LXXXVIII - Océane

Paris - Janvier 2026
Trois ans plus tard

Si on m'avait dit un jour que ma vie ressemblerait à ça, je ne l'aurais jamais cru.

Le matin commence toujours de la même manière : un petit garçon déboule dans notre chambre à l'aube, sautant sur notre lit avec une énergie inépuisable. Aujourd'hui ne fait pas exception.

PAPA, MAMAN, C'EST L'HEURE !

Victor grimpe sur Mathieu comme un koala hyperactif, son pyjama Pokémon à moitié retroussé et ses cheveux bruns ébouriffés dans tous les sens. Je grogne, enfouissant mon visage dans l'oreiller.

Victor, bébé, c'est samedi, murmuré-je d'une voix ensommeillée.

Oui, mais j'ai faim, et papa m'a promis des pancakes !

Je sens Mathieu bouger à côté de moi, émettant un gémissement plaintif.

Sérieux, mon gars, t'es pas censé dormir un peu plus le week-end maintenant que t'es un grand qui va à l'école ?

Mais non, faut se lever !

Mathieu pousse un long soupir, avant de se redresser tant bien que mal et de saisir Victor dans ses bras pour le chatouiller. Les éclats de rire de notre fils remplissent la pièce, et malgré mon envie de dormir encore un peu, je souris contre mon oreiller.

Notre vie est un chaos organisé. Depuis la rentrée, Victor est devenu une tornade d'excitation. L'école, ses copains, la cour de récré... Il raconte tout, tout le temps. Il pose mille questions sur mille sujets différents, il veut tout comprendre, tout savoir.

Et nous, on essaye de suivre le rythme.

Après un passage rapide sous la douche, je descends les rejoindre dans la cuisine. Mathieu est aux fourneaux — un miracle en soi — et Victor est perché sur un tabouret, battant la pâte à pancakes avec une concentration extrême.

Dis donc, t'as embauché un commis, toi ?

Je dépose un léger baiser sur les lèvres de l'homme de ma vie avant d'embrasser le front de Victor.

Il bosse mieux que moi, faut le reconnaître, répond Mathieu en haussant les épaules.

Victor me regarde avec un sourire plein de fierté.

J'fais des pancakes tout seul, maman !

Tout seul, hein ? je répète en lui ébouriffant les cheveux.

Le reste de la matinée passe dans une douceur tranquille. Après le petit-déjeuner, Victor s'installe sur son tapis de jeu, entouré de ses voitures et de ses figurines. Mathieu et moi buvons un café sur le canapé, profitant d'un rare moment de calme.

Et pourtant, quelque chose me tracasse. Depuis quelques jours, je me sens étrange. Fatiguée, nauséeuse, comme un déjà-vu que je n'ose pas nommer.

Je pose ma tasse sur la table basse et soupire.

Math...

Mmmh ?

J'me sens pas super bien en ce moment.

Il fronce les sourcils et tourne la tête vers moi.

T'es malade ?

Je sais pas... pas tout à fait mais je

Il cligne des yeux, réalisant immédiatement où je veux en venir.

Attends, attends. T'es en train de me dire que...

J'en sais rien, je coupe vite. J'ai pas encore fait de test.

Il me scrute, son regard oscillant entre surprise et excitation.

Et... t'aimerais que ce soit positif ?

Je mords ma lèvre, hésitante.

Je sais pas.

Il ne dit rien pendant quelques secondes, puis il pose doucement sa main sur ma cuisse.

Océ, t'es la meilleure maman du monde. Si jamais c'est positif, on gérera. Comme la première fois.

Ouais, mais la première fois, on savait pas dans quoi on se lançait. Là, on sait.

Il rit doucement et se penche pour déposer un baiser sur mon épaule.

Et alors ? On a survécu, non ?

Je souris malgré moi, regardant Victor qui fait rouler ses voitures en imitant le bruit des moteurs avec sa bouche.

Ça serait fou, murmuré-je.

J'veux trop que tu portes mon bébé encore une fois, t'es trop sexy.

Alors quand il me parle comme ça et qu'il me regarde comme s'il voulait me dévorer, je prie pour que le test que je vais aller acheter à la pharmacie soit positif.

[...]
Quelques heures plus tard

J'ai le sac de la pharmacie entre les mains et le cœur au bord des lèvres.

