𝐈𝐕 - Un discours de soi
Link haussa un sourcil.
De l'autre côté du miroir, son semblable fit de même.
Une chose était sûre, c'était que ce matin-là, Link n'était pas bien confiant.
Il s'apprêtait à tenir un nouvel entraînement avec ses gardes. Une chose pourtant banale et quotidienne, mais qui, depuis les évènements, pesait sur sa conscience.
Avait-il l'air effrayé ?
Link s'inspecta minutieusement, plongeant son regard dans ses propres iris bleues, puis le relevant sur ses paupières et ses longs sourcils blonds.
Il redescendit le long de son nez droit, pour finalement terminer sur sa bouche, fine et discrète.
Oui. Terriblement effrayé.
Il avait cette petite flamme de peur qui frémissait au fin fond de ses prunelles.
Cette petite flamme, qui parfois, semblait s'embraser d'un souffle.
Cette petite flamme, que Link n'arrivait pas à faire disparaître.
Quel type d'eau pouvait bien éteindre ce brasier d'inquiétude ?
Doucement, Link porta une main à son poignet droit, et commença à en défaire le bandage.
Depuis hier, la tâche tantôt grise, tantôt verdâtre n'avait pas beaucoup empiré. Elle semblait avoir élu domicile sur cette zone de son bras, du dos de sa main jusqu'à la naissance de son coude.
Le baume d'Alphonse faisait-il donc son effet ?
Donner raison au prétentieux médecin lui faisait mal, mais parfois, il fallait savoir mettre son orgueil et ses sentiments de côté.
Avec douceur et précaution, Link enduit sa peau malade de lotion.
À chaque nouvelle épaisseur de crème, il sentait son cœur accélérer d'un temps.
Il se sentait observé.
« ... Bon, écoute-moi, finit-il par murmurer, tandis qu'il refermait le pot. Je ne sais pas qui tu es, mais s'il te plaît - s'il te plaît !-, ne fais pas de bêtise. »
Était-il réellement en train de négocier avec son bras ?
« Ça ne durera que deux heures, deux petites heures. Ce garde-là ne t'a rien fait, et ne m'a rien fait également. Alors, même si c'est... une espèce d'instinct de survie chez toi - ce que je peux comprendre -, retiens-toi, s'il te plaît. »
Il fit une petite pause.
L'âme ne réapparaissait pas.
Durant une minute entière, il avait parlé dans le vide.
Agacé, Link reprit une nouvelle bandelette, et fit disparaître cette tâche.
△▲△
Link ne se sentait réellement pas bien.
La porte des vestiaires était au bout du couloir, ouverte, et il entendait déjà les bruyants ragots et éclats de rire de soldats de là où il était.
Allait-on le dévisager, quand il allait entrer ? Ses officiers allaient-ils se rappeler de ce qui s'était déroulé la veille, dès qu'ils allaient l'apercevoir ?
Certains passés et sombres évènements semblaient gravés sur les visages... Était-ce le cas pour le sien ?
Doucement, pas à pas, Link franchit les derniers mètres le séparant de la porte, les oreilles bourdonnantes, et se pointa à l'embrasure.
Les discussions se turent, et les soldats redressèrent la tête.
Link contint son souffle, encaissant la vingtaine de regards.
« ... Bonjour capitaine ! »
Et ils reprirent leur bavardage.
On avait retiré le bouchon de la baignoire des angoisses de Link : elles disparurent toutes soudain, aspirées, dans une lointaine plomberie dont nous n'avons jamais réellement conscience.
Un salut bien normal, une journée bien normale.
L'évènement était loin dans les esprits de chacun. Il ne restait plus qu'à faire de même avec le sien.
△▲△
Il n'y eut aucun trouble durant tout l'exercice d'escrime - Link n'en revenait pas.
C'était à peine si son bras le pinçait, c'était incroyable. Le baume faisait-il vraiment effet ?
Alphonse avait-il réellement réussi à éliminer cette voix ? Dans ce cas, Link se devait de le remercier, du fin fond du cœur. Après tout, peut-être que ce médecin n'était pas si mauvais.
Link se sentait si léger qu'il ne ressentait même plus le poids de sa pourtant lourde et imposante armure, et quand il la quitta, il manqua de s'envoler au plafond.
