Chantage*

                                 

Le jour se lève à peine quand je me retrouve à passer les portes de l'Airbus à destination de Paris.

Après s'être éclipsée dans son bureau, ma mère est revenue tout sourire son portable en main.

— Tout est arrangé... nous partons pour la capitale... dans exactement, elle scrute sa montre, cinq heures.

Maxine et moi avons haussé les sourcils si haut qu'ils ont dû toucher la racine de nos cheveux. Il est déjà si tard.

— Comment ça ?

— Toi et moi ma chérie, nous allons rendre une petite visite à ton père...

Je ne relève pas la dénomination car comme elle me l'a précisé plus tôt c'est loin d'être l'essentiel.

— Je l'ai averti par téléphone, mais même s' il a paru étonné il a accepté...il nous attend dans son bureau de la place Beauvau.

— Tu m'étonnes, je devais le recontacter pour tu sais... lui...

Je n'ose pas aller plus loin, mon regard en biais en direction de ma meilleure amie.

— Je ne lui ai rien dit. J'ai fait comme si je n'étais au courant de rien à part que je t'ai vu arriver en compagnie d'un policier, et j'ai quémandé son aide pour te sortir de là... chose qu'il a acceptée tu t'en doutes. Il croit certainement que les preuves vont arriver à lui sans qu'il n'ait à se déranger. Ma mère ricane, avant de reprendre. C'est là que mon plan va se resserrer sur lui. Mais en attendant, que je t'explique ce à quoi j'ai pensé, tu vas te changer, et toi Maxine, je compte sur toi pour ne pas avertir Aaron et ses amis... Léane leur expliquera tout en rentrant demain.

— Non mais ça va ! m'indigné-je. Tu penses réellement qu'ils vont encore m'accorder cinq minutes de leur temps pour m'écouter ? je te rappelle que pour eux je suis une traître à la solde de son pourri de géniteur qui les a trahis.

Ma gorge est obstruée de sanglots qui ne veulent pas sortir.

— Et moi, je te rappelle que tu as été obligée de le faire pour les sauver, eux.

— Pour ce que ça a donné, me renfrogné-je contre le dossier de la chaise.

— Nous n'allons pas encore avoir cette conversation. On tourne en rond et le temps passe. Donc Maxine, tu restes ici, tu vas les récupérer au commissariat quand j'en saurais plus et si Aaron te pose la question de pourquoi Léane n'est pas là, tu restes évasive, du genre elle est partie à Paris.

— Mais en affirmant cela, ça confirme leurs doutes, non ?

— Oui, mais j'ai besoin qu'ils ne fassent rien de stupide jusqu'à ce que j'ai pu piéger Saint André de mes deux.

Maxine et moi éclatons d'un rire nerveux.

— Et plus ils penseront que Léane est impliquée, plus il s'en éloignera... Aaron m'a l'air d'un homme assez protecteur et...

— Jamais il ne me le pardonnera.

Ma voix s'est brisée sur le dernier mot, je sens les bras de Maxine m'entourer alors que ma tête repose sur mes bras appuyés contre la table.

— Aaron le fera, ma chérie.

La certitude de ma mère m'ébranle mais je la mets dans un coin de mon cerveau.

— Maintenant, tu vas te doucher, essayer de dormir un peu car il ne nous reste pas beaucoup de sommeil.

Maxine accepte de rester avec moi et bien évidemment nous ne fermons pas les yeux. Nous le passons à discuter, moi à m'excuser, elle a me pardonner et ainsi de suite jusqu'à ce que ma mère vienne frapper à la porte et m'avertir qu'il est l'heure.

Une heure et demie plus tard nous débarquons à CDG. Ma mère et moi prenons un taxi à la sortie de l'aéroport, pour qu'il nous dépose à l'adresse ministère de l'intérieur. La nuit sur la capitale est déjà tombée et je culpabilise de pouvoir profiter de la vue du ciel alors qu'Aaron est enfermé dans une cellule.

— Bientôt il sera dehors, ma fille, je t'en donne ma parole.

Ma maman a toujours su lire en moi. Si nous ne sommes pas à proprement dit fusionnels, un amour fort nous lie, dû au fait de n'avoir pu compter que sur nous deux durant toutes ces années passées.

— J'espère, car ce qu'ils font, même si c'est répréhensible aux yeux de la loi, ils ne méritent pas d'être emprisonnés... Les vrais escrocs, ce ne sont pas eux.

