𝐕 - Allié non-suspecté
« Eh bien, mon garçon, tu as l'air soucieux...»
Link eut un sursaut d'épaules.
Appuyée dos à la rambarde, le nez levé vers le ciel de minuit, se tenait cette fois Urbosa, sur le balcon aux lilas.
Il ne l'avait pas entendue venir.
Mais qui entendait venir un fantôme ?
La défunte Prodige tourna la tête vers le jeune homme.
La mort n'avait rien enlevé de sa voix de vermeille. Elle ronronnait, éternelle et infinie à l'oreille, et tout son timbre rappelait les pays ensablés et son statut royal.
« Que fais-tu à cette heure tardive ici ? » poursuivit-elle, se décollant de la rambarde, mais gardant tout de même un coude à sa surface.
La vérité était que Link revenait d'un dense et tourmenté cauchemar. Il s'était réveillé, le cœur affolé et la sueur perlant à son front.
Il était venu ici pour chasser les images et les cris de son songe.
Urbosa eut un sourire :
« C'est vrai, j'avais oublié que tu n'avais jamais été un grand dormeur. Je n'ai jamais vu un petit dormir si peu — et accomplir de si grandes choses derrière ! »
Sa voix vola en éclats de rire.
Urbosa avait un rire qui semblait dérider toute chose et tout être, comme s'il venait chatouiller sa seule et unique raison de vivre.
Durant un instant, Link était tenté de rire, lui aussi, même si Hyrule mourrait, même s'il était potentiellement maudit. Simplement pour abreuver ce rire lumineux, qui, peut-être alors, lui donnerait suffisamment de courage et suffisamment de force pour faire face à ses ennuis d'humains.
Puis elle s'arrêta brusquement.
« Non, il y a quelque chose qui ne va pas — je le vois dans tes yeux. Est-ce que ça va ? »
Elle s'écria :
« Zelda ! Va-t-elle bien ?
— Très bien, fit-il d'un maigre sourire. Un peu prise par son couronnement, et un peu stressée par extension, mais elle va bien.
— Ah, soupira-t-elle, passant une main aux ongles d'azur dans son importante chevelure. Tu m'as fait peur ! Parce que... Tu sais, la dernière fois que j'ai vu cette peur dans tes yeux... »
Ses paupières se fermèrent un instant.
À ses yeux ne défilaient plus le présent et sa réalité, mais le passé et ses images saccadées et imprécises.
« ... C'était quand Zelda avait disparu.
— Disparu ? s'étonna Link, surpris. Pourquoi aurait-elle disparu ?
— Une bien sombre histoire, qui ne tourne pas en l'avantage de madame, mais qui se termine bien, ne t'en fais pas. »
Urbosa arpenta quelques instants le balcon, rassemblant à la hâte ses souvenirs et ses mots.
« Zelda était venue me rendre visite, pour apporter quelques corrections à Vah'Naboris. Elle n'était de pas très bonne humeur, il me semble. Elle venait de se disputer avec quelqu'un — son père, ou toi, peut-être. »
Ce récit venait d'éveiller quelque chose en Link. Une vieille couleur du passé, qui s'était ternie de par sa mort, mais qui avait repris un peu de clarté et de vivacité aux mots d'Urbosa.
Link réfléchit.
Qu'est-ce qui, dans sa tête, pouvait bien réagir à ces paroles ?
« Elle est restée une après-midi, continua l'ancienne suzeraine. Et sa colère ne la quitta pas une seule seconde, et enfla vers la fin. Elle a soudainement décidé qu'elle rejoindrait seule le château d'Hyrule, car sa monture l'attendait au relai, à la sortie du désert. »
Une vieille image continuait de s'émousser dans l'esprit de Link. Les traits en devenaient nets, le sentiment, plus fort, et le temps qui les séparait, moins grand.
Du coin de l'œil, la Gerudo voyait le jeune homme réfléchir, ce qui la fit sourire.
