Un énième bâillement me déboite presque la mâchoire. Je suis crevé. Ma semaine de boulot n'a pas été de tout repos et mes nuits ne sont pas des plus reposantes. Un léger sourire étire mes lèvres à la pensée de ces dernières. Je dors peu mais je ne regrette pas. J'aime trop parler à Jay pendant des heures comme s'il n'y avait que nous au monde.

— À cause de toi, on doit se taper ce truc mais tu n'as pas regardé la télé une seule fois ! se plaint Gyu.

Il tend le bras par-dessus Tae et me tape la cuisse.

— Aïe !

Mon bras se faufile derrière mon meilleur ami et claque l'arrière de la tête de Gyu.

— Respecte ton hyung, crevette ! ordonné-je.

— Regarde ta niaiserie alors !

Tae ricane entre nous mais quand je le menace de la même punition que son frère, il lève les bras pour montrer sa rédemption.

— Les garçons, du calme ! intervient Seon-Mi.

— Mais eomma ! geint Gyu tel un enfant. On se tape ce film à cause de lui et il ne fait que jouer sur son téléphone !

— Je ne joue pas !

— Genre tu as un autre ami que notre Tae-Tae ?

Il me tire la langue et même si je vois dans son regard qu'il plaisante, qu'il cherche juste à pimenter notre petite soirée télé, je pique un fard.

— Il a aussi Yoongi-hyung, dit Hee-Seung, d'un ton sérieux.

— Appa ! soufflé-je.

Je me passe une main sur le visage, désespéré. Pourtant, je ne suis pas au bout de mes surprises. Avec les Kim, rien ne reste secret. Rien !

— Il a rencontré un mec sur un site !

— TaeHyung ! hurlé-je, outré qu'il balance ça sans même réfléchir.

— Pardon ! Ça devait rester entre nous ?

— Il est comment ? s'intéresse aussitôt Haneul.

— Il est... c'est un homme. C'est tout ce que vous saurez.

— Il s'appelle Jay, ajoute Tae, toujours avec calme. Et il est canon même pour moi.

— Mais quand vas-tu te taire ?

Il hausse les épaules, ne voyant pas le mal. Je souffle à fond. J'aime ma famille mais je n'avais pas forcément envie qu'ils sachent pour Jay. En tout cas, pas tout de suite, pas tant que je ne l'aurais pas rencontré en face-à-face.

— Arrêtez de parler de ma vie comme si c'était un sujet public ! Et je regarde autant le film que toi, Gyu !

— C'est quoi alors le nom de la fille ?

OK, c'était un énorme mensonge, je n'ai pas suivi depuis la musique du générique de début mais il est hors de question que je l'admette.

— Laisse-le tranquille ! me sauve la mise Seon-Mi.

Elle se penche depuis son fauteuil et me tapote gentiment l'avant-bras.

— Et mon chéri, tu n'as pas à te cacher devant nous, m'affirme Seon-Mi, en me regardant tendrement. Nous t'acceptons et t'aimons comme tu es.

— Je sais, eomma mais... Je veux être sûr de moi avant de vous en parler.

— On comprend, m'assure Hee-Seung. Et tes frères aussi !

Sur ces mots, Tae et Gyu s'enfoncent dans l'assise du canapé que les enfants de la maison ont toujours partagé. Les voir ainsi me rejoint.

— Merci appa.

Nous échangeons un sourire complice avant que tout le monde se replonge dans le film. Je dois admettre que si j'ai choisi une comédie américaine, c'était pour pouvoir écrire à Jay sans rien louper d'important.

— Tu es un vrai démon, me chuchote Tae pour ne pas être entendu par nos parents.

Je tourne le visage vers lui, un sourcil relevé sous l'incompréhension.

— De quoi tu parles encore ?

— Tu le sais aussi bien que moi.

Il me fait un signe vers nos parents. Je lève les yeux au ciel mais je ne peux pas m'empêcher d'esquisser un sourire.

— Tu réussis toujours à retourner la situation à ton...

— Chut Tae ! le coupe Seon-Mi. Laisse ton frère et regarde le film.

