Chapitre 73
Jungkook adressa un sourire aux jeunes clientes qu'il servait puis s'éclipsa pour retourner déposer son plateau en cuisine. Il en sortit et croisa Yoongi, adossé à un mur et l'air absent : le jeune performeur avait les yeux mi-clos et fixés sur le vide. Il paraissait être complètement ailleurs.
L'étudiant jeta un regard à la salle et, rassuré de constater que les gens ne leur prêtaient pas une attention particulière, il fit quelques pas en direction de son collègue pour lui demander dans un murmure :
« Hyung, tu vas bien ? »
Ce fut seulement à cet instant qu'il se rendit compte que les jambes de son ami tremblaient. Son sang ne fit qu'un tour et il eut le réflexe salvateur de bondir à son secours à l'instant même où Yoongi s'effondrait. Il parvint à le retenir, passant un bras autour de sa taille pour lui éviter la chute. Il lui prit ensuite le bras pour le passer autour de ses épaules et lui permettre ainsi une certaine stabilité.
Désormais inconscient, Yoongi faisait peser tout son poids sur son cadet qui chercha aussitôt de l'aide du regard. Namjoon était en train de servir des clients, dos à lui, néanmoins Jungkook parvint à croiser les yeux de Taehyun et, d'un regard, à le supplier de venir lui prêter main forte. Le jeune barman n'eut même pas besoin de ça pour accourir : voir Yoongi, tête baissée, dans les bras de Jungkook suffisait à lui faire comprendre la situation.
Taehyun passa à son tour un bras autour de la taille de Yoongi et les deux garçons quittèrent rapidement la salle.
« Hyung, tu m'entends ? demanda aussitôt Jungkook d'un ton anxieux. Yoongi ? »
Un simple « hum » qui ressemblait presque à un râle lui répondit, preuve au moins que le performeur n'avait pas complètement perdu connaissance. Taehyun et Jungkook échangèrent un regard inquiet et, plutôt que d'aller à la salle de repos, les deux employés décidèrent de frapper à la porte du bureau de Jimin. Taehyun n'attendit pas d'avoir l'autorisation d'entrer pour abaisser la poignée, malheureusement la porte était fermée à clés : Jimin n'était pas là.
« Merde, jura le serveur. On va essayer Hoseok. »
Jungkook opina or, alors qu'ils étaient sur le point d'entrer dans l'autre bureau, la porte de celui-ci s'ouvrit sur Hoseok : il avait entendu ses cadets dans le couloir et avait voulu les prévenir que Jimin était parti déjeuner quelques minutes plus tôt. Il pâlit cependant en découvrant Yoongi visiblement inconscient et soutenu par les deux jeunes gens.
« Il a fait un malaise, expliqua Jungkook de qui le ton trahissait la détresse.
- Allongez-le sur le canapé, » ordonna aussitôt Hoseok en se décalant pour les laisser passer.
Sa voix reflétait l'inquiétude qui s'était immédiatement emparée de lui. Jungkook et Taehyun soutinrent Yoongi et parvinrent jusqu'au canapé où ils l'installèrent. La pièce était calme, trop calme : c'en était oppressant.
« Jungkook, reprit Hoseok une fois Yoongi étendu sur le petit canapé, va me chercher une boisson sucrée auprès de Beomgyu. Taehyun, y a une couverture dans le placard de l'étagère, là-bas, passe-la-moi. »
Les deux garçons s'exécutèrent sans plus attendre. Jungkook fila en cuisine, quant à Taehyun il trouva rapidement la couverture dont il avait été question et la donna à Hoseok qui l'étendit sur leur collègue qui tremblait silencieusement. Jungkook revint à peine quelques secondes plus tard avec un jus de fruits qu'il tendit à son supérieur.
Déjà Yoongi revenait peu à peu à lui. Ses paupières clignèrent un instant et lorsqu'il sentit quelqu'un passer une main derrière sa tête pour l'encourager à la redresser légèrement, il ne lutta pas et se laissa faire. Hoseok déposa ensuite le bord du verre contre ses lèvres et glissa avec douceur un « bois ça » à peine murmuré. Yoongi s'exécuta, se délectant du goût sucré malgré l'acidité vivifiante de l'orange.
