Chapitre 66
Jungkook eut la sensation que son cœur était en train de subir un véritable crash aérien. Il resta immobile pendant de longues secondes avant de poser un pouce tremblant d'anxiété sur son écran, à l'endroit où s'affichait la tendance « Jungkook », septième des tendances coréennes.
Ses camarades de classe, ses connaissances... ils étaient tous des accros des réseaux sociaux, ils allaient forcément tomber dessus.
Ce que Jungkook redoutait plus que tout fut alors exposé dans chaque message relatif à cette tendance qu'il abhorrait déjà : sa vidéo avait été repostée, retweetée, partagée de façon massive. Horrifié, le jeune garçon coupa de nouveau internet de son téléphone et resta muet, assis au fond du bus, ses écouteurs dans les oreilles alors même qu'il venait de couper sa musique.
De toute façon, tout ce qu'il pouvait entendre, c'était les tambourinements de son cœur contre sa cage thoracique – et c'était douloureux, Jungkook avait sensation qu'elle allait céder.
Le jeune étudiant se pencha doucement en avant pour poser les coudes sur ses genoux et enfouir la tête entre ses mains. Il n'aurait jamais pensé que quelque chose d'aussi fou puisse arriver – et encore moins après seulement un mois à travailler au Boy's love Café.
Tout ce qu'il pouvait désormais espérer, c'était que ses camarades soient trop pris par leurs révisions et leur déjeuner entre amis pour aller sur les réseaux sociaux. C'était la dernière chose à laquelle il se raccrochait. Il n'imaginait même pas comment il lui faudrait réagir si quiconque dans sa classe, cet après-midi, lui demandait s'il travaillait vraiment dans un café yaoi en tant que performeur.
Car à partir de la vidéo, c'était un jeu d'enfant de trouver le compte du café de Jimin et Hoseok, et tout y était décrit, absolument tout. Les menus, les performances, les liens vers leur site internet où se trouvaient des vidéos desdites performances. C'était une catastrophe...
S'il était seul chez lui et non pas dans le bus, il se serait sans doute laissé dépasser par l'anxiété.
L'attente jusqu'à son arrêt lui parut interminable, c'était comme si chaque kilomètre effectué par son bus le ramenait en arrière. Et tout tournait, tout était confus. Il n'arrivait pas à réfléchir rationnellement quand le poids de la peur écrasait à ce point ses frêles épaules.
Dès l'instant où son arrêt fut annoncé il bondit presque sur le bouton stop. Il était nerveux, si nerveux qu'il se posta devant la porte du bus alors même qu'il restait une à deux longues minutes de trajet avant qu'il descende. Il attendit debout, incapable de s'empêcher de gesticuler : il s'appuyait sur une jambe puis sur l'autre, attrapait la barre de sécurité à côté de lui puis privilégiait celle au-dessus de sa tête, consultait compulsivement sa montre plusieurs fois dans la même minute.
Le temps passa lentement, par chance une fois dehors Jungkook put filer chez lui. Plus que tout il craignait un message de Baekhyun ou de Lisa qui lui ferait remarquer que Twitter était en train de parler de lui.
Il n'osait pas rétablir internet. Il était terrifié à l'idée de ce qu'il allait voir. C'était stupide, non ? N'importe qui rêverait d'être dans son cas, d'avoir une vidéo si appréciée que ça en devenait viral. N'importe qui peut-être, mais pas Jungkook. Lui il voulait rester dans l'ombre, dans l'anonymat le plus complet. Il ne voulait pas de l'attention des autres – et surtout pas de ceux qui le connaissaient en tant que Jungkook et non en tant que Kookie, c'était ça qui l'effrayait le plus.
L'étudiant était en train de faire les cent pas dans sa chambre, son portable posé sur son lit comme s'il n'osait pas s'en approcher – et c'était le cas. Il avait la sensation d'être en train de mourir de stress. Il n'arrivait même pas à se convaincre d'aller voir ce qu'on disait de sa vidéo. Il n'avait après tout eu que des remarques très positives, alors peut-être que s'il allait lire ces tweets à son sujet il se sentirait rassuré de voir qu'il était toujours soutenu.
Pourquoi est-ce que ça ressemblait à ses yeux à des pensées bien trop utopistes ?
Jungkook sursauta et posa instinctivement la main sur son cœur quand son portable vibra, signe qu'il venait de recevoir un message. Oh non... Tout mais pas ça.
Il alla à son lit comme un prisonnier irait à la guillotine. Dépité, le pas traînant, l'air résigné. Le nom qui s'afficha cependant le surprit : c'était Jimin. Quoique... Non, en fait c'était loin d'être étonnant : c'était lui qui avait la charge des réseaux sociaux du café après tout, ça n'avait rien d'étonnant qu'il soit au courant de ce qui se passait sur Twitter.
