XXXI - Océane
Paris - Novembre 2021
— Il t'as dit quoi le P pour réussir à te faire pleurer comme ça ?
Je renifle bruyamment, essuyant mes larmes d'un revers de manche.
— J'vais m'le faire...
Saddam rigole, soulagé de voir que j'ai retrouvé ma répartie. Je ne peux m'empêcher de le suivre dans son hilarité. C'est fou à quel point il me fait du bien. C'est la première fois de ma vie que je développe une relation amicale avec un mec aussi sincère et je vais tout faire pour qu'on ne la perde jamais.
Alors je lui raconte. Tout.
— Comme tu le sais, Math a passé la soirée avec moi pour pas me laisser seule. Je fais plein de cauchemars la nuit et ça n'a pas manqué quand il était là. Et je saurais pas comment t'expliquer mais sans lui, je crois que j'aurais pu faire une connerie cette fois. La douleur est encore trop intense.
Je m'interromps un instant, la gorge nouée par l'émotion. Saddam pose une main réconfortante sur mon épaule, m'encourageant à poursuivre d'un regard bienveillant.
— Mais il m'a fait du bien, je reprends d'une voix plus assurée. Alors j'ai décidé de suivre mon cœur pour une fois. Après on a passé l'après-midi ensemble dans Paname et j'te jure on aurait dit un vrai couple...
Je le vois sourire.
— Vous avez couché ensemble ? Lâche soudain Saddam.
Je le dévisage d'un air interdit avant d'éclater de rire.
— Cash comme ça ?
— Réponds-moi Océ, insiste-t-il d'un air sérieux.
— Ouais, j'avoue dans un souffle. Mais répète-le surtout pas. Thaïs et Margot sont pas au courant et elles vont me tuer si elles apprennent que je te l'ai dit en premier.
— Il est amoureux !
— Qui ? Math ? Tu déconnes...
— Ok peut-être pas amoureux mais il te kiffe et ça le terrorise. Vraiment. Donc il préfère tout faire foirer maintenant pour pas te faire souffrir plus tard, parce qu'au fond de lui, il pense qu'il ne mérite pas le bonheur.
Je suis abasourdie par son analyse. Finalement, je secoue la tête d'un air navré.
— Pourquoi il est si compliqué ?
— Ça j'sais pas hein, mais il te laisse l'appeler Math alors qu'il déteste ça. Il aime pas non plus les trucs romantiques alors si tu me dis que vous avez mangé une crêpe en face à face avec Notre-Dame, j'ai qu'une chose à dire c'est que t'as réussi à faire craquer le grand Mathieu Pruski !
— J'avais oublié un truc mais pendant qu'il était en train de récupérer nos crêpes, j'ai croisé un de mes ex plans avec sa meuf et leur enfant. Au début tout allait bien puis quand Mathieu est revenu, il restait plus que la meuf. Mon ex et leur fils venaient de rentrer dans une boutique. Et c'est là qu'il m'a appris que c'était Laura...
Ses traits se décomposent tandis qu'il réalise les implications de ce que je viens de lui dire. Un air horrifié se peint sur son visage.
— Putain...Mais il est pas du tout au courant pour ça ?! Merde Océ, tu lui as dit ?
Je secoue la tête d'un air désolé.
— Non pas encore, je voulais t'en parler avant. Mais honnêtement je pense pas lui dire. S'il essaie de tourner la page, ça sert à rien de lui faire du mal. Par le plus grand des hasards, il ne l'a pas vue l'autre jour.
Saddam semble peser le pour et le contre avant d'acquiescer d'un bref signe de tête.
— Putain, ouais en vrai t'as raison. Déjà que j'ai cru qu'il allait se foutre en l'air quand elle l'a quitté, si en plus il apprend qu'elle lui a caché un gosse pendant 4 ans, j'ose même pas imaginer sa réaction.
— Mais comment elle a pu faire ça...
— J'sais pas Océ, je sais pas. Mais elle l'a vraiment brisé, il était pas comme ça avant...
Un lourd silence s'abat sur la pièce, seulement troublé par les rires et les voix qui nous parviennent de la pièce voisine. Finalement, c'est Saddam qui le brise en premier :
— Bon allez, je me remets au boulot, tu veux écouter.
— Carrément !
