Chapitre 67
Jungkook avait coupé sa connexion et avait reposé son portable sur son lit. Les coudes posés sur les genoux, le visage plongé entre ses mains, il tentait désormais de faire taire ses sanglots. Les propos haineux qu'il avait lus tournaient en boucle dans son esprit, lui collaient à la peau pour venir le ronger.
Il chantait mal.
Il était laid.
Il ne valait rien.
Ignorer une personne mal intentionnée sur les réseaux sociaux, c'était simple. Mais là ils étaient des milliers à lui avoir craché – et probablement à lui cracher encore – leur haine au visage. Tout ça à cause d'un stupide bouquin. Qu'est-ce que sa voix et son physique avaient à voir là-dedans ? Pourquoi lui faire de si bas reproches ? C'était puéril.
Il avait conscience que ce n'était que de la haine gratuite, qu'il n'y avait rien de vrai... mais sa confiance en lui avait beau être à son faîte ces temps-ci, elle demeurait profondément fragile. De même, il avait cherché à enterrer au fond de lui les souvenirs de son harcèlement, malheureusement il n'avait jamais été en mesure de vaincre la phobie du regard des autres qui en avait résulté. Il n'avait jamais surmonté son traumatisme, il l'avait simplement mis de côté dans l'espoir de se reconstruire.
Il chantait mal.
Il était laid.
Il ne valait rien.
Jungkook s'était efforcé de toujours donner le meilleur de lui-même, de se montrer sous le meilleur jour quitte à parfois forcer ses sourires et prétendre que tout allait bien même quand tout allait mal. Pourtant même s'il concentrait tous ses efforts, Jungkook n'était plus en mesure de mentir : il n'avait jamais oublié ce qu'on lui avait fait subir. Nuit et jour ça le hantait, il avait sans cesse craint que ses anciens bourreaux ne refassent surface dans sa vie avec pour but de la détruire et pour seules raison ces foutaises qui n'avaient aucun sens :
Il chantait mal.
Il était laid.
Il ne valait rien.
Il n'avait pas imaginé un seul instant que le mal puisse renaître là où il n'aurait jamais pensé le trouver, là où Jungkook se sentait en sécurité : dans un environnement géré par Jimin et leurs collègues. Ça avait ressemblé à ses yeux à une petite bulle de réconfort, un havre de paix où il était en sécurité parce qu'il n'y avait qu'eux et leurs gentils abonnés.
Doux espoirs.
Triste désillusion.
Il avait été naïf de se reposer complètement là-dessus, d'imaginer que peut-être on avait tort de présenter les réseaux sociaux comme une place publique où l'on s'amusait à lyncher tantôt l'un et tantôt l'autre, selon celui contre qui un misérable instinct grégaire commandait à la masse de s'en prendre. Une masse, voilà ce qu'était cet attroupement informe et sans consistance qui avait vomi toutes ces minables insultes.
Et pourtant, Jungkook qui savait ces comportements bas et preuves de faiblesse n'était pas en mesure de se convaincre que ce n'était rien de plus que la condamnation d'un pseudo-tribunal populaire où chacun se sentait obligé de haïr dans l'espoir de se sentir puissant. Tout simplement parce qu'une plaie bien trop ancienne avait été rouverte, une plaie qui n'avait jamais guéri et qui, désormais, avait été infectée par le venin du mépris et le poison de l'humiliation.
La blessure était aujourd'hui plus laide encore que le jour où elle lui avait été originellement infligée. C'était si douloureux. Jungkook s'en voulait, se détestait de donner tant de travail à Jimin et, par-dessus tout, d'avoir attiré avec son erreur la haine non seulement sur lui mais aussi sur ses collègues.
Jimin avait toujours voulu créer un environnement agréable pour eux et voilà que Jungkook arrivait et, en à peine un mois, attirait la foudre des internautes sur ce petit refuge aux airs de paradis.
