▽ Prélude ▽

Il y avait de vastes plaines, au sud du château d'Hyrule et de sa citadelle, que l'on nommait le Plateau du Prélude.

Et dans ce plateau, aujourd'hui, s'élevaient de bien piteuses ruines.

Des colonnes tordues, des vitraux brisés, des briques dévorées de lierre et reluisantes de pluie, des marches détruites.

C'était la Cathédrale du Temps.

C'était.

Link constata que la tourelle droite continuait de mourir, étranglée par un voile de verdure. Il serra les lèvres. Dire qu'il y a si peu, cette tourelle était encore droite...

À quelques pas de lui, une jeune fille se tenait là, à l'orée des marches, les bras fermement croisés.

Son regard était lourd en mélancolie.

Si lourd.

Elle détourna la tête vers Link. Comme si elle se souvenait soudainement de sa présence.

« C'était la Cathédrale du Temps, expliqua-t-elle précipitamment. Je... hum... Avant, il y avait un beau jardin, ici. »

Elle désigna une parcelle de terre, longeant l'allée, ravagée de mauvaises herbes.

« On pouvait le voir depuis l'extérieur, continua-t-elle. Avec un vitrail... qui était juste ici. »

C'était un constat. Un surprenant constat, d'après la voix de Zelda.

Comme si elle s'étonnait que les choses avaient été ainsi.

Le doigt désignait aujourd'hui un simple petit muret de pierre, croulant sous la vieillesse et la végétation.

Mais ce simple petit muret semblait si important que Link s'en voulut de ne pas se souvenir du vitrail qui aurait pu se tenir là.

« ...Est-ce que... »

Zelda rougit soudain.

Gênée, elle entortilla une mèche blonde autour de son doigt.

« Non, non, rien. Oublie. »

Mais Link avait deviné la fin de ses mots.

Il regarda une nouvelle fois la supposée place de ce supposé vitrail.

Mais rien.

Ce muret a toujours été muret, et n'avait jamais été mur.

Et il n'était pas sûr de vouloir entendre une nouvelle histoire de ce qu'il avait connu de son ancienne personne, parce que cette ancienne personne, il était censé être le mieux placé pour la connaître.

Et il n'en avait pourtant aucun souvenir.

Qu'aurait-il pu se passer, ici, pour que Zelda ait l'envie que Link se souvienne de cet endroit ?

Peut-être s'étaient-ils disputés, ce jour-là ? Peut-être était-ce la raison de cette ombre de tristesse dans les yeux de Zelda ?

Mais Zelda n'en dit rien.

« Viens, entrons. Ce serait bête de rester sous la pluie. »

Elle tira sur sa cape, resserrant le col autour de son cou, et commença à gravir les marches irrégulières, les yeux toujours rivés sur la façade branlante.

Link ne put s'empêcher de lancer un dernier regard vers le défunt jardin.

N'y avait-il donc vraiment rien qui lui revenait ?...

Et pourquoi son passé lui semblait-il soudain si hantant ?

Pourquoi sa mémoire était-elle toujours sollicitée, ces temps-ci ? Pourquoi demandait-on usage de ses souvenirs antérieurs, d'une vie... antérieure ?

C'était difficile à croire, même encore aujourd'hui, que cette prénommée vie antérieure n'était autre que sa véritable vie.

Dont il ne pouvait se souvenir.

Mais qui semblait tant compter pour les autres...

Zelda avait déjà disparu. Il s'empressa de la rattraper.




Avoir passé la porte ne donnait pas l'impression à Link de se trouver entre quatre murs.

Il n'y faisait même pas plus chaud ; seul le toit décortiqué valait la peine de rester.

On entendait le roulement incessant de la pluie contre les tuiles. On espérait alors que les belles voûtes architecturales seraient suffisantes à soutenir ces rafales.

Le sol était saupoudré de pelouses vertes et d'herbes folles par endroit, comme un premier duvet précédant la pilosité.

Il y avait aussi un restant de fresques aux murs, mais qui étaient tellement fragmentées de toutes parts que l'Histoire contée en devenait incomplète.