— Qu'est-ce que je disais ? marmonne-t-il, à la fois outré et amusé.

Les enfants Kim et moi éclatons de rire sous le regard d'incompréhension des parents puis nous retrouvons finalement notre calme. Pendant quelques minutes, je tente vraiment de suivre le scénario, les scènes, les blagues mais tout tombe à plat quand je vois du coin de l'œil mon portable s'allumer à la réception d'un message. Je me dépêche d'ouvrir notre fil qui n'en finit pas de s'allonger.

De : Jay
Ils habitent loin ?

A : Jay
Désolé, je conduisais et dès
notre arrivée, ils nous ont pas
laissés respirer une seconde

De : Jay
La surprise a marché alors ?

A : Jay
À la perfection !

A : Jay
Si tu avais vu la tête de
ma mère en nous voyant
tous débarquer dans la
maison ! Je suis sûr que
dans sa tête, elle comptait
le nombre d'œufs qu'il lui
restait dans le frigo XD

De : Jay
Oh la pauvre !

De : Jay
Y'en avait assez ?

A : Jay
Don't worry ! J'avais prévu
le coup. On est passé à son
resto préféré. On a pris plein
de trucs ! Puis là, on s'est
mis devant un film que j'ai
choisi exprès pour pouvoir
t'écrire en même temps

De : Jay
Tu ne peux plus te passer
de moi, on dirait...

A : Jay
Ne prends pas trop la
confiance. Je peux me
trouver un autre mec
pour discuter en un
claquement de doigts !

De : Jay
Ah carrément ?

A : Jay
A ce qu'il parait je suis
canon !

De : Jay
Qui a bien pu te mentir
aussi effrontément ?

A : Jay
P'tit con !

De : Jay
XD

De : Jay
Alors tu veux déjà me
remplacer ?

A : Jay
Pas vraiment...

A : Jay
Pas du tout même

De : Jay
Je préfère ça !

A : Jay
Aaaaaah crise familiale !
Tout le monde connait
ton existence maintenant

De : Jay
Tout le monde ? Tu as
des frères ? Sœurs ?
Cousins ?

A : Jay
2 frères et une sœur

De : Jay
Oh ça doit être génial
une famille nombreuse.

De : Jay
Ils te ressemblent ?

A : Jay
C'est compliqué

De : Jay
Compliqué ?

De : Jay
ça concerne le sujet
parental que tu voulais
éviter l'autre jour ?

A : Jay
Je ne m'attendais pas à
ce que tu te souviennes
de ça !

De : Jay
Quelqu'un m'a dit un
jour « je retiens bien
quand je suis intéressé
par la personne ». Il
faut croire que ça me
correspond bien aussi

A : Jay
Et alors je t'intéresse ?

De : Jay
Oui

De : Jay
Mais oublie le « en tout
bien, tout honneur ! »

A : Jay
Oh

De : Jay
Ne fais pas l'étonné, tu
le savais déjà

A : Jay
Je le savais

A : Jay
Je suis juste étonné de voir
que je ne suis pas le seul à
avoir une bonne mémoire 😊

De : Jay
Tu doutais de moi ?

A : Jay
Non mais j'aurais compris
que tu ne te souviennes pas
de ça !

De : Jay
Je suis parfait, bébé, il
va falloir t'y faire 😉

A : Jay
Bébé ? Tu te la joues
Christian Grey ?

A : Jay
Me dis pas que tu es un
fan de ce truc ?

De : Jay
Je te rappelle tout de suite
que c'est toi qui en as fait
la référence et pas moi ou
j'attends que tu le réalises
tout seul ?

A : Jay
Des fois, tu es sans cœur

De : Jay
Si c'est que des fois, ça me va

De : Jay
Mais ne crois pas que j'ai
pas vu que tu avais esquivé
le sujet de base

A : Jay
Ah bon ? On parlait pas
d'un beau ténébreux ultra
sexy ?

De : Jay
Tu en as un à disposition
quand tu veux, jour et nuit

A : Jay
Quoi ? J'ai un Christian
Grey à dispo ? Où ?

