Chapitre 68
« Il aurait dû se suicider, sérieux, qu'il crève. »
Et les réponses étaient sans doute encore pires.
« Tu m'étonnes, ça aurait été mieux que de venir faire le malin avec un bouquin pareil. »
« Ah bon ? Il a été harcelé ? Certains en meurent, dommage que ça n'ait pas été son cas... »
« Les homos ça me débecte, avec le boulot qu'il a c'est obligé qu'il se fasse enculer. Ça doit être tellement humiliant, perso je préfèrerais encore me pendre. »
Le verre d'eau que Jungkook venait de se servir lorsqu'il était tombé sur ce tweet, il le laissa tomber. Le pauvre récipient fit la même chute vertigineuse que son cœur et éclata sur le sol dans un bruit fracassant. Jungkook tremblait, tout à coup saisi d'effroi par la multitude de souvenirs atroces qui lui revenaient à l'esprit.
Il était en pleine panique.
Son regard descendit lentement jusqu'à son avant bras à la peau d'albâtre. Des larmes se mirent naturellement à couler sur ses joues. Au fond du gouffre, harcelé par tous ceux à qui il tenait, fragilisé tant à cause de son jeune âge que de son naturel extrêmement doux, Jungkook avait, à l'époque, songé au pire. Parce que ses notes avaient commencé à chuter, son moral aussi, de même que la confiance et l'estime qu'il se portait, et que semaine après semaine, mois après mois, il avait fini par vouloir fuir à tout prix le regard des autres.
Quitte à ce que se retrouver six pieds sous terre soit la solution.
Alors oui, un jour – un jour seulement – il s'était retrouvé au plus mal. C'était un jour un peu comme celui-là, un jour qui n'avait rien de beau, un jour où il avait subi moqueries et humiliations. Il était rentré chez lui, avait souri à ses parents puis avait prétexté avoir besoin d'une bonne douche. Tout dans son esprit avait alors commencé à se mêler, tout avait été désordonné, et quand il avait repris conscience – si on pouvait parler ainsi –, il était assis près de la baignoire avec entre les mains le rasoir de son père.
Il en avait aussitôt été épouvanté. Il avait immédiatement jeté l'objet un peu plus loin et s'était assuré que, dans son désespoir presque fou, il n'avait pas commis l'irréparable. Aucune trace de la moindre blessure. Il s'était repris avant d'avoir fait ce qui aurait sans doute été la pire erreur de sa vie : marquer son corps à cause du comportement des autres. Faire subir à son corps une punition qu'il n'avait jamais méritée.
Cette soirée resterait gravée à tout jamais dans l'esprit de Jungkook qui ne pouvait pas s'empêcher de se dire qu'elle aurait pu rester gravée sur sa peau.
C'était de cette manière qu'il s'était rendu compte que tout était allé trop loin, que ça avait trop duré. Il avait fondu en larmes, toujours assis face au rasoir dont il s'était défait de l'emprise ensorcelante. Il avait compris l'énorme erreur à laquelle ses poignets avaient échappée et ça avait été un véritable électrochoc pour lui qui était encore si jeune.
Ça n'avait été que quelques jours plus tard qu'il avait trouvé la force de parler à ses parents de ce qu'il subissait, et une nouvelle vie avait pu commencer lorsqu'ils avaient déménagé. Jungkook n'avait jamais eu à ce point la sensation que son âme s'allégeait d'un poids jusque là considérable. Il avait été heureux, si heureux.
Mais voir ce passé refaire surface, voir ces gens qui n'espéraient qu'une chose, son suicide, c'était tout simplement ignoble. Déjà son cœur lui faisait mal à palpiter si fort, déjà sa tête tournait au souvenir de cette période de sa vie qu'il n'était pas en mesure de surmonter. Sa vue brouillée par ses larmes combinée avec cette sensation de ne rien contrôler donna des vertiges au jeune étudiant qui n'eut que quelques pas à faire avant de s'effondrer sur son matelas.
Il faisait tout pour retenir ses sanglots et éviter de fondre en larmes. Il ne voulait pas imaginer que ces gens qui se cachaient derrière un pseudo puissent l'atteindre. Il tentait de se remémorer les mots de Yoongi, ceux de Hoseok... en vain.