Quant au soldat qui avait reçu la fureur de son bras blessé, il avait montré durant les deux heures d'entraînement une attitude on ne peut plus normale. Pas un regard en biais, pas une once de suspicion au travers de son casque, rien.
Tout était parfait. Si beau.
Link remontait dans sa chambre pour y déposer son armure, quand il croisa soudain Astrid, cette fois vêtue d'une espèce de sari d'un vert étincelant.
« Oh, messire Link ! s'exclama-t-elle. Aujourd'hui s'annonce être une bonne journée, les étoiles me l'ont dit ! »
Pour la première fois, Link la crut sur parole.
En fait, il ne s'était rarement senti aussi... apaisé.
Ne devait-il pas rester sur ses gardes ? Si la voix était apparue, puis avait disparu sans qu'il ne fasse ni ne veuille rien, il y avait de fortes chances pour qu'elle revienne sur cette même valse...
△▲△
Bon.
Nous étions au beau milieu d'un bel après-midi au soleil éclatant, et Link était assis face à sa secrétaire, la plume encore pleine d'encre de n'avoir rien écrit.
Il fallait terminer ce discours. Il avait tellement d'autres choses à prévoir pour ce même voyage qu'il ne pouvait pas se permettre de prendre plus de temps pour ça.
Mais que pouvait-il bien dire ?
Qu'est-ce qui l'avait attiré, il y a plus de cent ans, quand il s'était enrôlé dans l'armée ?
Peut-être l'avait-on désigné ?
Comment allait-il présenter le sujet sans pouvoir s'appuyer sur sa propre expérience personnelle ?
Je suis Link, capitaine de la garde d'Hyrule, écrivit-il sans grande passion. Et a été chevalier servant de la Princesse Zelda.
A été.
Avant de périr.
Link relut ses quelques mots, et s'empressa de les rayer.
Roh, mon petit, tu me fais de la peine.
Link sursauta.
Eh ouais, héhé, faut pas être cardiaque avec moi. Non, plus sérieusement, niveau éloge, y a largement de quoi écrire.
« Tu reviens souvent comme ça ? »
Et Link qui croyait s'en être débarrassé pour de bon...
Je t'avoue que j'ai du me bouger un peu pour venir te voir, parce que c'est fatiguant. Mon temps de parole n'est pas proportionnel à ma force actuelle du tout.
« ...Ah. »
Link marqua une pause.
« Mais rien ne t'empêche de repartir. »
Tu plaisantes ? Tu planches sur ce discours depuis... Bon, d'accord, ça fait seulement deux jours, à peine. Mais je sais que ce discours compte pour toi, et comme je suis devenu un peu toi, bah ça compte pour moi aussi.
« Attends, comment ça, tu es devenu ''un peu moi'' ? »
Mais nan, le prends pas comme ça...
Link frissonna. Ce beau début de journée allait mal terminer, il le sentait.
Si Astrid avait été là, elle aurait dit qu'une mauvaise étoile veillait sur lui. Ne pouvait-il pas profiter plus d'une heure d'un bonheur tranquille ?
... Bon, tu peux dire que t'as quand-même fait un sacré chemin, avant d'arriver ici. Quand tu as revécu.
Link réfléchit un instant.
Il était vrai qu'il avait traversé les Terres d'Hyrule, afin de chasser Ganon des Créatures Divines. Et que c'étaient des combats intensifs.
De sacrés combats, pour reprendre les termes de la voix.
C'est quand-même fou, tu fais une fixette sur ton passé, alors que tu as fait plein de trucs aussi !
Link haussa les épaules, las.
« Tu peux repartir ? Il faut que je me concentre. Et puis, tu as dit que c'était fatiguant, tu te retiens tout seul. »
Ah, c'est vrai. Bon, bah, salut la compagnie, alors.
Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, l'esprit disparut instantanément, laissant derrière lui l'étrange vide qui suivait chacun de ses passages.
Mais ce qu'il avait dit donnait matière à réfléchir.
Link avait en effet triomphé des quatre Ombres du mal, créées par Ganon lui-même. Et résolu plus d'une de ces épreuves du Héros, dans les sanctuaires. Et décroché l'Épée de Légende, à nouveau, de son socle de pierre.
C'était le moins qu'il puisse faire, après avoir plongé Hyrule dans le chaos, juste après sa mort subite.
