𝐗𝐕𝐈 - Les contrées sableuses

Eh, debout !

La voix mit du temps à se frayer un chemin jusqu'aux oreilles de Link.

Elle dut traverser l'épaisse couche de sommeil qui l'avait enveloppé, à l'aube du jour, contre un arbre, sur le rebord du sentier.

Nan, ne me dis pas que tu continues de faire la grasse mat', même durant ton voyage... Allez, debout !

Le jeune homme grogna, soulevant lourdement ses paupières.

Puis se rendit soudain compte de qui était vraiment son interlocuteur.

« Que... Tu... tu es revenu ? » murmura-t-il, stupéfait.

Un peu ! Plus fort, plus beau, plus parfait ! Haha, y'a pas que toi qui fait des voyages, mon p'tit gars !

Link avait le dos raide. L'arbre qu'il avait choisi de manière hasardeuse pour se coucher n'avait pas été très hospitalier avec sa colonne vertébrale.

« Mais... tu étais parti où ?... »

J'ai toujours été là, en vrai, mais je me reposais un peu. Tu sais, tu débites tellement d'âneries que j'ai besoin de m'en reposer, et de m'en immuniser...

« Je suis désolé », murmura soudain Link.

Désolé pourquoi ?

« C'est de ma faute si tu es parti te terrer au fond de je ne sais où. »

En vérité, Link ne se souvenait plus très bien de la raison, mais il se souvenait d'avoir décoché les paroles qu'il ne fallait pas.

C'était si étrange, de réentendre soudain cette voix... Cela faisait combien de temps qu'il ne l'avait pas entendue ?

Mais non, t'inquiète. Je m'en moque. Alors, tes discours ?

« Ils se sont tous très bien déroulés », sourit Link, s'étirant, et réveillant ses muscles encore endoloris.

Héhé, je le savais. Tu as revu ton copain-poisson ?

« Sidon ? Oui. Il va bien. »

L'image du carnet de Mipha fusa dans son esprit à la vitesse d'un coup de poing.

Il ne l'avait même pas ouvert, encore moins feuilleté. Mais où avait-il donc la tête ?

... Mais avait-il réellement le temps de s'adonner à une telle activité ? Il s'était endormi, en dépit de lui-même, et était désormais sans monture...

Pas le choix, il allait devoir en amadouer une autre sur le chemin, ou il ne serait jamais de retour à temps pour le couronnement de Zelda.

Combien restait-il de jour ?

Cette ultime question le hissa sur ses pieds.

Eh bah, heureux pour toi. Et là, tu vas où ?

« Chez les Gerudos. »

Les Gerudos ? Dans la cité privatisée par les femmes ?

« Justement non, nous avons organisé le discours avec Riju, au Bazar Assek. »

Il marqua une pause, réfléchissant quelques instants.

« Tu connais le Bazar Assek ? »

Oui oui, pas de souci, je vois où c'est. Dommage, ç'aurait été marrant si on aurait pu rentrer...

Link eut un petit rire amusé.

« Je l'ai déjà fait, une fois. »

Sérieusement ?... Bah oui, ça paraît logique, en effet. Et c'était comment ?

« Très... féminin, disons. Mais je n'étais pas là pour ça. »

Menteur !

Link leva les yeux au ciel, amusé.

« J'ai déjà eu cette conversation avec Zelda», se souvint-il.

Eh bah tu m'étonnes. Elle doit douter de ta fidélité, désormais. Elle fait quoi, elle va bien ?

« Je ne l'ai pas revue. »

Link déboucha sa gourde, et fit couler un long filer d'eau le long de son palais.

Ah bah oui, je suis bête. Bon ! Désert, en avant toute !

À ces mots, le garçon referma sa gourde, la remit prestement dans son sac, et, heureux d'avoir retrouvé un compagnon de voyage, s'engagea sur le sentier.

△▲△

Il restait donc quatre jours.

Un peu moins désormais. Disons trois jours et demi.

Le voyage n'avait pas été si long que cela, finalement.