Je suis sortie sous prétexte d'acheter du lait pour Victor – alors qu'on en avait encore dans le frigo – et j'ai profité de l'occasion pour passer à la pharmacie. Le test est là, quelque part au fond du sac, bien caché sous un paquet de chewing-gums et une boîte de doliprane, comme si ça pouvait le rendre moins réel.

Mathieu est dans le salon avec Victor, complètement absorbé par un dessin animé. J'en profite pour filer directement dans la salle de bain. Je ferme la porte derrière moi, m'appuie quelques secondes contre le bois en respirant profondément, puis j'ouvre le sac.

Mes doigts tremblent en déchirant l'emballage.

Trois minutes. C'est tout ce que ça prend. Trois petites minutes pour savoir si ma vie est sur le point de changer à nouveau.

Je pose le test sur le rebord du lavabo et détourne le regard, incapable d'affronter le verdict immédiatement. Mes pensées s'emballent. J'essaie d'imaginer les deux scénarios possibles :
Si c'est négatif ? Ce n'est pas grave. Ce n'était pas encore le moment.
Si c'est positif ? Alors c'est reparti. Neuf mois de montagnes russes, un deuxième bébé, une nouvelle aventure.

Je jette un coup d'œil à la montre accrochée au mur. Encore une minute.

Mon pied tape nerveusement sur le carrelage. J'ai l'impression que le temps s'est figé, que l'univers tout entier attend avec moi.

30 secondes.

Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'il va exploser.

Enfin, la dernière seconde s'écoule.

J'inspire profondément, puis je baisse les yeux vers le test.

Deux barres.

Positif.

Un rire nerveux m'échappe, suivi d'une larme qui roule sur ma joue. Je suis enceinte.

Encore.

La porte de la salle de bain s'ouvre brusquement, me faisant sursauter. Mathieu me regarde, un sourcil haussé.

Qu'est-ce que tu fais enfermée ici ? Ça fait une heure que je t'appelle.

Il s'arrête net en voyant mon expression. Puis son regard descend sur l'objet que je tiens entre mes doigts.

Le silence s'étire.

Mathieu cligne des yeux. Une fois. Deux fois.

Attends...

J'hoche la tête, incapable de parler.

Il fixe le test, puis moi, puis de nouveau le test.

Attends, attends, attends.

Je souris malgré mes larmes et lui tends le bâtonnet. Il l'attrape comme si c'était une relique sacrée.

Non...

Si.

Son regard s'illumine, et en une fraction de seconde, il me soulève dans ses bras, me faisant tourner sur lui-même.

PUTAIN, C'EST PAS VRAI !

Je ris en l'entourant de mes bras, le test toujours serré dans ma main.

Il me repose doucement, pose une main sur mon ventre encore plat et le caresse du bout des doigts, son sourire s'adoucissant.

Putain, bébé... t'es enceinte.

Ouais...

Il me regarde comme s'il venait de gagner au loto.

— T'es enceinte.

Oui, Mathieu !

On va avoir un deuxième bébé.

Oui !

Il laisse échapper un rire mi-surpris, mi-bouleversé, avant d'écraser sa bouche contre la mienne.

J'suis trop heureux.

Ses bras m'enveloppent et je me blottis contre lui, les yeux fermés, savourant ce moment.

Et alors que je sens son cœur battre à toute vitesse sous ma joue, une certitude s'impose à moi : on est prêts.

[...]
Cinq mois plus tard

Alors, monsieur Pruski, prêt à découvrir si vous attendez un garçon ou une fille ?

La sage-femme applique le gel froid sur mon ventre et commence à faire glisser la sonde sur ma peau. Mathieu est assis à côté de moi, sa main serrant la mienne. Il n'a jamais été aussi nerveux.
Je sais à quel point il espère une fille alors je souhaite de tout mon cœur que son voeu se réalise.

L'écran s'illumine, et très vite, une petite silhouette apparaît. Notre bébé. Notre deuxième enfant.

Mathieu retient son souffle.

Alors ? je murmure, le cœur battant à tout rompre.

La sage-femme plisse les yeux en scrutant l'image, puis nous sourit.

C'est une petite fille et elle est en pleine forme.

Mathieu saute de joie avant de venir me couvrir le visage de bisou.

Puis il se penche sur mon ventre et prononce les paroles qu'il a attendu de murmurer toute sa vie, les larmes aux yeux.

Coucou ma princesse !

[...]
Trois mois plus tard

La maison est en effervescence et moi, je ne sens plus mes jambes. Mon ventre est devenu beaucoup trop lourd à porter.