Il s'installe face à la console de mixage avant de lancer la lecture d'un de ses derniers enregistrements.
Les premières notes de basse de la prod m'assaillent, profondes et mélodieuses. Rapidement, sa voix se greffe par-dessus, éraillée mais terriblement émouvante. Je me laisse porter par la musique, bercée par les paroles qui semblent me parler.
Lorsque le morceau se termine enfin, je ne peux retenir un franc applaudissement tandis qu'un large sourire étire mes lèvres.
— Putain Saddam, c'était juste...incroyable ! T'es le meilleur !
— Tu me dis ça maintenant, mais une fois que t'aura vu Polak en séance dans le studio tu changeras d'avis, c'est lui le boss.
J'allais répondre mais la sonnerie de son téléphone me coupe dans mon élan. Ce dernier fronce les sourcils avant de décrocher.
— Allo...
Je n'entends pas ce qu'on lui raconte à l'autre bout du fil mais je vois l'horreur s'installer petit à petit sur son visage, me faisant paniquer. Une lueur d'effroi se peint sur ses traits tandis qu'il déglutit avec peine.
— Quoi ? Vous êtes sûrs ?... D'accord, d'accord on arrive tout de suite !
Saddam raccroche d'un geste vif avant de se tourner vers moi, le visage blême. Je le dévisage d'un air inquiet, sentant mon cœur s'emballer dans ma poitrine.
— C'était l'hôpital...Mathieu a eu un grave accident de voiture. Il est dans le coma, faut qu'on y aille vite !
Je sens mon cœur se briser dans ma poitrine alors que je réalise l'horreur de ce qu'il vient de m'annoncer. Mes jambes me lâchent et je m'effondre au sol, le souffle coupé par le choc. Saddam se précipite vers moi, l'air paniqué.
— Océ, reste avec moi s'il te plait. Soit forte. Pour lui !
Il m'aide à me relever avant de me soutenir jusqu'à la porte, passant un bras autour de ma taille.
— Reste là, je reviens dans une minute. Tout va bien se passer Océane, je te le promets.
J'acquiesce d'un signe de tête hébété avant de m'asseoir sur le canapé, dans un état catatonique. Mon cœur bat la chamade tandis que des milliers de questions se bousculent dans mon esprit.
Dans quel état est-il ? Que s'est-il passé exactement ? Et si...Non, je ne peux pas penser à ça. Il faut qu'il s'en sorte, c'est tout. Il le faut...
Les larmes coulent sur mes joues sans que je ne puisse les contrôler. C'est à cause de moi s'il a pris la voiture dans son état. C'est de ma faute s'il était en colère. J'aimerais tellement revenir en arrière et lui avouer à quel point sans lui (et sa musique) je ne serais rien.
Je revois les longues nuits où je restais enfermée dans ma chambre, chez ma tante, perdue dans un océan de détresse. Seule sa voix grave me permettait de tenir le coup, de garder espoir. Ses textes puissants mais d'une sincérité désarmante, qui ont réussi à me toucher au plus profond de mon âme...
Sans Mathieu, je ne serais plus là aujourd'hui. C'est lui qui m'a sauvée, d'une certaine manière. Alors l'idée de le perdre maintenant me glace le sang, m'emplissant d'une terreur sans nom.
Je sursaute lorsque Saddam revient dans la pièce, me sortant de mes sombres pensées. Il me lance un regard inquiet avant de s'accroupir face à moi, posant ses mains sur mes genoux d'un geste réconfortant.
— Allez viens ma belle. On y va, dit il d'une voix douce mais ferme.
Je hoche la tête d'un air peu convaincu avant de prendre une profonde inspiration pour retrouver un peu de constance.
— Saddam...J'ai tellement peur de m'attacher à lui, je lâche d'une voix tremblante. Après ce qu'il s'est passé avec mes parents, je...
Ma voix se brise tandis que les sanglots m'étreignent à nouveau. Saddam me serre contre lui d'un geste fraternel, me berçant doucement.
— Je sais...Mais Math, il est... il...
Il perd ses mots, les larmes le rattrapant lui aussi. Un sanglot s'échappe de sa gorge tandis qu'il resserre son étreinte avec force.
— Il est trop dur pour mourir dans un putain d'accident de voiture...Il va s'en sortir Océ, je te le promets.
