LE PREMIER JOUR (un temps)

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Le premier jour, il y avait une femme qui marchait le long de la berge. Sa longue robe blanche et vaporeuse s'accrochait aux branches et ses pieds nus écrasaient les feuilles mouillées.
Le temps était gris, un gris lumineux qui vous aveuglait dès que vous leviez les yeux vers lui. Mais la femme ne semblait pas s'en soucier, elle avançait au bord de l'eau comme si rien ne pouvait se glisser devant elle, comme si aucun obstacle ne pouvait se mettre en travers de sa route.
Un sifflement me surprit à ma droite, je tournai la tête, plein de surprise, mais rien.
Puis un autre à ma gauche. Nouveau sursaut. Toujours rien.

Je relevais les yeux vers le ciel. Il avait changé.
Ce n'était pas flagrant mais je voyais distinctement ses coins se teinter de rouge. Je fronçai les sourcils sans comprendre. La femme en robe blanche avait disparue.

« Samael, Samael. »

C'était un chuchotement qui m'appelait, un chuchotement étrange, sifflant, qui faisait froid dans le dos. Je tournai et retournai ma tête, cherchant désespérément qui pouvait bien m'appeler ainsi. Le ciel devenait toujours plus rouge.

« Samael, Samael, Samael.
- Vous êtes qui putain ? »

Ma voix fusa à travers ma bouche, comme douée d'une volonté propre. L'angoisse agissait tel un effondrement cosmique.
J'étais le noyau. La peur broyait mes tripes, déversait la panique. Je crû mourir.

Le silence remplit l'espace avant même qu'il n'eut terminé de proférer.
Les chuchotements avaient disparus et seul le vent dans les feuilles distrayait l'ambiance tendu.
C'était quoi ce bordel.

« Tu es là Samael, tu es presque là. »

La voix était dans ma tête maintenant, tout autour de moi et dans ma tête.

« Mais vous êtes qui ?!
- Je suis la mort Samael. Je suis l'âme des enfants pendus, je suis la diseuse de tristes aventures, je suis les torrents de larmes se fondant dans la peur ; je suis la mort, terrible, terrassante, la mort. Dans la douleur et le chagrin, la mort. La mort. La mort. La mort. La mort. »

Et c'est à ce moment-là qu'elle surgit devant moi.
Deux yeux ronds et complètement blancs, un sourire déformé qui montait jusqu'au ciel.
Et un cri terrifiant.
Un hurlement de mort.

Je me réveillai brusquement en criant, trempé de sueur et le cœur battant la chamade. Je mis quelques secondes à m'habituer à mon environnement.
J'étais dans la voiture. Elle roulait.

« Ça va ? T'as une sale tête. »

Je levais les yeux, ils devaient être exorbités.

« Ouais, ouais ça va. Juste un cauchemar zarbi. Ça fait longtemps que tu conduis ?
- Non, j'ai repris la route il y a une heure.
- Tu t'es reposé au moins ?
- Tu t'fous d'moi ? Après la pipe de champion que t'as faite, j'me suis endormie comme une masse.
- Tant mieux. »

Je soupirai et redressai le siège passager pour poser ma tête contre la vitre, perdu dans mes pensées.
Le cauchemar commençait à se dissiper mais quelques unes de ses brumes particulièrement claires continuaient à me torturer l'esprit.
En particulier cette voix angoissante.
Et ce visage tordu.

Un frisson de peur me lacéra le dos et un mauvais pressentiment me retourna les tripes.

La voiture qui roulait à travers d'épais bois sombres dépassa rapidement un panneau.
Dessus je parvins à y lire : Marville.

« Tu connais Marville ? » demandai-je spontanément.

« Non. Pourquoi ?
- On vient d'y entrer.
- Ok super. »

Je tournai la tête vers lui avec un regard blasé.

« C'était sur la carte au moins ? »

Merle fronça les sourcils, il avait l'air contrarié.

« Tu vas vraiment me casser les burnes pour une ville à la con ?
- Eh ! C'était une vraie question.
- Et pourquoi tu m'demandes ça ?
- Et toi, pourquoi tu ne me réponds pas ? »

Il renifla dédaigneusement.

« Y'a rien à répondre.
- Tu t'fous de moi. C'est quoi cette ville putain ? J'en ai jamais entendu parler.
- T'es pas sérieux là ? » Merle avait un ton de plus en plus moqueur. Ça ne me plaisait pas tellement.

« Quoi ?
- Tu m'tapes un coup de flippe à cause d'une ville que tu connais pas ? T'es débile ou quoi ? Tu peux pas connaître toutes les villes des État-unis. C'est carrément logique. »

Je secouai la tête énergiquement.

« Non, grave pas. J'suis sûr que c'est une mauvaise idée d'y aller. Mon cauchemar, il était super bizarre et cette ville cheloue juste quand je me réveille c'est vraiment flippant. Et étonnamment concordant.
- Je déteste quand tu parles comme ça »marmonna Merle. « Tu veux pas causer normalement ?
- Je dis juste que tu devrais faire demi-tour !
- Et pourquoi ça ?
- Parce que dans mon cauchemar y'avait un fantôme bizarre qui faisait que dire qu'elle était la mort et qu'elle était contente que je sois bientôt arrivé ou j'sais pas quoi. Enfin bref, c'était très bizarre et très flippant. Fais demi-tour maintenant.
- "Elle" ? »

Je tournai vivement la tête vers lui d'un air agacé. Cet abruti écoutait toujours qu'à moitié et ça commençait à me gonfler.

« C'est tout ce que t'as retenu, sérieux ? Oui c'est une femme, mais c'est encore plus flippant, Merle ! C'est comme dans les films d'horreur ! Y'a un fantôme qui va nous buter là ! »

Il éclata de rire. Et je le pris très mal.

