Chapitre 19 - Jimin
Quand je me suis réveillé ce matin, jamais je n'aurais pu imaginer que quelqu'un réussirait à me faire sortir de l'appartement. Depuis hier, la pluie et le vent frappent Séoul et j'étais ravi de passer mon weekend au chaud. Cependant, quand j'ai reçu son message pour me donner rendez-vous en fin d'après-midi dans un café, je n'ai pas hésité une seule seconde.
Malgré le temps exécrable, les rues sont loin d'être désertes, accueillant les gens pour leurs achats. Je dois zigzaguer pour éviter que mon parapluie ne percute ceux des autres. Alors que j'évite un enfant sautant dans une flaque, je bouscule un homme. Je me tourne rapidement pour lui faire face.
— Excusez-moi, soufflé-je en me penchant en avant.
Quand je me relève, il semble avoir un instant d'hésitation, le regard fixé sur moi. Il est un peu plus grand que moi. La moitié de son visage est cachée sous un masque. La capuche de son sweat ne recouvre pas assez bien sa tête, trempant quelques mèches noires qui retombent devant ses yeux.
— Je ne vous ai pas fait mal ? lui demandé-je, n'ayant pas de réaction.
— Non, non, finit-il par murmurer.
Il se penche à son tour.
— Pardon.
À peine a-t-il prononcé ce mot qu'il ramène sa capuche vers l'avant puis s'éloigne. Étrange. Je soupire, les sourcils froncés. Je repositionne correctement le parapluie au-dessus de ma tête et reprends mon chemin. Je ne suis plus très loin du petit café et même si je suis stressé par ce qui m'attend, je suis content.
Je connais bien cet endroit. Avec Ji-Soo et Tae, nous avions l'habitude d'y passer beaucoup de temps quand nous étions au lycée. Même si ça nous gênait, Ji-Soo était souvent celle qui payait pour nous trois. Étant la fille unique du président d'un gros groupe industriel, elle avait toujours le droit à quelques billets pour sortir.
Après une dizaine de minutes, la porte est devant moi. Je ne fais pas attention à la foule et reste immobile au milieu du trottoir. J'hésite à entrer. Pourtant, j'attendais ce rendez-vous. Mais j'ai peur de ce qu'il va se passer et de ce que nous allons nous dire. Ce n'est pas anodin.
Mon regard tente de discerner quelque chose à l'intérieur mais les écritures sur les vitrines m'empêchent de voir correctement. J'aperçois juste un serveur derrière le comptoir, une jolie lampe, un homme avec une casquette noire...
Une bourrasque finit par me décider. J'inspire à fond. Je m'abrite sous la devanture du café et replie mon parapluie. Je le secoue pour tenter d'en retirer un maximum de gouttes de pluie. J'enlève mon bonnet que j'enfouis dans ma poche de manteau et pénètre enfin dans la petite boutique.
Mes yeux mettent à peine quelques secondes pour repérer Ji-Soo et elle m'a vu aussi. Elle se lève et je lui adresse un sourire, incertain. Elle a toujours cette beauté naturelle mais classe, avec ses longs cheveux noirs et lisses ramenés sur le côté.
Je n'ai aucun doute sur le fait qu'elle ait repris l'entreprise familiale à présent. Elle porte un magnifique tailleur vert émeraude par-dessus un chemisier blanc. Malgré les trois ans, mon amie n'a pas changé physiquement mais elle semble plus confiante, plus adulte. De plus, elle a un charisme nouveau qui la fait irradier. Mon amie est incroyable et pourrait défiler pour Dior.
D'un geste de la main, je lui désigne le comptoir pour lui signifier que je vais m'acheter une boisson. Ce café n'est pas le genre à faire le service à table. Elle se contente de hocher la tête avant de se rasseoir. Je ne perds pas de temps et rejoins la caisse. Je commande un jus aux fruits rouges, comme j'en avais l'habitude avant.
