LXXVI - Océane

Paris - Juillet 2022

La lumière tamisée de ma lampe se reflète doucement sur la toile, et je laisse mes pinceaux glisser avec une fluidité presque hypnotique. La peinture est devenue ma façon d'échapper à tout, de plonger dans une réalité alternative où les émotions se traduisent en couleurs et en formes. Ce soir, comme souvent, je suis seule dans mon atelier. Il est presque trois heures du matin, et je suis perdue dans les nuances de bleu et de vert que j'étale sur la toile.

Le silence de la nuit m'enveloppe, et seule la musique légère qui s'échappe de mes écouteurs rythme mes mouvements. Mon esprit vagabonde, mes pensées se mêlant aux souvenirs de ces derniers mois. Mathieu revient souvent dans mon esprit. Nos disputes, nos réconciliations, et cette tension entre nous qui n'a jamais totalement disparu. J'essaie de ne pas trop penser à lui, mais ça m'échappe. Il est partout, même quand je peins.

Et puis, d'un coup, le son de la sonnette me tire de ma bulle. Je retire mes écouteurs, déconcertée. Qui peut bien sonner à cette heure-là ? Trois heures du matin, c'est louche. Mon cœur bat un peu plus fort. La nervosité me prend alors que je pose mes pinceaux et me dirige vers la porte d'entrée. Je n'attends personne, et l'idée de quelqu'un qui débarque en pleine nuit me rend méfiante.

J'ouvre doucement la porte, la chaîne de sécurité encore en place. Je retiens mon souffle un instant avant de jeter un coup d'œil à travers l'ouverture.

Et là, je vois Mathieu. Essoufflé, visiblement agité, comme s'il avait couru depuis l'autre bout de Paris.

Mathieu ? dis-je, à la fois surprise et inquiète. Mais qu'est-ce que tu fais là ? Il est trois heures du matin. Tu devais rentrer jeudi prochain.

Il me regarde, ses yeux brillants d'une intensité qui me fait froid dans le dos. Son expression est dure, comme s'il retenait une explosion.

Faut qu'on parle, Océane. Maintenant.

Je lui ouvre la porte en grand, mon cœur battant plus vite. Je ne comprends pas pourquoi il est là, mais je sais déjà que ça ne peut pas être anodin.

Il entre sans attendre, passe une main dans ses cheveux en bataille et fait les cent pas dans mon salon. Je referme la porte derrière lui, mal à l'aise.

Mathieu, tu veux m'expliquer ce qu'il se passe ? Pourquoi t'es là à cette heure-là ?

Il s'arrête net, me fixe avec des yeux qui en disent long. Il est tendu, son corps tout entier semble sur le point d'exploser.

Je viens de rentrer de Corse, commence-t-il, la voix un peu rauque. Et j'ai lu ton livre.

Mon cœur s'arrête une seconde. Mon livre. Je ne m'attendais pas à ça. Je n'avais pas prévu qu'il le découvre, et encore moins de cette manière.

Mon... livre ? je répète, essayant de gagner du temps, de comprendre où il veut en venir.

Il fait un pas vers moi, ses yeux plantés dans les miens. Il a l'air bouleversé, mais aussi en colère.

Ouais, ton putain de livre. Celui que tu m'as jamais dit que t'avais écrit. Le bouquin où tu parles d'un rappeur russe et d'une étudiante parisienne, dit-il en me dévisageant comme si j'étais une étrangère.

Oh mon dieu.

Ouais, comme tu dis.

Je ne sais pas quoi dire. Le moment que je redoute depuis que je l'ai rencontré vient d'arriver et je ne l'avais pas du tout anticipé.

Dis moi, comment t'as eu l'idée d'écrire cette histoire ? Et pourquoi tu m'a pas dit que tu l'avais écrit ? Qu'est ce que tu me caches ?

Il se rapproche de moi et me fixe comme un prédateur fixe sa proie.

Je... je.

Mais je t'en pris Océane, explique moi.

Je me suis inspirée de ta vie pour écrire un livre, c'est bon, je crache, honteuse. Et je voulais pas que ça se sache alors j'ai pas signé de mon vrai nom.

Tu t'es pas cassée la tête hein, Mattei Pankov, t'es allée le chercher loin ce nom.

Arrête, je souffle, mais ma voix tremble.

Arrête quoi ? me lâche-t-il, sa voix grave et pleine de reproches. Et l'étudiante, là, celle qui fait les Beaux-Arts... elle te ressemble, ou je me trompe ?

Son ton est mordant, et chaque mot me frappe comme une accusation. Je détourne encore les yeux, mon cœur battant à toute vitesse. Je sens sa présence si proche de moi, et ça me trouble, mais pas de la manière dont je m'y attendais.

Regarde-moi ! ordonne-t-il brusquement.

Je sursaute légèrement, puis j'obéis, lentement. Je lève les yeux vers lui, et son regard est intense, brûlant d'une colère contenue. Mais il y a autre chose dans ses yeux, quelque chose que je n'arrive pas à lire. Un mélange d'émotions que je ne comprends pas. À quoi pense-t-il ? Est-il furieux ou... intrigué ?

Je sais pas si je dois flipper ou être grave honoré, lâche-t-il finalement, son ton oscillant entre l'ironie et quelque chose de plus sombre.

Mathieu... je murmure, essayant de lui parler, de le calmer.

Je t'imagines, écrire tout ça alors qu'on ne s'était encore jamais vu. Tu te faisais des films comme une vieille adolescente, tu devais être toute contente d'écrire cette putain d'histoire. Tu devais bien t'amuser à imaginer ma vie, n'empêche que t'avais une vision de moi bien négative...