« T'es vraiment zinzin mon pote, les fantômes ça n'existent pas. »

Il en détacha chaque syllabe comme si j'étais un môme de quatre ans.
Je fis la moue.

« C'est pas ce que tu disais hier ! Les fantômes sont les enfants du Diable, tu t'souviens ? Alors fait demi-tour avant qu'on arrive en Enfer ! »

Son rire redoubla d'intensité. Ce connard avait l'air d'en avoir tellement rien à foutre, j'étais sûr à en mettre ma main à couper qu'il s'était fumer un joint de l'espace avant mon réveil.
Putain que je le détestait.

Prit d'une vague d'énervement, je me jetais sur lui et agrippai fermement le volant dans mes mains.

Je savais que je ne devrais pas faire ça.
Que c'était stupide et dangereux.
Mais j'avais peur. J'avais peur et je n'ai rien contrôlé.

Je donnai un brusque coup vers la gauche et au même moment je sentit Merle me choper fermement la nuque et me tirer violemment en arrière.

C'était pas nouveau ça. Je ne contrôle jamais rien. Ma vie est une espèce de roulette russe géante et je suis le numéro 13.

La voiture dérapa sur la route alors que je me mangeais la portière en plein dans le dos.

« Aïe ! Putain Merle !
- Putain Sam ! »

Il me regardait, ses yeux semblables à des broyeurs à viande. Tout son corps trahissait la moutarde qui lui piquait déjà bien le nez. On aurait dit le taureau d'une Corida et j'étais le tissu rouge.
La douleur déformait mon visage, je levai des yeux humides et furieux vers lui prêt à lui hurler dessus quand le visage de Merle se métamorphosa subitement.
C'était celui de la femme du cauchemar,
et elle hurlait à nouveau.

« Te voilà ! »

Avant même d'avoir eut le temps de percuter l'effroi de plein fouet, des dents taillées comme des pieux fondaient sur moi.
Un cri déchira l'air.
Mon crâne se retrouva pulvérisé par la douleur.
Un temps.
Deux temps.
Trois temps.
J'ouvris les yeux une nouvelle fois.

La première chose que je vis en remontant à la surface, fût le visage de Merle. Les yeux exorbités, la bouche entrouverte et l'horreur creusant son visage. Je n'avais jamais vu une telle expression de sa part, l'image qu'il me renvoyait à cet instant me toucha plus que ce que je n'aurais crû. Merle avait l'air tellement faible à cet instant, tellement démuni, presque pitoyable. Un début de sourire taquina le coin de mes lèvres.
Je voulais savoir pourquoi.
Je voulais tellement savoir.

« Un problème, Merle ? » demandais-je avec un naturel bluffant. Pourtant cette terreur imprimée sur son visage m'intriguait réellement et je ne pu réprimer la curiosité qui pointait le bout de son nez.

Bizarrement, aucune réponse fut crachée. Merle continuait de me regarder avec son air terrorisé de vieux chien errant. Je fronçai les sourcils, ne comprenant définitivement pas pourquoi il tirait une tronche pareille.

« Crache le morceau mec, il se passe quoi ? »

Il déglutit.

« Tu... Tu t'souviens pas ?
- Hein ? De quoi tu parles ?
- Descends. »

Un ange passa.
Ou plutôt une seconde de choc.
Le temps que mon cerveau assimile l'information.

« T'as dis quoi, là ?
- J'ai dis : descends. »

Je fronçai les sourcils et tentai un sourire, il ne devait pas être très terrible.

« Tu rigoles, hein ?
- J'ai l'air de rigoler ? »
Sa voix tranchait l'air.
« T'as plutôt intérêt à avoir viré ton sale cul de possédé dans les dix secondes si tu veux pas que j'te troue la gueule comme une putain de passoire. »

Le canon de son flingue vint brusquement faire loucher mes yeux. Un canon froid.
Glacé même.
Merle ne rigolait pas.
Dans ses yeux. Dans ses gestes. Dans sa voix.

J'ouvris la portière d'une main tremblante, mes dents crissaient contre mes oreilles. La panique se déversant comme un torrent dans ma tête. Je ne voulais pas.
Je ne comprenais pas.

Je tournais des yeux implorants, perdus, vers lui. Son regard était polaire mais une minuscule lueur de terreur chauffait tout au fond.

« Merle... »

Clic.
Il venait d'armer son flingue.
Mon sang se glaça brusquement, je fermais instantanément la bouche.

« C'est bon, baisse ça. J'me casse regarde. J'me casse. »

Je m'appuyais contre la portière et celle-ci s'ouvrit sur l'extérieur. Je m'extirpai de là à contrecœur, l'impression d'être en train de laisser ma vie sur le siège passager m'étouffait la gorge.

Une fois dehors, je tournais la tête vers Merle dans l'intention de lui parler mais il me coupa l'herbe sous le pied.

« La porte. »
Je le regardai sans comprendre.
« Ferme-la. »

Je baissais la tête un peu maladroitement vers la portière grande ouverte. Ma main bougea d'elle-même, elle poussa le morceau de taule et de plastique qui vint se fermer dans un claquement sec.
Une nuée de corbeaux s'envola d'un arbre non loin de là.
Je me fis la réflexion que dans cette ville hantée, les animaux étaient toujours là.

Merle ne me lança pas un regard. Le moteur redémarra, la voiture fit quelques embardées grotesques mais elle finit par se stabiliser et une poignée de secondes plus tard, il s'éloignait à plein vitesse.
Voilà que je me retrouvai seul, sans rien ; sans mon walkman, mes joints ou mon doudou.
J'étais juste là, sur le bords de la route, les champs et les bois s'étendaient autour de moi.

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