Mais la question demeurait : pourquoi s'était-il enrôlé dans l'armée, cent ans plus tôt ?
Il aurait pu demander à Zelda, mais elle devait être certainement débordée, et son jour de repos n'était que jeudi. Jeudi ! Il devrait avoir terminé son discours d'ici-là.
À qui d'autre pouvait-il demander ?
Qui avait vécu plus de cent ans, ici ?...
△▲△
Link cheminait à travers les sentiers le menant à Cocorico, juché sur sa monture.
Oui, il y avait bien une personne, une seule, qui était assez vieille pour se souvenir de tout ce qui s'était passé.
Bon, peut-être y en avait-il une seconde, mais Link ne savait pas exactement ce qui lui était advenu. Elle avait joué avec le temps et l'âge, remonté les différentes périodes humaines, et, au réveil de Link, elle avait retrouvé son corps d'enfant.
Mais Link n'avait pas exactement le temps de pousser le voyage jusqu'à Elimith pour aller la retrouver.
Aller à Cocorico restait tout de même un lourd trajet, pour une seule après-midi.
Il avait pris dans sa sacoche ses brouillons de discours, bien qu'il savait que ses quelques mots et ses phrases barrées ne serviraient pas à grand-chose.
Autour de lui, de chaque côté du sentier, s'élevaient de hautes collines dont le sommet avait été saupoudré d'herbe verte et tendre.
Link était déjà monté là-haut. C'était ce genre d'excursion qui donnait envie de rester à Cocorico à tout jamais, afin de regarder le soleil se coucher, et colorer tout Hyrule de magnifiques couleurs.
Link passa le portail du village.
Aussitôt, une ribambelle de rues désorganisées apparurent, dévalant les pentes, bordées de maisons traditionnelles comme on n'en faisait plus.
Au-dessus de sa tête, on avait installé de grandes guirlandes, où pendaient des planches de bois peintes de rouge.
Bien que Link n'eut jamais su à quoi elles renvoyaient, il trouvait toujours le tintement du bois accueillant.
Au moins, cela compensait l'absence de fleurs ; à cette période de l'année, plus aucun prunier n'en était pourvu. Le village en semblait plus terne, mélancolique.
Link descendit de sa monture, et la laissa brouter près d'un de ces arbres nus, à l'ombre de ses branches dépouillées.
Dans la flopée de passants, quelques uns le saluèrent distraitement, pressés par le temps et leurs activités.
L'une des plus vieilles personnes que la Terre d'Hyrule n'ait jamais portée habitait au sommet du village, entourée d'eau et de cascades.
Deux hommes massifs, Vocah et Durann, montaient la garde au portail de sa maison, le regard dur et dissuasif.
Mais quand ils reconnurent Link, ils prirent une tournure plus amicale, plus sympathique et emphatique, presque inquiète :
« Tout se passe bien, messire ?
— Votre visite était-elle prévue ?
— Non, pas du tout, les rassura Link, il faut simplement que je demande quelque chose à Impa. »
Il y eut soudain un petit silence.
Les gardes échangèrent un regard, interrogeant silencieusement l'un l'autre.
« ... Elle est bien là ? s'inquiéta subitement Link.
— Oui oui, absolument, s'empressa d'affirmer Vocah. Simplement... Elle se remet tout juste d'une grosse maladie. »
Le cœur de Link se gonfla soudainement de picots.
Impa, malade.
Elle n'était plus toute jeune, malheureusement, et ces cent dernières années, elle ne les avait pas passées dans un sanctuaire de renaissance, ni sous l'emprise d'un quelconque pouvoir divin.
Elle les avait vécues, seconde après seconde, et Hylia seule savait combien de temps il lui restait à en vivre.
Link serra les lèvres, très fort.
« Elle va mieux, déclara l'autre garde. Beaucoup mieux, même, hein, Durann ?
— Absolument. C'était juste pour vous prévenir, messire, qu'elle ne risquait pas d'être au top de sa forme, et qu'il ne fallait pas lui en vouloir. »
Impa était vraiment l'une des dernières personnes à qui Link voulait (et pouvait) s'en prendre.
Il gravit prestement les marches en bois jusqu'au seuil de sa porte, le cœur battant.
Il eut une petite pause, durant laquelle il reprit son souffle.
