Les bras au-dessus de la tête, je m'étire en poussant un gémissement plaintif avant de bailler à m'en déboîter la mâchoire. Mon reflet dans la glace de l'ascenseur me ferait presque peur. Il est la preuve que je n'ai pas fermé l'œil la nuit dernière. Les cernes se sont bien installés et mon teint est encore plus pâle que d'habitude.

Je me donne quelques claques sur les joues, à la fois pour me réveiller et me donner l'air d'un être humain vivant. Cependant, à part me faire grimacer, cela n'a pas un grand effet sur moi. Je récupère mon téléphone et encore une fois, la déception s'empare de moi.

Lâchant un soupir, je sors de la cabine quand les portes s'ouvrent. Mon regard ne lâche pas mon écran noir. L'espoir de recevoir quelque chose s'évanouit à mesure que mes pas me mènent jusqu'à l'accueil de la clinique. Les larmes sont aux portes de mes yeux mais je prends sur moi pour les retenir.

Je craquerai dans ma chambre.

La journée a été trop longue... c'est pour ça que je réagis ainsi.

Après tout, les patients se sont enchainés sans que je n'en voie le bout. La plupart progresse à une vitesse incroyable et c'est pour ça que j'aime mon travail. Aider les gens à aller mieux. Mais parfois, ça ressemble à une vraie usine. Je n'ai pas eu le temps de réellement respirer. Même à ma pause déjeuner, je n'ai pas pu me reposer un minimum.

Le docteur Kim SeokJin m'a proposé de l'accompagner dans un petit restaurant près de la clinique. Alors que je m'apprêtais à refuser poliment ayant amené un bento, il m'a affirmé que cela nous permettrait à faire connaissance. Je ne pouvais plus refuser. Je ne suis qu'un kiné remplaçant. Lui un médecin, fondateur de la clinique.

Mais je dois bien admettre que le repas a été plaisant. Il s'est révélé être un homme simple et drôle. J'ai apprécié ce moment avec lui. Je me suis même surpris à espérer que nous nous réitérions l'expérience régulièrement.

Je ne dois, cependant, pas mentir. Le resto avec Kim SeokJin m'a surtout permis de me changer les idées. Oublier pendant presque une heure que Jay m'ignore complètement depuis hier soir. J'ai beau lui avoir écrit bon nombre de messages, il n'a répondu à aucun. Au moins, il ne m'a pas balancé un désagréable « vu ». Je devrais peut-être m'en réjouir.

Le bras tendu devant moi, je pousse le panneau qui donne sur l'accueil, en comptant les minutes qui me séparent de mon lit dans lequel je pourrais me cacher en PLS. Alors que le claquement de la porte résonne derrière moi, je range mon mobile d'un geste rageur et referme sur moi les pans de mon manteau noir.

— Jimin ?

Je me fige. Pendant de courtes secondes, mon cerveau tente de comprendre d'où provient cette voix. Ce murmure. Mon visage se relève et tourne vers les tables hautes. Jeon Jungkook est là devant les distributeurs. Soudain, l'information fait tilt. Il m'a proposé d'aller boire un verre ensemble. Tous les deux. Ce soir.

— Merde, chuchoté-je pour moi-même.

Avec Jay qui me ghoste, j'avais complètement oublié cette sortie. Je jette un coup d'œil vers l'extérieur. Je vois déjà mes projets de lamentations s'envoler. Je me passe l'index sous l'œil pour effacer une larme et me reprends aussitôt. Jungkook n'y est pour rien dans mes soucis.

— Bonsoir, Jeon Jungkook, le salué-je en le rejoignant, le sourire le plus joyeux que j'ai en stock aux lèvres. Comment allez-vous ?

— Vous m'aviez oublié, déclare-t-il.

— Pas du tout, je...

— Si, me coupe-t-il doucement.

Son petit rictus peiné attire mon attention sur sa bouche fine. Je relève les yeux vers les siens quand il ajoute :

— Vous alliez sortir.

Je soupire, battu avant même d'avoir tenté de combattre.

— Je suis navré, j'ai eu une journée compliquée.

Ce n'est clairement pas toute la vérité mais je ne vais pas m'amuser à raconter ma vie à un mec que je ne connais pas.

— Voulez-vous que nous reportions à un autre jour ? me propose-t-il.

Pendant un instant, sa proposition me tente. Je suis même sur le point d'accepter quand je réalise qu'aller boire un verre avec lui serait un meilleur programme que manger de la glace à même le pot ou me lamenter devant un drama.

— Absolument pas, ça me fera le plus grand bien.