Quoi qu'il en était, il avait une journée pour aller au Désert, dormir, et le lendemain il affronterait le long et ardu trajet jusqu'au village des Piafs, qui était semé de ravins et d'épuisantes collines.

Beau programme ! Tu dois avoir un sacré paquet de muscles pour endurer tout ça. Je suis sérieux ! Moi, par exemple, je n'aurai tenu que trois jours ! Au fait, elle est partie où, ta jument des îles ?

« Partie. Juste partie. »

Elle a fugué ?

« En quelques sortes. »

Tu devrais lui remonter les bretelles.

« Un peu compliqué, vu qu'elle n'est plus là. »

Pas faux. Toujours aussi perspicace, je reconnais bien Li-Link. Mais qu'est-ce qui s'est passé ?

Link se remémora les images de la veille.

Il revoyait l'ardent regard de l'étalon se poser sur lui, et ressentait encore toute la haine que lui avait témoigné sa jument par la suite...

« Quand je suis allé au Domaine Zora, expliqua-t-il, j'ai du laisser ma jument seule. Il n'y avait pas de relai. Elle s'est trouvé un nouvel ami, et... disons qu'elle aurait préféré rester avec lui. »

Quoi, juste à cause de ça ? Pff, qu'est-ce que les filles peuvent être susceptibles... Et fleur bleue... à l'eau de rose, et tout...

« En vérité, elle était aussi fatiguée, je pense. Je l'ai un peu poussée à bout. »

N'empêche. Et Zelda, toi, tu la considères comment ?

Link étouffa un petit rire.

Autour de lui, de grandes montagnes droites, typiques du Sud-Ouest, commençaient à s'élever, tout comme la température. Sous ses pieds, l'herbe se faisait de plus en plus sèche.

Tu ne m'as pas répondu.

« De quoi ? »

Je me répète : toi, tu la considères comment, Zelda ? Avec quels traits de caractère ?

« Drôle de question. »

Je veux savoir ! De mon temps, elle était casse-pied comme pas possible. Je te jure ! Ses colères faisaient souvent la une des journaux !

« C'est vrai ? À ce point ? »

À l'aide du peu de photos restant dans la tablette Sheikah, Link avait compris que la Zelda d'il y a cent ans avait un caractère de cochon.

Aujourd'hui, parfois, le jeune homme en décèle une once dans quelques uns de ses gestes, dans quelques unes de ses actions.

Tu n'as toujours pas répondu !

« Mais tu veux que je te réponde quoi ? Je cherche un cheval, pour l'instant, mais je crois que c'est fichu, c'est rare qu'il y ait des troupeaux chez les Gerudos. »

Pas faux. Mais ça ne t'empêche pas de me répondre, mon p'tit gars. Allez, tu peux tout me dire, je suis un homme compréhensif, et moi aussi, j'ai vécu deux trois trucs !

« Bah raconte-moi, toi, plutôt ! »

Nah, pas trop trop envie.

« C'est pareil pour moi, alors. »

... Bien joué, p'tit gars, mais t'inquiète pas que je reviendrai à la charge.

Cette déclaration lui fit froid dans le dos.

Link savait de quoi l'esprit était capable, et ce qu'il pouvait déclencher dans son propre intérieur.

Mais comment pouvait-il se méfier de ce genre de personne l'interpellant Li-Link ?

Cet esprit était décidément un mystère à part entière.

Link leva le nez au ciel.

De par la position du soleil, il devina rapidement qu'il était midi.

Et dire qu'il avait été dit qu'il arriverait d'ici la fin d'après-midi...

À ce rythme-là, il toucherait le Bazar Assek à minuit, si ce n'était plus.

Il fallait trouver un relai, et peut-être lui prêterait-on un cheval...

Oui, d'après ses souvenirs, il y en avait un, non loin d'ici...

On rêvasse ?

« On réfléchit. »

Ah, c'est bien parfois. Mais c'est un coup à attraper une migraine, donc fais gaffe. Dis-moi, tu ne comptes pas rester comme ça ?

« Comme ça quoi ? »

Mais enfin, Link ! Ça fait depuis le début du voyage que tu portes la même tunique ! Et puis, dans ce genre de contrées, il vaudrait mieux la troquer pour une autre...

