LXXXV - Océane
Paris - Décembre 2023
Je viens de vivre les deux plus longs mois de ma vie. Mes deux derniers mois de grossesse ont été un calvaire. J'ai mal au dos et aux jambes et j'ai de plus en plus de mal à supporter le poids de mon ventre.
Je n'ai qu'une hâte, que mon enfant pointe le bout de son nez pour en finir avec ça. Et si Mathieu veut lui faire un petit frère ou une petite sœur, il portera le bébé lui même.
Mais, assise dans le canapé du salon de la grand mère de Mathieu, je ne regrette rien. La joie que je peux lire sur son visage à chaque fois qu'elle me voit me fait oublier la totalité de mes problèmes.
Elle est si heureuse.
Enzo, lui, est devenu complètement fou. Il est déjà complément gaga de son neveu ou nièce. Il ne cesse ne vouloir parler à mon ventre et ne cesse de me répéter que si Mathieu ne me traite pas comme il faut, il se chargera de le torturer lui même.
Je suis tombée sous le charme de sa famille et ils me le rendent bien.
Le salon de la grand-mère de Mathieu est chaleureux, baigné par la lumière tamisée des guirlandes accrochées un peu partout. Le sapin trône fièrement dans un coin, décoré avec soin par Enzo. Françoise, s'active dans la cuisine pour terminer le dîner de Noël, et son père est assis dans son fauteuil habituel, un verre de vin à la main, discutant tranquillement avec Enzo.
Je suis assise dans le canapé, un coussin calé sous mon dos pour soulager un peu la pression. Mon ventre gigantesque semble attirer toutes les attentions, mais je m'y suis habituée. Enzo est assis par terre devant moi, son visage éclairé d'un sourire malicieux.
— Bébé, tu sais que t'as trop de chance ? T'as la meilleure maman au monde, dit-il en posant ses mains sur mon ventre comme s'il pouvait communiquer directement avec son futur neveu ou nièce.
Je ris doucement, émue par ses paroles.
— T'es trop mignon, Enzo. Mais va pas trop le gâter, sinon il va devenir un petit monstre.
— Et alors ? C'est pour ça que je suis là, pour l'éduquer, réplique-t-il, fier comme tout. Parce que si je laisse faire Mathieu, ça va devenir un petit rappeur de cité.
Il rigole en se moquant gentiment de son frère, fier de sa réussite fulgurante ces dernières années.
Françoise sort de la cuisine, essuyant ses mains sur son tablier.
— Océane, ma chérie, tu veux un autre coussin ? Tu es sûre que ça va ? Tu veux un peu d'eau ?
— Non, merci, Françoise. Tout va bien, je t'assure, dis-je en souriant.
Mais ce n'est pas tout à fait vrai. Mon dos me tue, et j'ai cette étrange sensation de lourdeur dans le bas-ventre qui ne me quitte pas depuis ce matin. Mais je mets ça sur le compte de la fatigue et de l'excitation des fêtes.
Mon téléphone vibre sur la table basse. C'est un message de Mathieu.
Le mec à la teinture douteuse : « Je suis coincé dans les bouchons. Ça avance pas, mais je fais au plus vite. Promis. J'arrive bientôt. »
Je soupire. Évidemment. Paris le 24 décembre, c'était à prévoir. Je réponds rapidement pour lui dire de ne pas s'inquiéter et de conduire prudemment, même si une petite voix dans ma tête me dit que j'aurais préféré qu'il soit là, surtout ce soir.
Je repose mon téléphone, et à ce moment précis, une douleur sourde me traverse le ventre. Ce n'est pas la première fois que je ressens ça ces derniers jours, mais cette fois, c'est différent. La douleur est plus intense, plus précise. Je me fige, posant une main sur mon ventre, les yeux écarquillés.
Enzo me regarde, inquiet.
— Ça va, Océ ?
— Oui, oui... Je crois... je crois que c'était juste un faux travail, dis-je, essayant de me convaincre moi-même.
Mais à peine ai-je fini ma phrase qu'une nouvelle contraction me prend, plus forte cette fois. Je me plie légèrement en deux, ma respiration devenant saccadée.
Françoise s'approche immédiatement.
— Océane ? Qu'est-ce qui se passe ?
— Je... Je crois que c'est le moment, dis-je entre deux respirations.
— Le moment ? répète Enzo, paniqué.
Françoise pose une main rassurante sur mon épaule, mais je vois dans son regard qu'elle commence à s'agiter. Elle appelle son fils pour qu'il vienne aider.
— Enzo, envoie un message à ton frère. Dis-lui qu'il faut qu'il arrive immédiatement.
Enzo s'exécute, ses mains tremblantes alors qu'il tape un message. Les contractions s'enchaînent maintenant, régulières et de plus en plus douloureuses. Mon cœur bat à tout rompre. Je n'ai pas peur, mais je sens l'adrénaline monter. Je me concentre sur ma respiration, comme la sage-femme me l'a appris. Inspirez. Expirez.
Françoise revient avec un verre d'eau et un linge humide qu'elle pose sur mon front.
— On va gérer, ma chérie. Respire doucement. Tu es forte.
Je hoche la tête, reconnaissante. Mais tout ce que je veux, c'est que Mathieu soit là. Je serre la main d'Enzo, qui s'assied à côté de moi, blême, mais déterminé à être utile.
Le père de Mathieu me conduit à l'hôpital et le trajet en voiture est une torture.