Demeuraient tout de même quelques bancs, dont on avait épousseté l'assise, signe que certaines personnes désespérées venaient se tranquilliser ici, sous l'œil céleste et divin de la Déesse Hylia.

Hylia.

Cette grande statue, posée sur une estrade de pierres, au fond de la salle, n'échappait pas à la faim de la nature ; un début de mousse commençait à grignoter ses pieds, et à émietter sa pierre.

Mais la Déesse ne semblait pas en tenir compte. Le menton haut, tout sourire, elle continuait de vivre comme elle l'avait toujours fait.

Zelda s'arrêta net, et joignit pieusement ses mains, inclinant respectueusement la tête vers la statue.

Link se contenta d'un discret mouvement de tête.

Dire qu'il y a à peine un an, il se tenait là.

Il avait une simple petite chemise blanche, les yeux d'un nouveau-né, les connaissances d'un ignorant.

Et devant lui, avait été l'un des hommes les plus sages que la Terre d'Hyrule n'ait jamais porté : Rhoam Bosphoramus Hyrule.

Soit le père de Zelda.

« C'est tout de même mieux que de rester dehors sous la pluie », déclara Zelda, une fois cette petite minute religieuse écoulée.

D'une main, elle tira sur sa capuche lourde en eau, et révéla sa chevelure blonde.

Sa courte chevelure.

Ce radical changement capillaire avait fait grand débat dans tout Hyrule.

Beaucoup avaient déclaré qu'ainsi, elle refusait la féminité, ainsi que son statut de princesse — et reine d'ici quelques semaines. Qu'elle préférait se consacrer à des occupations plus... humaines, qu'elle délaissait l'image d'une sainte souveraine, qu'Hyrule était désormais cantonnée à l'image d'une personne ne se préoccupant plus de sa beauté.

Mais quand Link avait vu Zelda quitter ses longues mèches dorées, il avait eu l'impression de voir tomber au sol plus d'un fardeau, coup de ciseaux après coup de ciseaux.

Comme si son ancienne chevelure lui avait pesé trop lourd sur les épaules, trop longtemps.

Zelda leva le regard vers les murs effondrés.

C'était ici que les gouttes de pluie terminaient leur voyage ; après avoir glissé le long des tuiles, elles coulaient en un rideau d'eau le long des gouttières, et mourraient dans l'herbe et les détritus.

« Astrid s'est bel et bien trompée, aujourd'hui », soupira Zelda.

Link tenta, mais ne réussit plus d'une seconde à retenir un rire moqueur.

« Tiens donc ! » lâcha-t-il.

Astrid était une courtisane du château, mais bien différente des autres : elle avait la réputation d'être la meilleure voyante de la région.

Zelda lui faisait entièrement confiance, et croyait dur comme fer en chacune de ses visions.

Au grand contraire de Link.

Il releva :

« Ne devait-il pas faire beau, vendredi dernier, ce jour où il y avait un éclair toutes les cinq minutes ?

— Link...

— Oh, et ne devait-on pas mourir de froid il y a à peine un mois, alors que nous avons subi une lourde canicule ?

— 28°C, ça n'est pas une canicule, répliqua Zelda.

— En plein mois d'octobre, si ! répondit-il.

— Les plus lourdes chaleurs en Hyrule ont été enregistrées à 38°C. Tu n'es jamais allé dans le Désert Gerudo ?

— Oh que si. Peut-être qu'Astrid a vu la température qu'il y faisait là-bas, et non ici.»

Link vit le front de Zelda se plisser.

Il reconnaissait ce signe. Elle était en train de rassembler en son esprit tous les arguments possibles afin de prouver que Link avait tort.

Alors, elle récita :

« Astrid provient d'une famille de voyantes les plus prospères et les plus connues en Hyrule. Sa mère elle-même avait été immensément célèbre pour ses visions qui s'avéraient toujours être justes. Astrid n'a pu quitter le domaine familial avant d'avoir acquis et de connaître dans ses moindres recoins le monde ancestral des visions ! Et puis, les visions ne sont visibles que par l'esprit, et si l'esprit est perturbé, eh bien, les visions le sont tout aut... Aaaah ! »

Quelque chose venait de dégringoler à grand bruit.

