XXXII - Océane
Paris - Novembre 2021
Je suis assise sur une chaise devant la porte de la chambre 205 dans laquelle se trouve Mathieu. Saddam est resté avec moi pour laisser un peu d'intimité à sa famille. Je pose ma tête contre son épaule luttant contre le sommeil.
Lui est hyperactif, il répond aux centaines de messages qu'il reçoit sur son téléphone et qui proviennent de millions d'endroits différents. Entre nos potes qui s'inquiètent réellement et les rumeurs qui circulent déjà sur les réseaux, je ne sais plus où donner de la tête.
Soudain, la porte de la chambre s'ouvre dans un grincement, me faisant sursauter. C'est Françoise qui apparaît la première, le visage défait mais une lueur de détermination au fond du regard. Son fils et Enzo la suivent de près, l'air sombre.
— Les enfants, nous allons rentrer nous reposer un peu, annonce-t-elle d'une voix chevrotante. Mais nous reviendrons demain, dès la première heure.
Le père de Mathieu hoche la tête d'un air las avant de se tourner vers moi, une lueur d'hésitation dans le regard.
— Vous...Vous allez rester avec lui cette nuit ?
J'acquiesce d'un bref signe de tête, n'osant croiser son regard. Il m'intimide beaucoup.
— Merci, nous dit-il. Je ne me suis pas présenté, mais je m'appelle Jérôme, ajoute t-il en se tournant vers moi.
Je lui adresse un faible sourire, le plus sincère possible malgré la situation.
— Je vous tiendrai au courant si son état évolue, leur assure Saddam d'une voix apaisante.
Ils s'éloignent, nous laissant seuls Saddam et moi, face à l'horrible réalité qui nous attend dans la chambre.
Nous prenons une profonde inspiration avant de pousser la porte et de pénétrer à l'intérieur. Un haut-le-cœur me saisit à la vue de Mathieu, allongé sur ce lit d'hôpital.
Son visage est couvert de coupures et son arcade sourcilière gauche est entièrement fendue. Un épais pansement ensanglanté entoure son crâne tandis que son bras est immobilisé dans une attelle. Des tuyaux et des perfusions sont reliés un peu partout sur son corps meurtri.
Un sanglot m'échappe malgré moi tandis que Saddam me serre contre lui, le visage blême. Jamais je n'aurais pu imaginer voir Mathieu dans un état pareil...
On reste un moment comme ça. Silencieux. Je perds la notion du temps, me demandant comment les choses peuvent autant changer en 24 heures.
— Je vais y aller Océ. Tu restes avec lui ?
Je hoche la tête, la gorge trop nouée pour parler.
— Je passe te chercher en début d'après-midi, c'est bon pour toi ?
— Parfait, merci SD, je murmure d'une voix rauque.
Il me fait un baiser tendre sur le front avant de quitter la pièce, me laissant seule avec Mathieu.
À peine la porte s'est-elle refermée que je m'effondre littéralement, mes jambes se dérobant sous mon poids. Je m'effondre sur la chaise, anéantie par la peur de perdre encore quelqu'un.
Les larmes coulent sans discontinuer sur mes joues, formant une mare salée sur l'oreiller. Je pleure jusqu'à ce que mes yeux me brûlent, jusqu'à ce que ma gorge soit si nouée que j'ai l'impression d'étouffer.
La vision de Mathieu dans cet état me hante, telle une malédiction. Lui qui d'ordinaire dégage une telle force et une telle puissance, le voir ainsi m'est tout simplement insupportable.
D'un geste tremblant, je caresse son visage tailladé, suivant du bout des doigts les marques violacées qui zèbrent sa peau. Mes lèvres effleurent son front pâle tandis que je murmure d'une voix brisée :
— Je t'en supplie, réveille toi. J'ai besoin de toi... A un point que tu n'imagines même pas. J'aimerais tellement que tu m'entende, pour que tu saches à quel point tu es important pour moi. Je veux que tu arrête de penser que tu ne vaut rien, c'est pas vrai...