La maison d'Impa était une importante bâtisse, certainement la plus grande et la plus imposante de tout le village. Parfois, elle y réunissait tous les membres du village pour de grandes réunions d'informations. Et, à ces moments, on regrettait qu'elle ne soit pas plus grande encore.
Link ferma les yeux.
Les rouvrit.
Et toqua, avant de coulisser doucement la porte de bois rouge vers la droite.
La pièce principale était plongée dans une certaine obscurité, que les petites lampes tamisées disposées çà et là n'arrivaient à éliminer.
Impa était là, assise en tailleur sur sa pile de coussins, au fond, les épaules soigneusement couvertes d'une lourde couverture.
Son visage était si blanc qu'on en aurait dit un fantôme.
« Dame Impa ? »
La vielle femme releva péniblement la tête.
Aux bordures de son imposant couvre-chef, se balancèrent de petites breloques métalliques décoratives.
En apercevant Link, elle sourit, d'un sourire édenté et fatigué.
« Oh, Link... Quelle belle surprise, je n'aurais jamais cru que tu viendrais... »
Link se sentit soudain très honteux, d'être venu ici simplement pour avoir réponse à ses questions, et non pour savourer la douce personne qu'était Impa.
Il sentait presque ses brouillons brûler sa sacoche.
« Tout va bien ? fit-il. Durann et Vocah m'ont dit que vous étiez souffrante... »
Aussitôt, Impa leva les yeux au ciel avec agacement.
« Mais oui, je vais mieux ! rouspéta-t-elle. Roh, pourquoi ces deux-là s'évertuent-ils à penser que je suis gravement malade ? »
Même si Link ne s'était pas attardé avec les deux gardes, il aurait deviné que quelque chose n'allait pas, vu ses traits déconfits.
« Vous auriez du nous prévenir, dit-il. Nous envoyer une lettre, ou je ne sais quoi, Zelda vous aurait envoyé un médecin. »
Ce médecin aurait peut-être été Alphonse Field, d'ailleurs.
Impa éclata d'un rire sans joie, d'une voix usée et enrouée.
« Mon petit, si vous étiez souffrant de la pire des maladies, iriez-vous vous-même vous déclarer auprès de la Princesse Zelda ? »
Link repensa à la blessure et cette présence lui hantant le bras, dissimulées sous son épais bandage.
Il baissa le nez.
Impa avait visé juste.
La vielle femme eut un petit sourire, rempli de compréhension et de compassion.
« Je serai là pour le Couronnement de la Princesse, bien entendu que je serai rétablie d'ici là. Et même si je ne l'étais pas, je mourrai sur la piste de bal ! Et vous, j'imagine que vous y serez ?
— Bien sûr. »
La vielle femme frictionna entre elles ses vieilles mains fripées.
« Et comment va Zelda, avec tous ses préparatifs ? Elle doit être sur les charbons ardents, n'est-ce pas ? »
Link haussa les épaules.
« Pas plus que d'habitude. »
Il se rendit compte du sens de sa réponse au grand éclat de rire de la chef.
Il s'empressa de rectifier :
« Enfin, euh...
— Ne dis rien, mon enfant, je vois ce que tu veux dire. Zelda a toujours eu un fort caractère, mais que pouvons-nous y faire ? Et n'est-ce pas mieux pour une souveraine ? Enfin, future souveraine. »
Elle soupira d'un air rêveur et nostalgique.
« Je la revoie, sur mes genoux, alors qu'elle n'avait que deux ans... »
Link se souvint soudain de sa visite ici.
Gêné, il se racla la gorge :
« Dites... est-ce que vous savez ce qui m'a amené à l'armée d'Hyrule, il y a cent ans ? »
Impa le dévisagea un instant.
Elle plissa les paupières, et se gratta le menton d'un air pensif.
« Humm... C'est lointain, très lointain. Mais je m'en souviens. »
Les yeux rivés vers le plafond, elle rajusta la couverture sur ses épaules, et rentra ses mains dans les manches de leur voisine.
« Tu as toujours été un très bon épéiste, Link, finit-elle par dire, rabaissant son regard sur le jeune homme. Un excellent, même : tu défiais les adultes avec une telle aisance que tu étais connu dans la région. Tu avais même un petit surnom, rien de bien sérieux. Quelque chose avec ta chevelure blonde, il me semble. »
Link ferma les yeux un court instant.
