Moments partagés *


 Quand l'alarme de mon téléphone portable sonne, j'ai la tête complètement à l'envers, les pensées embrouillées, et mon cerveau réduit à l'état de larve, j'ai failli l'envoyer valser à l'autre bout de ma chambre. Mais quand je réalise qu'il ne me reste que peu de temps pour me préparer, et être à l'heure, pour le déjeuner prévu avec ma mère, je n'ai qu'une envie, c'est de pouvoir arrêter le temps, et m'enfouir la tête sous l'oreiller, jusqu'à demain matin.

J'ai mis un temps fou à trouver le sommeil. Trop de flashs de la soirée ont inondé mon esprit et plus particulièrement mon moment passé avec Aaron. J'ai eu beau ressasser et râler après lui, ma raison et mon cœur se partagent une bataille féroce. Bref tout ça pour dire que ma nuit à été merdique mais qu'il va falloir que j'assume ma journée.

Je décide de me lever après un énième étirement, en traînant des pieds, et en essayant de garder les yeux ouverts, c'est mieux pour ne pas se prendre un mur, et j'arrive enfin à destination. La cuisine.

Une bonne odeur de crêpes envahit la pièce et mes papilles se réveillent à leur tour.

— Max qui prépare le petit dej un dimanche matin ? louche, dis-je pour moi-même.

Et j'ai la confirmation que ce n'est pas ma meilleure amie au fourneau. Pour le coup, mes paupières se plissent, et ce n'est pas dû aux rayons du soleil pénétrant dans le salon, mais plutôt au spectacle auquel j'assiste.

Naël se tient dos à moi dans l'espace cuisine. Jusque là ça va. Sauf que le Libanais est torse nu, et vêtu seulement d'un caleçon, les cheveux en bataille encore mouillé de la douche qu'il a dû prendre, les muscles de son dos se contractent à chacun de ses mouvements, cette vision est plus qu'agréable au réveil.

Focus Léane, c'est le mec de ta meilleure amie et le super pote d'Aaron. La première affirmation a le mérite de remettre mes neurones à l'endroit... Quant à la seconde, elle est caduque.

Nous sursautons tous les deux en même temps quand Nael se retourne pour poser une assiette remplie de pancakes sur le passe plat manquant de la faire tomber. Mes neurones se mettent à nouveau en état de marche,

— Bonjour Léane

— Salut Naël, dis-je en m'approchant.

— Je ne voulais pas te faire peur, je pensais que Max t'avait prévenue que je passais la nuit ici.

Il se fourvoie sur ce qui a causé ma peur, mais je le garde pour moi. Bien sur mes joues choisissent cet instant pour s'empourprer. Si Naël le remarque, il n'en montre rien.

— Si cela te dérange, je le comprendrai tout à fait, je sais que c'est ton appart donc...

— Cela ne me contrarie absolument pas Naël. Max est libre de t'inviter qui elle veut ! C'est mon amie avant d'être ma colocataire. Tu viens le squatter quand tu le souhaites, si tu me prépare le petit déjeuner tous les matins.

Naël éclate de rire et j'en fais autant.

— Deal Léane.

— D'ailleurs elle est où la marmotte ?

— Dans son terrier, elle dort encore...

Pas besoin de dessin pour entendre les mots qu'il ne prononce pas. La nuit a été courte pour eux aussi, sauf que nous n'avons pas eu la même activité.

— On petit dej, et ensuite, je lui porte le sien.

Nous commençons à attaquer les pancakes, en nous servant, ce qui sera mon moteur aujourd'hui, un café serré, tout en discutant.

— Tu es bien matinale, au vu de l'heure à laquelle vous êtes rentrées.

— Dit celui qui a dû arriver encore plus tard, ou tôt ! Tout dépend de comment on se place. Et qui n'a pas dû dormir, beaucoup, une fois au lit ! Je me trompe ? lui dis-je dans un sourire.

— Sur quoi ? le fait que je me sois couché tard, ou sur le sous-entendu pas du tout subtil que tu fais ?

— Laisse tomber, je ne veux rien savoir, mes oreilles ne le supporteraient pas ! Mais sinon, vous êtes rentrés longtemps après nous ?

Je croque dans la crêpe recouverte de sirop d'érable.

Pour le coup, question subtilité on repassera !