Cette fois, son sourire est immense. Il est trop mignon et parait soudain si jeune et innocent que j'aurais presque envie de lui pincer les joues. Bien entendu, je me retiens et préfère l'interroger :

— Vous avez une idée de l'endroit où nous pourrions aller ?

Il hoche la tête, déterminé et satisfait.

— Il y a un bar à quelques rues d'ici dont on m'a vanté les cocktails.

Il fait quelques pas vers la porte en me faisant signe de le suivre. J'obéis, amusé.

— Ça te plairait, hyung ?

Mes sourcils se froncent à sa question. Cette familiarité soudaine me laisse sans voix. Je m'arrête même de marcher. Il semble s'en rendre compte parce qu'il se tourne vers moi, le regard interrogateur. C'est comme s'il ne s'était pas rendu compte de ce qu'il venait de faire.

— Si ça ne vous plait pas, nous pouvons aller dans un café ou...

— Non, c'est très bien.

— Parfait !

Cet homme est étrange. Yoongi serait là, il me dirait sûrement de me méfier de lui. Mon hyung est quelqu'un de très méfiant et souvent, il a raison de l'être. Mais je n'ai pas la sensation que Jungkook soit malveillant. Alors même si je sais qu'il y a un énorme risque pour que je me trompe sur lui, je le suis dans les rues de Séoul.

Le temps nous laisse un peu de répit ce soir. Pas un seul nuage à l'horizon mais un léger vent. Heureusement, mon manteau dont j'ai relevé le col me coupe du souffle frais. Maladroitement, il entame une conversation sur la météo et attendri par ses efforts, je lui réponds.

J'ignore comment mais nous en sommes arrivés à discuter de ma journée de travail quand il s'arrête devant la devanture d'un petit bar qui, de l'extérieur, ne paye pas de mine. Il me fait un geste des bras comme pour me présenter les lieux et il semble attendre une réaction de ma part mais j'ignore laquelle.

— Toujours partant ? me questionne-t-il.

Souriant, je lui affirme que j'ai hâte de boire un verre en sa compagnie. Rien que le temps du trajet jusqu'ici, il a réussi à me faire presque oublier Jay alors je suis plus que ravi de passer un moment avec lui.

Il retrouve sa détermination et entre dans le bar. Il me tient la porte tout en faisant signe à une serveuse qu'il souhaite une place pour deux. Nous la suivons jusqu'au fond de la salle où elle nous installe autour de la plus petite table du monde.

Tandis que je retire mon manteau, je laisse mon regard découvrir les lieux. À notre gauche, le comptoir prend les trois quarts du mur. Derrière, une enseigne avec le nom du bar est mise en valeur par quatre spots de lumière ainsi que par les nombreuses bouteilles que deux barmaids utilisent. Une dizaine de tables avec des chaises dépareillées habillent la pièce.

Contrairement à beaucoup de bars, l'endroit n'est pas éclairé de manière tamisée ce qui ne donne pas une sensation d'étouffement. J'apprécie ça, surtout pour boire un verre avec un inconnu. Je m'assois en face de Jungkook et remarque alors derrière lui, que le mur est recouvert d'une peinture noire qui sert de tableau. Dessus a été écrit Pride dans un dégradé de couleurs maîtrisé et les mots Equality et Love.

— Très bon choix de bar, lui soufflé-je, satisfait.

Si à la place de Jungkook, j'étais avec Jay, je lui dirais tellement de choses. Comme le fait que ce genre d'endroits me remplit de gratitude et me fait presque espérer qu'un avenir plus radieux nous attend. Nous les homos, les parias.

Je secoue la tête pour m'enlever Jay de l'esprit comme il l'a fait avec moi depuis vingt heures. Je me dois de profiter de cette soirée. Jungkook mérite que je sois entièrement avec lui, ici. Je m'empare de la carte qu'il me tend et me plonge dans mon choix.

Nous passons vite commande et un léger silence se fait entre nous durant lequel j'ai l'impression qu'il cherche ses mots. Il se mordille la lèvre, le regard dans le vide. Il est vraiment mignon et à le voir ainsi, je n'ai pas à m'interroger sur le pourquoi, il m'a appelé hyung plus tôt. Il n'y a aucun doute, il est plus jeune que moi.

— Tout va bien ?

Il revient à l'instant présent et hoche la tête rapidement.

— Et votre épaule ?

— J'ai eu l'autorisation de conduire, hier.

Je le félicite et l'écoute s'enthousiasmer sur le moment où il a pu remonter derrière le volant de sa voiture. Les cocktails arrivent et notre conversation se poursuit naturellement comme si nous n'étions pas de parfaits inconnus l'un pour l'autre. D'ailleurs, à plusieurs reprises, Jungkook se loupe et glisse un hyung mais je ne le reprends pas. Je crois que j'apprécie ça...