En plus de la souffrance de se voir publiquement harcelé sur Twitter, Jungkook avait dû supporter de lire des insultes destinées à ses collègues. Il se sentait coupable, il avait l'impression que d'une certaine manière tout était de sa faute. C'était le cas, il n'aurait jamais dû poster cette vidéo.
De toute façon, à bien y faire attention, les autres avaient raison : sa voix n'était pas franchement belle. De toute façon il ne l'avait jamais trouvée particulièrement agréable, il aimait simplement chanter.
Incapable de se préparer quoi que ce soit à manger, Jungkook resta là un long moment à tenter de calmer des sanglots compulsifs qui reprenaient dès lors qu'il croyait les avoir vaincus. C'était insupportable ; aux critiques du présent se mêlaient celles du passé.
Jimin avait raison, il n'aurait jamais dû lire ça... mais il n'avait pas pu s'en empêcher – ça pouvait se comprendre. Il avait eu besoin de savoir ce qu'on disait. Maintenant au moins les choses étaient claires, une bande de gens dont il ne connaissait que le pseudo le haïssait.
Pourquoi est-ce que ça le touchait autant ? Ce n'était que des inconnus qui, en plus, ne savaient rien de lui. De simples langues de vipère dont il ne devrait pas se soucier. Pourtant la peur était là, la peur que tout à coup ce soit ses camarades puis ses amis qui portent sur lui ce même jugement erroné. Jimin lui avait assuré le contraire, mais après tout lorsqu'il était au collège, même ses meilleurs amis avaient fini par retourner leur veste et rejoindre ses harceleurs.
Pouvait-il avoir confiance en quiconque ?
Ce fut après un long moment que Jungkook reprit son portable pour simplement aller dans ses messages. Il en avait échangé quelques uns un soir avec Lisa au sujet d'un devoir, et une fois la conversation retrouvée il tapa rapidement une piètre excuse, expliquant qu'il se sentait mal tout à coup et qu'il ne viendrait pas en cours cet après-midi-là – par chance il n'en raterait qu'un seul.
La jeune étudiante, que Jungkook savait du genre à avoir toujours son portable près d'elle, répondit rapidement.
Lisa – Pas de soucis je taperai le cours pour te l'envoyer. Repose-toi, on se voit demain ! :)
Après un dernier message pour la remercier, Jungkook se demanda comment elle réagirait si elle découvrait à la fois la haine qu'il recevait et le travail qu'il faisait. Serait-elle vexée qu'il lui ait dissimulé ça ? Serait-elle compréhensive ? Elle avait toujours été une fille d'une grande douceur et, même s'ils n'avaient commencé à faire connaissance que très récemment, ils étaient tous les deux dans la même classe depuis leur entrée à l'université. Lisa n'avait jamais eu d'ennuis avec quiconque. C'était quelqu'un qui s'intéressait à ses cours et à son portable, rien de plus. Elle avait toujours été une fille discrète qui se mêlait uniquement de ses affaires.
Jungkook espérait plus que tout qu'elle ne tombe pas sur cette maudite tendance qui visait essentiellement à dire du mal de lui : peu de commentaires le défendaient, dès qu'une personne cherchait à prendre sa défense, son auteur se faisait aussitôt lyncher à son tour et le tweet était noyé sous un tsunami de rage. Le jeune étudiant en viendrait presque à demander à leurs abonnés d'arrêter d'essayer de prendre sa défense, il ne voulait pas que plus de personnes souffrent par la faute de sa négligence.
Il reposa son portable après ce dernier message à son amie puis alla à sa cuisine prendre un paquet de gâteaux qu'il versa en grande partie dans un bol. Il revint à son lit sur lequel il positionna correctement son ordinateur et s'allongea mollement avant de commencer à manger sans enthousiasme devant un film qu'il avait sur son disque dur.