Jungkook ne fut en mesure de retenir ses émotions que quelques minutes, après quoi il se laissa complètement submerger. La panique le frappa comme la vague monumentale d'un tsunami à laquelle il ne cherchait pas à échapper. Il se laissa noyer et, comme il l'avait fait en présence de Jimin, il permit à cette période noire de sa vie de revenir le tourmenter.
Étalé sur son lit, sur le ventre et la tête entre les bras, il laissait libre cours à sa peine – il était seul après tout, là au moins il était absolument certain de ne pas être jugé.
Les infâmes commentaires qu'il avait subis depuis le début de la semaine lui revenaient comme autant de coups qu'il était bien incapable de parer. Il n'avait jamais su comment s'en protéger, son cœur était beaucoup trop fragile, il n'avait jamais su se créer la moindre carapace indestructible ou quoi que ce soit d'autre. Non, n'importe qui était en mesure de la déstabiliser, de l'atteindre. Jungkook avait conscience d'être un jeune garçon à la sensibilité exacerbée et aux émotions particulièrement prononcées... mais il était comme ça, impossible de lutter contre sa nature.
Pourtant ça le faisait tant souffrir...
Son cœur débordait des larmes que ses yeux versaient. Chacune d'entre elles était la preuve de cette blessure marquée à l'encre indélébile, une blessure invisible mais si difficile à cicatriser. Toute cette haine, toutes ces incitations à d'horribles choses... mais pourquoi ? Quelle raison pouvait-on avoir de chercher à pousser un parfait inconnu au suicide ?
Il n'avait pourtant jamais voulu blesser quiconque, alors pourquoi cherchait-on à le blesser, merde !
Colère, peine et dégoût se mêlaient en lui. Il voudrait pouvoir ignorer ces messages, agir comme ses aînés le lui avaient conseillé et se détacher des réseaux sociaux, lieux par excellence où chacun s'estimait en droit et en capacité de juger de parfaits inconnus – car aucune de ces personnes ne savait qui était le vrai Jungkook, celui qui se cachait derrière l'image de Kookie, le petit maknae timide.
Et pourtant ils le jugeaient, l'humiliaient, le harcelaient, prétendant qu'il n'était pas quelqu'un de bien. N'était-ce pas l'inverse ? Faire subir ça à un innocent, est-ce que ce n'était pas ce que les gens mauvais faisaient ?
Ce fut après un temps qui lui parut fou que Jungkook reprit son portable entre ses mains qui tremblaient toujours. Il avait coupé sa connexion et alla directement dans ses contacts avant de sélectionner celui de Jimin. Les larmes n'avaient pas cessé de couler ni son corps de sursauter compulsivement à chaque sanglot. Il s'efforça cependant de ne rien laisser paraître de son état dans le message qu'il envoya.
Jungkook – Bonjour hyung, j'ai attrapé un mauvais rhume avec la pluie. Si j'avais pu venir je te jure que je l'aurais fait, mais là ça va pas être possible. Du coup je suis désolé mais tu pourrais décaler mes heures ? :/
Comme à l'accoutumée, Jimin avait toujours son portable auprès de lui, du moins ce fut ce que supposa Jungkook lorsque son smartphone vibra quelques instants plus tard.
Jimin – Oui bien sûr pas de soucis. Prends pas le risque de choper une grippe ou je sais pas quoi. Si t'as besoin de quoi que ce soit, appelle. :)
Jungkook – Merci beaucoup, hyung.
De nouvelles larmes coulèrent sur le visage de Jungkook qui sentait sa peine et sa détresse s'amenuiser face à toute l'attention et la bonté de Jimin. L'étudiant se sentit même coupable de lui avoir menti, mais il ne pouvait tout simplement pas aller travailler : il était déjà presque une heure de l'après-midi, s'il allait au travail il ne serait pas en mesure d'être efficace et il finirait sans doute par craquer.
Or il ne voulait plus que ça lui arrive, pas devant ses amis. C'était humiliant et ça leur causait du souci. Il leur causait toujours du souci, quoi qu'il fasse. À croire qu'il n'était pas capable d'autre chose.