Ma mère me serre les doigts.

Arrivées place Beauvau, Jeanne prévient son ex amant de notre arrivée. Comme il est encore très tôt, personne n'est là pour nous accueillir c'est donc le secrétaire personnel de sa majesté Saint André qui s'y colle et vue son air renfrogné et fatigué cela n'a pas l'air de lui convenir. Nous lui emboitons le pas dans des dédales de couloirs, je ne prends pas le temps d'observer mon environnement trop stressé que je suis par la suite des événements. Ma mère, elle, marche d'une démarche conquérante, comme si elle connaissait les lieux. Ce qui doit être le cas... et ce constat provoque un malaise en moi.

Quand un des battants de la double porte en bois massif, aux moulures ouvragées dorées, s'ouvre, mes yeux sont immédiatement attirés par le centre de la pièce où derrière un bureau immense mon géniteur est assis le nez dans un dossier. Des piles de parapheurs, de chemises classées par couleurs, d'objets personnels remplissent la table de travail en bois massif imposant et austère. Tout comme lui, me fais-je la réflexion.

— Jeanne, Léane. Bonjour, entrez et asseyez-vous, nous indique-t-il sans plus nous prêter attention.

— Bonsoir Claude, répond ma mère.

Quant à moi, mon impolitesse est de sortie. Il ne relève pas ce qui esta assez rare pour être souligné.

— Que me vaut cette visite inopinée et si... matinale, nous interroge-t-il en jetant un coup d'œil à sa montre de luxe et en encapuchonnant son stylo plume MontBlanc en or blanc.

— Je t'ai expliqué les grandes lignes au téléphone, commence ma mère.

— Cela n'avait pas besoin d'un petit voyage ici. J'aurais pu passer quelques coups de fils et...

— Sûrement, Claude, sûrement, l'interrompt- t- elle en se levant et en posant la hanche contre l'arête du bureau, croisant les bras sur sa poitrine attirant le regard de mon géniteur dessus. Mais il me semble que tu attends quelque chose de notre fille...

Je ne rate pas la grimace à l'évocation de notre filiation. j'ai dû avoir la même.

— Que veux-tu qu'aie-je à attendre d'une petite délinquante ?

J'allais protester, mais ma mère me fit signe de me taire d'un geste de main.

Si je n'étais pas déjà dégoûtée par son jeu d'acteur, je m'inclinerai presque tellement il feint à merveille l'hypocrisie. J'ai hâte de le voir tomber et le masque et de son piédestal.

— Au hasard le sauvetage de tes fesses !

Claude Saint André émet un hoquet de stupeur certainement pas habitué à entendre son ex maîtresse s'adresser à lui de cette manière.

— Et de quelle manière je te prie ? se reprend-il.

— Oh tu le sais très bien, Claude puisque l'initiative vient de toi. Franchement, ce servir de Léane comme appât... ma mère secoue la tête d'un air écoeuré. Je te connaissais, avare, lâche, méprisant, arriviste...

Le tableau est on ne peut plus flatteur.

— Mais fourbe au point de manipuler notre fille en lui faisant croire que tu acceptes ses conditions alors que déjà ton plan machiavélique était en route.

Le ministre se contente de la fixer intensément.

Jeanne tend une main vers moi, je me lève à mon tour et lui donne mon sac à main qui contient les preuves récupérées lors du cambriolage. Une fois les clés USB, et l'enveloppe sortie, elle les étale sur un coin du bureau. Le salop qui me sert de géniteur va pour s'en emparer, mais ma mère est la plus rapide en posant ses mains dessus.

— Tss, tss,fait-elle en dodelinant de la tête.

C'est à cet instant qu'il comprend que Jeanne est au courant de toute l'histoire et le voir plisser les paupières, desserrer sa cravate et s'éponger le front avec un mouchoir commence à me faire jubiler.

— Que veux-tu en échange, Jeanne ?

Son ton est froid et mécanique.

Certainement une habitude pour lui de négocier.

— Plusieurs choses... mais avant tu vas écouter un petit enregistrement audio.

Elle active son portable et la voix de mon père étouffé par l'éloignement dû à la distance de l'enregistrement se propage dans la pièce. On y entend la menace et le chantage ainsi que la contrepartie que j'attends. Plus la bande défile, plus il devient livide.

