LXXVIX - Mathieu

Paris - Juillet 2022

Je me redresse d'un coup, le cœur battant, la gorge serrée, à moitié conscient de ce qui se passe autour de moi. Une main froide sur mon visage me ramène à la réalité. Océane se tient juste là, son regard inquiet braqué sur moi.

Bon sang Math, enfin tu te réveilles, souffle-t-elle, visiblement soulagée.

Je secoue la tête, complètement désorienté. Je suis allongé sur le canapé du salon des grands-parents de Thaïs, mais tout me paraît flou. Je me frotte les yeux, encore engourdi, puis essaie de me redresser, mais ma tête tourne sévèrement. Mon estomac se tord.

T'es dans un état, ça fait quatre heures que tu comates ici ! ajoute Océane en secouant légèrement la tête, mi-agacée, mi-inquiète.

Quatre heures ? Sérieusement ? Je tente de me souvenir de ce qui s'est passé, mais tout ce que je retrouve, c'est ce rêve... Non, plutôt ce cauchemar tordu où je... j'embrasse Océane alors que Saddam est juste derrière. Une vague de dégoût me submerge, et j'ai soudain envie de vomir. Comment j'ai pu laisser mon cerveau imaginer un truc pareil ? Je me sens sale, dégueulasse.

Laisse-moi deux secondes, stp, dis-je en me levant péniblement.

Je me lève d'un bond, ma tête tourne, mais je me dirige directement vers la salle de bain. Une fois à l'intérieur, je ferme la porte et m'appuie contre le lavabo. Mon reflet dans le miroir me renvoie l'image d'un mec complètement à l'ouest, les traits tirés et les yeux vitreux. Mon estomac ne tient plus, et je vomis dans les toilettes, me vidant complètement.

C'est pitoyable. Je me déteste de m'être mis dans cet état, de m'être perdu dans ce délire. J'aurais dû être avec mes potes à profiter de l'après-midi, et à la place, j'ai perdu des heures sur le canap à cause d'un joint de trop. Une connerie après l'autre, et maintenant ce rêve... Putain.

Je me dégoûte.

Un nouveau haut le cœur me prend, et il n'a rien à voir avec la fumette celui là. Mon cerveau ne cesse de me repasser les images de mon cauchemar et j'ai honte.

Bordel qu'est ce que j'ai honte !

Faut que j'arrête avec ma jalousie mal placée. Je sais pertinemment qu'Océane considère Saddam comme son frère et inversement. Alors faut vraiment que j'arrête de me prendre la tête avec ses conneries parce que je vais pas être capable de supporter un autre rêve comme celui-là.

Je m'asperge encore le visage d'eau froide, espérant que ça me réveille un peu. Ma tête est toujours lourde, mais je commence à retrouver un semblant de lucidité. Après quelques minutes, je reprends un peu de contrôle. Je sors de la pièce et quand je la retrouve, elle est toujours là, assise sur le canapé, les bras croisés. Son visage est plus calme, mais je peux lire une pointe de reproche dans son regard.

Faut vraiment que t'arrêtes de fumer comme ça, lance-t-elle, visiblement à bout.

Je soupire, déjà agacé par la conversation.

T'es pas ma mère, répliqué-je, sèchement.

Océane lève les yeux au ciel, ses mâchoires se serrent.

Putain, t'es chiant, Math ! Tu peux pas passer cinq minutes sans me prendre la tête ? crache-t-elle, sa voix pleine de frustration.

Désolé, j'suis juste... j'sais pas, je finis par souffler.

Je m'assied sur le canapé, incapable de la regarder en face sans revoir la scène que j'ai imaginé dans la piscine.

Espèce de malade, me chuchote ma conscience

Je soupire, baissant la tête, mes mains nerveuses froissant le tissu de mon short.

Ton livre... il m'a fait péter un câble, je finis par lâcher, la voix éteinte, presque honteuse.

Océane reste silencieuse un instant, puis son regard se radoucit.

C'était vraiment pas le but, murmure-t-elle. Je voulais t'en parler, mais je savais pas comment faire.

Je sais.

Alors pourquoi t'as réagi comme ça ?

Parce que je suis moi, et que je suis con...

Océane attrape doucement mon menton et me force à relever la tête. J'essaie de détourner le regard, mais ses yeux, brillants de cette foutue compréhension, me retiennent prisonnier. J'ai beau essayer de fuir, je sens un filet de larmes traîtresses brûler mes yeux, et malgré tous mes efforts pour les retenir, une goutte finit par rouler le long de ma joue.

Elle l'essuie d'un geste tendre, son pouce glissant doucement sur ma peau, et ça me fout en l'air. Son geste est si calme, si patient, que ça me bouleverse encore plus.

Pourquoi tu te vois pas comme je te vois ? me demande-t-elle, sa voix douce mais ferme.

Comment ? je murmure

Intelligent, passionné, travailleur... drôle, dit-elle, énumérant chaque mot comme si c'était une évidence.

Je secoue la tête.

Arrête... je la coupe.

Pourquoi ? me relance-t-elle, son regard se plantant dans le mien avec insistance. Pourquoi tu refuses de voir la beauté que je vois en toi ?

Parce que c'est pas moi, je lâche finalement, ma voix à peine un murmure. C'est pas comme ça que je me vois... et franchement, je crois que tu m'idéalises.

Océane secoue la tête, déterminée.