Je me laisse entraîner jusqu'à sa voiture d'un pas chancelant, la peur au ventre. Le trajet jusqu'à l'hôpital me semble durer une éternité.
Lorsque nous arrivons enfin aux urgences, Saddam se gare en trombe et je bondis hors de la voiture.
Un médecin nous arrête à l'entrée des soins intensifs, une lueur de compassion dans le regard. Je sens mon cœur s'emballer tandis qu'il nous dévisage d'un air navré.
— Vous êtes là pour Monsieur Pruski c'est ça ? Nous acquiesçons d'un bref signe de tête, incapables de parler.
L'homme prend une profonde inspiration avant de poursuivre :
— Son état vient de se stabiliser après quelques heures difficiles. Cependant...nous ne savons pas encore quand il pourra se réveiller. Tout ce que nous pouvons faire, c'est attendre et espérer.
Je tiens bon mais au fond de moi je suis dévastée. J'aimerais tellement le serrer dans mes bras.
Je me tourne vers Saddam et j'enfouis ma tête contre son torse. Il enroule ses bras autour de moi et on reste comme ça longtemps.
Soudain, des éclats de voix nous parviennent du bout du couloir, nous faisant sursauter. Une femme âgée aux cheveux grisonnants se précipite vers nous d'un pas trainant, suivie de près par un homme brun ressemblant comme deux gouttes d'eau à Mathieu et un petit garçon d'une dizaine d'années.
— Saddam ! Saddam, où est mon petit Mathieu ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Sanglote celle que je devine être la grand-mère de Mathieu, d'une voix suppliante.
Je suis donc en face de son père, de Mamie et d'Enzo. Ils semblent tous au bord de la crise de panique.
Saddam se détache de mon étreinte avant de se précipiter vers eux, les prenant tour à tour dans ses bras d'un geste réconfortant.
— Je n'ai pas encore pu le voir mais d'après les médecins, il devrait bientôt sortir du coma.
— Mais que s'est-il passé bon sang ? Gronde son père d'une voix rocailleuse. Pourquoi personne ne nous a prévenus plus tôt ?
— Il a eu un accident de voiture cette nuit, explique Saddam d'une voix apaisante. On en sait pas plus pour le moment.
Je ne sais pas comment il fait pour garder ce ton calme mais je l'admire.
Sa grand mère semble se détendre légèrement à ces mots, bien que les larmes continuent de couler sur ses joues ridées.
— Oh mon pauvre Mathieu...Mon petit garçon, murmure-t-elle d'une voix brisée.
Saddam la serre à nouveau contre lui avec douceur.
— T'es qui toi, me demande Enzo. Pourquoi t'es triste toi aussi ? Tu connais mon frère ?
Je me baisse vers lui pour être à sa hauteur.
— Salut toi, oui je connais ton frère, je suis une de ses amies proches. Je m'appelle Océane et toi ? je lui demande alors que je connais la réponse.
— T'es jolie ! Moi c'est Enzo.
Je me tourne vers le reste de la famille du polonais. Si un jour on m'avait dit que je ferais leur connaissance... Dans un hôpital...
Sa grand mère se tourne vers moi et se rapproche.
— Mathieu m'a beaucoup parlé de toi, je suis ravie de faire ta connaissance, même si j'aurais préféré que ça soit autour d'un bon thé plutôt qu'entre ces murs morbides. Tu peux m'appeler Françoise et surtout, je veux que tu me tutoies, me lance sa grand-mère avec un sourire chaleureux.
— Enchantée Françoise, et d'accord, pas de problème, je réponds d'une voix émue.
Elle me prend dans ses bras et je comprends aussitôt pourquoi Mathieu est aussi proche de sa mamie. Son étreinte dégage une telle aura de bienveillance et d'amour...
— Merci d'être là pour mon petit garçon ma chérie, merci...
— Oh, vous savez, je n'ai pas fait grand-chose, je bredouille, gênée.
— Oh si, plus que tu ne le penses, rétorque Françoise d'un ton sans réplique. Je ne l'ai jamais vu comme ça à la maison. Et j'ai dit quoi à propos du tu ?
Des larmes d'émotion me montent aux yeux tandis que je lui rends maladroitement son étreinte. Cette femme semble déjà me considérer comme faisant partie de la famille.
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