Chapitre 76 - Jimin

Je m'empare de la cuiller en bois et retourne la viande dans la grande poêle de Seon-Mi. Cela va faire trois heures que je suis en cuisine avec elle. On a préparé les desserts puis les entrées. Maintenant, les plats principaux sont lancés. Haneul est passée à un moment donné pour nous aider mais elle comme les hommes de cette famille sont de véritables calamités dans ce domaine. Alors on lui a vite ordonné de sortir de là.

Malgré notre concentration, on trouve quand même le temps de papoter de tout et de rien. On sourit à chaque fois que les rires des convives nous parviennent. Comme tous les ans, la famille Kim a accueilli beaucoup de personnes pour le nouvel an. Les parents de Hee-Seung et la sœur de Seon-Mi avec ses deux enfants bien entendu mais aussi ce vieux voisin qui n'a plus personne depuis le décès de son fils dans un accident de la route.

Depuis quelques années, nos parents nous autorisent à inviter des proches comme le meilleur ami australien de Gyu qui peut rarement retourner voir sa famille à cause du prix des billets d'avion. Jisoo nous rejoint toujours en fin de journée pour passer la soirée avec nous. Et aujourd'hui, JaeHyun que Haneul a enfin accepté de nous présenter et Yoongi avec son fils ont agrandi notre table.

Pendant un instant, j'ai eu envie de proposer à Jay de venir avec ses parents et son frère mais j'ai fini par me dégonfler. Je me suis trouvé toutes les meilleures raisons du monde de ne pas le faire. Cela fait peu de temps que nous sommes ensemble. Il n'a pas vu ses proches depuis des mois. Il est trop tôt pour que nos parents se rencontrent. Il y a trop d'étrangers à nos vies pour des présentations officielles ici, maintenant...

Tout y ait passé. Bien sûr, elles ne sont pas aussi bonnes que je veux bien le croire mais ça a suffi pour me convaincre de me taire. Je me contente donc des quelques messages que l'on s'échange depuis leur arrivée avant-hier. Mais je dois bien admettre qu'il me manque un peu. Beaucoup.

— Je peux te poser une question, mon chéri ?

Je sors de mes pensées et lui jette un coup d'œil. Elle continue d'éplucher ses pommes de terre, l'air de rien, comme si elle n'avait pas ouvert la bouche. Depuis que j'habite là, j'ai pris l'habitude de regarder Seon-Mi cuisiner. Au départ, je voulais seulement apprendre à faire quelques plats et pouvoir leur refaire. Juste me sentir utile et leur rendre tout ce qu'ils me donnaient. Mais au fil des mois, c'est devenu un moment agréable, reposant et surtout privilégié. J'aime être à ses côtés.

— Oui, vas-y.

— Comment tu as rencontré Jungkook ? m'interroge-t-elle, souriante. A ton travail ?

Elle ressemble à une adolescente, parlant des derniers potins du lycée. Elle est toute mignonne ainsi. Je ricane et lui avoue :

— Oui et non...

La surprise se peint sur ses traits et ça m'amuse.

— Comment ça ?

— En fait, je lui ai envoyé un message sans le faire exprès. Je pensais écrire à Jisoo. Et il se trouvait qu'il est venu voir un de mes collègues à la clinique pour une douleur à l'épaule mais que ce sont mes exercices qui ont fait effet.

— Le destin, murmure-t-elle.

Je hoche malgré moi la tête puis me souviens d'un détail :

— Par contre, tu ne dis rien à Tae, s'il te plaît.

— Pourquoi ?

— Il croit que j'ai rencontré Jungkook sur un site de rencontre.

Elle fronce les sourcils, ne comprenant pas pourquoi j'ai raconté ce mensonge à mon meilleur ami, mon frère. Ne pouvant pas dire la vérité à ma mère concernant mon froid avec Jisoo, je dis la première chose qui me passe par la tête :

— Tu le connais, il aurait eu peur que je sois tombé sur un tueur en série et aurait été trop protecteur. Déjà que l'idée du site de rencontre lui plaisait moyen...

— Je le reconnais bien là. Il tient ça de votre père.

