Partie Unique

Now, Changbin

On dit que les gens qui se suicident sont lâches, c'est aussi ce que je croyais jusqu'à ce que je comprenne l'inverse. Ils sont courageux. Il était courageux.


Un sourire se dessina sur le visage du jeune homme. Ce genre de rictus plein d'ironie. Ce genre de sourire qui quelques secondes plus tard se transforme en pleurs. Quelqu'un passant devant lui n'aurait pas pu savoir si c'étaient ses larmes ou la pluie qui ruisselaient sur son visage. Elle tombait tellement fortement sur le sol que ses gémissements plaintifs disparaissaient à peine sortis de sa bouche déformée par la douleur. Le vide se dessinait devant Changbin. Il était debout sur la barrière de ce pont, en dessous juste une masse d'eau s'étalant à l'infini. Pourquoi souriait-il ? Pourquoi pleurait-il ? Car il était ridicule. L'envie de mourir était si forte. Il voulait le rejoindre, car sans lui il n'était rien. Mais oui, la mort en face, à deux doigts d'être atteinte, Changbin restait pétrifié. Il en était incapable. Il n'était qu'un incapable. Pas fichu d'avoir sauvé son meilleur ami. Pas fichu de se donner la mort pour le rejoindre.


Then, Jisung

La douleur était parfois si forte que j'avais l'impression d'imploser. Non pas que j'avais envie de mourir, je voulais juste que cela s'arrête.


Jisung n'avait pas toujours été aussi mal dans sa vie. Bien sûr, l'anxiété était presque toujours présente. Elle avait commencé à le suivre au collège, le moment où le jugement est maître. Il fallait se démarquer, être plus sans être trop. Avoir des habits à la mode, ne plus jouer, ne plus rêver, mais avoir quand même de l'ambition, mais ne pas non plus être trop intello ni nerd. Les enfants étaient cruels entre eux, les adolescents encore plus. Le corps et l'esprit de Jisung se rappelaient encore de tous les maux et mots qu'on lui avait balancés, tous les coups qu'il avait reçus. Ils sont restés gravés dans sa peau à l'encre indélébile. À partir de ce moment-là, elle ne l'avait plus quitté, lui chuchotant des mots doux à l'oreille tels que :

« Ils ne sont pas réellement tes amis »

« Ils se servent de toi »

« Tu es pitoyable »

« Tu n'es pas assez »

« Tu es trop »

« Personne ne t'aimera jamais »

Les remarques de son père a la maison n'améliorèrent rien en sa confiance en lui, déjà qu'elle était maigre et craquelée de toute part. Il lui faisait honte. Chaque note était une nouvelle déception. Pourquoi n'était-il pas aussi intelligent que son frère ? Aussi beau que lui ? Aussi talentueux ? Aussi fort ? Aussi drôle ? Aussi tout....

Pourtant, il y avait cru. Jisung avait pensé s'en sortir, convaincant ses parents d'intégrer une école d'art, l'École avec un grand E. Celle qui l'avait toujours fait rêvé, celle où il pourrait être enfin celui qu'il voudrait. Son père en attendait beaucoup de lui. Il n'avait pas intérêt à le décevoir. D'autant plus qu'ils étaient garants de son prêt étudiant. Jisung leur était redevable. Là-bas, pour la première fois de sa vie, il s'était fait de vrais amis, une grosse bande de sept garçons. Là-bas, il avait rencontré Changbin. Là-bas, il avait rencontré Chan.

Il avait commencé à expérimenter des choses positives. Ses premières soirées, son premier baiser, son premier amour, ses premières sorties, ses premières vacances entre potes, ses premiers concerts autant en tant que spectateur que rappeur. Néanmoins, l'anxiété n'était jamais trop loin, surtout lors des rendus. Les profs n'arrêtaient pas de le rabaisser, lui demandant avec son talent d'être au minimum premier. Il n'était à nouveau pas assez. Ses échecs s'enchainaient, pourtant, il se relevait. Mais il était aussi trop, trop bruyant, trop influencé par certains artistes, trop émotif, trop...

Alors, une nouvelle amie était venue tenir compagnie à l'anxiété : la dépression.

Ce moment-là où il bascula, où même l'amitié, même l'amour, même la famille ne lui apportait plus rien. C'était venu petit à petit sans qu'il ne se méfie, sans qu'il ne s'en rende compte. Jisung a commencé à ne plus avoir envie. De sortir, de faire ses devoirs, de faire le ménage, d'aller en courses, d'aller en cours, de jouer, de chanter, de rapper, d'écrire, de manger, de se lever.

Bien sûr, Chan et ses amis étaient venus le voir. Ils avaient essayé de le faire sortir. Ils pensaient avoir réussi. Jisung allait mieux. Oui, c'était vrai. C'est ce qu'ils se répétaient tous. Il mangeait à nouveau. Il se levait et allait se promener au parc d'à côté. Il avait même repris l'écriture. Il ne venait toujours pas en cours et commandait toujours à manger. Alors Minho et Felix se relayaient pour préparer de bons petits plats pour le jeune homme. Chan l'appelait tous les soirs à la même heure. Il venait souvent le voir aussi, ramenant Changbin avec lui, pour qu'ils continuent de travailler sur leurs textes, pour penser à l'avenir du groupe, mais surtout pour Jisung aille mieux.

Changbin était celui le plus affecté de l'état du roux. Il avait tout de suite ressenti une connexion folle en rencontrant Jisung. Il s'était vite attaché et l'avait considéré comme son meilleur ami, le frère qu'il n'avait jamais eu.


