XXXVII - Océane
Paris - Décembre 2021
Plusieurs jours sont passés depuis le repas chez Mathieu. On parle beaucoup par message et j'aime comment notre relation avance. Petit à petit, on s'ouvre l'un à l'autre et je tombe amoureuse de lui jour après jour.
Après notre discussion bouleversante dans sa chambre, nous sommes restés un moment silencieux avant qu'il ne s'allume une cigarette sous mes yeux. Il m'en a proposé une et nous avons fumé côte à côte, nous regardant dans les yeux et savourant le silence.
Ce matin, j'ai une réunion avec Fanny pour discuter des ébauches de la couverture de mon nouveau roman. Mais je n'arrive pas à me concentrer sur les dernières modifications à apporter au manuscrit. Un stress permanent m'étreint à l'idée de ne pas être à la hauteur cette fois-ci.
Et si mon livre n'avait pas le même succès que le précédent ? Si les lecteurs étaient déçus ? Des dizaines de questions de ce style se bousculent dans ma tête, semant le doute et l'angoisse.
Mathieu n'est toujours pas au courant pour mon livre. J'aimerais lui parler de la tension que cela engendre pour moi mais je n'ose pas lui avouer cette partie de moi. Pas encore...
Et s'il me jugeait parce que j'ai écris un livre sur lui sans même le connaître ?
Je sors de la maison d'édition, mon épais manteau en laine enroulé autour de moi pour me protéger du froid mordant de décembre. Les rues sont déjà décorées pour Noël. Des guirlandes lumineuses courent le long des façades haussmanniennes et l'air est saturé d'odeurs de pain d'épices et de vin chaud provenant des petits chalets en bois installés pour le marché de Noël.
Resserrant les pans de mon manteau autour de moi, j'enroule mon écharpe en laine pour en couvrir mon nez rougi par le froid. Mes pas me mènent dans le quartier animé du Marais où je compte passer le reste de ma journée à travailler.
Je pousse la porte d'un café chaleureux où j'ai pris l'habitude de venir écrire. L'odeur de café fraîchement moulu et de viennoiseries tout juste sorties du four m'accueille, m'arrachant un soupir de bien-être.
Après avoir commandé un chocolat chaud, je m'installe à une table près de la fenêtre. D'ici, j'ai une vue imprenable sur la rue illuminée et sur les passants qui profitent de la magie de Noël.
Cela fait des années que je n'ai pas fêté Noël et ça me manque atrocement.
Secouant la tête, je rouvre mon document de travail en soupirant. Les mots semblent toujours se moquer de moi. Découragée, je fais défiler les chapitres déjà écrits à la recherche d'une inspiration qui me fuit.
Finalement, je décide de contacter mes bêtas-lectrices. Elles sauront me remettre sur la bonne voie avec leurs précieux conseils avisés. D'un geste rapide, je rédige un mail groupé en joignant les derniers chapitres en pièce jointe.
Quelques heures plus tard, j'ai légèrement avancé quand les premières réponses arrivent dans ma boîte mail. Je m'empresse de lire leurs commentaires et leurs suggestions.
J'avance encore pendant quelques heures avant de rentrer chez moi, exténuée mais contente de moi. J'ai réussi à écrire plusieurs chapitres constructifs dans l'après-midi.
J'envoie un message à Margot et Thaïs pour leur demander des nouvelles tout en enlevant mes chaussures. Puis je traverse le salon, attrapant au passage un gros plaid moelleux. Je sors sur le petit balcon, savourant la morsure vivifiante de l'air glacial sur mon visage.
Malgré les températures hivernales, j'adore me poser un moment ici le soir à regarder les lumières de la ville scintiller dans l'obscurité. La neige n'est pas encore tombée à Paris mais si j'en crois les prévisions météo, elle devrait arriver dans la semaine.
Alors que j'allais rentrer pour me mettre à cuisiner, un message de Mathieu me coupe dans mon élan.
De Mathieu
Salut l'écrivaine, je peux passer chez toi ce soir ?
Ou t occupée ?
Pendant de longues secondes, je reste figée, relisant encore et encore son message.
A Mathieu
Oui pas de soucis, passe quand tu veux je viens de rentrer
Je vois les trois petits points apparaître aussitôt.
De Mathieu
Nickel
Tu veux que je marrete pour prendre un truc a graille
A Mathieu
Nan t'embête pas, j'allais me faire à manger
De Mathieu
Oh et t'allai faire quoi
A Mathieu
Surprise...
De Mathieu
jsuis trop hype la
jme depeche
A Mathieu
Fais attention à toi quand même !
