LXXIV - Océane
Paris - Juin 2022
Le temps semble s'arrêter. L'atmosphère, chaude et intime, bascule en une seconde. Mes pensées s'embrouillent, mes muscles se tendent, et une froideur brutale envahit mon corps. Lisa, ma sœur. Là, assise sur le canapé de la loge, son ventre arrondi trahissant six mois de grossesse. Et ce sourire, ce sourire arrogant, satisfait, qui me transperce le cœur.
— Lisa... ? je murmure, ma voix tremblante, presque inaudible.
Je sens Mathieu se raidir à mes côtés. Ses mains, quelques secondes plus tôt caressantes, deviennent soudain crispées. Il se fige, comme s'il ne croyait pas ce qu'il voyait. Son regard passe de moi à Lisa, incrédule, choqué.
— Qu'est-ce que tu fous là ? grogne-t-il, une colère froide commençant à se glisser dans sa voix.
Lisa se lève lentement, sa main caressant son ventre comme un rappel silencieux de l'inévitable. Elle avance de quelques pas, plantant son regard dans le mien. Elle sait exactement ce qu'elle fait, et elle savoure chaque instant.
— J'ai pensé que c'était le moment idéal pour vous annoncer la grande nouvelle, répond-elle avec une fausse douceur.
Je recule instinctivement, mon esprit refusant de comprendre. Mon cœur bat si fort dans ma poitrine que je crains qu'il ne m'étouffe. Tout ce que j'avais imaginé, tout ce que j'avais rêvé avec Mathieu, est en train de s'effondrer, comme un château de cartes emporté par une tempête. Je sens le sol se dérober sous mes pieds. Mon souffle devient court, et mes yeux se remplissent de larmes que je refuse de laisser couler. Pas devant elle. Pas devant Lisa.
— Lisa... dis-moi que c'est une blague, dis-moi que c'est pas vrai, je réussis à articuler malgré la boule dans ma gorge.
Elle éclate d'un rire moqueur, cruel, celui qui m'a toujours rappelé à quel point elle prenait plaisir à me faire du mal.
— Une blague ? Non, Océane, ce n'est pas une blague. Je suis enceinte de Mathieu. Six mois, pour être précise, dit-elle en caressant encore une fois son ventre comme si elle exposait un trophée.
Mathieu fait un pas en avant, son visage déformé par la rage. Il est secoué, autant que moi. Ses yeux se plissent et une veine bat furieusement sur son front.
— Arrête ça, Lisa, commence-t-il, sa voix grondant de colère. Tu sais très bien que je n'ai jamais voulu ça. Tu sais que c'était une erreur.
— Une erreur ? répète-t-elle, son sourire s'élargissant. Cette "erreur", comme tu dis, est bien réelle, Mathieu. Et tu vas devoir vivre avec.
Je ne peux plus supporter cette scène. C'est trop. Ma gorge se serre, mes jambes vacillent, et la pièce commence à tourner autour de moi. Mon cœur est en miettes, déchiqueté.
Je m'enfuis de la loge, mes jambes à peine capables de me porter. Le monde autour de moi n'est plus qu'un flou de douleur et de confusion. Chaque pas me semble plus difficile que le précédent, mes pensées s'écrasent les unes contre les autres, bruyantes, insupportables.
Pourquoi faut-il que le sort s'acharne sur moi à ce point ? Ils ont couchés ensemble une seule fois. Une. La fois de trop. Je lutte pour ne pas vomir en repensant à cette soirée. J'ai réussi à pardonner à Mathieu et je sais que ce n'est pas (totalement) de sa faute.
Mais un mioche !
Ça, je m'en remettrais jamais.
Je sors précipitamment de l'Olympia, la nuit parisienne m'enveloppe d'une chaleur soudaine, étouffante. Je marche vite, je ne sais même pas où je vais, je veux juste fuir, m'éloigner de cette vérité qui me dévaste. Mes jambes continuent de me porter à travers les rues, mais mon esprit est coincé dans cette pièce, dans cette scène impossible à effacer. J'ai du mal à respirer et ma poitrine est oppressée.
Les minutes passent, peut-être des heures. Tout est flou, comme si le monde autour de moi avait perdu ses couleurs et ses contours. Je finis par rentrer chez moi, épuisée, vidée de toute énergie. Mon corps se laisse tomber sur le canapé, et mes larmes, longtemps retenues, coulent enfin. Des sanglots incontrôlables, bruyants, me secouent.
Le temps passe lentement, chaque minute semble une éternité. Je ne sais même pas ce que je ressens : la colère, la tristesse, la trahison... tout est mélangé, brouillé par le chagrin.