Incapable d'avaler quoi que ce soit, Jungkook s'allongea sur le flanc, laissant son portable un peu plus loin, et ferma les yeux en tentant de faire abstraction de tout. Vaine tentative, mais du moins il lui sembla que ses larmes avaient cessé et que ses sanglots s'étaient apaisés. Il demeura donc ainsi à essayer de se concentrer sur ce que sa vie avait de positif.
Malheureusement chaque fois ces foutus tweets lui revenaient en tête, accompagnés des reliques de son passé, souvenirs empoisonnés qu'il voudrait pouvoir effacer de sa mémoire comme s'il s'agissait d'une simple clé USB. Ça serait tellement plus simple de pouvoir oublier aussi facilement, de pouvoir simplement se reformater chaque fois que c'était nécessaire. Vivre dans l'ignorance de son passé, était-ce si terrible ? Au moins il ne le subirait pas, c'était pour le moment tout ce qui comptait, car ce passé qui le faisait encore si ardemment souffrir, il n'était pas en mesure ni de l'affronter ni de le vaincre. C'était une douleur encore beaucoup trop vive pour qu'elle puisse être apaisée – ça faisait pourtant tant d'années que Jungkook espérait qu'elle finisse par s'effacer.
La seule chose qui fut en mesure de calmer un peu la mélancolie du jeune homme, ce fut le sommeil qui l'emporta pour l'amener dans un monde onirique capable de le consoler – même si c'était seulement provisoire. Tant que ça l'éloignait un peu de la réalité et, plus encore, du virtuel, c'était le plus important.
Les dernières traces de ses larmes étaient toujours visibles non seulement sur ses yeux rougis par le nombre de fois qu'il se les était essuyés mais également sur ses joues encore maculés des traces transparentes laissées par les sillons formés par ses larmes. Parfois il reniflait, et il avait eu le réflexe d'attraper entre ses mains juvéniles son oreiller. Il n'avait même pas réfléchi, il avait simplement besoin de quelque chose à serrer contre lui. Ça avait été inconscient car de toute façon il était désormais endormi paisiblement – du moins aussi paisiblement qu'il pouvait l'être.
Il fut réveillé de longues heures plus tard lorsque son portable vibra. C'était un message dont Jungkook ne prit même pas la peine de vérifier l'expéditeur : il voulait se rendormir, c'était tellement agréable. De cette façon il était loin des moqueries, loin des larmes, des réseaux sociaux mais aussi de ces foutues révisions sur lesquelles il n'arrivait plus à se concentrer. C'était finalement comme lorsqu'il était au collège : si ça continuait il risquait de rater ses examens – ou en tous cas de ne pas les réussir avec la moyenne qu'il avait pour objectif d'atteindre – et ça le décevrait encore plus.
Une magnifique spirale infernale.
La pluie dehors avait redoublé d'intensité. La fenêtre de Jungkook était battue par le vent et la multitude de gouttelettes qui venait s'amonceler élégamment sur la vitre. L'étudiant y leva un instant ses yeux fatigués et constata avec un sourire triste que c'était les mêmes petites perles d'eau qui avait doucement coulé sur son visage.
Il avait la sensation que son cœur avait été vidé, pressé comme une éponge désormais sèche de toute émotion. Il se haïssait d'être aussi sensible aux critiques extérieures, plus encore quand elles étaient aussi véhémentes et injustifiées que celles qui l'avaient mis dans cet état-là. Il n'avait simplement pas pu empêcher ses peurs et ses souvenirs de prendre le dessus et de l'écraser.
Jungkook voulut se rendormir mais son portable vibra une fois de plus, ce qui le poussa finalement à l'attraper pour voir qui pouvait bien lui envoyer des messages. Il fut surpris de constater qu'il était déjà vingt heures, et plus encore que c'était Jimin qui lui avait envoyé ces deux messages : l'un pour lui demander si ça allait et l'autre pour lui demander de le tenir au courant au sujet du jour où il pourrait rattraper les heures qu'il n'avait pas effectuées ce jour-là.