« Vous pouvez retourner travailler, indiqua Hoseok, je m'en occupe ça va aller. »
Les deux garçons, en dépit d'une inquiétude flagrante, acquiescèrent. Yoongi était de toute évidence entre de bonnes mains et ne courait aucun risque. Ils quittèrent donc la pièce silencieusement.
Hoseok, assis sur le bord du canapé, reposa le verre de jus d'orange sur la petite table près de lui. Il passa la main dans les cheveux de Yoongi et la laissa s'y attarder afin de remettre en place quelques unes de ses mèches folles.
« Hyung, tu m'entends ? »
Yoongi hocha doucement la tête et ouvrit les yeux malgré l'épuisement que trahissaient tous les efforts qu'il dut faire pour ça. Hoseok laissa sa main glisser sur sa joue et poussa un soupir discret lorsque son aîné se blottit contre ce toucher délicat. Même mort de fatigue, Yoongi restait quelqu'un d'extrêmement affectueux, c'était attendrissant...
« Dors un peu, repose-toi. Tu viens de faire un malaise alors si t'as besoin de quoi que ce soit, demande-le-moi. Je reste dans mon bureau de toute façon. »
Yoongi le remercia d'un simple murmure et laissa ses yeux se refermer aussitôt tandis que déjà le sommeil l'emportait. Hoseok l'observa un instant, réajusta parfaitement la couverture sur son corps et alla à son bureau travailler. Il ne pouvait cependant pas s'empêcher de jeter de réguliers coups d'œil à son collègue qui était paisiblement assoupi sur son canapé.
Le jeune patron comptait bien l'obliger à parler, cette fois-ci Yoongi n'y échapperait pas : qu'il soit un peu fatigué, ce n'était pas grand-chose, ça arrivait à tout le monde. Mais que chaque jour il semble de plus en plus épuisé, ce n'était pas normal. Il cachait forcément quelque chose : ce n'était pas des devoirs avec sa sœur et un peu de ménage qui avaient pu le conduire à être à ce point surmené. Jamais il n'avait semblé aussi faible alors même que Hoseok savait qu'il avait déjà vécu des périodes difficiles.
Yoongi dormait depuis une bonne heure lorsque la porte de la pièce s'ouvrit tout doucement. Jimin fit signe à son ami de venir. Hoseok opina et quitta son bureau pour aller dans celui juste en face du sien. Ils y restèrent debout et, la mine soucieuse, les bras croisés contre son torse, Jimin osa croiser le regard de son aîné :
« Je suis revenu y a une demi-heure, expliqua-t-il. Kook et Tae m'ont raconté ce qui s'est passé. Il va bien ?
- Tu l'as vu, il dort encore...
- J'imagine que tu sais toujours pas ce qu'il a bien pu faire pour être dans cet état-là.
- On n'a pas passé la nuit ensemble, confirma Hoseok, Yunhee avait un devoir à finir et il a dit qu'elle avait pas mangé, il devait rentrer lui faire le dîner. Et de toute façon ces dernières semaines, les rares fois où il venait chez moi, c'était juste pour se reposer, rien de plus.
- Je vois...
- Je préfère pas le laisser seul, je vais y retourner.
- Ça marche. Préviens-moi dès qu'il se réveillera. Les autres osent pas venir le voir de peur de déranger, alors je pourrai les tenir au courant. »
Hoseok acquiesça en quittant la pièce. Jimin poussa un soupir, seul et immobile en plein milieu de son bureau. C'était la première fois qu'il s'inquiétait autant pour Yoongi...
~~~
Les paupières du jeune performeur clignèrent et il ouvrit doucement les yeux pour se rendre compte qu'il se trouvait non pas dans son lit mais sur le canapé du bureau de son amant. Aussitôt il se flagella mentalement : à moins d'un miracle, Hoseok allait désormais le harceler de questions, et si ce n'était pas lui ça serait sans doute Jimin qui exigerait de savoir ce qui avait bien pu le conduire à se mettre dans un état pareil...