Jungkook trouva le courage d'ouvrir le message, le cœur battant.
Jimin – Salut Jungkook, j'imagine que t'es au courant que ta vidéo a pas laissé Twitter insensible...
Jungkook – Les tendances, hein ?
Jimin – Oui... T'es allé voir ?
Jungkook – Juste le temps de voir que c'était de ma vidéo dont il était question.
Jimin – J'ai songé à la supprimer mais elle tournait déjà, ça sera impossible de la faire disparaître.
Jungkook – Je m'en doute...
Jimin – Je suis désolé, j'aurais dû faire plus attention. Quand tu m'as envoyé ta vidéo j'ai juste écouté ta voix et regardé vite fait l'image...
L'étudiant fronça les sourcils : qu'est-ce qu'il voulait dire ?
Le stress qui tétanisait déjà son corps monta d'un cran tandis qu'il tapait sa réponse et l'envoyait d'une main, se rongeant les ongles de l'autre.
Jungkook – Comment ça ?
Il attendit la réponse plus longuement que pour les messages précédents. Tout à coup il eut la sensation que ça n'allait pas, qu'il s'était passé quelque chose de grave. Son portable vibra enfin après de longues, très longues minutes pendant lesquelles il ne songea pas un instant à se préparer de quoi déjeuner.
Jimin – Bon ça fait trois fois que je réécris ce message, du coup je suis désolé mais je vais pas y aller par quatre chemins, ça serait trop long : sur la vidéo tu as plusieurs livres dispersés autour de toi. L'un d'eux s'intitule Les Liaisons dangereuses, il est considéré comme un roman qui évoque le libertinage et la corruption des mœurs. Ça aurait pu passer inaperçu, mais un charmant homophobe qu'on connaît bien pour avoir eu affaire à lui plusieurs fois a décidé de s'en mêler. Et lui, il le connaît ce bouquin. Il a aussitôt fait un post pour en parler sur ses réseaux et dénoncer le fait qu'on est un café gay érotique qui incite de façon subliminale les jeunes à la débauche et au libertinage. J'ai jamais lu une connerie pareille mais visiblement ça plaît à ceux qui nous haïssent (et plus généralement ça plaît à plus ou moins tous les homophobes du coin – et sur Twitter ils sont nombreux ces cons-là). Ça a commencé en début de matinée et ça a explosé au bout d'une heure ou deux. Ça fait au moins trois heures que je suis dessus et que j'essaie de gérer ça. Ça a pris trop d'ampleur... je suis désolé...
Chaque mot était pour Jungkook comme un mètre de plus dans la chute vertigineuse qu'il avait la sensation de faire. Il tourna lentement les yeux vers son bureau sur lequel reposaient les livres qu'il étudiait en ce moment en cours de littérature comparée.
Les Liaisons dangereuses...
Et merde.
Comment est-ce qu'il avait pu oublier de vérifier ce qu'il avait autour de lui pour filmer son cover ? Comment avait-il pu imaginer ne serait-ce qu'un instant que tout se passerait bien ? Il avait été naïf, tellement naïf...
Bientôt il ne fut plus en mesure d'observer fixement son exemplaire du bouquin : les larmes qui avaient fini par s'imposer dans son regard y déposèrent un voile comme si elles cherchaient à l'empêcher de voir cette douloureuse réalité. Il voulut un instant s'en laisser envahir avant de finalement les essuyer d'un geste de la manche lorsqu'une fois de plus son téléphone vibra.
Jimin – Du coup s'il te plaît évite les réseaux sociaux dans les prochains jours. Ça veut pas dire que je veux pas que tu postes parce que je flippe ou je sais pas quoi mais... disons que c'est pour toi que je dis ça : les gens distribuent si facilement de la haine à tout-va sur internet, mieux vaut que tu n'assistes pas à ce lynchage... Je vais essayer de faire ce que je peux pour calmer le jeu, je te tiens au courant. Et je te connais Jungkook, alors je te le dis tout de suite : commence pas à culpabiliser ou je sais pas quoi. Je me doute bien que t'avais juste pas rangé ton lit, que c'est un bouquin que t'étudies en cours, je t'en veux absolument pas. Celui à qui j'en veux, c'est à l'autre connard qui est venu raconter mille et une saloperies sans même se demander s'il y avait pas une raison plus simple à la présence de ce livre (mais s'il y avait eu une bonne raison ça l'aurait pas arrangé, tu t'en doutes bien).
Nouvelle vibration.
