Épilogue

Les doigts du petit écrivain voyageaient sur son clavier à la vitesse de l'éclair – cet éclair d'inspiration qu'il lui arrivait parfois de ressentir tout à coup. Il était, depuis une bonne heure, assis en tailleur sur le lit de son aîné, en train de pianoter, l'air plus concentré que jamais. Le regard rivé sur son écran, il ne se rendait même pas compte de ce que son visage exprimait.

De ce qui brillait dans son regard.

« Eh, mon ange, tout va bien ? »

Jungkook sursauta, tout à coup coupé dans son élan. Ce fut à cet instant qu'il comprit pourquoi Jimin, qui venait sans doute de rentrer du travail, le regardait avec cette moue inquiète : deux larmes étaient en train de tracer leur sillon sur ses joues. Amusé par la situation, il lâcha un bref rire avant d'opiner.

« Oui, ça va, hyung.

- Alors... pourquoi tu...

- Rien d'important. C'est con, de toute façon.

- Je peux savoir quand même ? »

Jungkook se mordilla la lèvre, glissa un regard sur son écran avant de le reporter sur son petit ami. Son sourire ornait toujours ses jolies lèvres.

« J'ai quasiment terminé, annonça-t-il avec émotion.

- Tu... quasiment terminé ? Ton roman ?

- Oui. Encore quelques lignes et c'est fini.

- Ouah... j'y crois pas. Genre... quand t'as commencé, on se connaissait pas encore, quoi.

- Ouais, ça passe vite. En plus, aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres. »

C'était un mercredi, certes. À peine un mois s'était passé depuis la fête organisée pour les anniversaires de Namjoon et Jungkook. Autrement dit...

« Je sais que je te l'ai déjà souhaité ce matin, reprit le plus jeune, mais bon anniversaire.

- Merci, mon ange. »

Jimin s'avança, posa un genou sur le lit, et l'embrassa avec tendresse.

« Je vais aller préparer le dîner, comme ça tu finis ton chef d'œuvre et tu me rejoins, ça marche ?

- Ça marche !

- Super. »

Nouveau baiser, et Jimin quitta la pièce.

Jungkook s'attela de nouveau à son travail, plus passionné que jamais : son petit ami lui avait proposé d'envoyer son roman à différentes maisons d'éditions. D'abord réticent, le jeune garçon avait peu à peu gagné en confiance en lui à mesure que son histoire gagnait en popularité parmi ses lecteurs virtuels. Jamais il n'avait eu à ce point envie de pouvoir à son tour rendre réel et tangible ce qui n'était rien de plus que de petites lettres sur un écran. Sans doute trouverait-il ce livre mal écrit, d'ici quelques mois, car son style évoluerait entre temps. Or, malgré tout, il avait conscience qu'il continuerait d'y tenir plus que tout. Il ne pourrait pas se sentir honteux de l'éditer ou bien de le faire imprimer, tout simplement parce que ce livre représentait beaucoup trop à ses yeux. Il était devenu bien trop important, vital même. C'était une partie de lui qu'il voulait pouvoir sentir entre ses doigts plutôt qu'en dessous. Un livre plutôt qu'un ordinateur.

La venue de ses lecteurs au Boy's love Café lui avait permis d'acquérir cette confiance qui l'avait tant aidé, mais il y aurait éternellement un seul lecteur qui aurait une importance réelle pour lui : Jimin. Il pourrait couper ses réseaux, supprimer son compte d'écriture ; tant que Jimin serait là pour aimer ce qu'il racontait, son cœur en serait comblé. La popularité ne valait rien par rapport à l'admiration qu'il pouvait voir briller dans le regard de son amant.

Jimin lui avait promis qu'il proposerait une fois de plus son roman à son ami, celui dans la maison d'édition de qui travaillait encore aujourd'hui Yoongi. Jungkook s'était imaginé à plusieurs reprises être édité par cette entreprise, et se voir attribuer Yoongi en tant que correcteur et conseiller.

Jimin lui avait offert son rêve, et ce soir, Jungkook comptait bien lui offrir le sien : après dîner, ils iraient comme à leur habitude se blottir l'un contre l'autre pour regarder un film avant de dormir. Le jeune auteur avait prévu de lui donner son cadeau à ce moment-là.

Il lui avait payé un an de cours...

Des cours de danse.

Une académie, certes à trois quarts d'heure de bus de chez eux, proposait chaque semaine deux heures de cours de danse à des personnes qui, comme Jimin, souffraient de problèmes physiques. Chaque élève se voyait attribuer un professeur, également chorégraphe, pour des cours particuliers. Jungkook en avait entendu parler quelques semaines plus tôt, et il n'avait pas hésité – d'autant plus quand il avait appris que ces cours étaient essentiellement à destination d'anciens danseurs de qui les blessures avaient brisé la carrière.