Le goût salé de ses larmes finit par disparaître au profit d'un agréable goût sucré qu'il ne fut néanmoins pas capable d'apprécier réellement. Même en dépit du film qu'il regardait il était incapable de songer à autre chose qu'à cette haine gratuite et injustifiée. Lui qui avait voulu faire plaisir à ceux qui le soutenaient, il était d'autant plus peiné que cette vidéo lui ait finalement attiré les foudres de chacun.
Il n'avait eu aucune mauvaise intention envers quiconque, alors pourquoi s'en prenait-on à lui ? Sans doute faisait-il un parfait bouc émissaire pour ceux qui souhaitaient simplement détester quelqu'un, ce genre de personnes qui s'étaient levées du mauvais pied et avaient décidé qu'aujourd'hui elles étaient d'humeur à insulter. Un employé timide d'un café yaoi qui avait un classique de la littérature française chez lui, c'était une victime toute trouvée.
Même dit comme ça, ça n'avait strictement rien de logique... Probablement, songea Jungkook, que c'était parce que la connerie humaine ne se souciait jamais vraiment de la logique des choses.
Comment Jimin comptait-il essayer de gérer la situation ? C'était un tel raz-de-marée...
Ce fut son après-midi entier que Jungkook perdit à regarder des films en grignotant, incapable de trouver le courage d'aller sur internet. Et pourtant elle était toujours là cette tentation, cette envie de savoir si les choses se tassaient, ce qu'on continuait à dire de lui.
Ainsi, même si son visage avait retrouvé un air simplement mélancolique, l'idée qu'on continuait de lui attribuer tous les malheurs du monde le hantait, tournait dans son esprit et le rendait pratiquement paranoïaque. Sa curiosité le poussait à tourner et retourner sans cesse cette question dans son esprit : que disait-on de lui ?
Il résista et, finalement, en début de soirée, il rétablit sa connexion internet. Son nom avait quitté les tendances, pour autant dès lors qu'il le tapait dans la barre de recherche, c'était de nouveau un déluge de haine qu'il se prenait dans le visage. Pourquoi s'infligeait-il ça ? Lui-même n'en savait rien. Ça semblait pourtant simple de se dire qu'il se contenterait de ne plus aller sur les réseaux pour ne plus être le témoin de tout ça. Pourtant... il y avait en lui ce besoin de savoir ce que les gens pensaient de lui. D'une certaine manière c'était le regard des autres qui servait à se construire, plus encore dans cette société de l'apparence et même si cette fois ces regards extérieurs servaient plus à le détruire qu'autre chose. Il avait quand même besoin de savoir, d'avoir au moins la sensation que ce n'était pas dans son dos qu'on parlait.
Car même s'il avait décidé de faire l'autruche en quittant Twitter et Instagram, les messages de mépris n'auraient pas cessé pour autant. Ça aurait tout simplement servi à ignorer le problème plutôt que de s'y confronter – quoique s'y confronter n'aide en rien, au contraire ça accentuait son impression de solitude face à tous ceux qui s'attaquaient ouvertement à lui.
Seul face à l'agressivité commune, c'était ce qu'il avait toujours redouté.
Dépité, épuisé, Jungkook ne trouva de réconfort qu'auprès de ceux qui ignoraient qui il était et continuaient de l'encourager avec bienveillance : ses lecteurs, ceux qui étaient abonnés à son compte d'écriture et qui ne savaient rien de son identité. Le jeune étudiant vit en eux un refuge contre la malveillance qu'il subissait.
Alors il passa sa soirée à répondre aux commentaires qu'il avait reçus tout au long de la journée. Il tentait d'oublier sa peine en la noyant sous la fierté qu'on aime ses écrits et le bonheur de voir tant de commentaires l'encourager à poursuivre l'écriture.
Il avait vu tant d'horreurs être écrites sur lui aujourd'hui que les commentaires et les messages les plus développés pour le féliciter pour sa plume l'émurent et lui tirèrent pratiquement des larmes de joie. S'il le pouvait, il prendrait ces inconnus dans ses bras pour les remercier de leur soutien. Si seulement ils avaient la moindre idée de la façon dont leurs mots pouvaient le toucher plus encore qu'ils ne le faisaient habituellement...