Now, Changbin

D'autres disent que les personnes se donnant la mort sont égoïstes. Mais connaissent-elles une seule seconde la vie de ces personnes ? Et si ce seul jour où elles s'étaient suicidées, ces personnes avaient pour la première fois de leur vie penser à eux ?


« - Descends Changbin, supplia la voix complètement craquelée de Chan.

Le noiraud eut un hoquet de surprise et faillit tomber à la renverse. Le brun de peur courra jusqu'au rappeur et l'attrapa par la manche de son sweat.

- Descends, s'il te plait. Ne me laisse pas. Ne va pas le rejoindre.

Changbin se laissa tomber à terre aux côtés de l'Australien. Ses pleurs qui avaient enfin cessé quelques minutes auparavant reprirent tels des torrents après qu'un barrage ait cédé. Changbin ne voulait pas mourir. Non, il ne l'avait jamais voulu. Il s'en rendit réellement compte dans les bras chauds et réconfortants de Chan.

- Je suis désolé. Je suis désolé Chan. Je suis si désolé...

- Moi aussi... confia tristement le brun.

Il resserra sa prise autour du rappeur, comme s'il allait s'envoler. Il avait vraiment eu peur de le perdre aussi.

- Je suis désolé de ne pas l'avoir sauvé. »


Then, Jisung

Je m'en veux tellement. Mais c'est la seule solution. Cela me fait chier de l'admettre, mais c'est bien la seule.


Certaines personnes auraient déterminé que la vie de Jisung n'était pas si horrible que cela. Mais qui étaient-ils pour en juger ? Vivaient-ils sa vie à sa place ? Étaient-ils pareil que Jisung ? Avaient-ils le même vécu, le même contexte, le même cerveau ? Non. Bien évidemment que non.

Alors quand Jisung s'était retrouvé en face de ce mur invisible, bien réel pour lui, il n'a pas hésité à se jeter dans le vide. Pour la première fois il ne se demanderait pas ce que les gens en penseraient, il ne se sentiraient plus coupable, ni trop ou pas assez. Il n'y aurait plus de dette, plus de devoir, plus d'obligations. Il serait juste libre. De toute façon, les pensées avaient quitté son esprit. La seule chose qui l'occupait était cette petite voix, qui au lieu de l'assaillir lui répétait juste d'une voix douce :

« - Saute. »

Il voulait juste que cela s'arrête, que la souffrance cesse, cette pression dans sa poitrine, cette brûlure dans la gorge, ses tremblements, sa voix troublée par les larmes et les points noirs apparaissant sur ses yeux. Il voulait juste que le poids sur ses épaules s'envole.

C'est ce qu'il fit, quand Jisung se jeta dans le vide.

Ce jour-là, comme tous les jours depuis ces derniers mois, Chan appela. Sauf que Jisung ne répondit pas. Et Chan sut. Il sut qu'il s'était trompé, qu'ils s'étaient tous trompés.


Now, Chan

Je pense à plein de choses. Je pense trop à toi, à ce que tu aurais dit, ce que tu aurais fait. Es-tu réellement mieux là-haut ? Je l'espère. Tu me manques mon frère.


Chan serra fort Changbin contre sa poitrine. La pluie avait cessé. Ils étaient frigorifiés, trempés et allaient sûrement tomber malades. D'habitude, il se serait inquiété, aurait vite emmené son ami chez lui, lui aurait fait couler un bain et prêté des vêtements de rechange. Sauf que Chan avait lui aussi besoin de craquer.

Ils étaient tous détruits par la mort de Jisung. Mais Changbin lui était complètement dévasté, il avait perdu son frère.


« - Il était si courageux...

- Hum, confirma l'Australien. Très.

- Je n'ai pas pu Chan. Je te jure que j'allais pas sauter. Je ne voulais pas mourir. Je ne veux pas mourir, paniqua Changbin.

- Chuuut. Je te crois.

    Il caressa les cheveux du noiraud avec douceur et amour.

- Peut-être qu'il aurait pu être heureux, mais peut-être que vivre sur cette Terre tel un alien aurait fini par le rendre fou. Peut-être que l'arrêter n'aurait fait que retarder l'échéance...

- Je lui en voulais tellement. Mais le pire c'est que j'arrive plus à être en colère contre lui. Pire, je crois que je le comprends.

    Les dents de Changbin claquaient. Il tremblait toujours autant dans les bras chauds de Chan.

- Moi aussi. » confia le brun.


Later, Changbin

Ce matin, main dans la main, Changbin et Chan partir jusqu'au pont chargé d'un bouquet de fleurs et d'une bougie. L'âme légère, ils allaient dire bonjour à leur ami, lui raconter les dernières nouvelles. Comment Seungmin avait été diplômé du barreau, comment la chaîne de streaming de Jeongin marchait bien, comment Minho, Felix et Hyunjin avaient ouvert leur studio de danse à son nom. Là-bas, ils y faisaient des représentations de rap et de chant en plus, pour les plus démunis, pour ceux qui veulent rêver, pour ceux qui souffrent. Ils voulaient aussi lui dire que l'association qu'ils avaient montée tous les sept marchait à merveille et que grâce à lui, ils avaient sauvé de nombreuses jeunes personnes de cette souffrance qui parfois n'est arrêtable qu'en se donnant la mort.

Ce matin, l'amour et la fierté que portait le couple triomphèrent.


Un jour, on se lève et on comprend. Au lieu de fuir le mot tant redouté, on le dit tout haut, tout fort : Il s'est suicidé. Mon ami est mort. Un jour, on est fier de lui, on raconte à ceux qui veulent bien écouter sa vraie histoire, qui il était vraiment, qu'Han Jisung était quelqu'un de courageux.

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