Puis, quelques heures plus tard, alors que je suis recroquevillée sur le canapé, le visage enfoui dans un coussin, j'entends des coups frappés à ma porte. Je reste immobile, espérant que ce soit un mauvais rêve, mais les coups persistent, plus forts cette fois. Je sais que c'est lui.
Je me lève lentement, essuyant mes larmes d'un geste maladroit avant d'ouvrir la porte. Mathieu est là, essoufflé, visiblement désorienté. Ses yeux sont cernés de fatigue, mais ce qui me frappe le plus, c'est l'expression de culpabilité qui déforme son visage. Il semble à la fois perdu et déterminé, comme s'il portait un poids insupportable.
— Océane, dit-il d'une voix rauque, presque brisée.
Je n'ai même pas la force de lui répondre. Sans réfléchir, je me jette dans ses bras, espérant que cela effacera la douleur, même si je sais que c'est impossible. Il me serre contre lui, ses bras autour de moi sont fermes, mais je sens sa propre angoisse dans la manière dont il me tient, comme s'il avait peur de me perdre à jamais.
— Elle a pas le droit de me prendre ça aussi... je murmure dans ses bras, ma voix étouffée par les sanglots.
— Je suis tellement désolé, Océ... souffle-t-il, sa voix tremblante.
Ses bras me retiennent, mais malgré tout, je me sens toujours en train de sombrer dans ce cauchemar. Lisa m'a tout pris, elle m'a toujours tout pris, et cette fois, elle a franchi la ligne que je ne pourrai jamais pardonner. Mon cœur se serre à l'idée qu'elle soit enceinte de lui. Le choc est trop grand, l'injustice trop violente. Mathieu resserre ses bras autour de moi, alors que ma tête tourne. Elle n'a pas le droit d'être enceinte de lui.
— J'aurais tellement voulu te donner mon premier enfant, chuchote-t-il, sa voix tremblante.
Mes larmes redoublent en réalisant ce que cela implique pour lui aussi.
— Princesse, écoute-moi, dit-il doucement, son regard cherchant le mien. J'ai porté plainte contre elle. Elle est en GAV.
— Quoi... ? Je répète, abasourdie, mon souffle court.
— Elle te fera plus jamais rien elle non plus, je te le promet.
[...]
Le lendemain matin, après une nuit sans sommeil, je me réveille avec une seule idée en tête : je dois voir Lisa. Ma colère, loin de s'apaiser, a mûri pendant la nuit. Elle a toujours été là, sous la surface, cette rage contenue, prête à exploser. Elle a franchi une limite que je ne pourrai jamais pardonner, et je ne peux plus rester passive.
Mathieu, encore endormi à mes côtés, semble paisible, mais je sais que je dois régler ça seule. Je me lève, déterminée, et me prépare rapidement. Je prends un taxi pour me rendre au poste de police où Lisa est encore en garde à vue, ne me sentant pas en état de conduire. Mon cœur bat vite, mais ce n'est pas de la peur. C'est cette colère, cette rage sourde qui monte de plus en plus fort en moi.
Arrivée là-bas, on m'autorise à la voir. Je marche droit, sans hésitation, chaque pas me rapprochant de l'affrontement que j'ai tant attendu. Quand je la vois enfin, assise dans une petite pièce grise, je sens la rage éclater en moi comme un feu. Elle est là, pâle, mais toujours avec cet air de supériorité, cet air qui me rend folle.
— Océane... commence-t-elle, mais je l'interromps immédiatement.
— Tais-toi ! crie-je, ma voix tremblant sous l'émotion. Comment as-tu pu ? C'était déjà pas assez dégueulasse de t'envoyer en l'air avec lui ?
Je me rapproche d'elle, mon souffle court, mes poings serrés. Tout ce que j'ai accumulé pendant des années explose. Lisa me regarde avec de grands yeux, mais elle ne dit rien. Je continue, incapable de me contenir.
— Mais non, c'est sûr. Ça pouvait pas te suffire. Fallait que tu frappes encore plus fort. Que tu me prennes le dernier truc qu'on m'avait pas encore pris !
Je sens mes larmes monter, mais cette fois, c'est la rage qui les alimente. Lisa recule légèrement dans sa chaise, comme si elle réalisait enfin que je ne suis plus celle qu'elle peut manipuler à sa guise. Mais il est trop tard. Je suis déjà trop loin dans ma colère pour me calmer.
— T'es allée beaucoup trop loin cette fois, dis-je en serrant les dents. Cet enfant... tu le mérites même pas.
À cet instant, Lisa se crispe soudainement, son visage pâlit. Elle pose une main sur son ventre arrondi, ses yeux s'écarquillant de peur. Je la regarde, encore sous le choc de ma propre violence verbale, mais ce qui se passe sous mes yeux est pire que tout ce que j'avais imaginé.