Le son des touches de l'ordinateur attira son attention et il dirigea son regard toujours cerné de fatigue sur le bureau un peu plus loin. Hoseok était concentré sur son écran, les sourcils froncés. Yoongi le trouvait toujours particulièrement beau quand il travaillait. Ça lui donnait un charisme fou...
Le jeune patron, comme il le faisait depuis bientôt trois heures, leva les yeux vers son collègue. Ses prunelles brillèrent de soulagement lorsqu'il le vit éveillé.
« Hyung, comment tu vas ?
- Ça va...
- Tiens, attends. »
Hoseok sortit de son sac une bouteille d'eau qu'il apporta à son ami dont la voix témoignait de sa soif. Yoongi le remercia doucement et prit quelques gorgées avant de se rallonger : sa tête cognait comme s'il avait bu un bon litre d'alcool avant de s'endormir...
Son cadet, de nouveau installé à ses côtés sur le canapé, passa une fois de plus la main dans ses cheveux puis sur sa joue, Yoongi se laissa faire avec bonheur, toujours aussi heureux de sentir Hoseok agir avec tant de douceur.
« T'as encore maigri, fit-il cependant remarquer en attardant le pouce sur sa pommette. Tu pèses combien ?
- J'ai pas maigri, rétorqua Yoongi en faisant la moue.
- Si, t'as maigri. Et en plus tu tiens plus debout. J'imagine que l'un est lié à l'autre.
- Nous y voilà...
- Oui, nous y voilà, répliqua Hoseok d'une voix plus sévère. Alors dis-moi un peu ce que t'as fait pour te retrouver à flancher en plein milieu de ton service.
- J'ai pas beaucoup dormi et comme j'étais en retard j'ai pas pris de petit déjeuner. Content ? »
Yoongi avait répondu d'un ton involontairement sec. Il était simplement tellement las de répéter sans arrêt la même chose à son amant que c'en était aussi agaçant qu'épuisant. Tout ce dont il avait envie, c'était de lui tourner le dos pour se rendormir.
« Non justement, rétorqua pourtant encore Hoseok. Je suis pas « content ». Et si tu veux rien me dire j'appelle Yunhee pour lui demander de te laisser un peu d'espace. Que tu veilles sur elle à l'approche des examens est une chose, mais je sais qu'elle ne te laisserait jamais te bousiller la santé pour elle.
- Exactement, alors laisse-la en dehors de ça, répondit froidement Yoongi qui s'assit tant bien que mal pour faire face à son amant. En l'acceptant chez moi j'ai accepté toutes les responsabilités qui allaient avec. Je suis fier de pouvoir l'aider, je ne veux pas qu'elle se sente coupable de tout ça. J'aurais dû manger ce matin, je l'admets et je ne referai plus cette erreur, mais maintenant stop. On avait dit que tu te mêlerais plus de cette histoire.
- Si c'est pour voir les gamins te traîner tous les jours inconscient jusqu'à mon bureau je préfère encore te harceler jusqu'à ce que tu finisses par accepter d'être plus raisonnable.
- J'ai accepté de l'être, cracha Yoongi, je t'ai dit que j'oublierai plus mon petit déj. »
La porte s'ouvrit et les visages inquiets de Jimin et Taehyun apparurent.
« Hyung, ça va ? s'enquit le plus jeune.
- Oui, Tae, ça va, acquiesça doucement Yoongi dont la voix avait retrouvé sa chaleur. Désolé de vous avoir tous inquiétés, je ferai plus attention à moi.
- J'en crois pas un mot, marmonna Hoseok.
- La ferme.
- Hoseok, Yoongi, calmez-vous, intervint Jimin en entrant dans la salle suivi du jeune barman au visage soucieux.
- Alors dis-lui de me laisser, râla Yoongi.
- Bah oui, comme ça il pourra continuer de faire ses malaises tranquillement, siffla Hoseok.
- Arrête un peu, j'ai plus deux ans !