« Puis elle a quitté ma Cité, dans mon dos. Je lui avais pourtant bien demandé de rester, le temps que tu arrives. Et l'idée qu'elle se dirige seule à travers mes contrées que je savais moi-même dangereuses ne m'inspirait absolument pas. Puis enfin, tu es arrivé. Et cette peur, qui hantait tes yeux ce jour-là, au moment où tu as compris que la princesse était partie sans toi, j'ai l'impression d'en retrouver un petit quelque chose aujourd'hui. »
À son tour, Link ferma les yeux.
C'est bon, il avait mis la main sur ce souvenir qui lui chatouillait la conscience.
« Je me souviens... murmura-t-il. Les Yigas... »
Urbosa hocha gravement la tête.
« J'ai toujours été honteuse que mes terres aient porté ce peuple ignoble. Ils ont attaqué la princesse, et aujourd'hui encore, je n'en décolère pas, et je n'en décolérerai jamais. Alors, si tu en as l'occasion, donne-leur une bonne correction de ma part. »
Link eut un petit sourire sans joie.
« ... Bon, Link, je vois que quelque chose ne va pas, insista Urbosa. S'il te plaît, dis-moi... »
Link revoyait les images de son cauchemar, désormais.
Du feu, des flammes qui valsent, qui valsent, qui valsent...
Le souffle rauque, la peau humide, la main crispée sur une autre...
Link, LINK, LINK !
Link se réceptionna maladroitement d'une main sur la rambarde fleurie, le souffle court, les pensées tant en effusion qu'il en avait perdu l'équilibre.
Urbosa se tenait droite sur ses talons, talons qu'elle ne quitterait désormais plus.
Sombre.
« Link. »
Son regard était lourd d'avertissement, et si aiguisé, que Link sentit son être transpercé par sa déduction sans faille et son intelligence abasourdissante.
« Comment le père et la mère de Zelda se sont-ils rencontrés ? »
Cette question était sortie d'une traite, sur un coup de tête, d'une voix légèrement chamboulée si l'on tendait l'oreille.
Link expira doucement, ressentant la réalité resserrer ses mains autour de ses poignets.
Urbosa ne s'attendait visiblement pas à cette question, puisque ses sourcils s'envolèrent en point d'interrogation.
Puis elle eut un sourire malicieux.
« Tu devrais le lui demander, répondit-elle. À la princesse. Ça va, entre vous, d'ailleurs ?»
Link hocha la tête.
Les images cauchemardesques étaient reparties se terrer au fond de sa mémoire.
« Paraît-il qu'elle s'est coupée les cheveux. Je ne l'ai pas vue. C'est joli ? »
Link mima, comme à sa dernière discussion avec Revali, la longueur de la nouvelle coiffure de Zelda.
Urbosa acquiesça.
« Sa mère avait fait pareil, souffla-t-elle, les yeux nostalgiques. Disparues, les boucles blondes. Peut-être n'était-ce pas aussi court que ce que tu m'as montré, mais en tout cas, ça lui seyait magnifiquement bien. Madame doit être ravissante. »
Link ne put s'empêcher d'élever un sourire, qui en disait long sur sa propre opinion.
« Oh. Je vois. »
Urbosa dissimula son propre sourire, qui, lui aussi, grimpait sans discrétion à son visage.
Elle arpenta les dalles du balcon, dans le bruit féminin et théâtral de ses talons.
« Pourquoi me demandais-tu cela, tout à l'heure ? fit-elle soudain. Comment se sont rencontrés le Roi et la Reine d'Hyrule ? »
Link se perfora la lèvre de sa canine, mal à l'aise.
« C'est que... vous connaissiez la Reine Seline, n'est-ce pas ? »
Urbosa fit volte-face.
Sous son étrange regard, Link regretta aussitôt ses paroles, peu importe leur pertinence ou leur méchanceté.