Il savait que le cadeau rendrait Jimin euphorique : il l'avait tant de fois surpris à bouger au rythme de la chanson qu'il écoutait pendant qu'il travaillait ou cuisinait. Ses mouvements, quoiqu'à peine esquissés, témoignaient d'une grâce sensuelle qui prouvait à elle seule que Jimin était fait pour ça, il était fait pour danser.

Et s'il se montrait déterminé, ce n'était pas une jambe blessée qui l'empêcherait de poursuivre son rêve, de danser de nouveau, de danser à sa manière.

Jungkook savait que ce cadeau lui ferait plaisir, car Jimin avait appris peu à peu, jour après jour, à accepter son passé. Il comptait même aller passer le week-end chez ses parents, auprès de ces médailles qu'il avait si longtemps haïes... avec Jungkook, pour annoncer à son père et sa mère leur couple.

Ainsi, le plus jeune avait également prévu, ce soir-là, de lui offrir bien plus que des cours de danse : depuis un certain temps déjà, il rêvait de se donner à lui, de s'abandonner à ses caresses, de sentir son corps contre le sien, tout contre. Il n'avait plus peur de se dévoiler à lui – le nombre de douches qu'ils avaient prises ensemble avait augmenté de manière exponentielle. Il comptait bien lui offrir son innocence.

Il avait tout préparé, lui-même était prêt et plus qu'impatient.

Sa confiance lui était revenue, se détacher du regard des autres était désormais plus simple pour lui qui, quelques jours plus tôt, avait même avoué à Lisa, devenue une amie proche à l'université, sa relation avec Jimin. Un garçon. Un garçon qui gérait un café yaoi. Un café dans lequel lui-même travaillait. D'abord surprise, la jeune fille s'était ensuite esclaffé en répliquant qu'elle se sentait stupide d'avoir cru qu'il ne s'intéressait pas à elle parce qu'elle était insignifiante. Quant au fait de le savoir homosexuel, eh bien elle n'en avait pas parlé. Elle s'en moquait parfaitement, tout simplement.

De toute façon, ça ne comptait plus, désormais : elle était heureuse avec Baekhyun.

Jungkook hésita un instant avant de reprendre ce qu'il écrivait. Il ne pouvait pas croire que cette œuvre, cette œuvre qu'il lui avait semblé avoir commencée depuis des lustres, allait s'achever ce soir. Il avait déjà en tête le prochain livre qu'il souhaitait écrire, mais... se détacher de ses personnages allait être si difficile. Il allait falloir s'y résoudre, pourtant. Clore leur histoire, leur dire adieu.

Or, une chose le rassurait : à travers son roman, il les avait rendus éternels. Leur histoire recommencerait autant de fois qu'un nouveau lecteur lirait le mot « prologue ». Elle serait interprétée de mille manières, elle existerait de mille manières, et même si elle devait également s'éteindre de mille manières, elle revivrait toujours. Ses personnages ne disparaîtraient jamais.

Le jeune romancier, cependant, fronça les sourcils en saisissant une conversation téléphonique entre son copain et quelqu'un dont il ignorait le nom. Elle avait commencé quelques instants plus tôt, il avait entendu la sonnerie mais n'y avait pas prêté attention, or...

« Oh putain, tu déconnes ? s'exclama Jimin. Non, c'est... Oh putain, j'en reviens pas... Tu m'étonnes, je suis super heureux pour toi... »

Une émotion grandissante rendait sa voix instable. Une fois qu'il eut raccroché, Jungkook songea à aller lui demander ce qui s'était passé, mais ce ne fut pas nécessaire : des pas précipités résonnèrent, la porte s'ouvrit à la volée sur son aîné. Malgré les larmes qui coulaient sur son visage, il avait un regard qui débordait de bonheur.

« Hyung, balbutia Jungkook, qu'est-ce que...

- C'était Hueningkai ! Kook, ils ont gagné ! En voyant que l'accumulation de preuves tournait le procès en leur défaveur, l'agence a annulé toutes les dettes des anciens apprentis et leur rendra l'argent déjà versé ! »

Le jeune garçon crut sentir sa mâchoire tomber. Il plaqua les mains sur sa bouche, à son tour il sentit l'émotion le gagner à une vitesse fulgurante. Sa lèvre inférieure se mit à trembler contre ses paumes, ses yeux s'humidifièrent à l'idée qu'enfin le plus jeune de ses collègues était libéré de cet atroce fardeau qu'il portait depuis si longtemps.