Une infime partie de l'immonde cicatrice que la méchanceté avait rouverte dans son cœur se trouva pansée peu à peu par ces inconnus dont Jungkook reconnaissait cependant toujours la photo de profil ou l'identifiant. Certains le lisaient depuis plusieurs jours, d'autres depuis plusieurs années. Et tous aimaient ce qu'il faisait.
Ça soulageait un peu sa peine.
Ça ne l'empêcha cependant pas de ressasser les évènements de cette douloureuse journée une fois qu'il se fut couché. Il avait beau espérer que les prochains jours soient plus tranquilles, quelque chose en lui lui disait que c'était un espoir bien naïf qu'il nourrissait là : c'était bien connu après tout, internet n'oubliait jamais. Ce n'était pas au bout d'un jour ou deux que ces internautes allaient se lasser de leur victime du moment, et même si le sujet n'était plus dans les tendances, Jungkook avait eu ce soir-là la preuve que Twitter ne l'avait pas oublié pour autant.
Au matin du lendemain, le jeune homme alluma son portable avec nervosité. C'était mercredi, il n'avait pas cours de la matinée – c'était sans doute une des journées les moins chargées de son emploi du temps. Il avait pensé profiter de ce temps libre pour réviser, néanmoins il était incapable de se concentrer sur autre chose que sur l'idée qu'il était sans doute toujours la victime de remarques acerbes. Il n'osait pas se connecter sur Twitter alors même qu'il désirait savoir si l'affaire s'était un peu tassée.
Les internautes avaient peut-être trouvé une nouvelle victime à frapper cette nuit, non ? Et si ce n'était pas le cas, que disait-on de lui ? Était-ce les mêmes insultes homophobes et gratuites que la veille ?
Jungkook jouait pensivement avec les légumes qu'il y avait dans l'assiette de riz qui lui servait de petit déjeuner. Il n'avait pas plus d'appétit que la veille, le seul fait de voir son assiette l'écœurait. Il était obligé de se forcer, conscient qu'il ne pouvait pas décemment passer la journée sans rien avaler et avec dans le ventre les seuls gâteaux consommés la veille dans l'après-midi.
Tout cependant lui semblait amer.
Il se décida finalement à aller sur internet, songeant que de toute façon, voir les commentaires laissés à son sujet serait sans doute moins pire que de les imaginer. Une fois de plus il s'infligea un flot de remarques haineuses qui lui brisèrent le cœur. Déjà complètement abattu, il n'avait même pas la force d'en pleurer. Tout ce qu'il fit, ce fut de fermer les paupières et prendre une longue inspiration avant de couper de nouveau sa connexion internet.
Impossible de réviser correctement dans ces conditions, il préféra se réfugier dans son roman. Pourtant... là encore il fut dépité de constater qu'il n'arrivait pas à penser à autre chose qu'à ce maudit harcèlement et à celui qui, au collège, l'avait transformé en un gamin réservé et craintif vis-à-vis du regard des autres.
Ça ne voulait plus quitter son esprit.
Il était en train d'essayer de travailler quand, en fin de matinée, son téléphone vibra pour lui indiquer la réception d'un nouveau message. La peur au ventre, il alla voir de quoi il s'agissait – car il avait laissé son portable un peu plus loin afin de ne pas être tenté d'aller sur les réseaux sociaux.
Yoongi – Salut Kook, on est au courant de ce qui s'est passé hier mais on savait pas trop quoi t'écrire. On espère que tu vas bien, hésite pas à passer un coup au café si t'en as envie.
Un léger sourire orna les traits peinés de Jungkook : il reconnaissait bien là la concision et l'apparente froideur de son aîné qui dissimulait néanmoins l'attention qu'il portait à ceux à qui il tenait.
Jungkook – Salut hyung, t'inquiète pas pour moi, c'est rien du tout, j'y prête pas vraiment attention.
