Rentre dedans *
Qu'est-ce que je fais là ?
Voilà ma première question en ce matin d'octobre, jour de rentrée à l' université de droit d'Aix-en-Provence, quand j'ai franchi les grilles.
Pourquoi ne suis-je pas restée à Paris ?
Deuxième interrogation, où ma vie se déroulait sur un rythme bien précis. Amis, fêtes, shopping ... études.
Ah oui je sais ! Parce que mon géniteur s'est octroyé le droit de remettre de l'ordre dans tout ça. Droit qu'il a acquis auprès de ma gentille maman.
— Il ne faudrait pas qu'un scandale éclate, Jeanne.
Et comme un malheur n'arrive jamais seul...
Pour être certain que sa volonté soit faite, (amen), il s'est aussi arrangé pour convaincre ma mère d'accepter le poste de conservatrice du musée d'art contemporain d'Aix-en-Provence.
D'une pierre deux coups, il se débarrasse de sa maîtresse et de sa progéniture trop turbulente à son goût.
Petite biographie rapide de la famille Jardel.
Jeanne Jardel, ma mère, célibataire, et maîtresse de l'ombre de mon cher donneur de sperme, m'a donnée naissance il y a vingt-trois ans. Tout aurait pu ressembler à un conte de fée si, celui qui est mon père de sang n'était pas déjà marié et père de famille, avait voulu signer l'acte de naissance de mon arrivée officieuse, afin d'assumer sa paternité officiellement, et surtout, s'il n'était pas l'actuel ministre de l'intérieur du gouvernement Français.
S'il entretient depuis un quart de siècle une liaison charnelle et amicale avec ma mère, avec moi c'est bien différent. Il a toujours refusé de me reconnaître, secrètement ou publiquement, de peur de faire voler en éclat sa famille parfaite pour le papier glacé et les réceptions Place Beauvau. Je suis donc sa fille adultérine et cachée.
Un CV qui pourrait faire flipper à la lecture, mais qui au contraire, m'a permis d'acquérir un sacré caractère et de choisir ma propre famille...
Je m'appelle Léane Jardel. J'ai vingt-trois ans et je viens de débarquer dans cette ville du sud de la France pour continuer mon cursus en droit des affaires.
Je suis devant l'entrée de la fac, quand mon prénom résonne dans mon dos, me sortant de mes pensées, passant par-dessus le brouhaha des étudiants.
— Léane !
Je me retourne pour voir arriver presque en courant, sur des talons de dix centimètres, ma meilleure amie Maxine. Il est pratiquement l'heure de rejoindre l'immense Amphithéâtre où le doyen doit faire son discours de rentrée, et nous devons encore passer au secrétariat pour récupérer nos emplois du temps.
C'est un sprint qu'elle devrait taper.
Maxine et moi sommes devenus inséparables après une soirée, bien arrosée, que donnait ma mère dans le jardin du musée afin de fêter sa prise de poste comme conservatrice. Comme souvent dans ces réceptions mondaines, à part le buffet et les boissons, il y a très peu de distractions pour les filles de mon âge. Les mecs sont soit marié, soit coincé, soit trop vieux. Quoique cette dernière catégorie ne serait pas contre de se taper une jeunette comme moi. Et je ne parle pas des nanas dont le snobisme est aussi élevé que les talons de leurs stilettos, et qui pensent que leur intelligence se mesure en fonction du nombre de zéros sur le compte en banque de leurs chers maris. Ça fait peu de possibilité pour s'éclater.
Alors quand cette blonde au regard pétillant m'a tendue un verre en m'affirmant que le chardonnay était divinement bon, et qu'elle en avait subtilisé une bouteille, en faisant du charme au serveur, je n'ai pas hésité pour trinquer avec elle et la suivre dans un coin reculé du parc.
Et depuis, notre amitié n'a pas arrêté de se renforcer jusqu'à prendre une colocation ensemble. Maxine et moi ça a été un coup d'âme amical.
— Hey ! La salué-je, quand elle arrive à ma hauteur.
— Salut !
— A ce rythme, tu vas soit te péter une cheville soit cracher tes poumons. J'espère que ta nuit en valait la peine.
Maxine m'a prévenue hier soir qu'elle restait dormir chez un mec, qui lui sert de plan cul quand l'occasion se présente.
— Même pas.
J'attends qu'elle développe, car elle le fait toujours. Mais rien.
— Max ? m'impatienté-je.