« Ne me vouvoie pas, finit par sourire la suzeraine. J'ai laissé ma couronne là-bas, à Riju, je ne suis plus qu'une simple vaï, et si je ne m'abuse, nous sommes tous les deux centenaires. »
Oui, ils l'étaient.
Mais au contraire de l'autre, l'un était encore vivant.
Link s'assombrit soudain.
« Alors ? l'encouragea la Prodige. Pourquoi ? »
Link garda le plus profond des silences.
Il laissa courir son regard sur le buisson de fleurs mauves, qui rayonnaient d'un doux éclat éphémère sous la lumière de la lanterne.
La nuit s'était emplie d'un soudain néant auditif.
Qui disparut au son d'un grand rire.
« Je suis devenue curieuse, hein ? rit-elle. Comme quoi, le changement, ce n'est pas que pour les vivants ! Allez, fais-moi le plaisir d'aller te coucher. Je te regarde depuis tout à l'heure, et j'ai l'impression que tu vas t'endormir, puis basculer de l'autre côté de la barrière... »
△▲△
Quand Link arriva aux vestiaires, ce matin-là, il eut une drôle de surprise.
Les bavardages avaient disparu, et pour cause : aucun soldat n'était présent.
Enfin si, il y en avait un.
Seul, demeurait un officier silencieux, à la chevelure mi-orangée, passant gravement son armure.
Il se détourna vers Link quand il l'entendit arriver.
« Oh, mon capitaine, bonjour ! » s'exclama-t-il.
Link le dévisagea un court instant, et sentit soudain la racine de ses cheveux rougir, car il s'agissait là du garde qui avait subi la folie de son bras, quelques cours auparavant.
D'ailleurs, cela faisait quelques temps que la voix ne s'était plus manifestée... Devait-il dire merci à Alphonse pour de bon ?
L'officier dut voir son capitaine balayer les vestiaires du regard, puisqu'il expliqua d'un ton tragique que la grippe avait cloué tous ses camarades au lit.
La grippe.
Peut-être était-ce cet étrange sentiment planant dans les prunelles de son officier, ou peut-être était-ce l'idée en elle-même qui lui paraissait incongrue, mais Link ne le crut pas un seul misérable instant.
Ce dont les gardes étaient vraiment atteint, en revanche, c'était de la fainéantise.
Aucun d'eux ne voulait plus aller combattre.
Link l'avait ressenti, durant les derniers cours, que l'entraînement tournait en rond. Que les gardes avaient perdu cette petite flamme d'ambition, qui avait crépité dans leurs yeux le premier jour, mais qui s'était éteinte aujourd'hui.
Gravement, Link se laissa tomber sur un banc.
Son bras eut un petit élan de douleur.
« Tout va bien, mon capitaine ? s'enquit le soldat solitaire.
— Vous pouvez rentrer chez vous, déclara Link soudainement. Notre entraînement du jour portait sur le combat au corps-à-corps. Ça ne sert à rien de se battre seul.
— Mais nous sommes deux ! »
Les poumons de Link se gonflèrent d'inquiétude instantanément.
Il se revoyait sur son cheval, le bâton de joute à la main, le casque sur le front, galopant vers son officier, perdant le contrôle...
Il se mordit profondément la lèvre, seul signe d'anxiété que personne ne pouvait percevoir depuis l'extérieur, avait-il relevé.
Puis, lentement, il finit par secouer la tête.
« Je vous laisse la matinée de libre, profitez-en ! Allez plutôt vous reposer, ou aller voir de la famille, des amis... Faire des choses que vous aimez.
— Mais j'aime ce que je fais », répondit machinalement le garde.
Ça se voyait comme un nez au milieu d'une figure qu'il mentait ; c'était presque si celui-ci s'allongeait.
Link n'eut le cœur à le contredire.
Comment devait-il s'y prendre, pour raviver cette flamme militaire et de dévouement ?Était-il si... mauvais ?
Il avait certainement été meilleur professeur, un siècle auparavant.
Le garde jouait distraitement avec son heaume.