— Tu sais que cela n'a aucune valeur devant...

— Détrompe toi papa, il y a eu jurisprudence. "Si le plaideur n'a pas d'autre moyen d'établir la vérité, il peut alors produire une preuve déloyale, telle qu'un enregistrement clandestin, dans la mesure où « l'atteinte qui en résulte est proportionnée au but poursuivi » ", récité-je l'article de loie de la cours européenne.

Maman me gratifie d'un clin d'œil.

— Vas-y donne moi tes putains de conditions Jeanne.

Mon sourire s'élargit. L'entendre jurer me fait jubiler.

— Ne sois pas si impatient, ça va venir.

Ma mère contourne le bureau, se place de façon à être face à l'ordinateur ouvert.

— Tu permets, et elle insère la première clé, celle qui contient la liste de noms que son ami a établie dans son dos sous le regard scrutateur de son propriétaire.

Maman se tourne vers moi, en me lançant un regard entendu, puis il enlève la première clé et insère la deuxième. Le plan commence maintenant ! Pense à Aaron, à Will, à Raphaël et Naël. Si tout se passe comme prévu ils seront dehors aux premières heures de l'aube.

Mon géniteur perd de sa superbe au fur et à mesure que la vidéo avance.

— Alors que ressent-on quand l'un de vos plus proches amis vous trahit ?

N'attendant pas de réponse de sa part, elle s'empare de l'enveloppe et déverse son contenu sur le clavier de l'ordinateur. Les yeux de mon paternel ne savent plus où s'arrêter. Il se saisit de l'un des clichés, le froisse après l'avoir examiné. Il a changé de couleur, son visage est livide, ses mains tremblent, de colère ? de peur ?

— Je réitère, Jeanne, profère-t-il la mâchoire contractée, que veux-tu en échange des preuves ?

— Tu veux dire, que veut Léane, plus tôt.

Son regard se dirige vers moi, les rouages de son cerveau se sont mis en branle, il a compris sans que je n'ai eu à prononcer mon voeux.

— Hors de question, vocifère-t-il en se levant précipitamment faisant basculer son fauteuil de ministre.

— Je crains que tu n'aies pas le choix.

— Comment arrives-tu à gérer ta conscience, à te regarder encore dans une glace, Jeanne...

— De la même façon que toi, Claude. Je joue avec tes cartes, m'adapte à ton jeu et cela depuis de nombreuses années.

— Tu me dois TOUT, espèce de...

Cette fois-ci je ne tergiverse pas et empoigne mon géniteur par son col comme me l'a appris Aaron lors de nos nombreux cours d'autodéfense.

— Termine ta phrase, papa, et ton emploi du temps ne comprendra plus que des rendez-vous chez le dentiste.

Je perfore ses iris des miens afin qu'il comprenne que je ne plaisante pas. Je le relache et m'éloigne. Il tire sur le col de sa chemise, une trace rouge sur son cou me tire un sourire.

— Bravo, tu es devenue une véritable dévoyée.

— Je m'adapte, fais-je en étirant mes lèvres.

— Revenons à ce qui nous intéresse, Claude. Et pour ton information personnelle, je ne te dois absolument rien.

Jeanne se campe droite et fière face à lui le menaçant de son regard le plus noir.

— Impossible. Ce que vous me demandez est au-delà de mes prérogatives...

— Tu es leur ministre, le coupé-je, tu as le pouvoir sur eux, et puis tu leur verseras un bakchich plus conséquent, terminé-je en haussant les épaules.

— Je n'ai pas orchestré tout ça depuis des mois, pour qu'une gamine pourrie gâtée, qui s'amourache d'un braqueur du dimanche me fasse tomber et foute tout en l'air. Crois moi tu n'as pas les épaules pour assumer les conséquences de tes actes.

— Encore des menaces ? Que comptes-tu faire Claude ? intervient ma mère. Je ne pense pas que tu sois en position de négocier.

Voyant qu'il ne répond rien, je prends la parole.

— Le deal est simple, tu vas voir ! En échange des preuves ici présentes, tu mets fin à la garde à vue d'Aaron, Naël, Raphaël et William, même si légalement, fais-je en allumant l'écran de mon portable pour regarder l'heure, elle peut se terminer d'ici quelques heures, et bien sûr tu effaces toutes traces de leurs interpellations. Pas de casiers judiciaires. Et enfin, le plus important, tu te débrouilles pour que toutes les charges retenues contre eux soient abandonnées.