Jungkook répondit rapidement et eut à peine le temps de poser son portable qu'il vibra une fois de plus.
Jimin – T'es sûr que ça va ?
Le jeune homme fronça les sourcils et affirma que oui. Nouvelle vibration.
Jimin – Parce que ça en a pas l'air...
Jungkook – C'est juste le rhume, ça me fatigue.
Jimin – Ah, je comprends... Tu me le dirais s'il y avait autre chose, hein ?
Jungkook tapa un « oui bien sûr, hyung » devant lequel il resta cependant bloqué, incapable de l'envoyer. Jimin était quelqu'un qui se souciait tant de lui, Jungkook s'était confié à lui plus d'une fois. Il se sentait mal à l'idée de lui mentir aussi ouvertement. De même il ne pouvait pas lui dire ce qui s'était passé, il avait honte et ne voulait pas que Jimin apprenne qu'il continuait de traîner régulièrement sur les réseaux sociaux pour voir ce qu'on disait de lui. Il ne voulait pas que son aîné voie à quel point l'impact ces tweets était puissant... il ne voulait plus lui causer de soucis.
La réponse donc tarda, Jungkook continuait d'hésiter sans même se rendre compte que son long silence équivalait sans le moindre doute à un aveu pour Jimin. L'étudiant ne fut finalement pas réellement surpris lorsque, toujours en train de débattre intérieurement sur la réponse à formuler, son portable se mit à vibrer pour indiquer que son supérieur téléphonait.
Jungkook ne décrocha pas, il laissa les vibrations se stopper au bout de quelques secondes qui lui parurent étrangement longues. Il reçut un nouveau message.
Jimin – S'il te plaît décroche...
Nouvel appel. Une fois de plus Jungkook laissa les vibrations se succéder, néanmoins il finit par décrocher dans un soupir anxieux et activer le haut-parleur afin de pouvoir laisser son portable sur son matelas. La voix caressante de Jimin s'éleva alors dans la pièce. Elle était vraiment reposante, sa voix.
« Allô ? Jungkook ?
- Salut, hyung. »
La monotonie du ton de Jungkook à laquelle s'ajoutait sa voix éraillée ne trompait pas : il venait à peine de se réveiller et n'était pas franchement d'humeur à discuter au téléphone. Ce ne fut cependant visiblement pas un détail sur lequel Jimin s'attarda.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda alors Jimin. Pourquoi t'es pas venu bosser aujourd'hui ?
- J'avais juste un rhume, répondit Jungkook malgré sa honte de mentir, t'en fais pas, j'ai pu me reposer cet après-midi et je me sens un peu mieux. »
Il sentit sa gorge se nouer mais n'en laissa rien paraître. Jimin semblait réellement inquiet à l'autre bout du fil et, même si c'était quelque chose qui touchait profondément Jungkook, c'était également quelque chose qui l'embarrassait. Il voulait rester seul, il n'aimait pas que les autres sachent qu'il allait mal. Il avait toutefois la malchance d'être très transparent alors même qu'il était particulièrement renfermé et qu'il craignait les regards. Tout ce qu'il souhaitait c'était que Jimin le laisse tranquille pour qu'il puisse se rendormir enfin.
Jungkook se sentait fatigué et quand il l'était, il était encore plus sensible qu'à l'accoutumée.
« Jungkook, me mens pas, soupira Jimin. Dis-moi simplement si j'ai des raisons de m'inquiéter. Est-ce que c'est grave ?
- Mais non, c'est juste un rhume, je te jure, souffla Jungkook qui sentait sa voix vaciller.
- On sait tous les deux que c'est faux, je te demande pas de me dire ce que tu as réellement, je veux simplement savoir si c'est grave ou non.
- Non, je te jure, c'est rien du tout. »
Simplement du cyber-harcèlement. Rien de plus que des incitations au suicide. Juste des moqueries à foison.
Seulement ce foutu passé qui le hantait encore et toujours et qui entrait violemment en collision avec le présent.
Jungkook renifla une première fois tandis que les premières larmes venaient se loger aux coins de ses yeux. Le détail n'échappa pas à Jimin.