Heeseung est quelqu'un de très méfiant au premier abord. Bien qu'il soit toujours agréable et sociable, il lui faut toujours du temps pour accorder pleinement sa confiance.

— Je ne dirai rien à personne.

Tenant toujours son économe, elle pose son index sur ses lèvres.

— Mais en tout cas, tu es bien tombé, mon chéri. Qu'est-ce qu'il est beau, ton Jungkook ! s'exclame-t-elle, un sourire rêveur aux lèvres.

— Il est à moi, eomma. Ne t'avise pas à me le piquer, plaisanté-je.

— Je ne peux rien te promettre, je ne contrôle pas toujours ma beauté incroyable !

J'explose de rire. Aucun doute, Tae est un savant mélange de ses parents.

— Mais je ferai de mon mieux !

Elle accentue sa phrase d'un clin d'œil. Elle reprend son épluchage tranquillement et je l'observe quelques secondes avant de me détourner et de bouger à nouveau ma viande dans la poêle avant qu'elle n'accroche ou pire ne brûle.

— Tu es heureux ?

Sa question sort de nulle part et me prend au dépourvu. Alors pour me donner une certaine contenance que je n'ai pas, je me tourne et cherche avec grande attention la bouteille de sauce soja. Au bout d'un trop long moment, je la repère, m'en empare et reviens face à ma préparation. J'ouvre le bouchon et lui avoue, les joues rouges :

— Très heureux...

À l'aide d'une cuillère, je verse le liquide dans ma préparation. Une, deux, trois... Je ne sais même plus à combien j'en suis quand Seon-Mi reprend la parole :

— Ça se voit. Je ne t'ai jamais vu ainsi...

À nouveau, cette même affirmation de sa part.

— J'étais heureux avant aussi, tu sais.

— Oh oui... ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.

Elle pose la pomme de terre qu'elle était en train d'éplucher ainsi que son économe et se tourne vers moi. Elle m'adresse un sourire plein de tendresse maternelle.

— Heeseung et moi avons tout fait pour que tu le sois et j'ose parfois espérer que vous avons réussi...

— Bien sûr que vous avez réussi, la coupé-je. A la perfection !

Du dos de sa main, elle me caresse la joue.

— Tu es adorable. Même avant que tu viennes habiter ici, tu étais un amour. C'est si facile de t'aimer.

Mes joues s'enflamment sous les compliments de ma mère adoptive. C'est la première fois qu'elle me parle ainsi. C'est assez déroutant mais aussi très agréable.

— Mais j'avais peur qu'à cause de ce que tu as vécu avec tes parents...

— C'est vous mes parents, la corrigé-je.

— Oui, mon chéri, souffle-t-elle, attendrie. Mais j'avais peur qu'à cause de ces... personnes, tu... sabotes tes histoires d'amour.

Mes yeux s'écarquillent à cette révélation.

— Que tu ne te sentes pas légitime d'être aimé et que tu trouves toutes les excuses pour...

Elle hausse simplement les épaules, ne trouvant pas les bons mots pour finir sa phrase. Ma première idée est de me rebeller, de la contredire. Ma bouche s'ouvre mais aucun son n'en sort. Je réfléchis à ses mots, cherchant à déterminer si elle pourrait avoir raison.

Ai-je laissé passer des histoires avant mon départ aux Etats-Unis ? Ai-je baissé les bras trop rapidement avec Joshua ? Aurais-je dû attendre qu'il change d'avis comme il me l'a répété ? Ai-je saboté chacune de mes relations inconsciemment ? Je baisse la tête. Je suis effrayé par cette simple idée.

— Mais tu nous as présenté Jungkook et... quand je te vois comme ça, aussi radieux, je comprends que j'avais tort.

Je repense à ce que j'ai dit à Jay quand nous avons parlé de notre couple, du fait que je puisse rester en Corée pour vivre ce que le destin nous offrait.

— Tu n'avais peut-être pas tort...

Elle recouvre ma main de la sienne dans un geste maternel.