Alarmés, Link et Zelda firent volte-face.

Une petite porte, jusque là bien enfoncée dans ses gongs, venait de tomber net au sol, et de s'exploser contre le dallage de la Cathédrale.

Il y eut un petit silence, durant lequel Link reprit ses esprits.

« C'est rien, souffla-t-il. C'est juste... une porte. Elle devait être pourrie. »

Mais au regard que portait Zelda sur les débris de bois, Link devina rapidement qu'elle était un peu plus qu'une simple porte pourrie.

« Cette porte... murmura Zelda. Je ne me souviens pas d'elle. »

Elle plissa les yeux.

Elle essayait sûrement de se remémorer les images de l'ancienne Cathédrale, où les murs étaient debout et les messes fréquentes.

À la différence, si Link plissait les yeux, et fouillait au plus profond de sa mémoire, il ne trouverait plus rien, aujourd'hui.

Il chassa cette pensée d'un raclement de gorge.

« Tu as tout de même passé cent ans enfermée à Hyrule, retenant Ganon, releva-t-il. Peut-être que des souvenirs t'ont échappé. »

Zelda ne lui répondit pas. Elle semblait perdue bien plus loin qu'un siècle auparavant.

Meublant le silence, Link identifia du regard la porte.

C'était une petite porte, le genre qui renfermerait une petite cave. L'entrée y était si étroite que Link savait qu'il aurait à se courber pour y pénétrer, si jamais il lui arrivait à le faire.

« ... Peut-être la maison du prêtre ? tenta Link.

— Non, coupa soudain Zelda. Je m'en souviens, à présent. Cette porte était coincée derrière un gros meuble, une armoire peut-être, parce qu'elle était tout simplement condamnée. »

...Et elle s'est ouverte.

Il ne fallut que quelques secondes avant que Zelda ne s'avance vers l'entrée dévoilée.

Il y avait un long escalier, tapissé de poussières dont les marches plongeaient dans un noir sans fin.

Zelda analysa rapidement le tunnel, avant de se tourner vers Link.

« As-tu une torche, ou une lanterne ? »

Sans un mot, Link soutira du sol un grand et long bâton.

Quelques instants plus tard, le feu y crépitait.

△▲△

Le couloir descendait très bas.

Link, très attentif aux hautes marches sous ses pieds, s'attendait toujours à voir le sol apparaître, mais l'escalier continuait de descendre, descendre...

Une potentielle raison de ne pas louper de marches, en effet.

Devant, la torche à la main, le nez de Zelda était presque collé aux murs.

« Ça, ce sont de drôles de briques... commenta-t-elle à voix basse. Je n'arrive pas à déterminer à quelle époque elles peuvent bien appartenir, ni à quel style. »

Link jeta un œil aux parois, mais ces vulgaires cailloux ne lui évoquaient rien du tout.

Peut-être l'avait-il su, avant ?

... Mais pourquoi pensait-il tant à cette vie-là, aujourd'hui ?

« L'escalier ne tourne-t-il jamais ? » questionna Zelda, balayant le couloir de sa torche.

Mais l'escalier continuait de s'enfoncer, toujours tout droit.

On n'entendait plus la pluie, ni aucun bruit qui pouvait rappeler le Plateau du Prélude. Tous les sons semblaient tamisés, plus petits qu'ils ne devraient l'être.

Seule, la torche crépitait, mais elle-même semblait tendue à l'idée de faire autant de bruit.

Link se demanda ce qu'il pouvait bien y avoir à une telle distance de la surface.

Zelda, quant à elle, se lamentait de n'avoir apporté aucun matériel, ni aucun livre, ni quoi que ce soit qui aurait pu l'aider.

« On y retournera » déclara-t-elle fermement.

L'escalier prit fin une bonne quinzaine de minutes plus tard, mais le duo aurait été d'accord pour dire que ça en faisait presque quarante.