Mais rien, toujours rien.
« C'est normal que tu ne te souviennes pas, rajouta Impa d'une douce voix. Tu étais si jeune... Puis les recherches de certains scientifiques ont commencé à être formelles : la réincarnation de Ganon allait réapparaître, de nouveau, et ce, d'ici peu de temps. À l'époque, tu faisais beaucoup parler de toi, tu sais, et les gens n'ont pas tardé à croire que tu étais le Héros de Légende. Tout coïncidait : tu étais son portrait craché, tu possédais son nom, et tu étais formidable au maniement des armes.»
Elle eut une petite pause.
« Je me souviens, désormais : il y avait eu de longs et obséquieux débats, durant lesquels on se demandait ce que l'on allait faire de toi.
— Ce que l'on allait faire de moi ? réitéra Link, perplexe.
— Tu n'avais que sept ans, à l'époque, Link ! Tu étais si jeune, que l'idée de te placer dans ce genre de système a été très critiqué. Comme je le disais, tu étais orphelin, on ne connaissait tes parents ni de Din ni de Farore. Enfin, c'était très vague. Mais dans tous les cas, il n'empêchait que tu étais sans tuteur, et que personne ne pouvait décider de ton sort en un claquement de doigt.
« Puis il y eut la mort de notre chère Reine, la mère de Zelda, Sa Majesté Seline II. Plus personne ne reparla de ton cas ; tout le royaume avait sombré dans une profonde tristesse, dans un deuil d'une mélancolie maladive, et s'était soudain tourné vers sa descendante, Zelda.
« À tes quatorze, quinze ans, tu as participé à un grand tournoi, célèbre en Hyrule, qui n'est plus en rigueur aujourd'hui. Et tu l'as remporté, devant les yeux du Roi, et il était évident qu'il allait te proposer une place dans l'armée. »
Link s'étonna que le récit s'achevait là, et ainsi.
Alors, c'était simplement une histoire de tournoi ?
Cet évènement avait du être le premier domino d'une longue série : la place de capitaine, le poste de chevalier servant...
« C'est déstabilisant, n'est-ce pas, d'entendre quelqu'un raconter son propre passé dont on ne peut pas se souvenir ? fit gentiment Impa. Je revis ça tous les jours, et dans mon cas, ça s'appelle la vieillesse. »
Link hocha ostensiblement la tête.
Il en avait oublié cette histoire de discours. À présent, ne comptait plus dans son esprit que ses souvenirs embués.
Une petite douleur désagréable picota discrètement son bras.
Pas si guéri que ça, finalement.
« Tout va bien ? s'inquiéta Impa. Tu es un peu pâle, je trouve...
— Tout va bien, répondit Link. Tout va bien.»
Dehors, le ciel virait déjà à l'orangé, signe qu'il était temps de regagner le château.
Il s'inclina respectueusement :
« Au revoir, Dame Impa. Et si jamais vous avez une rechute pour votre maladie...
— Tu t'inquiètes trop pour rien, mon garçon, coupa la chef des Sheikahs. Rentre en paix, mon enfant. Oh ! Et dis à Zelda que je trouve sa nouvelle coiffure très jolie ! Ça la rajeunit considérablement. »
△▲△
Aujourd'hui, Link se sentait bizarre.
Touillant nonchalamment les pâtes qu'il s'était fait pour ce repas de midi, il repensait aux derniers évènements, et à tous ceux qui suivront.
Son discours était loin d'être terminé. Zelda allait se faire couronner. Lui allait partir en voyage.
Et il entendait une voix.
Il n'y avait plus personne, dans la cantine des gardes. Le buffet avait été dévalisé par ses officiers, affamés par leur session d'entraînement, qui portait cette fois sur le tir à distance.
Link, lui, avait soigneusement attendu l'heure où la cantine se vidait, pour ensuite profiter du calme des lieux seul, lui et ses pensées bruyantes.
Enfin, seul... Il y avait tout de même le matou du cuisinier, un chat noir, dont l'œil vert était barré d'une véritable blessure de guerre.
Ce matou n'avait pas vraiment de maître, en vérité.
Mais il semblait porter dans son cœur celui qui lui donnait du poisson fraîchement pêché et de la viande tout juste découpée.