De Mathieu
Oui madame
Arghhh. S'il me redis encore une fois madame je vais fondre et tout lui avouer à propos du livre, tant pis pour les conséquences.
D'un pas vif, je rentre à l'intérieur et referme la baie vitrée derrière moi. Je fonce dans ma chambre et j'enlève mon jean avant d'enfiler un jogging noir. Le chauffage est tiré à fond dans l'immeuble en hiver alors j'enfile un simple débardeur de la même couleur pour ne pas mourir de chaud.
Ensuite, je retourne dans la cuisine et ouvre mes placards pour voir ce que je vais préparer ce soir. Après une brève réflexion, je sors tous les ingrédients nécessaires pour un butter chicken et les dépose sur le plan de travail.
Tout en faisant revenir les oignons émincés dans une généreuse noix de beurre, mon téléphone vibre sur le plan de travail. Un nouveau message de Mathieu s'affiche à l'écran.
De Mathieu
J'aime pas les brocolis
A Mathieu
Mais tu me prends pour une sorcière ou quoi ?
De Mathieu
Je te préviens c tout
Mais quel bébé ! je marmonne pour moi-même en secouant la tête d'un air mi-amusée, mi- exaspérée. Je suis presque tentée de lui préparer des légumes, juste pour voir sa tête.
J'ajoute les épices, la crème fraîche et le concassé de tomates dans le wok avant de remuer. Un délicieux fumet épicé embaume bientôt l'air, me mettant l'eau à la bouche. Baissant le feu sous la casserole pour laisser mijoter, je coupe le poulet en petit dès et le verse à son tour dans une poêle quand la sonnette retentit et me fait sursauter.
Merde mais il est déja là ?
J'attrape l'interphone pour lui ouvrir la porte d'entrée. De retour dans la cuisine, je surveille la cuisson tout en tentant de me remettre les idées en place.
Est-ce que je dois l'embrasser quand il arrive ? Non, on n'est pas en couple, je ne peux pas faire ça. Mais je ne peux pas non plus lui claquer la bise, on a légèrement dépassé ce stade...
Il sonne une deuxième fois, derrière ma porte cette fois. Mon cœur bat la chamade tandis que j'inspire un bon coup pour me calmer. Eh, déstresse ma vieille, tu passes pas un entretien, c'est juste Mathieu...
Juste Mathieu
Je rigole intérieurement en lui ouvrant la porte. Il apparaît devant moi, plus beau que jamais. Il a mis un jean. Ça n'arrive quasiment jamais... Je m'écarte pour le laisser entrer mais ses yeux me détaillant de haut en bas avant de s'arrêter sur mon décolleté.
— Ils sont plus hauts mes yeux, je lance d'un ton de défi.
Il relève brusquement la tête, un immense sourire aux lèvres puis il avance enfin et je peux refermer la porte derrière lui. Je le frôle au passage et je sens son parfum me monter à la tête.
Il m'embrasse sur la joue, tout près de la commissure des lèvres, me faisant rougir jusqu'à la racine des cheveux.
— Ça sent trop bon, il dit en s'écartant.
Je me demande s'il parle de moi ou de ce qui est en train de cuire...
Je me précipite dans la cuisine, les jambes tremblantes et je m'appuie sur l'îlot central pour retrouver un peu de stabilité. Comment fait-il pour me mettre dans tous ces états, bon sang ?
Je continue la préparation sous le regard attentif du blond à côté de moi. Il m'observe alors que je fais cuire le riz et le poulet.
— Il a l'air bizarre là ton riz, commente-t-il soudain d'un air moqueur.
— Continue et je vais vraiment te faire des brocolis ! je rétorque en levant les yeux au ciel.
— T'oserais pas, dit-il en s'accoudant nonchalamment contre le plan de travail.
— Ne me sous-estime pas, je le préviens d'un air de défi.
— Oh non jamais, j'aurais trop peur que tu me jettes un sort !
— Mais qu'est ce qui t'arrives aujourd'hui, t'as mangé un clown ?
— Et toi, t'as pas mieux comme répartie ? réplique-t-il du tac au tac.
— Je me mets à ton niveau, c'est tout.
Il contourne alors le meuble et vient se placer à quelques centimètres de moi.
— On t'a jamais dit qu'il ne fallait pas être méchante avec les grands blessés.
— Tu me parais bien en forme pourtant, je souffle alors que son torse est si proche de moi que je peux presque le sentir contre ma poitrine.