À présent, un long couloir s'offrait à eux, tout aussi sombre, et tout aussi droit.

Link lança un regard à Zelda, mais il était évident qu'elle voulait continuer.

Alors ils continuèrent.

△▲△

« Link ! Regarde ! »

Les dalles s'arrêtaient net, coupées, comme si l'on avait mordu le sol à pleines dents.

Il reprenait une cinquantaine de centimètres en-dessous, mais sous une texture rugueuse et sauvage, irrégulière et bossue.

Les murs semblaient prendre cette même forme ; plus de briques étranges, pas pour autant la roche dans son état sauvage, mais un subtil mélange entre les deux.

Link et Zelda venaient de découvrir une caverne.

Une caverne, à la particularité qui attirait l'œil : de grands cristaux turquoises.

Il y en avait partout. Ils poussaient à même la paroi rocheuse, au mur, au plafond, au sol, dans les plis et les creux de la pierre ; aucune surface ne semblait leur résister.

Link ne savait plus où ni quoi regarder : les impressionnantes voûtes s'élevant au-dessus de sa tête, les stalactites qui en descendaient, les cristaux...

Il se tourna vers Zelda, mais elle semblait aussi ahurie que lui.

La bouche béante, elle brandissait sa torche aux alentours, bien que les cristaux turquoises produisaient à eux seuls une source de lumière suffisante pour se croire presque en plein jour.

« Mais qu'est-ce que c'est que ça... » murmura-t-elle.

Tout intrépidité avait disparu dans son regard. À présent, elle semblait presque apeurée de l'endroit, et faisait déjà des pas vers la sortie.

« Je ne connais aucun cristal qui ne resplendisse autant, expliqua-t-elle à voix basse. C'est trop étrange pour que ce soit quelque chose de sain.

— Peut-être est-ce une simple grotte, et qui, en grandissant, a détruit le couloir de la Cathédrale, supposa Link. Et, qu'en vérité, grotte et Cathédrale n'ont jamais été liés. »

Il peinait lui-même à y croire.

Le visage de Zelda continuait de se décomposer d'instant en instant.

Ne supportant plus ce spectacle, Link déclara :

« Bon, rentrons. De toute façon, on n'a ni matériel, ni le temps d'explorer. »

Zelda hocha la tête. Link aurait pu jurer d'avoir entendu sa nuque grincer.

Re   —joins   —nous...

Link pila net devant les escaliers.

Re

Joins

Nous

Il échangea un regard avec Zelda.

Mais sa bouche était close.

Re     —joins     —nous...

Link fronça les sourcils.

Cette mélodie lui rappelait quelque chose, quelque chose de très, très lointain.

Ce genre de voix, qui répugne et qui effraie, et en même temps attire et parle au cœur mieux que nous-même.

Terrifiant.

« Link ! »

Le jeune homme eut un instant d'absence, avant de percevoir, parmi la mélodie, la voix chuchotée de Zelda.

« Link ! l'appelait-elle dans un murmure. Cette chanson — c'est une prière ! »

Re   —joins   —nous...

Ou   —Hyrule   —s'ra   —dévastée...

Link tira aussitôt son épée de son fourreau.

Zelda frissonna.

« Ça n'est pas du tout la suite de la chanson... » murmura-t-elle.

Elle ferma les yeux un instant.

Puis soudain s'élança.

« Attends ! » s'écria Link.

Zelda se détourna, soudainement très impatiente.

« Quoi ? »

Link ne sut quoi répondre.

Mais l'ambiance sinistre de la caverne, tous ces cristaux inconnus, ces chants — était-ce vraiment le meilleur endroit où, sans matériel et sans précaution, ils allaient se lancer ?

Et ce chœur, scandant ces mêmes paroles morbides...

« On nous appelle, Link, expliqua Zelda. Cette prière est vieille comme le monde — je t'en parlerai tout à l'heure un peu plus en détail —, elle ne peut résonner ainsi par pur hasard ! »

Re   —joins   —nous...

Link resserra son emprise sur le pommeau.

Zelda voulait-elle vraiment s'enfoncer dans cette grotte ?