— Tu veux plutôt savoir si Aaron est rentré en même temps que nous ? Et seul ?

— Je ne sais pas de quoi tu parles.

Naël sourit.

— Pour répondre à tes questions silencieuses, oui, il est rentré en même que nous, car il doit déjeuner avec sa mère aujourd'hui. Et oui, il est rentré seul, parce que si j'en crois ce que j'ai vu hier, il est déjà à fond sur toi. Cela répond-il à tes questions ?

— Hum ! mais tu prends une impasse en affirmant qu'il est à fond sur moi.

— Pourquoi ? questionne le Libanais en fronçant les sourcils.

— Parce qu'il ne s'est rien passé de sérieux... et qu'il m'a abandonnée après... bref, parlons d'autres choses.

Naël me fixe étrangement, puis il ouvre la bouche clouant la mienne au passage.

— Léane, Aaron je le connais depuis quelques années, et jamais, je ne l'ai vu se comporter comme ça avec une fille, comme il l'a fait avec toi.

— Tu parles de les planter comme de vulgaires poupées ? ou...

— Plutôt de l'attention qu'il t'a portée tout au long de la soirée. Et votre danse est la cause du réchauffement climatique à elle seule.

Je pars dans un grand éclat de rire en secouant la tête.

— Plus sérieusement Léane, Aaron est un mec avec des défauts, mais c'est un mec droit. Après je ne sais ce que vous vous êtes promis, mais...

— Rien. Nous n'en sommes pas là, Naël, le coupé-je. Et pour répondre à ta question initiale, je dois déjeuner avec ma mère, rituel du dimanche, d'où mon réveil matinal.

— Ça fait déjà un point en commun entre vous.

Naël enfourne un pancake et moi je lève les yeux au plafond.

Une fois notre repas terminé, sans revenir sur le sujet Aaron, Naël commence à débarrasser la table, mais je l'en empêche en lui rappelant, qu'il a un petit déjeuner à apporter à sa princesse au bois dormant, et qu'il ne vaut mieux pas qu'il fasse connaissance avec une Maxine manquant d'heures de sommeil et surtout sans sa dose de caféine.

Habillée d'un jean, de mon chemisier Bash à imprimé fleuri et de mes escarpins bleus assortis à mon haut, je quitte ma chambre pour me rendre dans le salon, y récupérer mon sac, et mon blouson. Je lance un au revoir assez fort pour être entendu, et sort de l'appartement.

En chemin, je reçois un message de ma mère, qui me demande de la rejoindre directement au musée, car elle aura un peu de retard.

Devant l'entrée de l'Hôtel de Gallifet, le centre d'art contemporain, j'envoie un sms à Jeanne afin de la prévenir de mon arrivée. Elle me demande de la rejoindre directement dans son bureau car elle n'a pas encore terminé.

Je me présente au vigile qui demande confirmation à sa directrice, puis il m'accompagne jusqu'à l'ascenseur réservé au personnel et où il insère une carte magnétique en sélectionnant l'étage.

— Bon dimanche mademoiselle.

— Merci à vous aussi.

Arrivé sur le palier, je me guide en suivant les flèches indiquant la direction du bureau de la direction.

— Bonjour maman ! la salué-je en pénétrant dans son antre après avoir frappé.

— Bonjour ma chérie, entre, j'en ai pour deux minutes, et on y va.

— Ok.

Le temps qu'elle range des affiches dans une pochettes en cartons, j'en profite pour détailler son bureau, où je ne suis encore jamais venue.

Les murs sont blancs, un seul tableau, que je reconnais comme étant un Soulage, habille le mur face à son poste de travail. Les trois autres supportent des étagères en verres, remplis de livres d'arts, plus ou moins anciens, des statuettes rapportées des différents pays que nous avons visités des photos, beaucoup. De moi enfant, adolescente, de nos dernières vacances à Biarritz, avant d'emménager ici, Mais aussi de son amant. Cela me contrarie qu'elle donne encore de l'importance à ce goujat. Sur les clichés ils ne sont jamais seuls, toujours entourés afin de n'éveiller aucun soupçon.

— Je me souviens de ce vernissage, ma mère que je ne n'ai pas senti approcher s'empare du cadre. C'est le tout premier auquel je t'ai emmené...

— Si tu as terminé on peut y aller ?