Il envoya son message dans un soupir : il ne pouvait pas leur dire la vérité. Il ne voulait pas les inquiéter. Il ne voulait pas admettre à quel point ça lui faisait mal...
~~~
Durant tout le trajet qui le mena jusqu'à l'université Jungkook sentit ses craintes se faire de plus en plus vives. Il était oppressé, nerveux, plus que tout il craignait le regard de ses camarades dont il ignorait toujours s'ils étaient ou non au courant de ce qui s'était passé.
Comme Lisa le lui avait indiqué lundi midi, le soleil avait laissé place à d'épais nuages noirs et il pleuvait abondamment. Ça contribuait plus encore au mal être du jeune étudiant qui, le front contre la vitre du bus, avait fermé les yeux et tentait d'apaiser les folles palpitations de son cœur.
Il redoutait tant les jours à venir.
En dépit de la pluie qui s'abattait sur la ville, Jungkook marcha d'un pas lent jusqu'à l'université. S'il avait pu s'y rendre à reculons on pourrait presque croire qu'il l'aurait fait. Il arriva devant sa salle avec une dizaine de minutes d'avance. Lisa se trouvait déjà là, ses écouteurs dans les oreilles, son éternel léger sourire au visage et son portable sous les yeux. Lorsqu'elle vit son camarade arriver elle lui adressa son plus adorable sourire et se redressa pour s'incliner légèrement devant lui en guise de salutations. Elle en profita pour ouvrir son sac qu'elle avait à l'épaule et en tirer quelques feuilles qu'elle avait agrafées et qu'elle lui tendit.
« J'espère que tu vas mieux, dit-elle. T'as de la chance, on n'a pas fait grand-chose hier après-midi. Alors... tiens, voilà le cours. »
Soulagé de constater qu'elle n'était visiblement au courant de rien de ce qui s'était passé sur Twitter, Jungkook opina et son sourire refit naturellement surface tant il se sentait léger. Elle ignorait tout, elle ne pouvait pas le juger.
Leurs autres camarades ne tardèrent pas et Jungkook se sentit comme sur un nuage en constatant qu'aucun ne lui lançait de regard de travers ni ne semblait savoir ce qui avait bien pu se passer la veille. Et la raison était évidente : chacun était en train de réviser pour les examens qui se dérouleraient d'ici une semaine et demie. Cette année par chance se trouvait être la dernière année d'étude de plusieurs d'entre eux qui ne comptaient pas poursuivre leur cursus après leur diplôme, si bien donc qu'ils étaient prêts à tout donner dans cette dernière ligne droite : ils étudiaient plus que jamais et avaient pour principale motivation le fait que ces derniers examens allaient sans doute déterminer leur futur emploi.
Dans ces conditions donc, impensable pour quiconque de perdre du temps sur Twitter, du moins pas quand la bibliothèque universitaire était ouverte : la veille, chacun avait préféré passer son temps libre au déjeuner et en début d'après-midi à travailler dans le calme de la bibliothèque, c'était en rentrant chez eux le soir qu'ils étaient allés faire un tour sur les réseaux sociaux. Et par chance c'était en milieu d'après-midi que Jungkook avait disparu des tendances.
Avec un peu de chance donc aucun de ses camarades n'avait rien vu... ou bien peut-être qu'ils avaient appris ça mais s'en moquaient complètement. Dans les deux cas peu importait, tant qu'ils ne se moquaient pas, tant qu'ils ne changeaient pas de comportement en sa présence, tant qu'ils n'étaient pas hostiles envers lui, c'était tout ce qui comptait. Jungkook n'espérait rien de plus.
Simplement qu'ils ne le jugent pas et qu'ils fassent comme s'il n'existait pas.
Au moins rassuré sur ce point, l'étudiant parvint à se concentrer pendant les quatre heures que durèrent les seuls cours qu'il avait ce jour-là. Il se sentait plus calme et, même si ses craintes et ses angoisses étaient loin d'être complètement apaisées, au moins il avait la sensation qu'il y avait une réelle démarcation entre le monde réel et le monde virtuel.