Soudain, la princesse se détourna :

« Ou alors, tu peux m'attendre ici. Mais il faut vraiment que j'y aille... »

△▲△

La caverne était immense, différente à chaque recoin.

Les cristaux étaient toujours présents où qu'ils aillent, rayonnant de leur étrange lueur verdâtre.

Les voix continuaient de chanter, de danser de mur en mur, de jouer de notes en notes, et de souffler sur Link la poussière de l'incertitude...

Zelda, à côté de lui, marchait en silence, les yeux courant le long des parois, le visage fermé par la concentration.

Re   —joins   —nous...

Ou   —Hyrule

Link ferma les yeux.

Les paroles se mélangeaient dans son esprit, jouaient l'équilibre entre le distinct et l'indistinct, et semblaient passer d'une langue à l'autre avec une facilité déconcertante.

Un rat fila entre ses jambes, dans un petit couinement.

Zelda ne broncha même pas.

Elle en semblait presque hypnotisée...

Pris soudain de doutes, Link abattit une main sur son épaule.

Elle tressaillit.

« Quoi ? »

Elle se tourna vers Link.

Il la trouva soudain plus fatiguée qu'elle ne l'était déjà. Ses sourcils étaient légèrement froncés, comme ces fois où elle essayait vainement de rester éveillée, et de comprendre ce que lui disait son interlocuteur en face d'elle.

Il déglutit.

«... Tu as l'air fatiguée.

— Un petit peu. »

Et, sur ce, elle se détourna de nouveau, et continua sa route.

Link la regarda s'éloigner.

Il n'était ni étonné, ni surpris de cet entêtement. En fait, il s'y attendait presque.

Mais la raison de cet entêtement lui restait obscure, terriblement obscure.

Il la rejoignit en deux grands pas.

« ... On dirait un vieux temple, qui a été englouti par la vieillesse et par la terre... fit Zelda. Regarde ces colonnes... »

Elle pointa la torche vers les briques circulaires, s'élevant jusqu'au plafond.

« Et ça m'étonnerait que ce soit la suite de la Cathédrale », termina-t-elle.

Ils entrèrent dans un sinueux couloir, à nouveau, qui tournait sur la gauche.

Une nouvelle galerie apparut, plus grande encore.

Tandis qu'une cascade ruisselait bruyamment le long du mur, un maigre pont chétif reliait misérablement un bout de la galerie à l'autre, pendant au-dessus d'un ravin.

D'un profond ravin.

Link s'arrêta net, et Zelda manqua de l'emplafonner.

« Quoi ? lâcha-t-elle, dont la patience commençait réellement à s'écourter.

— Ce pont est tout, sauf une bonne idée », déclara Link.

Re   —joins   —nous...

Ou   —Hyrule   —s'ra   —ravagée...

« Link, nous ne sommes pas des poids lourds, répondit Zelda, lasse. On peut aisément passer.

— Ben voyons. Tu as vu comment la porte de la cave s'est démolie, rien qu'au son de ta voix ?

— Eh bien, j'ai la voix qui porte, écoute. Et puis, quel rapport entre la porte et le pont ? C'est peut-être même pas le même bois. Nous ne savons rien de ce pont. »

Raison de plus pour ne pas l'emprunter, pensa Link.

Mais rien à faire, Zelda s'en approchait déjà.

Lui aussi commençait à se sentir très fatigué. Les chants devenaient insupportables à ses oreilles, et l'empêchaient de réfléchir comme il le voudrait.

Alors il la suivit.

Zelda, qui semblait tout de même avoir un semblant de conscience, tâta prudemment la première planche du pont du bout de la semelle.

Les cordes du pont frémirent.

« Bon, il est un peu vieux, finit-elle par dire. Mais si on passe en vitesse, il n'en sentira rien. »

Elle jeta un regard à Link, puis continua sa progression. Il finit par lui emboîter le pas.

Sous ses pieds, la première planche grinça également, d'un grincement plus récurent déjà, mais il se contenta simplement de marcher plus vite.