« Jungkook, s'il te plaît sois honnête, on s'inquiète tous pour toi... »
Alors, comme ça lui arrivait dans ce genre de cas, Jungkook sentit qu'il n'était plus capable de mentir et de contenir ses émotions. Il les laissa le dominer complètement et, tandis qu'il se maudissait mentalement d'être aussi fragilisé par tout ça, il finit par craquer.
« Ils ont su pour mon harcèlement au collège, murmura-t-il faiblement d'une voix tremblante de tristesse. Ils ont dit que c'était mérité et que... que j'aurais dû me suicider... »
Le silence répondit à Jungkook sur les joues de qui de nouvelles larmes étaient nées. Il était décidément beaucoup trop sensible... Finalement Jimin reprit :
« Ils ont dit... c'était sur Twitter ? »
Jungkook souffla un « oui » à peine audible et renifla une fois de plus avant de se décider à se lever pour aller chercher un mouchoir.
« Ok j'arrive. »
Jungkook s'arrêta net et se tourna vers son téléphone laissé sur son matelas. Avait-il bien entendu ?
« Comment ça ? s'enquit-il d'un ton mal assuré.
- Je commence à te connaître, il est hors de question que je te laisse déprimer seul dans ton coin avec des tarés qui t'incitent à te faire du mal.
- Mais je vais rien faire, je ne...
- M'en fous, rétorqua Jimin qui lui coupa de cette façon la parole. Je te laisse pas le choix. »
Jungkook s'apprêtait à répondre une fois de plus quand il fut interrompu par les « bip » à répétition qui indiquaient que Jimin avait raccroché. Il songea un instant à le rappeler pour lui demander de na pas venir – d'autant plus qu'il avait conscience que Jimin était supposé performer au café ce soir-là –, néanmoins... même si la solitude lui était agréable lorsqu'il n'avait pas le moral, la perspective que Jimin vienne pour lui tenir compagnie était loin de lui déplaire autant qu'il l'aurait cru.
Parce que même s'il ne voulait pas être un poids il avait besoin de soutien.
Afin de se donner bonne conscience il tapa malgré tout un message à son ami pour lui dire que tout allait bien, qu'il n'avait pas à se déplacer et que s'il avait un problème il appellerait Taehyung. La réponse de Jimin ne se fit pas attendre : il avait déjà contacté un taxi qui ne tarderait pas à arriver.
Jungkook – Mais tu connais pas mon adresse...
Jimin – Bah si, je suis ton patron je te rappelle, j'ai tes coordonnées sur ton contrat.
C'était juste.
Jungkook essuya ses larmes et un sourire réussit même à poindre sur son visage à l'idée que Jimin venait sans arrêt à sa rescousse. D'une certaine manière, il était un peu comme son héros, prêt à le défendre et à le consoler. Ce n'était pas pour rien qu'il s'entendait si bien avec Taehyung, ils étaient décidément très similaires...
Le jeune étudiant alla se recoucher après avoir pris un dernier mouchoir. Le seul fait de savoir que Jimin allait venir lui donnait l'impression d'être plus léger et déjà ses larmes s'étaient taries. C'était sans doute à cause de cette aura apaisante que Jimin avait et qui irradiait au point qu'elle était capable de lui réchauffer le cœur et de sécher ses pleurs. Ou bien était-ce simplement parce que puisque Jimin était le seul au courant du harcèlement qu'il avait jadis subi ? Jungkook avait le sentiment que son aîné était mieux placé que quiconque pour l'écouter et le comprendre.
Dans tous les cas il se sentait soulagé de savoir qu'il ne serait pas seul.
Ce fut après une vingtaine de minutes qu'on sonna à son interphone. Sachant pertinemment de qui il s'agissait, Jungkook ne prit même pas la peine de décrocher et appuya simplement sur le bouton pour débloquer la porte de l'immeuble. Il put ensuite entendre des pas précipités dans les escaliers et à peine eut-il ouvert la porte que déjà Jimin avait enroulé les bras autour de son cou et l'étreignait avec délicatesse.
« Hyung, je vais bien, sourit doucement Jungkook qui n'hésita cependant pas à le serrer lui aussi dans ses bras.
- Tes yeux rouges prétendent le contraire, lui fit remarquer l'autre.