Cette fois ce n'était pas ses amis et ses camarades de classe qui le harcelaient, non, c'était de pathétiques inconnus qui s'ennuyaient au point que pour exister ils n'avaient rien trouvé de mieux que de venir juger quelqu'un dont ils ne connaissaient rien. Ses camarades, eux, ils y étaient complètement indifférents, quant à ses amis ils le soutenaient. Aucun d'eux ne le haïssait.
Il pouvait relativiser et se rassurer de cette façon...
Cependant lorsqu'il rentra chez lui, il fut de nouveau seul face à la solitude. Il en frémit et alla sur internet d'abord pour discuter un peu avec ses abonnés puis pour aller voir l'état des réseaux sociaux. Les comptes du Boy's love Café étaient mentionnés dans mille et une publications homophobes, moqués par bon nombre de personnes qui riaient de ce concept qu'ils disaient ridicule et pathétique.
Sous chaque publication des performeurs s'amoncelaient désormais des hordes de commentaires haineux et dégradants. Bien évidemment c'était les physiques des jeunes garçons qui étaient massivement critiqués, même là où il n'y avait rien à critiquer. Ces gens se ridiculisaient publiquement aux yeux de Jungkook qui malgré tout s'en voulait profondément d'avoir causé tout ça.
Vivement qu'il puisse voir ses amis dès le lendemain pour leur présenter ses excuses...
Au matin du jeudi, le jeune garçon alla en cours avec la boule au ventre. Il allait retrouver ses collègues juste après les deux seules heures qui occupaient sa matinée à l'université et il se sentait particulièrement anxieux. Il savait que tous allaient bien réagir, le soutenir, etc. Il craignait néanmoins que son mal être ne passe pas inaperçu, lui qui était si transparent à leurs yeux. Yoongi surtout commençait à connaître la moindre de ses mimiques, à lui Jungkook savait qu'il ne pouvait pas mentir. Même les plus jeunes employés du café, il commençait à les connaître assez pour savoir qu'ils se rendraient compte que tout n'allait pas aussi bien qu'il tentait de le faire croire.
Parce que depuis la veille il vivait dans l'appréhension que tôt ou tard le schéma se répète, que tôt ou tard il soit de nouveau seul, abandonné par tous ceux de qui il avait fini par se sentir proche.
C'était pour cette raison qu'il était resté quelqu'un de secret et renfermé, parce qu'avoir des amis c'était aussi prendre le risque de souffrir si un jour il les perdait. Jimin l'avait à ce point mis en confiance qu'il s'était laissé porté et s'était lié à tous ses collègues. Si un seul lui reprochait sa négligence au moment du tournage de sa vidéo, il se sentirait plus coupable que ce n'était déjà le cas...
Ainsi, peu de temps avant la fin des cours, lorsqu'il lui fallut se rendre à son travail, il y alla en traînant des pieds, prenant son temps malgré les pluies diluviennes qui continuaient de s'abattre sur Séoul.
De toute façon il se changerait en arrivant.
Arrivé au bas de l'escalier qui menait au café, Jungkook fut soulagé de trouver ce petit endroit de tranquillité tel qu'il l'avait toujours connu. Il avait eu peur que par sa faute quelqu'un s'en soit pris à l'établissement de Jimin et Hoseok. Par chance, les menaces qui pleuvaient sur les réseaux étaient des menaces en l'air – c'était tellement plus simple de faire le malin derrière un écran plutôt que d'agir dans le monde réel.
Lentement il grimpa les marches avant de pousser la porte et de retirer la capuche de son manteau sur lequel la pluie dégoulinait. La pièce était encore vide, il se douta que ses amis étaient sans aucun doute encore en salle de repos. Il s'y rendit donc d'un pas mal assuré. Il poussa la porte du couloir et longea doucement ce dernier avant d'arriver devant la seconde porte. Il posa la main sur la poignée mais hésita. À l'intérieur les conversations lui parurent banales, heureuses comme à l'accoutumée. Il pouvait entendre que Hoseok et Yoongi étaient en plein milieu d'une de leurs habituelles joutes verbales, et le rire de Hueningkai se mêlait à celui de Taehyun.