Link espérait que les prochains jours passeraient plus vite. Que, en un battement de paupière, il se retrouverait au couronnement, où l'on donnerait un grand bal, et où peut-être, peut-être, il inviterait Zelda à danser -peut-être !
Où pouvait être Zelda, à l'heure qu'il était ?
Peut-être en train de revoir la liste des invités. Peut-être en train de contacter la ribambelle d'artistes qui seront présents ce soir-là. Ou peut-être travaillant son discours ? Lui ne l'avait toujours pas terminé, se souvint-il.
Il débarrassa son bol de pâtes dans la pile prévue à cet effet, et gratifia au matou une petite caresse affectueuse et distraite à la fois.
À nouveau, il avait toute l'après-midi devant lui, et à nouveau, il n'avait aucune inspiration pour terminer ce fichu discours.
Peut-être qu'un bon bol d'air frais l'aiderait à se dépêtrer de ses idées brumeuses.
Aussitôt, Link changea de chemin, et prit la direction des jardins.
Il faisait moins beau qu'hier, et même un peu plus froid, mais c'était tout à fait acceptable pour une petite balade dans la citadelle d'Hyrule.
Il emprunta de nombreux couloirs qu'offraient le château à ses employés et ses autres domestiques, afin d'agir rapidement et discrètement, dans l'ignorance de la famille royale et de ses courtisans.
Et parfois, il était agréable de les emprunter.
Link sentait disparaître la pression de la vie royale et luxueuse, comme le sable, salé et dur, essayant de passer au-travers d'un tissu, alors que lui, telle que l'eau, s'était enfui depuis longtemps déjà entre les mailles.
△▲△
Les rues de la citadelle étaient bien miséreuses à voir.
Rares étaient les magasins qui risquaient de venir s'installer là, là où les Hyliens avaient tous désertés, là où les Terres portaient encore le mauvais souvenir de Ganon. Les devantures étaient closes, cloutées, barricadées de planches de bois, peintes pour ne pas apercevoir de l'extérieur ce que pouvait contenir l'intérieur.
L'automne n'arrangeait rien : les pots de fleurs étaient vides, quand il n'y avait pas un cadavre de plante à moitié enterré, les feuilles mortes tapissaient les rues défoncées, et le ciel gris de ce jour donnait à la ville un air apocalyptique.
Évidemment que plus personne ne voulait s'installer à la citadelle.
Quelques passants étaient pourtant assez désespérés pour flâner dans les rues, s'asseoir sur un banc, ou même partager avec un ami un petit moment à la terrasse d'un pub.
Même si Link n'en avait plus le souvenir exact, il savait bien que la citadelle n'avait jamais été ainsi.
On avait tenté de la reconstruire, mais en vitesse, plus par survie que par beauté et art.
Dire qu'une seule et même personne - Ganondorf - avait réussi à anéantir tout un passé et toute l'histoire d'un lieu...
Link se stoppa devant une auberge, qui ne semblait pas fermée, et dont quelques couleurs chaudes et consolantes attiraient l'œil.
Après courte réflexion, il y entra.
À l'intérieur, il n'y avait qu'une vieille femme, qui lisait un journal aux côtés d'une tasse de thé vide, et un homme, qui, vu ses gestes brusques et nerveux, était en retard, et s'apprêtait à partir.
Seul, derrière son comptoir, l'aubergiste essuyait un verre, le regard planant pourtant bien au-dessus.
Link s'approcha.
Quand le barman, attiré par le bruit de ses pas, le vit, il manqua d'en lâcher sa choppe de verre.
« Ciel !... Monsieur le Héros ! C'est... c'est un honneur, je ne pensais pas... »
Link patienta, le temps que le barman reprenne un minimum d'esprits et de logique.
Il éveillait toujours à son passage de grandes émotions. Il ne comprenait pas pourquoi il n'en était jamais de même pour Zelda.
Le restaurateur, devant lui, commençait réellement à perdre ses moyens.
Link décida de le couper :
« Je peux prendre un siège ?
— Ah, mais celui que vous voulez, sire ! Regardez, j'en ai par dizaines... et ils sont tous vides ! »
Il en soupira lourdement, et, tandis que Link s'installait au comptoir, il lui partagea :
« Les temps sont durs. Aucun commerce ne perce, et je ne sais pas si la citadelle retrouvera son charme d'antan.