Il ne me faut pas plus d'une minute pour récupérer ma boisson. En me dirigeant vers notre table, je me rends compte que l'attention de Ji-Soo est portée sur un ordinateur portable, posé sur la table devant elle. Le front plissé, elle fait adulte. Je ricane à ma pensée. Ji-Soo est de la même année que Tae et moi alors à vingt-sept ans, il est normal pour elle de ne plus ressembler à une petite adolescente timide aux tresses.
— Salut, dis-je en m'arrêtant à côté de la chaise vide en face de celle de mon amie.
Elle relève les yeux et rabat d'un coup sec son écran.
— La place est libre ?
Ji-Soo sourit à ma petite blague puis m'invite à m'asseoir. Après avoir posé mon gobelet sur la table, je pends mon parapluie au dossier du siège puis retire mon manteau. Je m'installe et recouvre mes cuisses de mon habit plié. Nous échangeons un regard et j'ai comme la sensation de retrouver ma meilleure amie.
— Tu travaillais ? l'interrogé-je en montrant son portable du doigt.
— Oui. Lundi, j'ai une réunion importante avec mon conseil administratif. Je dois les convaincre de signer un contrat avec une entreprise vietnamienne alors j'ai encore quelques points à revoir.
— C'est... ça rigole pas ! Je ne voulais pas te déranger...
Elle se fige un instant et semble réfléchir.
— C'est moi qui t'ai proposé de nous voir aujourd'hui ! me rappelle-t-elle.
Je passe une mains dans mes cheveux.
— Et je suis content d'être là, lui avoué-je.
— Moi aussi...
Sa voix se casse à la fin de la phrase. Elle porte une main devant sa bouche alors que je remarque des larmes avant qu'elle ne ferme ses paupières. Elle retient ses pleurs. Mon bras se tend vers elle puis se fige dans les airs. J'hésite. Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas côtoyés et je ne sais plus comment agir avec elle.
Finalement, mon membre retombe mollement sur mes jambes mais je sens l'émotion monter en moi. Je n'aime pas la voir ainsi. Même après ce silence interminable. Elle ouvre les yeux, déglutit et me confie :
— Je suis tellement désolée, Jimin. Si tu savais.
Je suis comme libéré d'un poids. J'attendais ces mots depuis le moment où elle est partie sans se retourner.
— Je ne sais pas ce qui m'a pris. Ou plutôt si... J'étais...
Elle retire sa main de son visage qu'elle baisse, honteuse.
— J'étais amoureuse de toi et j'ai eu le cœur brisé quand tu m'as dit ça.
Je prends un sachet de mouchoirs dans ma poche et le lui tends. Elle me souffle un merci à peine audible, en récupère un et avec, tapote ses pommettes puis son nez. Elle me regarde et ajoute :
— Mais ça n'excuse pas ma réaction. J'ai eu la pire qui soit.
— Peut-être pas la pire, nuancé-je. Tu ne m'as pas insulté après tout.
— Je ne pourrais jamais. Surtout pour cette raison. Cela ne me pose aucun problème, je te jure. Ce qui me gênait n'était pas le fait que tu aimais les hommes, c'était que tu ne m'aimes pas, moi !
J'avais fini par le comprendre.
— Et même... même si ça arrive avec trois ans de retard, je te remercie. Pour la confiance que tu avais en moi pour me le dire. Je sais que c'est quelque chose que tu n'accordes pas à tout le monde...
— En effet !
Je réalise que mon ton est bien plus sec que je le désire à la légère grimace qui déforme les traits de Ji-Soo. Je lui en veux peut-être encore un peu au fond. Elle a raison. Avec ce que j'ai vécu avec mes parents, j'ai toujours eu du mal à m'attacher aux gens, à leur accorder une totale confiance. Souvent, je me suis dit que j'avais fait une erreur avec Ji-Soo mais je terminais toujours à retrouver espoir en cette amitié. Cependant, j'ai quelques points à éclaircir.
