèrent soudain une silhouette féminine, un visage enjoué, de grandes prunelles vertes, un nez creusé, de courts mais nombreux cheveux blonds.

Link manqua d'en faire un bon en arrière, stupéfait.

Zelda sourit :

« Ah, tu es là ! Je ne savais pas où tu étais, on m'avait dit que tu prenais ton petit-déjeuner assez tôt... »

Link la dévisagea un instant, ses cheveux coupés, son pantalon, ses bottes d'exploration, un simple haut peu princier.

Puis il se souvint qu'ils étaient jeudi.

Il la dévisagea à nouveau.

Puis, contenant un sourire malicieux, referma la porte.

La rouvrit.

« Oh, tiens, Zelda, fit-il, étonné. J'ai deviné que tu étais derrière cette porte, vois-tu. »

Zelda leva les yeux au ciel, amusée :

« Incroyable, ce n'est pas comme si tu venais de me claquer la porte au nez.

— Pauvre porte. »

La jeune fille eut un petit rire.

« Tu as mangé ? s'enquit-elle.

— Non, pas encore.

— D'accord. Tu me rejoins juste après dans les écuries ? »

△▲△

« Tu comprends, j'ai vraiment envie de savoir... »

Zelda raclait le fond des sabots de sa monture, tout en discutant avec Link, adossé à l'une des poutres du box.

L'endroit sentait le foin et le crottin. Zelda n'avait pas encore trouvé de domestiques pouvant s'occuper du ménage ici, alors il n'était pas rare de plonger la botte dans une épaisse purée brune.

Elle se redressa soudain :

« Ça ne te dérange pas ? »

Link secoua négativement la tête :

« Non non. »

En vérité, lui-même était intrigué. Il voulait en savoir plus sur cette personne qui l'avait tant aidée sur son discours, hier.

Zelda termina rapidement de sceller son cheval, esquivant prudemment les mares de foin qui s'étalaient dans la stalle.

« Au fait, fit Link, allant lui-même chercher les affaires de sa propre jument, comment se passe l'organisation du couronnement ?

— Pour le moment, tout va bien, répondit Zelda. Une couturière est censée passer demain, mais je ne sais pas ce qu'elle vaut... Je n'ai pas trouvé mieux. »

Elle soupira :

« Mais je t'avoue que je ne suis pas sereine.»

Link le percevait très bien, mais il ne savait pas quoi dire pour calmer cette angoisse.

Alors il gardait le silence.

Zelda passa au cheval les mords, et déclara qu'ils pouvaient à présent partir.

« Et toi, ton discours ? demanda Zelda en retour. Il avance ?

— Je l'ai terminé hier, répondit Link. Et... »

Il voulut rajouter quelque chose, peut-être toucher un mot sur la qualité, que l'on pouvait facilement vanter, mais rien ne lui venait.

Zelda le regarda.

« ... Et ? »

Link fût aspiré par ses prunelles émeraudes.

Il avait beau se débattre intérieurement, essayer de rattraper en plein vol une pensée ne serait-ce naturelle, mais plus rien ne venait.

L'écurie se délava autour de lui. Seule, demeurait Zelda, appuyée sur un haut tabouret, les bras enroulés autour d'un sceau métallique.

Zelda.

Link se demandait à quel point son amour pour elle le rendait vulnérable.

Devait-il s'en blâmer ?

S'était-il épris d'elle dès l'instant où sa voix avait résonné dans le sanctuaire ?

Mais tout, de sa personne, dégageait une aura à laquelle Link ne savait se protéger.

Elle avait une vision du monde qu'elle ne semblait partager avec personne d'autre, et c'était cette unicité qui donnait à Link l'envie de savoir par quels verres Zelda regardait et analysait.

Son intelligence donnait envie de découvrir. Son aisance apaisait les tensions. Son côté têtu la rendait battante, et vivante.

Et son sourire, que pourtant grand monde critiquait, Link le trouvait si charmant et si sincère qu'il était prêt à courir à sa propre perte rien que pour le voir, rien que pour le sentir.