« Alors... le cours est annulé ? »
Sans un mot, Link hocha la tête.
Il se demandait comment il allait pouvoir motiver des gens à partir pour l'armée, avec ce niveau désespérant en pédagogie.
Et dire qu'il devait finir ce fichu discours...
S'il en avait eu le courage, il aurait été demander à Zelda d'annuler ce pèlerinage.
Mais Link savait à quel point la Princesse était occupée et tiraillée de toutes parts, et il ne voulait pas rajouter son grain de sel.
Le garde commençait à retirer son attirail.
Une nouvelle vivacité s'était allumée dans son regard. Il devait se demander à quoi il allait consacrer cette merveilleuse matinée libre.
« Et souhaitez un bon rétablissement aux autres, si vous les voyez », laissa tout de même échapper Link avant que le jeune officier ne quitte les vestiaires.
Le concerné acquiesça rigoureusement, avant de s'enfuir dans le couloir.
△▲△
Quatrième essai.
À moins que ce n'était le cinquième ?
Link contemplait avec désespoir la blancheur du papier se déroulant devant lui.
Bonjour. Je suis le capitaine de la garde d'Hyrule, et je suis ici pour vous motiver d'aller à la guerre.
Non, à l'armée, plutôt.
Link raya.
Bon, quels bons points pouvait-il défendre ?
Il se mordilla distraitement la lèvre, les yeux perdus dans le vague.
Bon alors, ça, c'est une plutôt mauvaise idée.
Son bras s'alourdit brusquement. Link en lâcha sa plume, esquissant un léger sursaut.
Dire directement ce que tu es venu faire n'est pas franchement la meilleure des solutions.
Cette voix lui faisait clairement perdre son temps. Link décida de l'ignorer.
Tu peux commencer par dire que tu es en voyage ! Comme ça, les gens se diront qu'être garde, c'est « stylé », comme disent les jeunes. Puisqu'on voyage.
Link peinait à l'admettre, mais la présence venait d'émettre une idée plutôt intéressante, qu'il pouvait tout à fait coucher sur papier.
Mais par pur entêtement, Link se garda bien de l'écrire — mais la nota tout de même dans un coin de sa tête.
Bah, t'écris pas ?
« Je n'ai pas besoin de toi pour écrire. »
Visiblement si. Allez, on ne peut pas avoir sauvé le monde, revécu, et être en plus un écrivain ! Sinon tu me dégoûterais pour de bon.
Link fronça les sourcils.
En quoi sa personne pouvait dégoûter cet esprit ?
Link chassa cette pensée, avant que la petite voix ne puisse mettre la main dessus.
Il ne répondit pas, et fit mine d'écrire.
... Oh, je sais ! Tu peux écrire qu'ils auront un accès à la citadelle !
« Je ne sais pas si c'est une bonne chose. La citadelle ne ressemble plus à grand-chose, aujourd'hui. »
Ah ouais ? Ah, peut-être, oui. Il était dans mes idées de la rebâtir, selon mes propres plans, mais bon, je suis mort avant. La vie est injuste, hein ?
Rebâtir la citadelle ?
Link s'engouffra dans la brèche :
« Tu étais architecte ? »
J'aurais pu. Je suis si talentueux ! Et ne ris pas, sinon j'irais farfouiller dans tes pensées les plus intimes.
« Je croyais que c'était exténuant ? »
Je pourrais bien me démener juste pour ça. Bon, allez, laisse-moi t'aider. On va dire que c'est ma part du marché. Parce que, visiblement, tu en as déjà marre de mon humble présence.
Link était plus que tenté, car la plupart des idées que cet inconnu-potentiellement-architecte avait émises étaient bien meilleures que ses propres ébauches de salutations.
Allez, petit secret ! D'homme à homme !
Link finit par lever les yeux au ciel.
« ...D'accord. »
... Eh bah tu sais quoi ? Je crois que je n'aurais jamais pensé être aussi content de t'aider.
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