De : Jay
Ouais ! Mais sans le côté SM

A : Jay
Zut... déception

De : Jay
Tu sais, il n'y a pas de souci
si tu ne veux pas m'en parler.
Je le comprends tout à fait.
Je serais même mal placé
pour te le reprocher alors
n'aies pas peur de me le dire
directement.

Mes sourcils se froncent alors que je fixe mon écran. J'ignore ce que je dois faire. Tout lui raconter ou garder pour moi le pire moment de toute ma vie ? Lui faire confiance ou attendre encore un peu ?

Je relève les yeux. Le film a avancé. Je serais bien incapable de dire où nous en sommes, ce qui s'est passé, qui sont les personnes à la télé. Je n'ai rien suivi, préférant papoter avec Jay sans voir le temps passer encore une fois.

Un léger coup dans les côtes me fait grimacer. Je me tourne vers Tae qui me regarde déjà. Il fait un mouvement du menton vers moi pour me demander ce qui se passe. Comment fait-il pour toujours savoir quand il y a quelque chose qui ne va pas ? Même quand nous étions séparés de milliers de kilomètres, il réussissait ce miracle.

Je me contente de hausser les épaules mais il insiste. Il ne me lâchera pas même si toute la famille est autour de nous. Alors je tape rapidement un message dans les notes de mon portable et lui tends, sans grande discrétion.

JE ME DEMANDE SI JE DOIS PARLER DE MES PARENTS A JAY

Pendant un instant, il reste immobile, mon mobile entre les mains puis exhale un soupir qui ne présage rien bon. Il tapote à son tour et me le rends sans un regard pour moi.

TU N'AS RIEN FAIT DE MAL DANS CETTE HISTOIRE, TU N'AS PAS A EN AVOIR HONTE

Un fin sourire attendri prend place sur mes lèvres alors que la voix de Tae retentit :

— Tu es pénible à bailler !

Mes paupières papillonnent quelques secondes, le temps que je saisisse qu'il s'est adressé à moi. Surpris, je baragouine :

— Qu'est-ce que...

— Si tu es fatigué, va te coucher !

— Hein ?

­— Il te faut du sommeil.

Mais pourquoi il veut me virer celui-ci ?

— Tu es fatigué, Jiminah ? me demande Seon-Mi qui s'est tournée vers moi.

— Je... euh... oui, un peu mais...

Tae soupire et me donne un nouveau coup, plus fort cette fois. Je pose une main à l'endroit douloureux et le foudroie du regard.

— Alors va te reposer. Dans la chambre. Seul ! insiste-t-il en me faisant les gros yeux.

— Oh !

Il veut que je monte pour que j'ai un peu d'intimité pour parler de mes parents à Jay. Il est trop chou ! Je lui adresse un sourire et pour simple réponse, il lève les yeux au ciel.

— C'est vrai que j'ai du mal à me faire au rythme de boulot.

Cette demi-vérité devrait faire l'affaire et en effet, Seon-Mi me fait déjà signe de monter.

— Va te reposer, mon grand, m'ordonne-t-elle gentiment. On a tout le weekend pour profiter tous ensemble.

— Oui, tu as raison, je vais faire ça.

— Quoi ? s'écrie Gyu. Il nous oblige à regarder ça et il se barre avant la fin ?

— Ce n'est pas de sa faute s'il est fatigué, lui répond Hee-Seung.

— Oui, moi, je travaille contrairement à d'autres, ajouté-je, un grand sourire moqueur aux lèvres.

— Va-t'en ! Tout de suite !

Je ris à sa réaction mais ne perds pas de temps. Je dépose un baiser sur la joue de Tae pour le remercier et me lève. Pour leur souhaiter une bonne nuit, j'embrasse la tempe de Seon-Mi et serre la main de Hee-Seung. Je fais un signe de la main aux autres et m'éloigne. Je n'ai pas mis un pied sur la première marche que j'entends Gyu réclamer :

— Maintenant qu'il est parti, on peut se faire un vrai film ?

Je ricane et me dépêche de monter. Je referme la porte de la chambre derrière moi et vais m'allonger le plus confortablement sur mon lit. J'inspire à fond et fixe à nouveau mon écran comme si j'attendais que le courage s'empare de moi.