- Tu me connais, j'avais juste besoin... d'extérioriser. Je suis fatigué. »
Ce ne fut que lorsqu'ils s'écartèrent que Jungkook put se rendre compte de l'état de son ami : Jimin avait sans doute marché plusieurs minutes sous la pluie car ses cheveux ruisselaient et son t-shirt à manches longues lui collait à la peau. Parce qu'il avait surpris son regard, Jimin se passa une main gênée dans la nuque et expliqua :
« Y avait des bouchons à deux rues d'ici, alors j'ai préféré terminer le trajet en courant.
- T'es complètement trempé...
- C'est rien, je voulais arriver le plus rapidement possible.
- Je t'ai dit que j'allais rien faire. »
Jimin lui offrit un sourire tendre et posa la main sur le front de son cadet pour en dégager quelques mèches de cheveux. Jungkook se laissa faire, bercé par ce geste qui le fit sourire.
« Je sais, opina-t-il, mais je voulais quand même. Je n'aime pas te savoir seul dans ces moments-là. »
Jungkook ne répondit pas, occupé qu'il était à profiter des caresses que Jimin offrait désormais à sa chevelure. Ce fut pourtant lui qui y mit fin en se reculant avant de rouvrir ses grands yeux noirs pour proposer à son aîné de prendre une douche.
« Je te passerai des vêtements et je mettrai les tiens à sécher, expliqua Jungkook qui sentait déjà ses joues rougir de proposer ça à son ami.
- C'est gentil, Kook, je veux bien. »
Le large et magnifique sourire que Jimin lui adressa fit complètement oublier à Jungkook la raison de sa venue : il était à ce point envoûté par le charme si particulier que Jimin dégageait qu'il ne se sentait même plus capable de raisonner correctement. C'était... comme lorsqu'il était tombé amoureux de Taehyung. À l'époque, chaque fois que son meilleur ami était là Jungkook était incapable de voir autre chose. L'amour qu'il lui portait agissait comme des œillères qui lui permettaient de se concentrer uniquement sur Taehyung, il en oubliait le monde autour de lui.
Désormais il ne voyait que Jimin, pourtant son cœur persistait à lui dire qu'il n'était pas amoureux. C'était étrange, Jungkook avait du mal à définir ce qu'il ressentait : il connaissait Jimin depuis désormais cinq semaines, cinq semaines pendant lesquelles beaucoup trop de choses s'étaient passées. Ils s'étaient doucement rapprochés et Jungkook lui faisait aujourd'hui totalement confiance. Cinq semaines ce n'était rien, non ? Pourtant il y avait eu tous ces petits moments, toutes ces occasions d'apprendre à se connaître. Ils en savaient peu l'un sur l'autre, ils parlaient peu voire pas de leur vie personnelle, pour autant Jungkook savait que Jimin était quelqu'un de bien sur qui il pouvait compter.
Pas besoin de connaître sa couleur préférée ou son plat favori pour pouvoir affirmer qu'il avait un cœur en or. Jungkook le connaissait parfaitement, mais c'était son âme pleine de bonté qu'il avait appris à connaître. Ça lui donnait envie d'en savoir plus sur son aîné, bien sûr, mais chaque chose en son temps.
Finirait-il par tomber amoureux ? Jungkook n'en savait rien. Il lui fallait bien admettre qu'il se sentait attiré par Jimin. C'était un garçon plein de charisme, de douceur, d'attentions et, en plus de ça, un jeune homme particulièrement beau.
Peut-être qu'apprendre à le connaître reviendrait à apprendre à l'aimer...
« Jungkook ? »
Le jeune garçon secoua la tête pour en chasser ses pensées ; inutile de songer à ça sachant qu'il intéressait à peu près autant Jimin que Taehyung...
« Oui, tu disais ? demanda aussitôt le jeune garçon.
- Tu peux me passer des vêtements du coup ?