- Tu te comportes comme si c'était le cas !
- Hoseok ! s'énerva Jimin à son tour en lançant un regard agacé à son aîné. Tu vois bien qu'il est pas en forme. Laisse-le tranquille pour le moment.
- Je suis désolé, je peux pas. Ça fait plusieurs semaines que je m'inquiète, j'en peux plus. Je sais qu'il nous ment, mais pourquoi il fait ça ? On a toujours été là pour lui, non ? Alors c'est quoi le souci ? Pourquoi il persiste à nous cacher ce qui le fait souffrir ? S'il faut que je le fasse chier même alors qu'il vient de se réveiller après un malaise pour lui tirer les vers du nez, je le ferai. »
L'air déterminé de Hoseok ne passa pas inaperçu aux yeux de Jimin qui, il fallait l'avouer, n'était pas totalement en désaccord avec lui. D'un côté il n'approuvait pas que son ami se montre si sévère envers Yoongi, mais d'un autre côté... ça avait beau être de l'ordre de sa vie privée, si ça impliquait sa santé et ses capacités à travailler, ça devenait leur affaire aussi. Yoongi devait se justifier.
« Yoongi, s'il te plaît, soupira donc Jimin, tu le sais qu'on te jugera jamais, hein ? Dis-nous ce qui ne va pas. On veut t'aider, s'il te plaît... »
Le regard du performeur brilla alors d'une criante détresse, celle-là même qu'il tentait désespérément de cacher à ses amis. Pourtant il hocha la tête de gauche à droite.
« Y a rien du tout. »
Mais sa voix l'avait trahi : elle avait vrillé. Hoseok, assis à côté de lui qui se trouvait toujours en tailleur sur le petit canapé, posa une main bienveillante sur son épaule et lui adressa un sourire encourageant.
« On est là pour toi, hyung. Alors parle-nous.
- Mais je te jure... ça va... »
Fragilisé tant par la faim que par la fatigue, Yoongi avait du mal à retenir ses émotions. Contraint de se mordre férocement la joue pour empêcher ses larmes de couler, elles envahirent cependant bien vite son regard charbonneux.
Ce fut le « hyung » à peine murmuré par Taehyun qui lui porta le coup de grâce. Il baissa la tête en sentant son cœur s'exprimer à travers le flot des larmes qu'il n'était plus en mesure de garder pour lui. Une première lui échappa, rapidement suivie d'une deuxième, puis une de plus, et les premiers sanglots firent trembler son corps tandis qu'il baissait les armes. Hoseok n'eut pas à réfléchir un seul instant : il enlaça son aîné et lui caressa le dos avec douceur en lui murmurant des paroles réconfortantes.
« Sois honnête, chaton, » susurra-t-il afin que seul son amant l'entende.
Yoongi hocha doucement la tête et, lorsque Hoseok s'écarta de lui, le jeune performeur prit le mouchoir que lui tendait Jimin et le remercia. Il ne fut pas en mesure de sécher ses larmes qui ne cessaient de revenir, une à une, striant doucement son doux visage de leurs sillons invisibles.
« Vous pouvez pas savoir à quel point je l'aime, murmura Yoongi qui tentait de maîtriser ses sanglots. E-Elle a tout pour réussir, vraiment tout. Des résultats brillants, un caractère adorable, une grande popularité auprès de ses camarades, et puis il y a cette énorme université qui l'a acceptée... Je suis tellement fier d'elle.
- Alors... tu passes réellement tes nuits à l'aider ? demanda Taehyun d'une voix timide.
- Dans un certain sens, oui, opina doucement Yoongi.
- Comment ça ? » s'enquit à son tour Hoseok.
Yoongi réfugia son visage entre ses mains, le cœur lourd. Deux mois qu'il leur cachait ça... deux mois qu'il tentait de faire comme si tout allait bien alors même que jamais il n'avait eu à ce point l'impression de sombrer dans un gouffre infernal...
« C'est... c'est à cause de nos parents, » murmura-t-il si bas que ses amis peinèrent à l'entendre.
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