Je n'ai aucunement envie de plonger dans cette marre de nostalgie qui ne va pas manquer de l'engloutir.

Jeanne le comprend en reposant le cadre un peu brutalement sur le verre.

— C'est bon ! se reprend-elle avec un sourire qui n'atteint pas ses yeux. Je vais enfin pouvoir profiter de toi ma chérie. J'ai réservé au restaurant Côté cour, c'est mon assistante qui me l'a recommandé.

Le restaurant se trouve Cours Mirabeau dans un hôtel particulier. Quand on pénètre dans la cour, c'est un jardin d'hiver qui vous accueille et qui vous mène à l'entrée.

— Bonjour, Mesdames. Avez-vous réservé ?

— Bonjour, Mme Jardel, j'ai réservé une table pour deux personnes.

— Très bien, suivez-moi je vous pris.

J'emboîte le pas de ma mère, tout en observant le lieu ainsi que la clientèle, et je me fais la réflexion que j'ai bien intuité sur ma tenue.

— Le serveur va venir vous apporter les cartes. Souhaitez-vous un apéritif ? questionne l'employé dès que nous sommes assises;

Nous répondons par la négative toutes les deux. Sûrement pas pour les mêmes raisons !

— Je vous souhaite un très agréable appétit.

Et effectivement, le serveur arrive avec les cartes des menus, à croire que tout est millimétré !

— Léane, tu as choisis ? m'interroge Jeanne, le serveur attendant notre commande. Moi, je vais me laisser tenter en entrée par les langoustines en ravioles et citron confit, et en plat, le saint pierre au fenouil et agrumes. Pour le dessert, je verrai après.

— J'hésite... Mais je craque pour les saint Jacques à la truffe, et en plat, les rougets au beurre d'algues, et en dessert, la tarte au citron hibiscus.

Nous attendons que le serveur ait terminé de prendre nos commandes pour attaquer notre discussion.

— Alors ma chérie, comment se passe la fac ? Tu as pu te faire de nouveaux amis ?

— Pour les amis pas de problèmes, Max m'a présentée à certains de ses amis, qui sont en droit aussi. Et hier soir, nous étions invités chez le frère d'Alma. Pour la fac, c'est un peu tôt pour dire que tout va bien, mais je bosse pas mal en vue des examens du premier semestre. Et toi, comment ça se passe dans ton musée ?

— Très bien. L'équipe est super sympa et très professionnelle, mon assistante est une perle, ça me change de l'autre mal baisée, que j'avais à Paris. En ce moment, je suis en pleine préparation d'une expo éphémère sur un artiste que m'a conseillée ton père.

— Décidément, il est très présent pour quelqu'un qui a décidé de jouer au fantôme avec moi, et de nous envoyer vivre à plus de sept cents kilomètres de sa petite vie de ministre. Et dois-je te rappeler qu'il n'est que mon géniteur et non mon père ? Ou mon banquier si tu préfères ! dis-je avec sarcasme.

Jeanne me lance un regard d'avertissement.

— Léane ! Arrête ça tout de suite. Tu réagis en enfant gâtée.

— C'est la meilleure celle-là ! m'exclamé-je à deux doigts de planter ma mère et ses théories à la con.

— Le même sang coule dans vos veines, poursuit-elle, indifférente à mon bouillonnement intérieur. Pour moi il est ton père.

— Je le considérais comme tel s'il m'avait reconnue ce qui n'est pas le cas... à moins que ça change maman ?

Ma mère se saisit de son verre de vin, en boit une gorgée sans me regarder.

— Et puis, tu lui dois ton entrée dans cette fac et ton magnifique appartement, reprend-elle.

L'argent, toujours l'argent. Il fait partie de cette catégorie d'hommes qui pensent que le fric achète tout.

— C'est pour ça, qu'il me fait plus penser à un banquier qu'à un père ! Et crois-moi, j'aurai vraiment préféré qu'il signe cet acte de naissance, au lieu de tous ces chèques. Cela aurait été un véritable cadeau, plus que me servir de planche à billets. Mais il a choisi sans que nous ayons notre mot à dire... Alors en toute honnêteté, oui j'en profite et sans scrupules en plus.

Jeanne soupire, consciente que j'ai raison et surtout qu'elle ne me fera pas changer d'opinion sur Saint André.

— Il doit venir à Marseille d'ici deux mois.