- Oui, oui bien sûr. »
Jimin afficha un rictus espiègle face à la moue intimidée de Jungkook qu'il avait surpris en train de le regarder distraitement. L'étudiant alla à son armoire et en tira un t-shirt ainsi qu'un caleçon et un short – il faisait lourd, Jimin n'apprécierait sans doute pas un jogging. Jimin le remercia et était sur le point d'aller à la douche quand l'autre l'arrêta :
« Dis, t'as dîné ? demanda-t-il.
- Non, répondit Jimin, et toi ?
- Non plus.
- T'as pas mangé aujourd'hui, hein ?
- Non... »
Jungkook l'admit d'une petite voix timide, avec sa moue il était à croquer.
« Je vais préparer du riz et du poulet, ça t'irait ?
- Jungkook, est-ce que tu m'invites à rester manger ? le taquina son ami.
- Non, enfin si... 'fin... ouais, si tu veux quoi.
- C'est gentil, ricana Jimin, bien sûr que j'accepte. »
Jungkook opina doucement et lui adressa un sourire timide avant d'aller à son petit coin cuisine lorsque Jimin se rendit à la douche. Il se dépêcha de fouiller dans ses placards et trouva par bonheur de quoi préparer quelque chose de consistant et de rapide.
Obnubilé par son repas, souhaitant à tout prix cuisiner quelque chose de bien pour son ami, il avait complètement oublié sa détresse passée et surveillait avec attention la cuisson de son riz qu'il venait de verser dans l'eau. Plusieurs minutes s'étaient écoulées sans qu'il ne les remarque, il ne s'en rendit compte que quand deux bras passèrent autour de sa taille et que Jimin se serra doucement contre son dos. L'aîné posa le menton sur l'épaule de son hôte et sourit en voyant le riz et la viande cuire.
« Ça a l'air bon, dit-il, j'avais pourtant cru que c'était moi qui devrais prendre soin de toi, pas l'inverse.
- Je t'ai dit que ça allait, souffla Jungkook d'un ton peiné – car la réalité venait de reprendre le dessus sur ce petit aparté de douceur –, je ne voulais pas te faire perdre ton temps.
- Décidément tu ne changeras jamais. Si ça allait tu serais pas resté toute la journée chez toi sans rien avaler. Si ça allait t'aurais pas craqué au téléphone. »
Sans vraiment réfléchir à son geste – car c'était quelque chose d'habituel chez lui –, Jimin déposa un baiser éthéré sur la nuque de son cadet, près de son omoplate. Jungkook en frémit mais se laissa faire. Il avait conscience qu'au moindre mouvement signifiant son refus, Jimin s'écarterait en s'excusant... mais ce n'était pas ce qu'il souhaitait. Il voulait que Jimin continue de le serrer contre lui, qu'il continue de poser ses lèvres charnues sur sa peau.
« C'est passé, affirma Jungkook à voix basse, je vais mieux tu le vois bien.
- Sans doute, acquiesça Jimin, mais est-ce que ça va mieux parce que je suis là et que ça te permet de penser à autre chose ou bien est-ce que ça va mieux parce que tu es en paix avec toi-même et que tu as su surmonter tout ça pour ne plus en tenir compte ? »
Jungkook, qui jusque là surveillait son riz d'un œil distrait, soupira en baissant la tête, vaincu.
« Parce que t'es là, admit-il. Seulement parce que t'es là.
- Dans ce cas, souffla Jimin contre son épaule, je reste. Je reste et je vais faire en sorte de t'aider à surmonter ça.
- Merci... »
Jungkook pencha légèrement la tête de côté lorsque son aîné caressa du bout des lèvres la peau de sa nuque. Il avait fini par remarquer que ces contacts faisaient du bien au jeune étudiant et l'aidaient à se détendre. Ce fut cependant bref, rapidement il revint poser le menton sur son épaule pour surveiller avec lui la cuisson des plats.
Le silence domina, du moins eux demeurèrent silencieux, car la viande crépitait et le riz cuisait. C'était néanmoins des sons constants et apaisants. Jungkook avait les joues colorées d'un rose pâle caractéristique de la gêne qui faisait toujours s'emballer son cœur naïf, il savait que c'était dû aux bras de Jimin enroulés autour de son ventre, à son torse qui s'était collé à son dos, à son souffle qui se déposait comme une brume chaude sur la peau de son cou.