Toutes ces pensées se percutèrent à grand bruit, en une vague d'émotion.

Zelda baissa soudain le regard, et il ratterrit dans la stalle, les bottes dans le foin, l'odeur désagréable dans les narines, les mains serrées autour d'une selle de cuir.

Dur impact.

« Bon, nous devons y aller », fit-elle.

Elle se hissa à la croupe de sa monture, et attrapa les rênes.

Link fit de même, et tous deux sortirent des écuries.

« ATTENDEZ !! VOTRE MAJESTÉ, MESSIRE LINK ! »

Zelda sursauta, tirant légèrement les rênes par automatisme.

Le cheval, dont les commissures venaient d'être brusquement tirées, pila net, et piétina nerveusement, renâclant bruyamment au son de cette voix nasillarde.

Link pivota sur sa selle.

La porte des écuries s'était ouverte, et à présent, déboulait Astrid, parée de son inlassable sari orange.

« Votre Majesté, Votre Majesté... Mais... Pouah, mais qu'est-ce que c'est que cette odeur ? »

Link se pinça les lèvres, contenant son agacement.

La voyante se pinçait vulgairement le nez, avant de se rendre compte qu'elle avait mis les pieds dans... ce qui provoquait l'odeur nauséabonde.

Son visage fondit de dégoût, et bientôt, elle se mit à piailler comme une petite poule.

« Arrrrrgh, par les Déesses Fondatrices, j'ai marché dans la...

— Astrid, qu'est-ce qui se passe ? »

Link aurait bien aimé se détourner, et laisser la voyante à son sort, mais c'était sans compter Zelda, qui tenait tout de même à son amie devine.

Astrid se dépêtra en grimaçant de la masse brune, et secoua énergiquement ses pieds contaminés.

« J'ai une vision, expliqua-t-elle, tout en regardant la chose glisser le long de ses chaussures. Mais je pense que c'est une vision importante, car sinon, le destin n'aurait pas placé ce tas de crottin sur mon chemin ! »

Link essaya de ravaler son rire tout en se détournant.

Zelda lui adressa un regard mi-sérieux, mi-goguenard, avant de se retourner vers Astrid.

Visiblement, elle aussi était sensible au comique de la situation.

« Quelle vision ? interrogea-t-elle.

— Des renards ! exulta la voyante. Des renards, qui couraient dans la forêt !

— Des renards qui quoi ?

— Ils courent !

— Où ça ?

— Dans la forêt !

— Mais... pourquoi ?

— Vous seuls le saviez, Votre Majesté, messire Link, déclara Astrid d'un air grave. Mais des renards qui courent, dans la forêt en plus, ne sont jamais bon présage. »

Link contracta le ventre, réprimant le fou rire qui lui montait à la gorge.

Au grand contraire de Zelda, dont le visage commençait peu à peu à se peindre d'incertitude.

« Mais qu'est-ce que cela représente exactement ? fit-elle d'un ton soucieux.

— Les renards ne couraient pas ensemble, dans la même direction, dit Astrid. L'un poursuivait l'autre.

— Et en quoi ces renards nous concerneraient-ils ? »

Astrid sembla tout à coup  toute dépourvue.

Elle reposa ses pieds au sol, à présent décrottés.

Puis soudain, porta deux doigts à ses tempes.

« Ooooh, je vois... le cuisinier ! Il faut que j'aille retrouver le cuisinier ! Le cuisinier, où est-il, le cuisinier... »

Et elle s'en fût.

△▲△

« Regarde ces renards, ils sont le symbole d'une malédiction meurtrière et dévastatrice ! »

Cela faisait bien dix minutes que Link laissait courir son rire, qu'il avait eu tant de mal à contenir.

Lui et Zelda traversaient une petite forêt, et en effet, deux petits canidés s'enfuyaient à leur passage, dans un soyeux éclair orangé.