Par réflexe Jungkook tourna légèrement la tête pour poser les yeux sur la porte du bureau de Jimin ; le jeune patron s'y trouvait-il ? D'ailleurs... pourquoi Jungkook se posait-il la question ? L'étudiant hocha la tête de droite à gauche pour chasser de ses songes toute pensée relative à Jimin et, prenant son courage à deux mains, il abaissa la poignée pour rejoindre ses collègues.
Il avait craint que tout à coup l'ambiance ne retombe, à la place de quoi Taehyun lui adressa un sourire, quant aux autres ils étaient à ce point lancés dans leur conversation qu'ils ne prêtèrent même pas attention au nouvel arrivant. Jungkook leur jeta un coup d'œil amusé et alla se changer rapidement avant d'approcher timidement le petit groupe au sein duquel le calme était revenu.
« Salut mon petit Jungkook ! sourit Hoseok. Comment tu vas ?
- Bien, affirma Jungkook en lançant un regard au groupe, et vous ? »
Une fois ces quelques banalités échangées, Hoseok demanda aux deux plus jeunes d'aller voir en cuisine si Soobin n'avait pas besoin d'aide pour préparer quoi que ce soit. Comprenant le message, Hueningkai et Taehyun opinèrent avant de s'éclipser pour laisser les performeurs discuter.
Jungkook tenta de cacher sa nervosité ; il savait que ce moment allait forcément arriver, et l'expression tout à coup plus sombre de Hoseok n'annonçait rien de bon. Sa culpabilité lui revenait dans la figure comme s'il s'était pris une gifle.
« Bon, Jungkook, soupira Hoseok une fois qu'ils ne furent plus qu'en compagnie de Yoongi, j'imagine qu'on sait tous les trois de quoi on va discuter. Je vais aller à l'essentiel : personne ici ne t'en veut. Des haters, on en a déjà connus, ça les fout en rogne qu'on soit populaires et nous on trouve ça jouissif. Ta vidéo elle est top, Jimin voulait la retirer mais puisqu'elle circulait déjà partout et qu'on estime qu'elle n'a rien de problématique, on a tous les deux décidé qu'il valait mieux la laisser. Comme ça on montre qu'on assume parfaitement et qu'on ne voit pas de problème à ça.
« Certains de nos abonnés ont réclamé des excuses de ta part et des explications. Jimin a posté un message « officiel » pour expliquer que tu étudiais la littérature et que c'était un livre sur lequel tu travaillais. Mais je te le dis tout de suite : s'il y a bien une chose sur laquelle lui et moi sommes d'accord, c'est sur le fait que tu n'as absolument pas à t'excuser, tout simplement parce que tu n'as commis aucune faute. Il est hors de question que des emmerdeurs essaient de te faire culpabiliser pour cette vidéo. Hier tous les performeurs se sont réunis pour en discuter : on est tous d'accord à ce sujet. Tant pis si on perd des abonnés, ceux qui nous connaissent vraiment savent qu'on ne pliera jamais devant la haine.
- Jimin avait peur que ce « scandale » te blesse, expliqua à son tour Yoongi, mais prête pas attention à ce que les gens disent. Si tu te sens pas en forme hésite pas à le dire, même s'il est tard appelle-nous, envoie-nous un message. Reste pas dans ton coin avec ce poids si tu te sens mal. On sait ce que ça fait que de s'en prendre plein la gueule, crois-moi à la longue on n'y fait même plus attention. Et puis les gens passent vite à autre chose, faut pas s'inquiéter pour ça. Ils ne peuvent pas t'atteindre ici, ils peuvent seulement essayer vainement d'attaquer sur les réseaux sociaux, faut pas que tu les laisses gagner et te démonter. Ça marche ? »
Jungkook lui adressa un sourire puis un acquiescement.