« Ne t'inquiète pas, j'ai tout prévu. »

Pour une fois.

Il avait, en effet, embarqué avec lui l'une des tenues qu'il avait acquise durant l'un de ses nombreux voyages à la Cité Gerudo.

La légèreté du tissu et son ample largueur lui donnait un soupçon de fraîcheur, sans se sentir totalement nu non plus.

Les Gerudos étaient plutôt fortes pour jouer avec le fil et l'aiguille.

Incroyable, j'ai hâte de voir ça. Par contre, tu me feras le plaisir de laver ta tunique à la prochaine rivière, quitte à perdre quelques heures.

« Pardon ? Mais je... »

Rah non, ne fais pas le dégoûtant ! Tu veux écœurer le monde avec ton odeur ? Et puis, même pour moi, ça va finir par ne pas être très agréable !

« Je ne sens vraiment pas bon ? »

Pour le moment, ça va, c'est normal. Mais je sais qu'après un passage au soleil, tu vas puer le rat mort ! Un peu d'hygiène, zut !

« Hum... Tu as raison, je pense. »

Héhé, j'ai toujours raison. Hé, c'était quand, la dernière fois que tu m'as dit que j'avais raison ?

△▲△

Après de longues heures de marche, durant lesquelles il n'avait fait que regarder avec inquiétude le Soleil glisser lentement mais sûrement d'un bout à l'autre du ciel, Link tomba enfin sur ce fameux relai.

La joyeuse ambiance solidaire le happa immédiatement. Des clients se reposaient des fortes chaleurs, d'autres consultaient des plans des environs, et les gérants et serveurs se déplaçaient çà et là, vaquant à leurs occupations, questionnant les voyageurs sur leurs besoins, répondant à leurs questions brûlantes.

Link découvrit avec soulagement le petit paddock, mitoyen avec le relai, où quelques montures somnolaient debout, les yeux fermés.

Il espéra qu'au moins l'un d'entre eux serait sa future voiture, car lui-même se sentait à plat.

Il s'approcha doucement du comptoir, où lisait tranquillement l'un des propriétaires du relai.

« Bonjour, fit-il. J'aimerais... »

L'homme releva mollement la tête de sa revue.

Lui non plus, visiblement, ne tenait pas réellement la chaleur.

« 'onjour, marmonna-t-il, avalant la moitié de ses consonnes. Vous voulez ?

— Un cheval. Puis-je vous en louer ?

Hum-hum, bien sûr. Une préférence ?

— Non. »

L'aubergiste fixa Link quelques instants d'un air vide, puis déposa avec une lenteur maladive son journal, avant de se pencher sous son comptoir.

Il sortit alors un lourd grimoire, aux pages cornées et hérissées, redondantes de petits papiers volants.

« ...À quel nom ? bougonna-t-il. À moins que... vous soyez nouveau ?

— Link.

Link. Avec un i, comme ignifus ?

— Oui. »

Des bribes de souvenirs remontèrent à sa mémoire, sa course-poursuite avec un renard ignifus. Il sourit, content de s'être tout de même bien débrouillé ce jour-là. Car de toute sa vie, il avait toujours précautionneusement évité les terres volcaniques.

Mais l'humanité obligeait à conquérir n'importe quel territoire, peu importait leur température...

« Link, réitéra l'aubergiste. C'est bon, je vous ai trouvé. Mais vous avez déjà une jument à votre nom, vous savez. Icquiria. »

Link referma la bouche, qu'il avait entrouverte afin de lui répondre.

Icquiria ? Quel était ce nom ?

« C'est pas vous ? questionna l'aubergiste, de plus en plus las. On s'est trompé ?

— ... Non, j'ai bien une jument, fit Link. Mais je ne me souvenais pas de ce nom-là.

— Pour enregistrer une monture dans un relai, il faut déposer un nom, obligé. Vous ne vous en souvenez peut-être pas. Mais ça devait être galère, alors, pour la rappeler, si vous ne connaissiez pas son nom. »

En effet. S'il avait su qu'Icquiria était la formule magique, il l'aurait utilisée tout de suite, et retrouvé sa jument.