Les voix se calmèrent un peu, couvertes par le son de la cascade.

À la moitié du pont, Link s'étonna que tout s'était jusque là bien passé.

Puis soudain, les planches s'ouvrirent.











Link se hissait sur le rivage, trempé.

D'un geste lent et endoloris, il essora sa tunique.

L'eau tanguait dans ses bottes à chaque pas, dans un floc-floc peu gracieux.

Link prit une pause, juste pour sentir l'air circuler à nouveau entre ses poumons.

Derrière lui s'étalait un gigantesque lac souterrain, bordé de rochers et de ces sempiternels cristaux turquoises.

En haut, pendouillaient misérablement les restants du pont, sur lequel il se trouvait à peine une minute avant.

Il n'avait décidément pas fait long-feu.

Link avait mal à la tête. La soudaine virée aquatique l'avait percuté à plein fouet, et avait tapé tout son corps, comme s'il s'était pris un mur.

Il avait eu peur, peur de ne pas s'en sortir. De rester sous la surface, d'y sombrer, d'y mourir...

...On aurait dit à la Cour que c'était une mort bien bête. Que le Héros de Légende, après cent ans de convalescence, s'était finalement réveillé pour ensuite disparaître au bout d'un an.

Ou alors, on les aurait porté disparus. On aurait fouillé tout Hyrule, et ce ne serait qu'au bout de dix ans de pleines recherches qu'on aurait trouvé la Cathédrale et ses souterrains, ce pont branlant, et ce lac meurtrier.

Et dire qu'il était encore vivant...

Sonné, il laissa son regard parcourir le lac.

...Oh non.

Là-bas.

À quelques mètres du rivage.

Une cape noire flottait, inerte, à la surface de l'eau.

Zelda.

Link ne courut jamais aussi vite.

Avec son lourd et bruyant pantalon plein d'eau, il longea le rivage à toute vitesse, sans quitter des yeux le tissu, qui l'effrayait un peu plus chaque instant.

Il se jeta dans l'eau, et nagea à grandes brasses désorganisées vers elle.

Mais quand ses doigts se refermèrent sur la cape, une voix s'éleva :

« Link ! »

Il tourna la tête.

Trempée, les cheveux collés aux joues, Zelda se dépêtrait de l'eau à grandes enjambées.

« Tout va bien ? demanda-t-elle d'un ton inquiet, entre deux quintes de toux. Tu n'es pas blessé ? »

Link jeta un regard vers la cape, qu'il tenait dans les bras.

Dire qu'il avait cru que Zelda s'y trouvait en-dessous, sans vie.

« Je vais bien. »

Puis il tendit le bras :

« Tiens. Ta cape. »

Zelda détailla d'un œil fatigué le vêtement que Link lui tendait.

« Elle est trempée. Laisse. »

Elle soupira.

« Link... je suis sincèrement désolée. Voyager dans cette caverne n'a jamais été une bonne idée.

— Explique-moi, alors, pourquoi tu voulais tant aller au bout de cette grotte », déclara Link.

Elle soupira, plus lourdement encore, et envoya un regard désespéré au pont, qui pendouillait plus misérablement encore dans le vide.

« Oui, je vais t'expliquer. Mais... La prochaine fois que je ferai un truc pareil, n'hésite pas à me remettre les idées en place.

— De quelle manière ?

— Peu importe, du moment que ça fonctionne. Regarde notre chute, on aurait pu en mourir !... C'est incroyable que nous n'ayons rien. »

Link n'en pensait pas moins.

Ils quittèrent l'eau, et, épuisés, se laissèrent tomber contre un des nombreux rochers qu'offrait cette grotte.

« J'imagine qu'il n'y a pas de bois pour faire un feu, ici, soupira Zelda. La torche s'est éteinte, et est très certainement au fond de l'eau, maintenant. »

Épaule mouillée à épaule mouillée, ils contemplèrent le paysage souterrain, essayant d'oublier le froid qui leur perçait la peau à vif.

« On va finir par mourir de froid, grelotta Zelda. Je suis vraiment stupide ! Je n'aurais jamais du poser un pied sur ce pont, ni même dans toute cette caverne ! »

Elle se frictionna les bras.

