Chapitre 13 - Jimin

Il sort de son véhicule, tranquillement. Comme si tout était normal et pourtant, cette situation ne l'est pas. La dernière fois que je l'ai vu, nous étions allés au bord de l'eau avec son 4x4. Alors je trouve ça fou.

— Tu possèdes une voiture électrique ? m'écrié-je.

Mes yeux s'écarquillent lui prouvant à quel point je suis surpris par cette révélation. Il lève les yeux au ciel en arrivant à ma hauteur. À mes côtés, Tae rigole et me donne même une tape amicale sur l'épaule.

— Y'a eu du changement en ton absence, hein ?

Ça, en effet, il y en a eu du changement. J'étais au courant des plus importants mais le fait que notre hyung roule dans une voiture électrique me laisse un peu dubitatif.

— Mais tu as perdu un pari ou...

— Ferme-là ! marmonne-t-il. Je t'ai pas vu depuis trois ans et tu me manques de respect dès les premières secondes ?

— Désolé, hyung ! dis-je, un sourire en coin.

Je sais qu'il ne l'a pas mal pris. Il en faut plus à Yoongi pour se vexer avec nous. Puis nous lui en avons fait vivre des vertes et des pas mures pendant nos premières années d'études, il a l'habitude. Il jette un coup d'œil à sa petite citadine et reporte son attention sur moi.

— C'est juste bizarre de te voir comme un papi écolo ! continué-je, taquin.

— Yah ! Mais qui m'a donné des gamins pareils ?

— J'ai rien fait de mal, moi ! se défend Tae, retrouvant soudainement son sérieux.

— Tu as ri !

— De Jimin, pas de toi, hyung.

Tae fait une petite moue pour l'amadouer et comme toujours, ça marche. Yoongi lâche un petit grognement et commence à partir en direction du restaurant où nous devons dîner tous les trois. Nous le suivons sans perdre une seconde. Les mains dans les poches, il m'énumère :

— Cette voiture est belle, pratique, roule bien et ne pollue pas. C'est le combo parfait, d'accord ?

— D'accord, hyung. Et j'adore sa couleur, ajouté-je malgré tout.

Il râle à nouveau.

— Bleu électrique, c'est parfait pour ce genre de voiture...

— Rappelle-moi de quelle couleur était la tienne aux États-Unis ?

Oups...

— Ce n'était techniquement pas la mienne, tenté-je.

— Quelle couleur ? insiste-t-il.

— Jaune...

— Donc quand on a conduit une auto qui ressemble à un poussin, on se la ferme, imbécile ! déclare-t-il.

D'un mouvement leste, il tire la porte du resto et la tient en me fixant du regard. Je lui adresse un sourire et lui avoue :

— Je suis content de te retrouver, hyung !

Il fait signe d'entrer avant lui et avec Tae, nous nous exécutons. Alors que la serveuse nous indique où nous installer, je repense à notre rencontre. Yoongi était dans la même université d'arts que nous mais deux années au-dessus. C'était déjà à l'époque un pianiste et compositeur de génie mais aussi le genre de mecs capable de se mettre toute une classe à dos en moins de trois minutes.

Il jouissait d'une sacrée réputation. Ni bonne ni réellement mauvaise. Elle était sans doute assez proche de la réalité. Alors quand nous avons débarqué en rigolant comme des baleines dans la pièce où Yoongi répétait, j'ai cru qu'il allait nous tuer sur le champ. Son regard était tellement noir et froid que j'en ai eu des sueurs froides.

À ce moment-là, quelqu'un m'aurait dit qu'il avait des pouvoirs et qu'il nous avait lancé le mauvais œil, je l'aurais cru. Je l'ai cru d'ailleurs. Pendant de longues semaines. Grâce à Tae qui m'a fait une blague. Pour ma défense, j'ai eu pendant cette période une avalanche de malchance incroyable.

Pourtant, il n'a rien fait. Il a juste mis son index devant sa bouche puis a repris sa mélodie. J'étais tellement surpris qu'il me serait impossible de dire ce qu'il a joué, combien de temps ça a duré et à quel point c'était excellent. Tae était dans le même état que moi. Quand il a eu fini, il s'est tourné sur son banc pour nous faire face et nous a annoncés avec naturel :

— Vous me devez des brochettes d'agneau, imbéciles !

Et nous lui en avons offert. Une tonne. Mais Min Yoongi a toujours eu un appétit d'oiseau, alors il n'en a pas beaucoup mangé. Il s'est finalement contenté de s'essuyer la bouche avec une serviette en papier avant de nous dire de manger ce qu'il restait parce que ça serait dommage de gâcher tout ça. Nous nous étions exécutés dans la seconde. Nous ne refusons jamais de la bouffe !

Maintenant, s'il nous arrive encore de lui payer des brochettes d'agneau comme ce soir, nous avons bien vite oublié l'idée de lui obéir. Nous avons préféré prendre l'habitude de le faire râler pour notre plus grand bonheur. Même s'il ne le dit pas, je pense que ça amuse aussi beaucoup Yoongi.

— Alors raconte-moi tout, commence directement mon hyung.

— Tu sais déjà tout.

Yoongi et moi avons toujours gardé contact pendant mes années à l'étranger, alors je lui ai déjà tout raconté. En tout cas, dans les grandes lignes. Il lève un sourcil pour me signifier qu'il attend quand même quelque chose de ma part. Je soupire et tout en jouant avec mon téléphone, je lui dis :

— On était plus sur la même longueur d'ondes. Point final.

Je hausse les épaules pour signifier que ce n'est pas grand-chose mais nous savons tous les trois que je mens.

— Comment vous vous en êtes rendus compte ?