Zelda leva les yeux au ciel.

« Link, elle semblait vraiment sérieuse.

— Étrange, tout de même, qu'elle nous ait associée à des renards.

— L'un poursuivait l'autre, murmura-t-elle, pensive.

— Ils jouaient peut-être à chat.

— Link, tu me fatigues. Si tu pouvais te taire, ça m'arrangerait.

— Oh, un autre renard !! »

Au son de la voix de Link, le petit animal roux détala à tout allure dans la végétation forestière.

« Arrête, tu vas finir par dépeupler toute la forêt, déclara Zelda. Au fait, tout à l'heure, en rentrant, je passerai chercher du courrier qui m'est destiné au relai. »

Ils arrivèrent bien vite à la Cathédrale du Temps.

Elle avait meilleure mine, trouva Link. Peut-être eut-ce été la pluie qui eut dégradé son ampleur, l'autre fois.

Ils descendirent de cheval, et les conduisèrent à un endroit où l'herbe et un pommier les garderaient de s'enfuir.

Soudain, Zelda éclata de rire.

« Quoi ? fit Link.

— J'ai vu un renard... »

Et ce fût sous les yeux médusés de Link que Zelda se laissa tomber sur la pelouse, hilare.

Ses bras étaient croisés sur son ventre, tremblant de par son fou rire.

« C'est... de ta faute ! s'exclama-t-elle, inspirant profondément entre chacun de ses mots. C'est toi qui... m'a trop parlé de renard... je vais les regarder de... de travers désormais !

Son rire prenait de plus en plus d'ampleur, et Link vit une nuée d'oiseaux déguerpir à tire-d'ailes à travers le ciel, apeurés.

On ne l'arrêtait plus. Des larmes commençaient à rougir ses yeux, et le souffle s'évaporait un peu plus à chaque fois.

Link se mordit la lèvre, très fort, pour ne pas l'imiter.

Doucement, il s'assit à son tour dans l'herbe, aux côtés de Zelda.

Cette dernière voyait enfin son rire se calmer. Les soulèvements saccadés de ses épaules devenaient de plus en plus espacés. Et, progressivement, un souffle plus calme revenait.

Ses lèvres redescendirent en un sourire plus doux, moins goguenard. Ses yeux se rouvrirent, et se tournèrent vers le ciel bleu.

Une chose était sûre : Link aimait beaucoup, beaucoup son rire.

Quelque futile soit-il.

△▲△

La porte refermant la cave était restée au sol, en mille morceaux.

Peut-être avait-elle attiré quelques regards, depuis le temps, mais personne n'avait du oser pénétrer dans ce tunnel qui semblait sans fond.

De même pour le passage secret, dissimulé derrière l'imposante statue de la divine Hylia. Mais ce n'était pas par-là que les deux voulaient commencer leurs investigations.

« J'ai cherché pour les briques, fit Zelda. Mais je n'ai pas trouvé grand-chose... Selon moi, elles datent de plus de cinq siècles, mais ça ne m'étonnerait même pas qu'elles étaient déjà là au millénaire dernier. »

Ils débouchèrent rapidement sur la caverne.

Link s'étonna du nombre de cristaux, qui semblait avoir triplé en à peine une semaine.

« Bon, je voulais un échantillon de cristal, énuméra Zelda, tout en comptant sur ses doigts, un échantillon de roche, un échantillon de brique, peut-être un peu d'eau, histoire de savoir d'où elle provient, d'un bout de végétation... Oh, et peut-être ferai-je une carte des lieux, car les patrons d'architecture peuvent témoigner de leur date de construction. »

Elle se détourna vers Link, et lança, enjouée :

« Sacré programme, hein ?

— En effet. Tu ne veux pas plutôt camper ici pour trois jours ? Je crois que ça sera suffisant, si on ne s'arrête pas pour manger.

— Roh, arrête... ça sera rapide, vraiment. Tu m'aides ? »

Link sourit, d'un sourire entendu.

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