Icquiria.

C'était mignon. Mais beaucoup trop étrange de l'associer à son ancienne monture.

« Bon alors, vous voulez Icquiria ? insista l'aubergiste, qui commençait visiblement à en avoir ras-le-bol.

— Je l'ai perdue.

— Perdue ? Y'a pas de « perdue » avec nous. Si vous voulez votre jument, on vous la donnera. Sous un petit délai peut-être, mais on la retrouvera, ça, vous en faites pas. »

Ainsi donc, il pourrait retrouver sa jument ?

Link réfléchit quelques instants.
Puis secoua la tête.

« Non. Je vais en louer un. »

L'aubergiste fronça les sourcils.

« Ah ouais ? Sûr ?

— Sûr.

— Ça vous fera un peu plus cher, pour le coup.

— Ce n'est pas grave, et ce n'est pas pour vous déplaire, n'est-ce pas ? »

Enfin, une ébauche de sourire se dessina sur le visage du tavernier.

Il cocha rapidement quelque chose dans son grimoire de clients, et le referma.

« Bon. On vous amène ça dans cinq secondes. »

Car Link ne voulait plus enfermer sa jument dans son nom.

Il voulait qu'elle retrouve l'état sauvage, l'état dans lequel il aurait été à cet instant précis s'il n'avait pas rencontré le père de Zelda, le ramenant à ses devoirs d'Hylien.

△▲△

Waw ! Mais quel beau gosse, regardez-le !

Link rougit, terminant de nouer ses cheveux en une haute queue-de-cheval, lui dégageant la nuque.

Il ne pouvait répondre à l'esprit ; il était encore au relai, et les clients allaient et venaient. Il ne pouvait se permettre de commencer à parler tout seul.

Néanmoins, ils devaient le trouver légèrement stupide, de rougir tout seul.

Mais sérieusement, pourquoi tu ne portes pas cette tenue tous les jours ? Elle est par-faite ! Tu ferais tellement d'heureuses, je te jure !

Link sentait ses oreilles cramer. Il décida de terminer de nouer son fourreau dehors, et quitta le relai en vitesse.

Dehors, l'aubergiste l'attendait déjà, la main cramponnée aux rênes de la monture.

« Ah, vous voici ! s'exclama-t-il. Ouh là, vous avez chaud ? »

La gorge nouée de honte, Link hocha la tête, sentant sa peau se colorer davantage.

« Ah ouais, parce que vous êtes tout rouge, releva l'homme. Faites attention, le soleil tape, par-ici. On vend des crèmes, si vous le souhaitez.

— J'ai ce qu'il faut, finit par articuler le garçon.

— D'accord. Je vous présente Tourniquet. Un cheval très docile, vous verrez, pas le genre à prendre la fuite. En revanche, il est très gourmand, et il est possible qu'il ralentisse si son ventre n'est pas rempli. »

Link hocha la tête, tandis que l'aubergiste continuait de donner des renseignements.

« Bon, je ne vous apprends rien si je vous dis que les chevaux ne vont pas dans le désert lui-même. Là-bas, vous pourrez troquer votre monture pour un morse des sables. Mais il faut être équipé d'un bouclier adéquat. Mais je ne pense pas que ce soit ce qu'il vous manque, n'est-ce pas ?»

Il donna une petite tape sur le flanc de Tourniquet, qui se tourna vers Link.

Link fut surpris du regard qu'il lui portait.

L'ami étalon d'Icquiria —oh, que ce nom était étrange !— avait un regard... beaucoup plus vivant que celui-ci. Des prunelles plus expressives. Ici, il avait l'impression de plonger le regard dans un puits au fond bien rapide, et sans intérêt majeur.

Link se dit qu'il ne devait plus être à son premier cavalier, et que ça ne serait pas la dernière fois qu'il dévisagerait un inconnu s'apprêtant à le monter pour une petite somme de rubis.

« Bon, je vous laisse, déclara l'aubergiste. Allez, bon voyage ! »

Il était temps d'embarquer dans le tourniquet.

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