Mon donneur de sperme me crucifie de ses yeux de fouine, mais je ne détourne pas le mien.

— Et pourquoi je ferai ça pour ces voyous ?

— Pourquoi ? Mais parce que si tu ne le fais pas, j'envoie une copie de chaque document à la presse... et à ta femme adorée, renchérit ma mère.

— Tu n'oserais pas, Jeanne, pas après tout ce que l'on a vécu !

Ma mère ricane.

Que c'est moche un homme de sa trempe aux abois. Un homme de pouvoir qui justement pense qu'il les a tous, mais qui fatalement va tomber comme les autres.

Je peux presque voir les rouages de son cerveau se mettre en place. Ses sourcils sont froncés, sa respiration bruyante et rapide. Pourtant il sait qu'il a perdu la partie.

— Très bien, donne-moi les preuves, et d'ici ce soir tes amis seront sortis libres et blanchis. Mais que ce soit bien clair Léane, tu n'existes plus pour moi !

— C'est pas comme si tu m'avais gavée d'amour pendant vingt quatre ans papa ! Et puis quelque chose qui n'a jamais existé ne peut pas être, ni me donner des regrets.

Ma mère nous surprend tous les deux, enfin plus lui, que moi quand sa main s'abat sur la joue de son ancien amant. Le claquement raisonne dans le bureau feutré.

— Ça, c'est pour t'être servi de Léane et sauver ta peau de pourri. Et celle-là, elle réitère son geste sur l'autre joue, c'est pour n'avoir jamais voulu la reconnaître. Maintenant, tu dégages de ma vie, je ne veux plus jamais entendre parler de toi ou te voir, ou je ferai de ta vie un véritable enfer ! J'ai honte de t'avoir eu comme amant, je suis malade à l'idée d'avoir aimé un assassin. La seule chose que tu ais fait de bien, c'est d'avoir oublié de mettre une capote il y a vingt-cinq ans. Car Léane est la plus belle des récompenses ! Tu ne me l'enleveras jamais.

Je n'ai pas l'habitude de voir ma mère dans un tel état. Son ton est cassant, aussi dangereux qu'un venin qui s'écoulerait dans nos veines.

Mon géniteur ne prononce plus aucun mot. Ses deux joues sont marquées par la trace des doigts.

Sans un mot, nous récupérons les preuves puis nous nous apprêtons à franchir le seuil, quand Jeanne se retourne et lui rappelle :

— Si tu essayes de nous la mettre à l'envers, sache que j'ai gardé une copie de chaque document, sous scellés chez mon notaire. Donc, inutile d'envoyer des hommes de main afin de les récupérer. Un faux pas, et tout part à la presse avec copie personnaliséepour ta femme. Monsieur le ministre de l'intérieur, salutations à ta famille.

Au moment où nous passons la porte nous entendons celle qui donne accès à ses appartements privés s'ouvrir. Dans un mimétisme parfait nous pivotons vers le bruit.

— C'est long mon lapin... je commence à me rendormir.

Ma mère et moi tournons la tête vers la voix féminine qui apparaît dans l'entrebâillement seulement vêtue d'un string, tenant dans une main une paire de menottes en fourrure rose pétard. Mon regard en biais fixe ma mère, son air dégoûté alourdi par une grimace me fait de la peine, et puis un rire incontrôlé lui prend suivie du mien, devant la scène pathétique et tellement cliché qui s'offre à nos yeux. Saint André est plus blanc que sa chemise et le regard noir qu'il lance à sa maitresse est clair, du coup elle rebrousse chemin sans demander son reste.

— Décidément ta journée commence mal... mon lapin.

Notre fou rire se décuple et nous sortons définitivement de la vie de Claude Saint André.

Une fois sortie du ministère, nous éclatons d'un rire nerveux. L'adrénaline sûrement. Ou la folie d'avoir menacé un des ministre de notre pays. Nous nous prenons dans les bras l'une de l'autre, indifférentes aux passants qui nous détaillent comme si nous étions des folles sorties de l'asile. Ils ne sont pas loin de la vérité. Menacer un ministre de l'intérieur, et cela même s'il est mon géniteur n'est pas loin d'un état psychiatrique. 

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