C'était un moment si tranquille...
« Avec toute cette affaire, je me suis dit qu'on devait mettre notre petit « défi » en pause, reprit Jimin après quelques minutes. Ou on pourrait laisser tomber aussi, c'est comme tu veux. Je sais que tes examens arrivent bientôt, t'auras pas le temps pour ça. »
Leur petit jeu de drague... Jungkook l'avait déjà oublié. Cette semaine, c'était supposé être son tour d'essayer de séduire Jimin... mais pour être honnête le jeune garçon n'était absolument pas d'humeur. Entre ses examens et le cyber-harcèlement qu'il subissait, cette semaine avait effectivement été loin d'être propice au jeu de l'amour.
« Peut-être plus tard, oui, acquiesça Jungkook. En ce moment... c'est compliqué. »
Il sentit Jimin hocher la tête et s'écarter finalement une fois que tout fut prêt à être servi. Jungkook égoutta rapidement le riz et le répartit dans deux bols, prenant soin d'en laisser plus à Jimin – d'autant plus que lui n'avait pas vraiment faim, sa gorge était toujours tapissée du goût salé des larmes qu'il avait passé sa journée à ravaler.
Jungkook alla s'installer non pas à la table mais sur son lit. Malgré l'arrivée de Jimin il se sentait toujours aussi épuisé, sa longue sieste n'avait pas été en mesure de lui redonner la moindre force. Pleurer drainait toujours toute son énergie.
Assis contre le mur, son bol et ses couverts entre les mains, Jungkook sourit en voyant son aîné venir auprès de lui. Jimin s'assit à ses côtés et posa une main réconfortante sur sa cuisse.
« T'as l'air complètement mort, ça va aller ?
- J'ai l'impression que mes yeux se ferment seuls...
- C'est aussi parce que t'as rien mangé depuis hier. Finis au moins ton bol, je partirai pas avant.
- Parce que... tu partiras, après ? » demanda Jungkook d'une voix mal assurée qui trahissait la crainte qu'il avait que son aîné ne s'en aille et le laisse seul.
Jimin fronça les sourcils sans savoir ce qu'il devait répondre : devait-il comprendre que son cadet voulait qu'il reste auprès de lui encore un peu alors même qu'il se bornait à lui dire que tout allait bien pour qu'il s'en aille ?
« Oui, enfin si tu y tiens et que tu vas mieux je m'en irais. Je veux dire, si tu t'endors, je...
- Est-ce que... enfin, hésita Jungkook en lui coupant inconsciemment la parole, si ça te gêne pas, hein... est-ce que tu pourrais rester cette nuit ? »
Cette fois-ci, Jimin dut bien admettre que s'il reconnaissait Jungkook à son éternelle timidité, il ne le reconnaissait cependant pas à ses propos. Est-ce qu'il avait bien entendu ? Jungkook voulait qu'il reste avec lui... toute la nuit ?
« Jusqu'à demain matin ? s'étonna Jimin.
- Euh... oui ? Je... enfin, peut-être ? Non, désolé, c'est stupide, je ne...
- Je veux bien, le coupa son invité qui craignait que l'autre ne change finalement d'avis, ouais, aucun problème. Moi aussi je veux rester avec toi. »
De cette manière il pourrait s'assurer que Jungkook allait bien et, pourquoi pas, l'aider du mieux qu'il le pouvait. Il n'aimait pas les longs discours, pour autant il savait écouter et il avait conscience qu'une oreille attentive était parfois bien plus utile que d'ennuyeuses tirades.
Ils mangèrent dans un calme serein et Jimin ramena les bols dans l'évier pour les laver malgré les protestations de Jungkook. Le cadet, qui n'avait pas quitté son pyjama de la journée – c'était heureusement une simple tenue de sport composée d'un débardeur et d'un short –, s'était vu obligé de se reposer. Il profita donc que Jimin s'occupe de la vaisselle pour aller se laver les dents et s'allonger ensuite sur son lit. De longues secondes durant il observa Jimin s'occuper consciencieusement de tout laver puis il osa enfin lui demander ce qui lui occupait l'esprit :
« Dis hyung... tu dormiras avec moi ? »
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