Ma voix se brise dans le silence alors que seul le bip régulier des machines me répond. Alors je me love un peu plus contre lui, enfouissant mon visage dans les plis de sa chemise d'hôpital.
Les sanglots m'étreignent à nouveau avec force tandis que je me raccroche à son corps inerte, comme un naufragé à sa bouée de sauvetage. Parce qu'au fond, je sais que sans Mathieu, je suis condamnée à me noyer...
Alors je reste là, prostrée sur ce lit d'hôpital, à pleurer toutes les larmes de mon corps. Parce que c'est la seule chose qu'il me reste à faire désormais. L'attendre et espérer son retour, peu importe le temps que cela prendra...
[...]
Paris - Décembre 2021
2 semaines. Cela fait deux semaines que Mathieu est dans ce lit d'hôpital, plongé dans un coma dont personne ne peut prédire l'issue. Ses blessures commencent lentement à cicatriser, les hématomes violacés sur son visage disparaissent tandis que les égratignures se referment une à une. Mais lui reste désespérément immobile et inconscient, malgré les soins constants des médecins.
Nous nous relayons jour et nuit à son chevet. Sa grand-mère Françoise est la première arrivée chaque matin, veillant sur lui d'un œil attendri jusqu'à ce que son fils Jérôme vienne la relayer en fin de matinée. Enzo passe après les cours, restant des heures assis en silence à contempler son frère d'un air grave. Les gars passent en fin de soirée avec moi et je reste à son chevet toute la nuit.
Les longues heures de veille s'étirent, ponctuées par le bip lancinant des machines et les allées et venues du personnel soignant. Pour tromper l'ennui et l'angoisse, je continue à avancer sur mon nouveau roman, tapant fébrilement sur mon ordinateur portable.
Les heures défilent lentement tandis que je me plonge dans l'écriture, savourant ces précieux instants où je peux m'évader de la réalité. Même si en ce moment, ce que je fais subir à mes personnages dans mon roman n'est pas agréable. Car j'ai besoin de cet exutoire pour exprimer ma peine.
Je commence à être très fatiguée. Cela fait plusieurs jours que j'enchaîne les nuits blanches et que je dors quelques heures à peine en journée, trop stressée pour arriver à trouver le sommeil. Je vois que les mots commencent à danser devant mes yeux alors je referme mon ordinateur d'un geste las.
Il me faut une dose de caféine, et vite, si je ne veux pas m'endormir sur mon roman. Je jette un dernier regard à Mathieu, toujours aussi immobile sur son lit, avant de quitter la chambre.
Je me dirige vers la machine à café où je me sers un grand gobelet de ce précieux breuvage, bien noir et sans sucre. J'en ai besoin pour tenir le coup cette nuit. Je bois quelques gorgées brûlantes avant de commander un deuxième café. La nuit va être longue...
Alors que je patiente devant la machine, une voix familière dans mon dos me fait sursauter :
— Océane ? C'est bien toi ?
Je me retourne brusquement pour tomber nez à nez avec Lucas. Le monde est vraiment petit...
— Lucas, qu'est-ce que tu fais là ? Je balbutie, prise au dépourvu.
— Je suis venu voir ma mère, elle ne va pas très bien en ce moment...
— Oh je suis vraiment désolée, je lâche, confuse.
Lucas balaye mes excuses d'un geste de la main avant de river son regard sur moi, une lueur d'inquiétude dans les yeux.
— C'est rien. Et toi, qu'est-ce que tu fais là ? On dirait que le ciel vient de te tomber sur la tête ?
Un lourd soupir m'échappe tandis que je baisse les yeux, soudain envahie par la lassitude.
— Je vais peut-être encore perdre quelqu'un...
Sans crier gare, Lucas m'attire contre lui dans une étreinte réconfortante. D'abord surprise, je finis par me laisser aller, savourant la chaleur de son corps contre le mien.
— Et ta femme ? Je marmonne d'une voix étouffée contre son torse.
