LXXXVII - Océane

Paris - Décembre 2023

Je flotte. C'est l'unique façon de décrire ce que je ressens en ce moment. Mon corps est lourd, engourdi, et pourtant, mon esprit semble détaché, quelque part entre le vide et la réalité. Les sons autour de moi sont feutrés, presque lointains, et mes paupières, bien que lourdes, s'ouvrent avec lenteur.

La première chose que je perçois, c'est la lumière blanche, trop éclatante, des néons au plafond. Puis, petit à petit, les bruits deviennent plus clairs. Le bip régulier d'un moniteur cardiaque. Des pas légers sur le sol. Une voix basse, presque un murmure, que je ne reconnais pas immédiatement.

Je tente de bouger, mais une douleur sourde irradie dans mon bas-ventre, m'arrachant une grimace. Mon souffle est court, ma gorge sèche. Je tourne légèrement la tête, cherchant désespérément quelque chose de familier, quelqu'un.

Puis je le vois. Mathieu. Assis à côté de moi, la tête baissée, les coudes appuyés sur ses genoux. Ses mains couvrent son visage, et il semble complètement abattu. Mon cœur se serre. Je veux lui parler, le rassurer, lui dire que je suis là, mais ma voix n'est qu'un murmure rauque.

Math...

Il sursaute violemment, relevant la tête. Ses yeux, rougis par les larmes et le manque de sommeil, rencontrent les miens, et je vois une vague d'émotion traverser son visage. Il se lève précipitamment et se penche sur moi, prenant ma main dans les siennes.

Océane... Mon dieu, t'es réveillée, murmure-t-il, sa voix tremblante.

Je hoche légèrement la tête, mes lèvres se tordant en un sourire faible.

Bébé... notre bébé ? je parviens à articuler, ma gorge sèche rendant chaque mot douloureux.

Un sourire hésitant illumine son visage, et il essuie rapidement une larme qui roule sur sa joue.

Il va bien. C'est un petit garçon, Océane. Notre fils.

Mon cœur rate un battement. Un garçon. Notre fils.

J'avais raison.

Les mots résonnent dans ma tête, et malgré la fatigue qui pèse sur moi, je sens une vague de soulagement et de bonheur m'envahir.

Je veux... le voir, dis-je faiblement.

Mathieu serre ma main un peu plus fort, hochant vigoureusement la tête.

Tu le verras bientôt, je te le promets. Ils le surveillent encore, mais il va bien. Et toi... comment tu te sens ?

Je prends une profonde inspiration, ignorant la douleur dans mon ventre.

Vidée. Mais... heureuse. Et toi ?

Il secoue la tête, un rire nerveux s'échappant de ses lèvres.

J'ai cru que j'allais te perdre, Océane. Ils... ils m'ont demandé de choisir si ça tournait mal. Entre toi et le bébé.

Je vois ses yeux briller à nouveau, et mon cœur se serre. Je serre doucement sa main, puis la porte à mes lèvres.

Mais on est là, tous les deux. On est là, Mathieu, je murmure.

Il se penche et dépose un baiser sur mon front, restant quelques secondes immobile contre ma peau.

J'ai eu si peur de te perdre. Je ne sais pas ce que j'aurais fait si ça avait été le cas.

Il relève la tête, et je vois dans ses yeux une intensité qui me réchauffe malgré la froideur de la pièce. Il caresse doucement ma joue, puis se redresse.

Je vais demander si je peux ramener notre fils. Attends-moi là, d'accord ?

Je le regarde s'éloigner, et malgré la douleur qui me traverse encore, je sens une vague de paix m'envahir. Quelques minutes passent, et finalement, je l'entends revenir.

Océ, regarde qui est là, dit-il d'une voix douce.

Quand il s'approche, un petit être emmitouflé dans une couverture blanche repose dans ses bras. Mon souffle se coupe en le voyant. Mon fils. Mon bébé. Notre bébé. Mathieu s'assoit à côté de moi et me le tend délicatement.

Dis bonjour à ta maman, murmure-t-il.