Non, je te vois tel que tu es, Math. C'est toi qui te tapes dessus tout seul. Je sais pas qui t'as fait croire tout ça mais c'est faux.

C'est à cause de Laura...

Et tu la crois elle plutôt que moi ? Bordel Math, je t'aime, fais moi confiance.

Si tu savais à quel point j'ai besoin de toi, je murmure, ma voix brisée par l'émotion. Je serais plus rien sans toi, Océ...

Quand je pose mes lèvres sur les siennes, j'ai l'impression d'être à la maison. À ma place. Enfin compris par quelqu'un dans ce putain de monde.

Je recule au bout de quelques secondes, et le sourire qu'elle me renvoie réchauffe mon coeur. Si j'arrête une bonne fois pour toutes mes conneries, si je reste avec elle et si elle me supporte encore peu, je crois bien que je pourrais être heureux.

Allez viens, on va dehors, elle propose doucement, brisant le silence.

Elle se lève et je réalise que je ne la quitterais plus jamais. Je la suivrais partout.

On sort tous les deux dans le jardin. La nuit vient de tomber, et l'air frais me fait un bien fou. Les autres sont encore là, rassemblés autour de la piscine, éclatant de rire. Karmen raconte visiblement une histoire qui fait marrer tout le monde, et je me rends compte à quel point j'ai perdu du temps à m'enfermer dans ma propre tête.

Quand ils nous voient arriver, un sourire taquin se dessine sur les visages de certains. Yvick est le premier à lancer :

Alors, Math ? T'as fait une sieste de trois jours ou quoi ?

Je force un sourire, essayant de masquer mon malaise.

Ouais, j'suis un peu mort, je réponds avec une nonchalance feinte.

Mort de quoi ? T'as juste fumé comme un ouf, mon gars, réplique Lesram en riant.

Les autres se joignent aux moqueries légères, et je me sens soudain petit.

Oh les gars, doucement, comme si ça vous était jamais arrivé.

Saddam prend ma défense et j'ai envie de pleurer. Encore une fois. Comment j'ai pu douter de lui ? Je sais que je dois lui parler. J'ai été jaloux pour rien, et il mérite mes excuses.

Je m'approche doucement de lui, le cœur battant.

Saddam, faut qu'on parle, je dis, ma voix un peu plus grave que d'habitude.

Il se redresse, surpris.

Ouais, qu'est-ce qu'il y a ? Tu me fais peur, on dirait ma racli !

Je me racle la gorge, mal à l'aise.

Je voulais juste m'excuser, tu vois. Pour ma jalousie de merde. C'est moi le connard à penser que tu pourrais tenter un truc avec Océ, j'suis désolé.

Saddam me regarde un instant, l'air pensif, puis il éclate de rire.

T'as enfin grandi, Polak ! C'est pas trop tôt, je suis fier de toi, dit-il en me tapant amicalement sur l'épaule. Relax, je tenterai jamais rien avec la femme de ta vie.

Saddam éclate de rire, et ses mots me frappent plus fort que je l'aurais cru. "La femme de ta vie." Mon cœur fait un bond. Ouais, c'est exactement ça. Océane, c'est elle. La seule, l'unique. Je souris, un peu gêné, mais aussi reconnaissant.

Merci, gros, je murmure en lui rendant sa tape sur l'épaule.

Il hoche la tête, l'air amusé, avant de se tourner vers la piscine où tout le monde est en train de s'éclater. Karmen et Yvick sont déjà en train de faire des plongeons ridicules, tandis que Margot et Thaïs essaient d'échapper aux éclaboussures. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens apaisé.

Je me tourne vers Océane. Elle est là, à quelques mètres, à rire de je ne sais quoi avec Margot. Ses cheveux mouillés lui collent au visage, et elle rayonne sous les lumières de la piscine. Elle est belle, plus que jamais. Et ce sourire... Ce sourire qui me fait réaliser à quel point je suis prêt à tout pour qu'il ne s'efface jamais.

Sans réfléchir, je m'avance vers elle, mes pas plus légers, mon cœur plus serein. Je l'attrape doucement par la taille et la tire contre moi, la prenant dans mes bras. Elle laisse échapper un petit rire surpris avant de se blottir contre moi, sa chaleur me rassurant immédiatement.

Tu vas bien ? elle me demande en levant les yeux vers moi, son sourire toujours présent.

Maintenant, ouais, je réponds en souriant à mon tour.

On reste ainsi quelques secondes, perdus dans notre bulle, avant que Margot et Yvick ne nous arrosent sans prévenir. Une grosse éclaboussure nous frappe de plein fouet, et on éclate de rire tous les deux.

C'est la guerre ! hurle Yvick en sautant dans la piscine.

Océane se défait de mon étreinte pour rejoindre l'eau, et je la suis rapidement. Tout le monde est à fond dans leur délire, et bientôt, ça devient un vrai champ de bataille dans l'eau. On se coule les uns les autres, on se pousse, on crie, on rit.

Je fais tout pour protéger Océane des autres qui essaient de la faire couler. Je la tiens fermement, mais malgré mes efforts, on finit tous les deux trempés. Je la vois sourire comme jamais, éclatant de rire à chaque coup reçu, à chaque plongeon mal calculé. Ce sourire... C'est tout ce que je veux.

Je me dis à cet instant précis que je ferai tout pour ne plus jamais lui enlever ça.

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