— Si elle est jalouse parce que je te réconforte, j'irai lui toucher deux mots, réplique-t-il.
On reste un moment comme ça, enlacés au milieu du couloir désert. Finalement, c'est moi qui brise le silence en premier, d'une voix hésitante :
— Et avec Estéban, tout va bien ?
Un sourire tendre étire ses lèvres tandis qu'il hoche la tête d'un air rayonnant.
— Oui, il est hyper content d'enfin connaître son père et c'est pile la relation qu'il manquait dans ma vie. C'est incroyable la force qu'il me donne. Et avec Laura, on apprend à se retrouver, comme avant. Ça faisait longtemps que je n'avais pas été aussi heureux.
— Je suis contente pour toi, je réponds d'une voix sincère.
Cependant, le visage de Lucas s'assombrit soudain, comme s'il venait de se remémorer un mauvais souvenir.
— Mais on s'engueule encore, je ne peux pas oublier le coup qu'elle m'a fait. Et d'ailleurs, elle m'a dit qu'elle avait croisé son ex, celui avec qui elle est restée pendant 3 ans et je t'avoue ça ma pas fait hyper plaisir de voir qu'il avait encore de l'importance pour elle vu l'état dans laquelle ça l'a mis de le voir embrasser une autre.
— J'étais là Lucas. Son ex, c'est PLK. Et c'est pour lui que je suis là aujourd'hui...
— Eh Océane, tu me dis pas tout là, qu'est ce que t'as ?
— Il n'est pas au courant pour le bébé. Mathieu ne sait pas que Laura lui a caché son existence pendant 3 ans... Pendant les années où ils sont restés ensemble, elle lui a caché votre enfant. Elle a fait pareil avec lui et avec toi. Elle ne te mérite pas...
Un lourd silence s'abat sur le couloir tandis que Lucas me dévisage d'un air interdit, comme s'il n'arrivait pas à croire ce que je viens de lui dire. Finalement, c'est d'une voix blanche qu'il reprend la parole :
— Ce n'est pas à toi de décider ce qui est bien pour moi...
— Je suis désolé Lucas
— Tais toi Océane ! m'intime le jeune homme d'un ton sec.
Lucas me lance un dernier regard indéchiffrable avant de tourner les talons d'un pas vif, bien décidé à s'éloigner de moi au plus vite.
Je le regarde s'éloigner d'un air las, soudain épuisée par cette conversation. Finalement, je me dirige vers la chambre de Mathieu, bien décidée à retourner à son chevet.
Cette Laura commence à me casser les reins. Je ne sais pas quoi faire pour réparer ses conneries et je ne sais toujours pas si je dois avouer la vérité à Mathieu...
Quand j'arrive devant la chambre et que je m'apprête à pousser la porte, des éclats de voix me parviennent de l'intérieur.
— Vite, amenez le défibrillateur ! J'entends une voix gronder. On est en train de le perdre !
Mon cœur s'emballe. Sans réfléchir, je me précipite à l'intérieur de la chambre pour découvrir une scène de chaos total. Une demi-douzaine de médecins et d'infirmières s'affairent autour du lit, branchant des machines et préparant du matériel d'urgence à toute vitesse.
Et au milieu de ce bordel, il y a Mathieu, aussi pâle que la mort, secoué de violents spasmes. Son corps s'arque sur le matelas et j'ai mal. Un hurlement d'effroi m'échappe tandis que je me précipite à son chevet, bousculant un médecin au passage.
— Mathieu ! Oh non Mathieu s'il te plait.
Un médecin déclenche une violente décharge électrique sur le corps de Mathieu, le faisant se cambrer d'un coup avant de retomber, immobile.
Le silence le plus total s'abat sur la pièce tandis que tous les regards se tournent vers le médecin qui tient les palettes du défibrillateur à la main.
— On l'a perdu...
Un hurlement déchirant m'échappe tandis que je me précipite sur Mathieu, le serrant contre moi à l'en étouffer. Non, c'est impossible, il ne peut pas être...
Mort...
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