— Lisa... ? murmuré-je, confuse.
Elle pousse un cri de douleur, ses mains tremblant sur son ventre. Mon cœur s'arrête un instant. Je reste figée, incapable de comprendre ce qui est en train de se passer. Lisa se plie en deux, son visage se tordant de souffrance.
— Non... non... je... souffle-t-elle, la panique dans la voix.
Le chaos éclate dans la petite pièce. Des policiers accourent, et je suis brusquement poussée à l'écart tandis qu'ils l'emmènent en urgence. Je regarde la scène, pétrifiée, mes yeux fixés sur elle alors qu'elle est évacuée vers l'hôpital. Le silence qui s'abat ensuite est assourdissant. Mes mains tremblent. Mon cœur bat à tout rompre. Je suis figée, les mots de colère que j'ai prononcés résonnent dans ma tête.
[...]
Quand je rentre chez moi, Mathieu est toujours là. Il est assis sur le canapé, visiblement inquiet. Dès qu'il me voit, il se lève et s'approche de moi, son visage marqué par l'angoisse.
— Océane, tu vas bien ? demande-t-il d'une voix douce, ses mains venant doucement entourer mon visage.
Je sens mes yeux se remplir de larmes, mais cette fois, ce n'est plus la colère. C'est le poids de tout ce qui s'est passé qui retombe sur moi. J'ouvre la bouche pour parler, mais les mots ont du mal à sortir.
— Elle... elle a perdu le bébé, je souffle, ma voix à peine plus qu'un murmure.
Mathieu me regarde, choqué. Son expression se durcit légèrement, mais je vois qu'il ne sait pas comment réagir. Je continue, essayant de lui expliquer ce que je ressens, même si tout semble confus.
— Je... je me sens coupable, Mathieu. J'étais tellement en colère, je l'ai attaquée verbalement, je voulais qu'elle souffre pour tout ce qu'elle m'a fait. Mais je ne voulais pas ça... pas comme ça.
Je sens mes larmes couler à nouveau. Mathieu me prend dans ses bras, me serrant fort contre lui. Il caresse doucement mes cheveux, me berçant comme s'il voulait apaiser cette tempête intérieure.
— Tu n'es pas responsable de ce qui s'est passé, murmure-t-il contre mon oreille.
Je me blottis contre lui, cherchant un peu de réconfort dans ses bras.
— Je sais que tu te sens mal, continue Mathieu en me serrant encore plus fort. Mais ce n'était pas à cause de toi. Ce gosse, elle l'a gardé pour pouvoir te faire du mal. Parce que ça lui faisait plaisir de savoir que toi ça t'anéantirait.
Je hoche la tête. Mais avant que je puisse répondre, son téléphone sonne, brisant notre moment de silence. Il hésite, puis décroche.
Il met le haut-parleur pour que je puisse entendre.
— Mathieu Pruski, dit une voix professionnelle au bout du fil.
— Oui c'est bien moi.
— Nous appelons de l'hôpital pour vous informer de l'état de santé de Lisa Emery. Nous avons découvert qu'elle ne prenait pas soin de sa grossesse. Elle n'a pas respecté les consignes médicales, et ses comportements étaient dangereux pour elle et l'enfant.
Je sens un frisson me parcourir.
— Au vu de la plainte que vous avez déposée et de ses antécédents, nous avons pris la décision, en accord avec son médecin, de la placer dans un hôpital psychiatrique. Elle va y rester sous surveillance pendant quelques semaines, voire plus longtemps si nécessaire. Elle a besoin d'aide, monsieur.
Je suis sidérée, figée sur place. Je ne sais pas comment réagir. Lisa, dans un hôpital psychiatrique ? Elle, la femme qui a toujours tout contrôlé, qui a toujours joué avec ma vie et celle des autres, est maintenant internée.
Mathieu raccroche après avoir remercié la personne à l'autre bout du fil. Le silence retombe, lourd, pesant. Je reste debout, mes pensées tourbillonnant.
— C'est fini, murmure-t-il finalement, brisant le silence.
— Alors c'est pas de ma faute si elle a perdu son bébé, je répète en boucle comme une possédée.
— Non Océ !
— Et alors, tu ne vas pas devenir papa, je réalise enfin.
— Non. Pas tout de suite en tout cas, il sourit.
Je le regarde intriguée, ayant peur de comprendre de travers ce qu'il sous-entend.
Il attrape mon menton et me force à le regarder dans les yeux alors qu'il se rapproche de moi.
— La mère de mes enfants, ça sera toi.
Et il pose ses lèvres sur les miennes avant de m'embrasser comme il ne l'avait encore jamais fait.
On arrive bientôt à la fin de l'histoire de mes deux loulous ❤️
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