Mathieu n'a pas perdu une seconde avant de repeindre une chambre entière en un mélange de beige et de vieux rose. Il a acheté des dizaines de petits vêtements, et j'ai dû le freiner à plusieurs reprises pour ne pas qu'il transforme notre appartement en magasin de puériculture.

Victor, lui, oscille entre excitation et jalousie. Il passe ses journées à nous poser des questions sur le bébé, à toucher mon ventre, mais aussi à bouder parce qu'il ne sera plus le seul centre de l'attention.

Papa, elle va dormir où ma sœur ? demande-t-il un soir en pointant du doigt le berceau que Mathieu vient de monter.

Ici, dans sa chambre.

Mais moi, j'peux dormir avec elle ?

Mathieu rit et ébouriffe ses cheveux.

Pas sûr que tu sois prêt pour ça, mon grand.

Moi, j'dis qu'elle va pleurer tout le temps et que ça va me réveiller.

Je roule des yeux en caressant mon ventre.

Tu faisais pareil, mon cœur.

Il croise les bras, pas convaincu.

Moi, j'étais sage.

Mathieu et moi échangeons un regard amusé.

Si tu le dis, champion, répond Mathieu en riant.

Victor reste un instant pensif, puis se penche sur mon ventre et murmure :

Je vais quand même t'apprendre plein de trucs. Je vais être le meilleur des grands frères.

Je fonds.

[...]
Une semaine plus tard

Chaque mouvement est une épreuve, chaque tentative pour me lever du canapé ressemble à un exploit olympique.

Mathieu, lui, est partout. Il ne me laisse plus rien faire. Si je me lève, il apparaît derrière moi. Si j'essaie de porter quoi que ce soit, il me l'arrache des mains.

Sérieusement, je peux encore me servir un verre d'eau, Math.

Nope. T'as un pass grossesse, interdiction de faire le moindre effort, il réplique en posant mon verre devant moi avec un sourire satisfait.

Mais j'suis pas handicapée.

T'es à une semaine d'accoucher, nuance.

Je roule des yeux en attrapant mon verre, mais au fond, son attention me touche. Il est aux petits soins, bien plus stressé que moi.

Victor, lui, prend son rôle de futur grand frère très à cœur. Il parle à mon ventre tous les jours, lui raconte ses journées d'école, lui explique comment on joue aux voitures ou encore comment "on fait semblant d'aimer la purée pour pas vexer maman".

C'est faux, je cuisine très bien, je grogne en entendant ça.

Non, maman, papa il fait mieux la purée.

Mathieu éclate de rire et me lance un regard triomphant.

J'le savais.

— Et dire que quand on s'est rencontrés tu savais à peine faire cuire des pâtes...

— C'est parce que j'ai eu la meilleure prof ça...

[...]
Deux jours plus tard

Mon amour, si tu montes encore un meuble, je te jure que je t'assomme avec.

Il s'arrête net, tourne lentement la tête vers moi, visiblement pris sur le fait.

Mais... j'ai juste voulu vérifier si la commode était bien fixée au mur.

TROIS FOIS.

On n'est jamais trop prudents, marmonne-t-il en ajustant un tournevis dans sa main.

Je souffle, exaspérée, mais incapable de le gronder pour de vrai. Il est à fond dans son rôle de futur papa d'une petite fille. Il a même regardé des tutos pour apprendre à tresser des cheveux, "au cas où elle voudrait une tresse Elsa".

Je pose une main sur mon ventre, épuisée mais heureuse.

Viens là, dis-je en tapotant la place à côté de moi sur le lit.

Il hésite, regarde ses outils, puis abandonne et s'allonge à mes côtés.

Ça va, mes princesses ?

Elle bouge beaucoup. Et moi, j'en peux plus.

Il pose sa main chaude sur mon ventre, caressant doucement la peau tendue.

Encore un peu de patience, princesse, murmure-t-il. Papa a trop hâte de te rencontrer.

Victor débarque alors en courant, sautant sur le lit avec son doudou sous le bras.

Moi aussi ! J'ai décidé que je partagerai un tout petit peu mes jouets avec elle.

Un tout petit peu seulement ?

Bah oui, faut pas exagérer non plus, maman.

Mathieu rit et l'attire contre lui. On reste allongé tout les trois pendant quelques minutes avant qu'une petite voix me sorte de mes rêveries.

Dites, elle arrive quand ma sœur ? nous demande Victor pour la huitième fois de la journée.

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