— Ça ne fait qu'un an, remarqua Link. C'est un peu court pour émettre ce genre de théories. Tout ne peut pas arriver d'un coup, subitement. »
Et puis, il avait foi en Zelda. Il savait qu'elle agirait scrupuleusement, et redresserait le royaume du mieux qu'elle puisse.
Mais le barman ne semblait pas partager son avis :
« La princesse a fait une erreur, de dépenser toutes les caisses du royaume dans la reconstruction de la citadelle. Durant la Calamité, Ganon n'a pas fait les choses à moitié : il a tout raflé, et nos richesses sont parties avec. L'argent est rare, et Sa Majesté a pensé bon de le mettre dans la citadelle. Mais qui voudrait habiter cet endroit déshumanisé et maudit, désormais ?»
Personne, Link le savait, et le pensait lui-même.
Le barman soupira, plus lourdement encore.
« Hyrule est bien mal en point... Nous avons besoin d'argent que nous n'avons pas. Le commerce n'arrange rien. Les Piafs sont méfiants, de toute façon ils l'ont toujours été. Les Gerudos continuent de s'isoler « entre femmes », et les Zoras n'ont jamais tenu à ce que nous leur envoyâmes une seule marchandise ! Notre pays n'a plus aucune richesse ! »
L'homme reprit son souffle, tant les mots et leur lourd sens semblaient lui coûter.
D'un geste las, il désigna une maigre pile de papiers imprimés :
« Tenez, lisez le journal, mon brave homme. Il est à cinq pièces. Je sais, c'est cher, mais si vous saviez comme il est rare par ici... »
Link n'hésita pas, et paya à l'homme la somme demandée, avant de s'emparer d'une des revues.
Cette dernière datait d'il y a deux semaines déjà, et décrivait exactement ce que venait de dire le barman, mais avec des mots encore plus spécifiques, des nombres encore plus effrayants, et un angle encore plus affolant de la chose.
Il était presque écrit noir sur blanc -ou jauni, vu la vieillesse du papier- qu'Hyrule allait mourir, étouffée de par ses dettes et par le poids des dégâts.
« ... Et alors, d'après vous, qu'est-ce que l'on devrait faire ? interrogea Link, quand il eut fini de lire les premiers paragraphes.
— Ah çà, mon garçon, si je le savais, je pense que la Princesse Zelda l'aurait su depuis longtemps déjà. Elle n'est pas sotte, loin de là, et moi je ne suis pas un intellectuel... Mais, sans vouloir l'offenser nullement, il est bien dommage qu'elle reprenne le royaume aussi médiocrement. Elle aurait du... Je ne sais pas... gouverner une Hyrule plus prospère. Parce que... Ah, je n'aimerais pas utiliser ce therme - surtout en face de vous -, mais la princesse est pour le moment incompétente. »
Link manqua d'en recracher sa boisson tout entière.
Il comprenait bien pourquoi le barman n'avait pas osé utiliser ce mot : il était si violent et si humiliant que Link se sentit rougir à la place de Zelda.
« Incompétente ? répéta-t-il.
— Ah, je savais que vous réagiriez comme ça, murmura l'aubergiste d'un air embêté. Écoutez ! Si vous me compariez avec d'autres, mon opinion et mes arguments seraient bien gentils face à certains ! Tenez, il n'y a pas si longtemps, j'avais quelques exemplaires de Les plaines au peigne fin, et là, Son Altesse s'en prenait plein la figure, sans métaphore ni poésie ! »
Link ne savait même pas s'il voulait lire cet article de ce journal.
Mais s'il pouvait en apprendre un peu plus sur ce qui se passait réellement... Car aucune de ces informations ne circulait, ou plutôt n'osait circuler au sein du château.
« Où puis-je trouver Les plaines au peigne fin ? finit par questionner Link.
— Oh ! Un peu partout, mais pas ici, ça, c'est sûr. Dans la plupart des relais, en général il y a tous ceux du mois qui y sont, donc vous devriez trouver votre bonheur. »
Puis soudain, il baissa la voix.
« S'il vous plaît... Son Altesse royale a tout de même été d'une bravoure inégalable face à Ganon - enfin, vous aussi, bien entendu. Mais... ce que je veux dire par là, c'est que... Ça m'embêterait si ceci parvenait à ses oreilles...
— Soyez sans craintes, répondit Link. Je ne le répèterai pas. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top