— Maintenant qu'on était diplômés tous les deux, je nous voyais acheter une maison avec jardin, avoir un chien et nous marier au bord d'un lac... Quand je l'ai sous-entendu à une soirée avec des amis, il a pris peur et m'a dit que ce qui l'intéressait dans la vie était... d'acheter un barbecue et de passer un weekend entre potes en Floride.

— Je suis désolé, me souffle Yoongi.

Tae attrape ma main pour la serrer dans la sienne, me faisant lâcher mon portable.

— Et je suis bien placé pour savoir ce que tu ressens...

La déclaration de notre hyung nous surprend. Nous nous sommes figés quelques secondes avant de nous tourner, tel un seul homme, vers lui, les yeux grands ouverts.

— De quoi tu parles ? l'interroge enfin Tae. Y'a un souci avec Hyun-ah ?

— Plus maintenant. Elle m'a quitté.

Yoongi semble indifférent à la bombe qu'il vient de nous balancer. Le visage fermé. Le ton neutre. Cependant, nous le connaissons assez pour savoir qu'il intériorise tout. Hyun-ah, c'était la femme de sa vie. Il nous l'a déjà dit. Ils étaient ensemble depuis presque sept ans. Je pensais naïvement que c'était pour la vie eux deux. Je croyais plus en eux qu'en mon propre couple.

— Quand ?

— La semaine dernière.

— Mais pourquoi tu nous l'as pas dit ? Tu aurais dû nous appeler ou venir directement à l'appartement ! lui dit mon meilleur ami.

— Il fallait que je digère la nouvelle, je crois. Seul.

Je pose une main sur l'épaule de mon hyung pour essayer de le réconforter.

— Elle t'a dit pourquoi elle...

— Elle a rencontré quelqu'un d'autre, il y a quelques mois et elle est tombée amoureuse de lui.

Tae lâche une exclamation d'incrédibilité. Je ne suis pas loin d'en faire de même. C'est hallucinant de se rendre compte que rien n'est éternel. Hyun-ah et Yoongi se sont rencontrés à l'université, ça a été le coup de foudre entre eux. Ils étaient faits l'un pour l'autre, tellement ils étaient complémentaires.

— Qu'est-ce qui va se passer pour Chin-Hwa ?

Il soupire et pour la première fois depuis que nous avons commencé cette discussion, Yoongi laisse paraître des sentiments. Il semble abattu par une tristesse soudaine. Il se laisse aller sur sa chaise et nous dit, la voix plus fragile :

— Comme pour tous les autres enfants de divorcés. Hyun-ah a contacté notre avocat...

— Déjà ?

Il hoche simplement la tête. Elle a peut-être mis plusieurs mois pour se décider à le quitter mais elle ne perd pas de temps pour rendre les choses officielles en tout cas.

— On va essayer de faire les choses bien. Comme des gens adultes, intelligents et responsables. On va demander la garde alternée.

— C'est bien, confirmé-je.

Chin-Hwa n'a même pas encore trois ans alors pour son développement, c'est sûrement mieux qu'il passe autant de temps avec sa mère qu'avec son père.

— Oui et il est hors de question que cet homme voit plus mon fils que moi ! déclare-t-il, plus déterminé.

Je ne suis pas sûr que cette remarque ressemble à celle d'un adulte intelligent et responsable mais je comprends son sentiment. D'ailleurs, son poing se serre. De peine, de colère, de frustration. De douleur tout simplement. Mais Yoongi reste digne, droit et la tête haute.

— Pour l'appartement, vous allez faire comment ? s'intéresse Tae. Tu sais que tu es le bienvenu chez nous, hein ?

— C'est gentil, Tae mais... Je garde l'appart pour le moment, elle est partie habiter chez lui. Il vit pas très loin de notre quartier. Selon l'avocat, c'est un bon point pour la garde alternée.

Nous hochons la tête, concernés par la situation de notre ami. Je m'apprête à poser une nouvelle question mais Yoongi me coupe :

— Bon vous me les offrez ces brochettes d'agneau, imbéciles ?

Comme toujours, il éloigne ses sentiments le temps de notre soirée. Tae et moi échangeons un regard complice. Nous savons que nous ne pourrons rien y faire. S'il a décidé que le sujet était clos, rien ni personne ne le fera changer d'avis.

— C'est toi qui dois me les offrir ! lancé-je, taquin.

— Et en quel honneur ?

— Je te rappelle que c'est mon retour au pays !

Il marmonne quelque chose d'incompréhensible ce qui me fait sourire. Il adresse un léger signe au serveur puis démarre une conversation avec Tae sur leur travail. Tous les deux font partie du même orchestre, Tae en tant qu'un des violonistes et Yoongi comme le pianiste et soliste.

Tout ce que je viens d'apprendre tourne en boucle dans mon cerveau. Je n'arrive pas à réaliser, à assimiler la réalité. Je me passe une main dans les cheveux, perturbé. Je secoue la tête, prêt à suivre la discussion mais mon attention est attirée par l'écran de mon téléphone qui s'est allumé.

C'est une notification d'Instagram. jay.pic.seoul vient de poster une nouvelle photo. Tel un automate, je m'empare de mon portable et clique sur le message. En quelques secondes, le cliché apparaît. Une vue du fleuve Han en noir et blanc avec en premier plan un chien allongé, le regard triste. C'est magnifique.

— Jimin ? m'appelle Tae.

Sous la surprise, mon doigt dérape et appuie sur le petit cœur qui se colore en rouge. Je relève les yeux et réalise que le serveur nous a rejoint.

— Tu veux boire quoi avec les brochettes ?

Je repose mon mobile et me reconcentre sur mes amis. Je me dois de profiter d'eux, ils sont l'avantage de mon retour en Corée.

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