Quand mon fils est enfin dans mes bras, je sens tout le reste disparaître : la douleur, la fatigue, la peur. Tout ce qui reste, c'est lui. Ce petit garçon aux joues rosées et aux cheveux fins, ses paupières fermées, son visage paisible. Je l'effleure du bout des doigts, mes larmes roulant silencieusement sur mes joues.

Bonjour, toi, je murmure, ma voix tremblante. Tu es parfait.

Mathieu pose sa main sur mon épaule, et je sens son souffle chaud contre ma tempe.

T'as fait un boulot incroyable, Océane. Je suis tellement fier de toi.

Et à cet instant, avec mon fils dans mes bras et Mathieu à mes côtés, je sais que je ne pourrais jamais être plus heureuse.

Tu veux qu'on l'appelle comment ? il me demande. Moi j'ai réfléchi qu'aux prénoms de fille.

Qu'est ce que tu penses de Robert ?

Il fait des yeux ronds qui me font exploser de rire.

Pitié... Tu veux qu'on l'inscrive sur l'état civil des années 1960 ?

Je pouffe de rire, baissant les yeux vers notre fils qui semble totalement indifférent à la conversation.

D'accord, d'accord. Et pourquoi pas... Clotaire ? Ou Gédéon ?

— Au secours, et pourquoi pas Philibert tant qu'on y est !

Je fais mine de réfléchir pour l'embêter en me grattant le menton. Il m'attrape la main d'un geste vif.

Ok ok j'arrête.

Dieu merci

— J'avais pensé à Noé ou Victor, t'aimes bien ?

Je l'observe pendant qu'il semble réfléchir à mes propositions.

Victor Pruski, ça sonne bien ! dit Mathieu avec un sourire fier.

Je caresse doucement les cheveux fins de notre fils. Victor. C'est doux, c'est court et ça lui va bien.

Alors c'est décidé ? Victor ? je murmure.

Validé, confirme Mathieu en posant une main protectrice sur mon dos.

Un silence tendre s'installe entre nous. Je pense que c'est fini, que tout est réglé, mais Mathieu reprend la parole, son ton légèrement hésitant :

Et... j'aimerais bien qu'il ait James en deuxième prénom.

Je cligne des yeux, surprise.

James ? je répète, pas certaine d'avoir bien entendu.

Ouais, James, dit-il avec une douceur inhabituelle.

Un frisson me parcourt, et mes yeux se brouillent déjà.

Comme mon père ? je souffle, ma voix vacillante.

Il hoche la tête, ses doigts serrant un peu plus ma taille.

Oui... Je me disais que... comme ça, ce serait un peu comme si ton père était avec nous. Pour partager ce moment, tu vois.

Sa voix est empreinte d'une sincérité désarmante, et je sens mon cœur se serrer. James. Mon père. Cet homme qui a toujours été mon pilier, mon repère, mais qui n'est plus là pour voir tout ça. Je me rends compte que Mathieu vient de lui rendre le plus bel hommage possible, sans même y être obligé.

Les larmes que je retenais débordent enfin. Je me tourne vers lui, incapable de parler, submergée par l'émotion.

Hé, Océ... pleure pas mon amour, souffle-t-il, visiblement déstabilisé.

Mais... mais c'est magnifique, ce que tu viens de dire, Math, je balbutie en essuyant mes joues. T'es incroyable. Je sais même pas comment te remercier.

Il pose une main sur ma joue, ses yeux brillants d'une tendresse infinie.

T'as rien à me remercier. C'est juste... normal. Ton père a fait de toi la femme que j'aime. Alors c'est grâce à lui aussi si on est là aujourd'hui. Il mérite d'être présent à sa façon.

Mes sanglots redoublent, mais ce sont des larmes de joie, de reconnaissance. Je me love dans ses bras, notre fils blotti entre nous, son souffle léger contre ma poitrine. Je sens Mathieu enfouir son visage dans mes cheveux, me serrant fort.

Victor James Pruski, je murmure. C'est parfait.

Ouais... c'est notre petite victoire, répète-t-il doucement. Il a tes yeux.