« C'est pas vrai, murmura-t-il. T'es sérieux ?

- Ça fait deux jours qu'il l'a appris, confirma Jimin en s'approchant, mais il voulait garder la surprise pour mon anniversaire. Putain, tu peux même pas imaginer comme... »

Ce fut à cet instant que Jimin craqua. Sa gorge serrée l'empêcha de poursuivre et des larmes de bonheur se mirent à couler sans qu'il ne puisse les contrôler. Son corps fut pris de sanglots qui le firent trembler. Il cacha son visage entre ses mains, dépassé par les émotions.

Il avait vu ce gamin terrifié par le monde évoluer pour devenir un jeune homme d'une douceur et d'une gentillesse exemplaires malgré tout ce qu'il avait vécu. Il l'avait vu paniquer pour de simples remontrances amicales, il l'avait vu pleurer à l'idée que le calvaire ne s'achèverait jamais, il l'avait vu détruit en imaginant la honte qu'il inspirerait à sa famille si elle apprenait tout.

Et ce soir-là, dans la voix de ce garçon brisé par son rêve, il avait entendu de l'euphorie, de l'espoir, et de la reconnaissance. Un soulagement monstre allégeait son cœur et lui donnait la sensation qu'il ne s'agissait plus que d'un ballon d'hélium prêt à s'envoler en direction des cieux les plus paisibles. Impossible de décrire le bonheur retentissant qui hurlait dans son âme.

Deux bras réconfortants l'enlacèrent et il cacha son visage dans le cou de son cadet contre la peau duquel il pleura en silence, incapable de taire ce tourbillon de sentiments.

À son tour, Hueningkai pourrait aller de l'avant. Ils iraient tous de l'avant, désormais. Ensemble.

Les secondes puis les minutes s'égrainèrent, et une fois certain que son émotion ne marquait plus son visage, Jimin s'écarta de l'étreinte de son copain qui plongea son regard humide dans le sien. L'aîné lui caressa la joue, attendri de le voir partager son bonheur. Jungkook se blottit contre cette paume réconfortante sur laquelle il abandonna un petit baiser.

« Tu peux être fier de toi, hyung. Fier de lui.

- Je le suis. Tu peux même pas imaginer... »

Jungkook se pencha pour l'embrasser, Jimin se laissa faire, les yeux clos et le cœur en fête.

Lorsqu'ils s'écartèrent, l'aîné voulut concentrer l'attention de son cadet ailleurs que sur l'émotion qui l'avait envahi. Son regard se posa automatiquement sur son ordinateur.

« T'as fini ? demanda-t-il.

- Presque, oui.

- Encore quelques lignes ?

- Ouais.

- Je suis tellement fier de toi, mon petit écrivain. »

Jungkook lui adressa un large sourire. Pas besoin de mots pour le remercier, à eux seuls ses yeux s'en chargeaient.

« J'ai quasiment terminé de faire réchauffer ce qu'on avait commandé. Ça sent déjà super bon. Je te laisse terminer, je t'appellerai quand...

- Pas la peine, répliqua Jungkook en retournant à son ordinateur, je viens avec toi. Attends-moi.

- Ça marche. »

Il fila en direction du lit, attrapa son ordinateur sans même s'asseoir et relut les dernières phrases qu'il avait tapées. Ses yeux parcoururent le paragraphe, un sourire ému prit de nouveau place sur son visage. Il se mordilla la lèvre inférieure et approcha ses doigts habiles de son clavier. Il marqua un temps d'hésitation puis leva les yeux vers son petit ami qui l'attendait.

Il était à un mot des adieux, conscient qu'un univers entier allait se fermer, mais seulement pour qu'un autre s'ouvre ensuite. Ce n'était pas une fin, simplement un nouveau commencement... mais ça faisait mal, malgré tout. Même s'il était heureux de terminer son histoire, ça faisait mal. Elle demeurerait pour toujours une part de lui-même, il refusait d'imaginer que l'achever revenait à l'oublier.

Un seul mot pour marquer la chute du rideau.

Trois lettres.

Trois lettres qu'il tapa le cœur battant et les yeux larmoyants.



« FIN »




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Un OS bonus, intitulé "Pepero Day" et se déroulant un mois après cet épilogue, figure à la fin de la version papier de Boy's love Café (c'est un petit cadeau pour tous ceux qui se sont procurés cette série de cinq livres). Long de 70 pages, il se trouve donc à la fin du tome 5, que vous pouvez retrouver sur Amazon ou sur le site de la Fnac édité sous mon nom de plume, Manon Lilaas. Plus de détails dans la dernière NDA de ce livre, au sujet de son édition ;D

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