— Pourquoi avoir attendu que je te recontacte pour qu'on ait cette conversation ? Pourquoi tu n'as pas répondu à mes dizaines de messages ou appels ?
— Parce que j'ai mis longtemps à accepter le fait que tu ne m'aimerais jamais...
Elle ricane.
— J'ai l'impression d'être une gamine.
Elle se redresse et poursuit son explication avec plus de détermination :
— Quand j'ai réalisé que je n'avais plus de sentiments amoureux pour toi, j'ai voulu t'écrire. Si tu savais tous les messages que j'ai tapés mais jamais envoyés !
Elle lève les yeux au ciel pour me signifier qu'il y en avait une tonne. Je souris.
— Mais je me disais qu'il était trop tard pour que tu me pardonnes. Tu étais aux États-Unis et je pensais que tu ne reviendrais plus au pays. Tu nous répétais tout le temps que le jours où tu partirais, ça serait pour toujours.
Je secoue la tête au souvenir du gamin buté et rêveur que j'étais à l'époque.
— J'imaginais que tu m'avais oublié.
Elle essuie encore un peu ses joues puis me raconte :
— Quand Tae m'a dit que tu rentrais, j'étais à la fois heureuse et apeurée. J'ai longuement hésité à t'écrire mais je n'en avais pas le courage. J'ai été une véritable conne avec toi !
Je suis abasourdi par sa dernière phrase mais je ne la coupe pas, ne la contredis pas. Après tout, c'est la vérité, aussi peu plaisante soit-elle.
— Puis j'ai repensé à ce que je t'avais dit ce jour-là. Que si tu revenais, tu devais m'écrire. J'ai espéré que tu le ferais mais tu ne l'as pas fait, alors j'ai imaginé que tu avais tiré un trait sur moi...
— Si tu savais, soufflé-je.
Sans même réfléchir, je lui explique tout. Le message que je pensais lui avoir écrit depuis l'aéroport, l'erreur de destinataire, le vol de son nouveau numéro en pleine nuit, la correspondance qui se poursuit avec ce Jay dont j'ignore encore tellement de choses...
Pendant tout mon récit, Ji-Soo réagit à chaque péripétie, me pose des questions, rit, s'étonne. Alors qu'elle me demande de lui décrire ce nouvel ami que je me suis fait, j'ai l'impression d'avoir retrouvé mon amie. Celle qui m'offrait mon jus quand nous venions dans ce café et qui dormait sur mon épaule dans le bus quand nous rentrions dans notre quartier.
Je ne réponds pas à sa curiosité mais lui déclare :
— J'espérais que tu réagirais autrement quand je t'ai ouvert mon cœur. Mais comme toi tu n'avais pas vu que j'étais gay, je n'avais pas remarqué tes sentiments pour moi.
Je m'humidifie les lèvres, mal à l'aise. Je n'ai peut-être pas les réponses à toutes mes questions. Je ne saisis peut-être pas toutes les raisons qui l'ont poussé à m'ignorer. Je suis peut-être trop naïf. Cependant, en si peu de temps, elle a réussi à me rappeler pourquoi elle avait été ma meilleure amie et surtout qu'elle me manquait affreusement.
— J'aurais dû faire plus attention à toi. Nous avons commis des erreurs mais ce sont des choses qui arrivent en amitié, non ?
Elle hoche la tête. Nous nous sourions.
— On oublie tout ça et on repart à zéro ?
— Oh oui ! confirme-t-elle.
Elle attrape ma main et la serre.
— Puis tu vas devoir m'aider à trouver une histoire plausible à raconter à Tae pour Jay sans lui parler de notre... petit coup de froid.
— Il n'est pas au courant pour Jay ?
— Personne ne l'est à part toi !
Son rictus s'agrandit à cette déclaration. J'ai retrouvé ma Ji-Ji.
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