Link continuait de fouiller les lieux du regard.

Que pouvait être cet endroit, avant ? Ce pont de bois n'était pas naturel, c'était une évidence. D'autres personnes étaient passées par-là avant eux. Mais qui ? Et quand ?

Une douce respiration endormie s'envola soudain à l'oreille gauche de Link.

Zelda avait les yeux clos, et s'était endormie. Sa tête avait roulé contre le rocher, et demeurait légèrement inclinée.

Même si cela voulait dire que Link allait se retrouver seul, il n'était pas mécontent — voire même soulagé — de voir que Zelda commençait enfin à prendre le temps d'écouter sa propre fatigue.

△▲△

Re   —joins   —nous...

Ou   —Hyrule   —s'ra   —dévastée...

Link souleva péniblement une paupière.

Ses vêtements étaient encore humides et froids.

Et les voix étaient revenues.

Re   —joins   —nous...

À côté de lui, Zelda remua dans son sommeil. Sa tête glissa de la roche à l'épaule de Link.

Il sursauta.

Le chœur continuait de chanter, et semblait venir de toutes les directions.

Mais qu'est-ce que c'était ?

Zelda esquissa un vague mouvement de tête inconscient.

La commissure de sa lèvre se tira en un sourire paisible.

Peu importe le rêve, elle en ressortait d'un qui semblait bien agréable.

Et, même après toutes ces remarques, après ce pétrin, après tout ça, Link éprouvait l'envie de l'étreindre, pour ne plus jamais la lâcher.

« On est où ?... murmura-t-elle.

— Toujours au même endroit. »

Il se mit sur ses pieds, et se leva.

Zelda termina de se réveiller à son tour, et, attentive, dressa l'oreille.

Un instant s'écoula, avant qu'elle ne pointa du doigt :

« Ça vient de par-là. »

Les voix s'échappaient à présent très distinctement du couloir caverneux.

Prudemment, et sans lumière à présent, Link et Zelda remontaient les murs, dressant l'oreille à chaque pas.

Re   —joins   —nous...

« À droite », murmura Zelda.

Ils bifurquèrent sur la droite.

C'était une salle immense, dont le plafond n'était cette fois pas visible, perdu dans l'obscurité.

Un dallage approximatif recouvrait le sol, et, sur les côtés, un mélange de paroi rocheuse et de murs briqués s'élevaient.

Et au centre...

Link sentit Zelda tressaillir à côté de lui, mais lui-même n'en menait pas large.

Au centre, allongé sur un autel de pierre, un corps.

Désormais dépourvu de chair.

Une onde verdâtre descendait vers lui, tournoyant en une inquiétante et sournoise spirale...

Il sembla à Link que la main du cadavre avait remué.

« On s'en va, chuchota Zelda. On s'en va. Maintenant. »

Elle se détourna vivement, et s'éloigna.

Link s'apprêtait à en faire autant, quand soudain, un tintement susurra à son oreille que ça n'était peut-être pas le moment.

Il se tourna à nouveau vers le cadavre.

Lentement, une main approchait du torse du squelette.

Ses doigts étaient écartés, grands ouverts, prêts à empoigner tout ce qui se dresserait sur son passage.

Leur couleur turquoise accrochait l'œil, et le transperçait vivement.

Elle descendait, descendait sur le cadavre, le long de la volute maléfique...

« Link !... »

Link cligna des yeux.

La main s'était détournée du cadavre, et à présent, semblait avoir détecté sa présence.

Elle le regardait.

« ... Link, sauve-toi ! »

La masse spectrale se rua soudainement sur le jeune homme. Les pieds ancrés dans le sol, il n'eut le temps de réagir quand la main se referma à son bras.

Il crut durant un instant qu'elle voulait le lui arracher.

Les ongles crochus s'enfoncèrent dans sa peau, lui perforant les os, lui broyant les vaisseaux, détruisant tout ce qui se trouvait sous sa manche.

Une lueur verdâtre implosa à ses yeux.

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