Pêche déboule dans la pièce et j'en profite pour m'éloigner de lui. Elle vient me réclamer des croquettes et je m'empresse d'ouvrir le placard qui contient sa nourriture avant de la verser dans sa gamelle. Je me relève et j'aperçois son sourire narquois qui m'agace tant.
— Bon... je... je vais mettre la table, je bredouille d'une voix mal assurée.
Il hoche la tête et me regarde faire, conscient de l'effet qu'il me fait.
— Tu veux de l'aide ? propose-t-il.
— Non c'est bon, t'inquiète.
Un silence s'installe pendant que je sors et pose les couverts sur la table d'une main légèrement tremblante. Mathieu me fixe d'un air indéchiffrable, semblant peser le pour et le contre.
— Mamie m'a dit que si tu voulais, tu peux venir fêter Noël avec nous pour pas être toute seule, lâche-t-il finalement.
Je manque de faire tomber les assiettes en entendant ça.
— Je... je ne veux vraiment pas m'imposer, je balbutie, confuse. Ta grand-mère est vraiment très gentille mais je ne fais pas partie de votre famille...
Il me semble entendre un "pas encore" sortir de sa bouche mais je dois rêver.
— Sérieusement Mathieu, c'est très gentil de me proposer ça mais je ne veux pas envahir ta famille. Tu as déjà fait beaucoup pour moi et je n'ai pas envie d'abuser de son hospitalité.
— Réfléchis-y Océane alors, s'il te plait !
— D'accord, je réponds en voyant son air sérieux pour la première fois de la soirée.
Un lourd silence s'abat sur la pièce tandis que je sers le butter chicken dans nos assiettes. Des milliers de questions se bousculent dans mon esprit sans que je n'ose les formuler à voix haute.
Je meurs d'envie de lui demander où nous en sommes tous les deux mais j'ai peur de sa réaction, j'ai peur de le faire fuir et de perdre ces moments avec lui. Je n'ai pas envie de le presser.
Je termine de verser le riz dans les assiettes puis je pousse la sienne vers lui.
— Tu préfères manger ici ou devant la télé ? je lui demande en espérant qu'il choisisse la télé pour ne pas me retrouver en face à face avec lui.
— Vas-y met Netflix.
Ouf. Je prends mon assiette et je vais m'installer confortablement. J'attrape la télécommande et allume la télé.
— Tu veux regarder quoi ?
— Pas un film de Noël, c'est tout ce que je te demande, dit-il en venant s'asseoir à côté de moi.
Dans cette position, son genou frôle ma jambe et je n'arrive pas à me concentrer sur autre chose. Alors je lance la première série qui me passe sous le nez. C'est une série policière que je n'ai encore jamais vue, on verra bien ce que ça donne.
Un petit bruit de plaisir à peine contenu échappe à Mathieu lorsqu'il porte sa première bouchée à ses lèvres.
— Mmm... Putain c'est trop bon !
Un frisson me parcourt l'échine devant ce son terriblement évocateur. Bon sang, il le fait exprès ou quoi ?
Au même moment, je remarque que les personnages principaux sont en train de s'envoyer en l'air dans une scène particulièrement explicite. Merde mais c'est une blague j'espère.
Je vois le blond se tendre à côté de moi. Un lourd silence s'abat sur le salon, seulement troublé par les gémissements indécents qui résonnent dans la pièce.
Je continue de manger, le cœur battant à tout rompre. Heureusement, les images à l'écran changent ce qui me permet de me calmer un peu. Pourquoi est ce que à chaque fois que je suis en sa présence, j'ai l'impression de brûler de l'intérieur ?
— Tu cuisines vraiment trop bien, c'est une dinguerie me dit-il en posant son assise vide sur la table basse.
— Merci, je tiens ça de mon père, il adorait cuisiner.
— Il avait l'air d'être un homme incroyable Océane.
— Oui, il l'était. C'est grâce à lui si j'écris et si je sais faire tout ce que je fais. C'est lui aussi qui m'a appris la photographie et la peinture.
— Parce que tu peins en plus de tout le reste ?
— Oui mais rien de bien sérieux...
— Je pourrais voir ? Ou c'est comme l'écriture, c'est confidentiel ?
— Non, non je te montrerais si tu veux, je lui dit avec un sourire.
Un silence s'installe pendant que je termine mon assiette.
— Tu veux un truc pour le dessert ?
Le regard brûlant qu'il pose sur moi me donne l'impression qu'il aimerait me dévorer tout crue. Une bouffée de chaleur m'envahit tandis que mon rythme cardiaque s'accélère dangereusement.
18h18 c'est l'heure d'un nouveau chapitre.
Bonne lecture !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top