La voiture démarre, et chaque secousse sur la route me fait grimacer. Je m'efforce de me concentrer sur ma respiration, les yeux fermés, essayant de visualiser des images apaisantes : la mer, le soleil, le sourire de Mathieu. Mais la douleur est là, inévitable, et chaque contraction me rappelle que le moment approche.
Françoise murmure des mots d'encouragement, sa voix douce contrastant avec l'atmosphère tendue. Enzo, lui, ne dit rien, mais je vois qu'il se tord les mains, jetant des coups d'œil inquiets dans le rétroviseur.
— Mamie, elle va bien, hein ? demande-t-il, sa voix brisée par l'émotion.
— Oui mon chéri, ne t'inquiète pas c'est normal, le rassure t'elle en même temps que moi.
La route semble interminable. Je sens une nouvelle contraction arriver, plus forte, plus longue, et je m'accroche à la main de Françoise comme à une bouée.
— Putain... ça fait mal, je murmure entre mes dents, incapable de retenir un juron.
— Tu fais tout bien, ma belle. Respire avec moi, dit-elle en imitant ma respiration. Inspire, expire. Voilà, comme ça.
Après ce qui me semble être une éternité, nous arrivons enfin à l'hôpital. Le père de Mathieu gare la voiture à toute vitesse, et en un instant, je suis entourée de Françoise et Enzo qui m'aident à descendre. Les lumières fluorescentes de l'hôpital m'éblouissent, et je me sens légèrement désorientée.
— Courage, ma belle, on est là, murmure Françoise en passant un bras autour de mes épaules.
Une sage-femme arrive avec un fauteuil roulant, et je m'effondre presque dessus, épuisée par la douleur.
— Vous êtes à combien de semaines ? me demande-t-elle en me poussant vers l'ascenseur.
— Trente-huit, je réponds, haletante.
— Parfait, vous êtes pile dans les temps. On va vérifier où vous en êtes, me rassure-t-elle.
Je suis conduite dans une salle de pré-travail, où une équipe médicale s'affaire déjà. Françoise et Enzo restent près de la porte, tandis que je sens la panique me gagner.
— Mathieu... Je veux Mathieu... je murmure, les larmes menaçant de couler.
Françoise s'approche et prend ma main, son regard planté dans le mien.
— Il sera là. Je te le promets. Tiens bon, ma chérie.
Je hoche la tête, tentant de croire en ses paroles, alors qu'une autre contraction me submerge, me laissant complètement à bout de souffle.
La douleur me traverse comme une vague insurmontable, et je m'accroche à la barre du lit d'accouchement, mes jointures blanchissant sous la pression. La sage-femme, une femme aux cheveux tirés en un chignon impeccable, reste à mes côtés, me parlant d'une voix douce, mais ferme.
— Respirez, Océane. Vous faites un travail incroyable. Continuez comme ça.
Françoise est toujours là, sa main serrant la mienne, un pilier de calme dans le chaos qui m'envahit. Mais tout ce que je veux, c'est Mathieu. Je me tourne vers elle, les larmes roulant sur mes joues.
— Il est où ? Pourquoi il n'est pas encore là ? je halète, ma voix tremblante.
— Il arrive, ma chérie. Il est coincé sur la route, mais il m'a promis qu'il faisait le plus vite possible.
Je ferme les yeux, essayant de me concentrer sur ma respiration, mais une autre contraction, plus forte, plus brutale, me fait crier. Cette fois, la douleur semble différente, plus profonde, presque inquiétante. La sage-femme fronce légèrement les sourcils et pose une main rassurante sur mon épaule.
— Ça progresse vite. Je vais vérifier où vous en êtes.
Elle s'active en bas de la table, et son expression, bien que professionnelle, laisse transparaître une certaine urgence.
— Vous êtes dilatée à huit centimètres. Le bébé arrive, mais il est un peu mal positionné. Rien d'alarmant pour l'instant, mais on va devoir travailler ensemble, d'accord ?
— Mal positionné ? répète Françoise, l'inquiétude perçant dans sa voix.
— C'est fréquent, ne vous inquiétez pas. Mais ça peut rallonger un peu le processus et rendre les contractions plus intenses.
"Plus intenses ?" Je ne pensais même pas que c'était possible. La panique commence à monter, mes pensées se brouillent, et je sens mon souffle devenir erratique.
— Je peux pas... Je peux pas, je murmure, secouant la tête frénétiquement.
— Hé, regarde-moi, dit Françoise en attrapant mon visage entre ses mains. Tu peux. T'es forte, Océane. Tu vas y arriver. Respire avec moi. Inspire... expire... voilà, comme ça.
Je m'accroche à ses mots comme à une bouée, mais la douleur est dévorante. Une autre contraction me fait hurler, et je sens une pression intense dans mon bassin.
La sage-femme appelle une infirmière pour l'assister, son ton plus ferme maintenant.
— Océane, écoutez-moi. Vous allez devoir pousser très bientôt. Pas encore, mais préparez-vous. Je sais que ça fait mal, mais on est là avec vous.
Je hoche la tête, tentant de me calmer, mais l'absence de Mathieu me pèse lourdement. J'ai besoin de lui. Une larme roule sur ma joue, et Françoise la sèche rapidement.
— Il sera là. Tiens bon.
Et je l'espère de tout mon cœur car je veux qu'il soit là avec moi. Je veux qu'il assiste à la naissance de son fils.
Parce que je suis persuadé que c'est un mini lui. Je veux voir la joie sur son visage. Je le veux lui. Si fort.
Alors je fais face à la douleur de toute mes forces et résiste encore un peu pour qu'il puisse arriver à temps.
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