— Tu mérites d'être aimé, tu n'as rien fait de mal. Tu es une belle personne qui a beaucoup de belles choses à offrir. Ce Jungkook est peut-être beau mais il est surtout chanceux que tu aies posé les yeux sur lui.

Seon-Mi en fait peut-être un peu trop mais c'est agréable à entendre malgré tout.

— Merci eomma.

Je lui adresse un sourire reconnaissant avant qu'elle ne me tapote gentiment la joue.

— Par contre, cultive ce bonheur. Il n'est pas éternel. Il est comme une magnifique fleur rare et fragile dont on doit s'occuper au quotidien.

La comparaison est jolie et sûrement vraie.

— Avec appa, ce n'est pas tous les jours faciles mais tant qu'on s'aime et qu'on se soutient, on peut survivre à tout.

Je soupire tout bas. Trop de choses tournent à présent dans ma tête avec tout ce que vient de me dire Seon-Mi. J'en réalise certaines tandis que j'en accepte enfin d'autres. Elle m'embrasse la joue avant de reprendre son travail en affirmant :

— Ce n'est pas comme ça que nous allons nourrir nos invités !

Je me reprends, mettant tout ça de côté pour le moment. J'y réfléchirai plus tard. Ce soir. Seul. Au fond de mon lit.

— Pourquoi n'as-tu pas invité Jay au fait ?

Mais il semblerait que Seon-Mi ait décidé de ne pas me laisser de répit. Pourquoi ai-je voulu l'aider en cuisine ?

— Ta sœur est venu avec JaeHyun et je soupçonne Gyu et Félix de ne pas être que des amis, si tu vois ce que je veux dire !

— Il nous l'aurait avoué, non ?

S'il y a bien une famille en Corée où on n'a pas à avoir peur d'être soi-même, c'est bien chez les Kim.

— Mais pour ça, il faut d'abord se l'avouer à soi-même et l'accepter.

Tel un poisson, j'ouvre la bouche, surpris par sa déclaration.

— Après, c'est peut-être moi qui me fais des idées...

Je hausse les épaules, incapable de lui répondre. Je suis proche de Gyu et j'aime l'idée qu'il se serait confié à moi si c'était le cas mais peut-être que la distance géographique qu'il y avait entre nous l'en a dissuadé.

— En tout cas, Jungkook est le bienvenu, tu le sais.

— Je le sais mais... il était pas libre, lui dis-je dans une semi-vérité. Il recevait sa famille.

— Cela ne change rien. Notre porte leur est ouverte, mon chéri.

De quoi ai-je réellement peur ? Jay m'a prouvé plus d'une fois qu'il tenait à moi et qu'il n'a nullement l'intention de m'abandonner. Après tout, c'est tout ce que je demande aujourd'hui. Alors peut-être que la rencontre de nos familles est un peu précoce mais qu'est-ce que ça peut faire puisqu'on s'aime ?

— Tu crois qu'il y aurait assez à manger pour quatre personnes de plus ? l'interrogé-je d'une petite voix.

Son sourire s'agrandit tandis qu'elle comprend ce que je sous-entends. Elle finit par appeler Taehyung. Je ricane. Je sens déjà que mon meilleur ami va hériter d'une corvée et ça m'amuse. Il ne tarde pas à arriver. Une des principales règles de cette maison est de ne jamais faire attendre Seon-Mi quand celle-ci t'appelle. Tu le regretteras toujours sinon. Il se poste à côté de moi et demande :

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Il va nous manquer deux ou trois petites choses. Tu vas devoir aller à la supérette.

— Quoi ? Maintenant ?

— Non, à la Saint-Valentin, ironisé-je, ce qui me vaut un mouvement de tête approbateur de Seon-Mi.

Taehyung soupire et tend la main pour avoir la liste de courses. Seon-Mi se dépêche de le contourner pour récupérer un papier et un stylo. Mon ami me jette un coup d'œil, un sourcil relevé en une question silencieuse. Je hausse les épaules pour simple réponse avant de reprendre ma préparation.

Quand je l'entends se plaindre, je ne peux m'empêcher de penser que tout est peut-être imparfait mais que c'est ce qui rend le moment si parfait à mes yeux...

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