Sauf que... mademoiselle a le regard rivé vers le parking. Et si j'en crois son air ébahi, sa main qui replace une mèche de cheveux, le spectacle doit être à son goût. Je claque des doigts pour la faire revenir à moi, mais c'est peine perdue.
J'ai perdu ma meilleure amie.
Quand j'entends le bruit d'accélération typique d'une voiture de sport allemande, je détourne les yeux de Maxine, pour voir quel est l'abruti qui se la joue ringard des années quatre-vingt-dix.
Sérieux ? Le mec fait vrombir son bolide à l'arrêt comme s'il était dans une course sauvage ?
Intriguée, je plisse les paupières pour essayer de distinguer le conducteur et voir ce qui a pu transformer ma colocataire en bimbo de drapeau à damier, quand d'un coup, je suis propulsée dans une série américaine pour adolescents. Ne manque que la musique.
Vous revivez la scène dans votre tête ? où quatre mecs sortent d'une voiture de sport, filmés au ralenti, capuches, ou casquettes, sur la tête, fringués et gaulés comme des mannequins ? un sourire ultrabright et ravageur aux lèvres, accentués de clins d'œil pour deux d'entre eux ? et où les filles se retournent sur leur passage la bave aux lèvres, et leurs petites culottes bonnes à essorer ? Et bien j'assiste à cette scène pathétique en ce moment même.
Il y a des défibrillateurs sur le campus ? Non parce que vu l'état de certaines filles, leurs cœurs vont lâcher.
— Max ? T'es avec moi là ? Dis-je plus violemment que je ne le souhaitais.
Elle secoue la tête pour se remettre les idées en place sûrement.
— J'allais te dire... et voilà que ça la reprend !
— Maxine !
— Oups pardon. J'allais donc t'expliquer avant que Aaron et ses potes ne débarquent...
Aaron est donc le prénom du mec qui se croit malin en flinguant mes tympans et l'atmosphère.
— Que ce n'est pas le peu de sommeil qui m'a retardée, mais une panne d'inspiration de fringues, quand je suis repassée à l'appart pour me doucher et me changer.
— Max, tu déconnes là ? T'es pas en train de me dire que t'es à la bourre parce que ton dressing a fait grève ce matin ?
— Pas mon dressing darling, mon inspiration... ses yeux se portent en bas des marches, un sourire niais, que je n'avais encore jamais vu sur elle, étire ses lèvres.
Du coin de l'œil, j'avise ce qui la perturbe. Un des quatre mecs qui était dans la Porsche d'Aaron la salue d'un geste de la main.
Ma patience étant en train de fondre comme neige au soleil, je lui saisit le menton afin de tourner son visage vers le mien.
— Si je t'assure, me dit-elle toute sérieuse. Bon on y va, parce que pour le coup on sera vraiment en retard.
Je rêve !
Maxine m'attrape par le bras comme si j'étais un vulgaire sac à main, et nous dirige vers le bureau des admissions où l'on doit récupérer nos emplois du temps respectifs.
Maintenant que nous avons tous nos documents, et un plan de l'université, il ne me reste plus qu'à courir, pour espérer arriver à l'heure et assister au discours du doyen. Avec ces conneries, on a failli le rater. Pas que ça m'intéresse, mais quand même.
Maxine m'ayant abandonnée pour passer aux toilettes, je suis seule quand je percute un mur, ou quelque chose qui y ressemble, à l'angle d'un couloir, alors que j'ai le nez rivé sur mon téléphone. Deux bras puissants me retiennent avant la chute inévitable, mais n'empêche pas mon sac de cours et mon portable de s'éclater au sol. L'un s'ouvre éparpillant son contenu et l'autre tombe, heureusement côté coque.
— Hey ! Tu peux pas regarder où tu vas ?
Habituellement si.
Je lève les yeux vers cette voix grave, à vous coller des frissons, mais néanmoins agressive, et je reconnais un des mecs de la scène, Aaron, hormones en folie sur le parking de la fac. On dirait le titre d'un film pour adulte.
Je glousse.
— Ravi que ça te fasse rire de m'avoir couper le souffle.
— Un grand gaillard comme toi ? Serait-ce de la gonflette sous ces fringues ?
Aaron m'observe en serrant la mâchoire.
— Aucun rapport. Aurais-tu fait l'impasse sur tes cours de science ?
— Ouais. Bon c'est pas que notre conversation m'ennuie, mais j'ai un autre programme qui m'attend.
Je commence à me baisser avec l'intention de ramasser mon bordel, mais monsieur voiture de sport ne bouge pas d'un iotas.