« T'en fais pas pour moi, dit-il, c'est rien du tout, et puis je sais que j'aurais dû faire attention, j'ai été bête de pas vérifier les bouquins que je laissais auprès de moi.
- C'est seulement des livres, râla Yoongi. Si l'autre débile d'homophobe a à ce point une dent contre la littérature il a qu'à rester dans sa misère intellectuelle. C'est pas parce que j'aime pas particulièrement ce bouquin et ses personnages que je vais aller taper un scandale. C'est juste qu'il peut pas nous blairer et qu'il voulait réussir à la fois à nous descendre et à faire parler de lui. Ton bouquin il en a rien à branler. »
Ça Jungkook le savait, malgré tout il s'en voulait quand même.
La conversation ne s'éternisa pas et chacun se mit au travail. L'étudiant avait beau être distrait, il faisait tout pour ne rien laisser paraître. Ses aînés quant à eux avaient beau avoir aussitôt remarqué que tout n'allait pas aussi bien qu'il voulait le faire croire, ils ne firent aucune remarque et préférèrent croiser les doigts pour que ça finisse par lui passer.
Hoseok néanmoins se promit d'en parler à Jimin dès l'instant où il finirait son service : son collègue en effet lui avait confié que Jungkook plus que quiconque avait des raisons d'être dépassé par la situation. Le jeune gérant avait confié à son ami qu'il craignait que Jungkook prenne ça trop à cœur. Hoseok, comprenant là que Jimin savait quelque chose que lui ignorait – et quelque chose qu'il ne semblait pas encore vouloir lui dire –, n'avait pas insisté et avait simplement promis que si quelque chose n'allait pas pendant le service, il redirigerait Jungkook à son bureau afin qu'ils puissent discuter tous les deux.
Or, si Jungkook n'était pas au meilleur de sa forme, il ne semblait pas pour autant mal se porter. Il demeurait attentif quand il le fallait, souriait – pas toujours sincèrement, certes, mais il souriait quand même – et il discutait de temps à autres avec ses collègues d'un ton léger et qui laissait croire que rien n'était arrivé.
Il avait même fini, en début d'après-midi, dans les bras de Namjoon lors d'une simple interaction. En vérité, plus Jungkook se sentait à l'aise avec ses aînés, plus il recherchait le contact physique et les petites attentions. C'était quelque chose qu'il ne supportait pas avec des gens desquels il n'était pas extrêmement proche, néanmoins c'était quelque chose qu'il adorait partager avec ceux qu'il aimait.
Surtout quand son moral n'était pas au beau fixe...
Le soir, Jungkook put observer un nouveau déchaînement de violence sur internet. Pourquoi ne se lassait-on pas ? Il n'était resté que quelques heures dans les tendances, peut-être même moins. Est-ce que ses détracteurs ne devraient pas s'être calmés depuis le temps ?
Dépité mais loin d'être étonné, le jeune garçon s'était couché avec l'espoir que ça finirait par cesser.
Le vendredi rien ne cessa. La haine, la pluie diluvienne, les nuages sombres qui traduisaient ceux qui tapissaient le moral de Jungkook. Rien ne cessa. L'étudiant traînait des pieds et continuait de faire bonne figure devant ses camarades. Les savoir ignorants, c'était tout ce qui permettait à Jungkook de continuer d'avoir le cœur léger en cours.
Pourtant au fond de son cœur il continuait de craindre que ça ne finisse par se savoir.
Ce fut en fin de matinée, le samedi, que le jeune garçon eut la sensation d'un coup de poignard dans le cœur, lorsqu'un tweet particulièrement populaire attira son attention. Son monde lui sembla s'effondrer.
« Ses anciens potes disent que Jungkook a déjà été harcelé au collège. C'était tellement mérité, il aurait dû se suicider, sérieux, qu'il crève. »
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