J'attends la suite.

— Pour soutenir un des futurs candidats aux municipales. Il m'a prévenue qu'il en profiterait pour passer nous voir.

La bombe est lâchée.

Le serveur arrive avec nos entrées me dispensant de répondre.

Pour l'instant.

Plus aucune de nous ne parle, tellement c'est une explosion de saveurs en bouche, l'association des saint jacques avec la truffe, c'est une pure merveille.

— Je suppose que je n'ai pas le choix ? attaqué-je des mon plat terminé. Quand Monsieur Claude De Saint André décide, sa maîtresse exécute.

Si nous n'étions pas en plein milieu d'un restaurant, la main de ma mère aurait atteint ma joue à la vitesse de l'éclair. Gifle que j'ai méritée.

Je m'en veux au moment même où j'ai prononcé la phrase.

— Pardon maman, dis-je en lui saisissant la main par-dessus la table. Je ne voulais pas te blesser. En plus c'est irrespectueux de ma part. Tu es bien plus qu'une simple maîtresse à ses yeux.

Nos regards se percutent, dans le mien elle peut y lire la sincérité de mes excuses et dans le siens, la brillance de ses iris m'indiquent la peine que je lui inflige en lui rappelant sa condition.

— Excuse-moi encore maman.

— Excuse acceptée Léane, mais ne t'avise plus de recommencer à me manquer de respect.

— C'est promis. Si cela te tient vraiment à cœur, alors j'accepte la rencontre. Après tout, ce n'est pas quelques heures avec lui qui vont me tuer.

— Merci ma chérie.

Je la sens soulagée.

Notre repas se poursuit avec des conversations beaucoup plus légères. Je lui parle de ma soirée d'hier soir, de William, Nael, Raphal et bien sûr d'Aaron, en omettant volontairement mon baiser avec le brun ténébreux. Il m'a suffisamment perturbée pour en rajouter une couche. Je connais assez Jeanne Gardel et ses élucubrations. La proposition des amis de Maxine de nous rendre à la mer dimanche prochain la rend assez euphorique comme ça..

— Ils sont comment ?

— Qui ?

— Les quatre garçons dont tu me parles.

— Sympas.

Ma mère hausse un sourcil.

— Et c'est tout !

— Bon ok, ils sont canons...

— Et sur les quatre, il n'y en a pas un qui te plait ?

Je sens mes joues rougir et le sourire de connivence dont elle me gratifie montre qu'elle n'est pas dupe.

— Hum.

Jeanne s'esclaffe, le serveur arrive avec nos desserts.

— Tu m'en parleras quand tu te sentiras prête ma chérie.

— Non mais, je...

— Goûte ta tarte, c'est une tuerie, me coupe-t-elle en mettant à exécution son conseil.

Elle n'insiste pas et moi je ne relance pas le sujet.

On finit par se séparer alors que l'après-midi est déjà bien entamée. Je lui fais la promesse de lui donner de mes nouvelles plus régulièrement, elle me répond qu'elle me tient au courant dès qu'elle a la date exacte de la visite de mon géniteur, puis je l'embrasse en m'excusant encore une fois.

Je flâne dans les rues animées du centre-ville ne voulant pas regagner l'appartement de suite. Aix en Provence étant une ville étudiante, même le dimanche les terrasses des cafés sont remplies. Je m'attarde autour de la fontaine de la Rotonde, à quelques pas du cours Mirabeau, une des plus grandes de la ville. Je la prends en photo et la poste sur mon insta, ce qui m'emmène chercher un certain Aaron Castex. Mais rien, nada. Je recherche les autres. Seul William a un compte, ce qui ne me surprend pas, mais rien à part des photos de soirées, ou de paysages. Aucun d'eux n'apparaît sur les posts. Étrange.

Le soleil déclinant, je me dis qu'il est temps que je retrouve mon chez moi.

Je constate que tout est calme quand je pousse la porte de notre logement. Max m'a laissé un mot me prévenant qu'elle est allée voir ses parents, et qu'elle va y dormir, alors je rejoins ma chambre, enfile ma tenue de nuit et je commence à réviser mes cours. Quand j'ai terminé, la lune a remplacé l'astre solaire.

Une pizza sortie du congélateur, une série sans prise de tête et me voilà deux heures plus tard disposé à aller me coucher. J'adore ma vie !




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