Il rit, mais c'est un rire sans joie, un rire qui me fait mal. Mon cœur se serre. Je sens que ses mots ont dépassé le simple reproche.

J'étais une débile d'adolescente quand j'ai écrit ça... je lâche, presque dans un souffle, en essayant de défendre l'indéfendable. Tu m'avais permis de surmonter la mort de mon père alors comme une gamine j'ai écrit une histoire sur toi, c'est tout.

Pourquoi ?

Je sais pas, j'en sais rien ! je commence à m'énerver. Ça m'aidait je crois.

La tension entre nous monte d'un cran, et je sens l'air devenir plus lourd, presque irrespirable. Mathieu se redresse brusquement, ses poings se serrant alors qu'il tourne en rond dans la pièce, visiblement en proie à une tempête intérieure.

J'en peux plus, lâche-t-il soudainement, sa voix plus forte, plus tendue. Je gamberge comme un fou depuis hier, j'vais serré.

Je sens les larmes me monter aux yeux, mais je me retiens, refusant de céder à la panique. Je veux lui expliquer, lui faire comprendre que ce n'était jamais censé aller aussi loin, que j'ai écris cette histoire quand j'étais une gamine qui ne pensait pas le rencontrer un jour. Et encore moi qui sortirait avec lui un jour...

Mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, il continue, plus agité encore.

La vie de ma mère, j'ai besoin de temps pour réfléchir, lâche-t-il brusquement, sans même me regarder.

Ses mots résonnent, et je me fige.

Réfléchir à quoi ?

Il s'arrête enfin, me fixe, mais je vois dans ses yeux qu'il est tout aussi perdu que moi. Peut-être même plus.

J'en sais rien, putain ! Mais je reste ici, je vais finir zinzin si je reste à tourner en rond dans cette merde, crache-t-il, ses mots durs comme des coups de poing.

Je ne dis rien alors qu'il commence à faire les cents pas dans mon salon.

C'est une histoire de fous, putain. Sa voix monte en intensité. C'est pas possible bordel, t'es folle d'avoir fait ça. Complétement conne.

C'est comme un coup de poignard, planté en plein cœur. Je sens mon corps se raidir, mon souffle se couper. Les larmes que je retenais menacent de couler. Je reste figée, le cœur battant à tout rompre, incapable de comprendre comment nous avons pu en arriver là.

Attends, non... je... j'aurais pas dû dire ça, souffle-t-il rapidement, comme s'il réalisait l'ampleur de ses mots. Ses traits se relâchent légèrement, et je vois la culpabilité se peindre sur son visage.

Il fait un pas vers moi, tendant la main comme pour me rattraper, mais je recule, instinctivement, ne pouvant supporter qu'il me touche maintenant.

Recule ! je crie, la voix tremblante, mais pleine de colère.

Mathieu s'arrête, ses bras tombant le long de son corps. Il est visiblement pris au dépourvu, mais je ne peux pas effacer ce qu'il vient de dire. Ce mot résonne encore dans ma tête, plus fort que tout le reste. Il ouvre la bouche, cherchant des mots, mais rien ne vient. Je le vois se battre contre lui-même, sa colère et sa frustration contre son envie de rattraper l'irréparable.

Océ, écoute-moi, c'était pas ce que je voulais dire, je... je suis juste paumé, ok ? Je m'attendais pas à ça. Toute cette histoire, le bouquin... ça me retourne le crâne.

Je le vois fouiller dans sa poche, sortant un joint à moitié roulé, un geste presque mécanique. Comme un réflexe pour calmer la tempête dans son esprit. Mais c'est la goutte de trop.

Pas ici, je lâche, ma voix dure, inflexible.

Il lève les yeux vers moi, surpris par la fermeté dans mon ton. Il sait que je n'ai jamais vraiment eu de problème avec ça avant, mais aujourd'hui, c'est différent. Tout est différent.

Ça t'a jamais dérangé avant, réplique-t-il avec une pointe d'agacement, ses traits se durcissant à nouveau.

Et alors ? dis-je sèchement.

Il me fixe, incrédule, puis secoue la tête en ricanant amèrement. Je le vois se renfermer, la colère revenant sur son visage, les mâchoires serrées.

Ok, c'est bon, j'me casse de là, lâche-t-il finalement, sa voix pleine de frustration et de résignation.

Bon vent, répliqué-je froidement, refusant de céder une nouvelle fois.

Il se fige une seconde, comme s'il s'attendait à ce que je le retienne, à ce que je l'arrête. Mais je reste plantée là, immobile, le regardant se diriger vers la porte. Il attrape sa veste d'un geste brusque et disparaît dans l'escalier sans un mot de plus, laissant la porte claquer derrière lui.

Je reste figée, seule dans cette pièce soudainement vide. L'écho de ses pas résonne encore dans l'escalier, mais le silence qui suit est assourdissant. Mon cœur bat trop fort, mes jambes vacillent, et je me laisse glisser contre le mur, mes larmes enfin libérées. Tout s'effondre, et je suis incapable de bouger, incapable de comprendre comment tout a pu déraper à ce point.

Qu'est ce qu'il vient de se passer ?











Pardon, pardon, pardon, j'ai complétement oublié de poster la suite hier soir. J'étais au resto avec des potes et ça m'est sorti de la tête.
Pour me faire rattraper, vous aurez peut être deux chapitres aujourd'hui ! 😉

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