Heureusement qu'il a pas tes cheveux, je ne manque pas une occasion de le charrier sur sa teinture.

Les bébés ne naissant pas avec une couleur, je pensais que tu le savais, il ronchonne pour la forme.

[...]

Quelques jours plus tard, je rentre enfin chez moi. Chez nous. Avec Victor. Mon fils.

Mathieu est adorable depuis que Victor est né. Je retombe amoureuse de lui jour après jour en le voyant s'occuper de notre fils.

Mais être parent, c'est loin d'être aussi simple que ce qu'on imaginait.

Je m'en rends compte dès notre première nuit à la maison. Victor dort dans son berceau à côté de notre lit, emmitouflé dans une couverture toute douce, paisible... du moins, pendant les premières heures.

Puis, vers trois heures du matin, un cri strident nous arrache du sommeil. Je me redresse d'un bond, encore à moitié dans le brouillard, et cherche du regard d'où vient cette alarme vivante. À côté de moi, Mathieu grogne, sa main plaquée sur son visage.

C'est pour toi, je marmonne ne voulant pas bouger de sous la couette.

Hein ? Pourquoi moi ?

Euh, parce que... c'est ton fils.

— Ah, parce que c'est pas le tien peut-être ?

Je lève les yeux au ciel avant de me lever en râlant. J'attrape Victor et le berce doucement, murmurant des mots apaisants, mais rien n'y fait. Ses petits poings s'agitent, son visage se plisse sous l'effort de ses pleurs.

Mathieu finit par se lever en soupirant et me rejoint, encore à moitié endormi.

T'as essayé de lui donner à manger ?

Évidemment, mais ça a pas marché... je souffle légèrement dépassé par la situation

Il sait pas ce qu'il loupe ajoute Mathieu d'un air malicieux en louchant sur ma poitrine.

Tourne la tête, pervers, j'attrape sa mâchoire d'une main et la fait pivoter pour que son regard se porte ailleurs.

Il me regarde un instant, puis attrape Victor dans ses bras.

Ok mon gars, écoute, faut qu'on trouve un accord toi et moi. Moi, j'ai besoin de dormir au moins quatre heures par nuit pour m'occuper de toi. Mais toi tu me laisses pas dormir alors ça va devenir compliqué, donc si on pouvait s'arranger, ce serait cool.

Je croise les bras, mi-amusée, mi-exaspérée.

Ouais, super deal, mais il a littéralement trois jours, Math.

Justement, faut lui apprendre la négociation dès le berceau.

Victor ne semble pas convaincu par le discours de son père, puisqu'il redouble d'intensité dans ses cris.

Putain, il a vraiment hérité du caractère de sa mère celui là, il me provoque.

Je rigole malgré moi et pose ma tête sur l'épaule de Mathieu pendant qu'il continue de marcher à travers la chambre avec notre fils.

Finalement, après vingt minutes de bercements et de chuchotements – dont quelques phrases insensées que Mathieu lui murmure, genre "Frère, on est de la même team, dors stp", Victor finit par se calmer et s'endort contre son torse.

Je lève la tête vers Mathieu, complètement attendrie par la scène.

Il avait simplement besoin d'être dans tes bras.

Il baisse les yeux vers moi, un sourire fatigué mais sincère aux lèvres.

Ouais... mais j'espère qu'il va vite se trouver un autre doudou quand même.

Pourquoi ?

Parce qu'il bave...

Je ris doucement et l'aide à poser Victor dans son berceau avec une délicatesse infinie.

C'est normal c'est un bébé.

— Je préfère tes câlins à toi, ils sont plus agréables.

Il me sourit avant de me prendre dans ses bras et de me serrer fort contre lui.

Trois jours que je dors sans toi et je suis perdu.

Mon amour, c'est pour la bonne cause.

On retourne dans le lit pour profiter des quelques instants de sommeil que nous accorde Victor, et une fois de retour sous la couette, je soupire d'épuisement.

On va jamais dormir, hein ?

Plus jamais.

On se regarde en silence avant d'éclater de rire.

C'est le chaos. C'est épuisant. Mais c'est nous. Et c'est parfait comme ça.

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