— Tu ne peux pas te pousser afin que je puisse rassembler mes affaires ? râlé-je, en relevant la tête et en le fusillant du regard.
Mauvaise idée. Le sien me crucifie.
— C'est toi qui me rentre dedans, je crois que tu pourrais au moins t'excuser non ?
Retour sur terre.
— Hum... Pas faux, mais tu peux quand même te pousser, s'il-te-plaît ? J'accentue bien le "s'il te plaît" peut être que ça passera... Ou pas, vue sa tête.
— Non mais tu te fous de moi là ?
Je lui dit ou pas ?
Occultant sa remarque, je m'empresse de tout remettre dans mon sac de cours. Les cahiers, les stylos, trousse de secours, une boîte de protection hygiénique... moment gênant, je jette un œil à mon iPhone, RAS, puis une fois que j'ai tout récupéré, je me redresse en m'apprêtant à faire demi tour, quand sa main me retient par le poignet.
Drôles de sensations.
— J'attends toujours tes excuses !
Je lui lance un regard noir afin qu'il me lâche, malgré les petits picotements qui apparaissent à l'endroit où s'enroulent ses doigts. Je détache mon bras de sa main pour enfin rejoindre l'amphi, sans un mot, dans lequel Maxine doit déjà m'attendre. Je regarde par dessus mon épaule, dans un réflexe purement idiot, pour constater que Aaron est toujours planté au même endroit entrain de me suivre des yeux.
— Je m'excuse, crié-je avant de tourner à l'angle du couloir.
Essoufflée, le rythme cardiaque proche de la tachycardie, je force mon palpitant à ralentir en prenant une grande inspiration avant de pénétrer dans l'amphi, où heureusement le directeur n'est pas encore arrivé. Je repère Max assise sur l'avant-dernière rangée. Je m'excuse auprès des étudiants en passant devant eux, puis je m'échoue à la droite de mon amie. Je salue Alma en commençant à sortir mon Macbook de mon sac, quand Maxine pivote vers moi.
— Ah enfin ! j'ai cru que tu t'étais perdue. Rigole ma pote.
— Non, je ne me suis pas paumée, mais j'ai eu un léger contretemps. Et puis ça fait pas des plombes que tu es installée non plus !
— Elle vient d'arriver, précise Alma.
— Sympa la solidarité.
Alma et moi souriions de voir Maxine bouder.
— Bon tu veux savoir ou pas ?
— Savoir quoi ? Demande-t-elle d'un air intrigué.
— Pourquoi tu es arrivée avant moi?
— Bien sûr ! Surtout s' il y a un mec dans l'équation.
Il y a bien un mec, mais elle va être déçue.
Je lui raconte donc ma rencontre percutante avec Mr voiture de sport. Ces deux folles sont écroulées de rire.
— Tu as fait la connaissance d'Aaron, s'enthousiasme Max, en jouant avec ses sourcils.
Limite si elle ne tape pas des mains en sautillant comme une gamine.
— Ben c'est un sacré con.
Et beau comme un Dieu, mais ça je le garde pour moi.
— On en reparlera ma pétasse.
— De ?
Ignorant ma question, elle enchaîne :
— Beaucoup de filles kiffent de se prosterner à ses genoux... et quand je dis prosterner...
— Sans moi, je la coupe en haussant le ton.
Mes deux amies ricanent employant un vocabulaire salace.
Je décide de les laisser à leurs spéculations en me focalisant sur mon écran, tellement que je n'ai pas fait attention aux derniers étudiants arrivés en retard.
Un souffle chaud balaie ma nuque, puis ce sont des mots qui me font frissonner et stopper mon geste de frappe sur le clavier.
— J'ai déjà eu un aperçu... de toi à mes pieds... et l'idée me plait bien.
Je me retourne vivement au son de cette voix que je reconnais, puisque je l'ai entendu il y a moins d'un quart d'heure, pour tomber directement dans le regard d'Aaron. Celui-ci me gratifie d'un clin d'œil avant de rencogner dans son fauteuil, sous les rires goguenards de ses potes. J'allais ajouter qu'il neigera en enfer avant que ça arrive, mais le doyen choisit cet instant pour débuter son discours de bienvenue.
Je jette un œil du côté de ma coloc, mais elle est concentrée sur le doyen, enfin ça serait crédible si un sourire n'étirait pas le coin de ses lèvres, et si elle ne venait pas de pouffer comme une dinde.
— La ferme Max.
Elle fait signe de fermer sa bouche avec une fermeture éclair, et je décide à mon tour de faire semblant d'écouter les blablas de notre directeur.
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