Escapade Nocturne
Pleins de mini-Elio me regardent. Feuilles de papier après feuilles de papier, il m'obsède.
Elio, Elio, Elio, Elio.
J'ai beau tourner et retourner la situation dans ma tête, je n'explique pas ce petit tiraillement dans mon ventre. Comme une pièce de puzzle qui aurait trouvé une place. Quelque chose qui comble, pas beaucoup mais un peu, ce grand gouffre de tristesse. Mais même si j'ai besoin de me reconstruire, je ne peux m'empêcher de me sentir coupable. Coupable de ce sentiment de...joie ? Bonheur ? Il est pourtant infime, minuscule mais il gonfle. Parce qu'Elio me ramène à la vie. Il m'empêche de dériver, comme une pauvre goélette dans l'océan, sans amarre, cassée. Il m'empêche d'avoir peur.
Et puis, j'ai le droit de vivre. De me refaçonner des repères bien à moi. Alors ce petit sentiment de culpabilité, je le tais. Je le cache pour que la vérité ne m'expose pas au visage. La Mort.
Parce que, qu'est ce que la mort, en fin de compte ?
Mort, nf, mortis :
perte définitive par une entité vivante des propriétés caractéristiques de la vie.
En soi, elle n'est pas triste. Elle fait partie de la vie. C'est le manque qui est dur. Tu sais que les moments passés ne reviendront plus. Tu sais que les souvenirs que tu as te hanteront parce que tu ne pourras plus les évoquer sans ressentir de douleur.
Sauf qu'à un moment donné, il faut faire le deuil. La vérité, je l'accepte. Je la digère comme un clou. Difficilement. Je m'habitue. À leur absence.
Soudain, un poc! à la fenêtre. J'ouvre le carreau, curieuse de trouver l'origine du bruit. Le soleil est avalé par les nuages, le croissant de lune commence à se découper comme une ombre chinoise dans le ciel. Et là, en bas, qui me fixe : Elio.
Il est embarrassé, ses joues s'empourprent d'un jolie rose. Je lui lance un regard interrogateur.
- J'ai enfin trouvé ta fenêtre ! Euh...la porte d'entrée était fermée, je me suis permis de jeter quelque cailloux et...enfin j'espère que tu ne m'en veux pas pour enfin...les cailloux, tous ça. J'aimerais t'emmener quelque part, ce soir...tu accepterais ? Ce ne sera pas long...c'est...enfin, une sortie, euh, en plein air, en quelque sorte.
Une invitation ?
Je suis tentée d'accepter. Puis, en flash, le visage de la jeune fille blonde me revient. Belle, piquante, étincelante. Elle fait penser à du pointu. Une lame. Une ronce. Un air de dire : tu ne le touche pas, il est à moi...
Elle est belle. Atrocement belle. La petite voix revient. Tu as ta vie, il a la sienne et c'est très bien comme ça. Il n'y a pas de place pour toi, Mao. Arrête de te faire des films !
Alors je me vois secouer lentement la tête.
Je
Regret
Me
Regret
Vois
Regret
Refermer la fenêtre avec l'impression d'étouffer. D'être coincée dans un corps qui n'est pas le mien. Dans un cocon de cristal. Je vis dans un film de mauvaise qualité où le réalisateur aime les tragédies. Il préfère les larmes aux idylles nocturnes. Pourtant, aujourd'hui il est de bonne humeur. Il planifie une réunion avec les respectivement dénommés "Neurones de l'hémisphère droit" et "Neurones de l'hémisphère gauche". Ok les gars. On en est à un point culminant où la vie de Mao part en live. Je vous propose un changement de plan : on la fait sortir de ce cauchemar éveillé. Des idées ? Une main se tend dans la foule. On pourrait se remettre à dessiner des visages ? Le réalisateur se tourne vers la main qui émerge. Comment c'est, ton nom à toi déjà ? La "Mélancolie". Tout le monde se met à parler en même temps. Il est maintenant question de prendre de la drogue, passer un doctorat en histoire, devenir égyptologue, dresser des lézards et apprendre le dictionnaire. C'est au bout de 27 secondes d'un joyeux désordre que "Passion" et "Allégresse" ont leur mot à dire. Elles montent sur l'estrade et énoncent ce qu'aucun n'osait dire à voix haute. Il faut revoir le garçon. Le réalisateur hoche la tête. Il rassemble "Confiance en soi"et "Assurance" en renfort.
31 secondes se sont écoulées. Elio s'éloigne de la masure.
Je me lève en sachant pour la première fois depuis longtemps ce que je fais. J'ouvre mon armoire et y débusque une robe. Elle est trop petite, blanche. Une robe de fillette. Des petites lettres noires y sont brodées. Je la passe très vite. Je suis une tornade. La tornade brosse vite ses cheveux de tornade. La tornade lace ses petites bottines de tornade. La tornade descend les escaliers et passe la porte d'entrée. La tornade rattrape presque Elio. Puis elle s'arrête. Parce qu'elle a peur. Le garçon ne l'a pas vu. Elle hésite, fait presque demi-tour. Allez Mao, GO ! Et puis la tornade décide de chambouler un peu le monde. La tornade décide qu'aujourd'hui, c'est elle qui fixe les règles.
Je ne m'arrête que lorsque je suis devant lui. Un énorme sourire vient lui fendre le visage. Rouge de chaud, je souris aussi. Cela provoque comme un déclic chez moi : j'aime lui sourire. Elio approche alors doucement ses doigts, comme s'il avait peur de m'effrayer, comme s'il demandait la permission. Il éteint le feu de mes jours de sa main fraîche. Un frisson me parcourt.
- Tu es brûlante.
Je ferme les yeux.
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