Jimin – De toute façon c'est bien connu, les cons tweetent plus vite qu'ils réfléchissent, et pour dire de la merde y aura toujours plus de monde sur internet que dans la réalité. Juré je suis tellement sur les nerfs, j'ai envie de lui faire sauter son compte autant que sa tête (de base je suis non-violent mais au bout de trois heures de non-violence j'ai parfois tendance à péter un câble, je l'admets volontiers). BREF. Repose-toi, reste loin de Twitter et Insta (si tu veux poster une photo tu peux me l'envoyer, je la posterai à ta place) et surtout détends-toi : tout le café te soutient, nos abonnés essaient de te défendre et tous ceux aux yeux de qui tu comptes t'aiment toujours autant. <3
Pour Jimin, c'était nécessaire de terminer en rappelant ça à Jungkook. Le jeune gérant savait pertinemment à quel point son employé devait se sentir mal – et à quel point il se sentirait encore plus mal s'il ouvrait Twitter. Alors pour lutter il avait voulu à tout prix souligner qu'il n'était pas seul, qu'il pouvait compter sur ses collègues pour l'épauler et toujours le soutenir.
Ça n'avait malheureusement pas rassuré Jungkook qui était désormais partagé entre la détresse et... et la curiosité. Foutue curiosité mal placée : depuis son harcèlement au collège il avait toujours tout fait pour avoir le contrôle total de l'image qu'il renvoyait aux autres. Discret voire effacé, intelligent et travailleur. Rien de plus.
Et là il n'avait aucun contrôle, il ne savait même pas ce qu'on disait de lui. Deux voix en lui se battaient, d'un côté la voix rassurante de Jimin qui lui demandait de rester en dehors de ça, et de l'autre ce petit démon posé sur son épaule et qui lui soufflait insidieusement à l'oreille qu'il pourrait regarder seulement un ou deux commentaires, histoire de savoir ... Puis il refermerait les applications et obéirait à Jimin. C'était un bon compromis, non ?
Non, lui répondait l'autre voix. Il allait souffrir. Il allait assister à cette corrida virtuelle qui n'avait qu'un but, le mettre à mort après l'avoir affaibli à l'aide de lames faites d'humiliations et d'insultes. Il les voyait venir d'ici. S'il était dans les tendances, c'était sans doute parce que, pour le dire de manière vulgaire, il s'en prenait plein la gueule.
De la part d'internautes habitant dans un pays où l'homophobie était d'une affligeante banalité, c'était évident que les messages étaient sans doute loin d'être écrits dans un langage des plus fleuris. Et bien évidemment, les plus véhéments seraient également les moins réfléchis. Pathétique.
Pathétique, certes, mais ça n'en demeurerait pas moins douloureux, et Jungkook le savait. Sa curiosité risquait bien de le perdre cette fois. Déjà dans son esprit s'amoncelaient les souvenirs du harcèlement qu'il avait jadis subi et qu'il avait réussi à enfouir au plus profond de lui.
Tout rejaillissait brutalement.
Ces messages de haines. Ces moqueries. Ces insultes parmi lesquelles s'étaient même dissimulées des menaces. Ce n'était rien de plus qu'un nouveau cauchemar qui s'annonçait. Et tout ça à cause d'un livre, un simple putain de livre, celui sur lequel était susceptible de tomber leur partiel de littérature comparée.
Ça avait finalement été une mauvaise idée d'avoir voulu commencer à réviser ce weekend.
Jungkook était dépité. Tout repassait dans son esprit : la veille il était fatigué en rentrant, il n'avait simplement pas fait attention aux romans éparpillés sur son matelas, il avait simplement pensé que ça donnerait un petit air sérieux à son environnement. Il avait pensé bien faire.
Accusé de promouvoir le libertinage et l'homosexualité auprès de leurs jeunes abonnés influençables. Quelle idée stupide. La couverture du livre était à peine visible à l'image, jamais aucun jeune n'aurait eu ne serait-ce que l'idée d'essayer de trouver de quel bouquin il s'agissait. Et même s'il l'avait trouvé, où était le mal ? C'était un classique de la littérature française qui se déroulait des siècles plus tôt. Il n'y avait aucun mal à lire cette œuvre, à vouloir être plus cultivé.
Si encore il avait eu auprès de lui les livres du marquis de Sade, il aurait pu comprendre un minimum que cela puisse gêner. Mais là... la volonté qu'avait cet individu de lui nuire était irréfutable, il n'y avait aucun but moralisateur, aucune bonne intention envers la jeunesse. C'était une piètre excuse derrière laquelle se cachait cet inconnu qui était tout simplement débordant de haine envers le Boy's love Café.
Et pourtant Jungkook était curieux, il était conscient qu'il allait rapidement le regretter amèrement mais il était curieux. Alors il poussa un soupir et rétablit sa connexion internet. Il se maudissait avant même d'avoir ouvert Twitter.
Pourtant il ouvrit quand même l'application. Il alla quand même sur la page des tendances. Il appuya quand même sur son nom qui s'y trouvait toujours. La page chargea rapidement, Jungkook eut le temps de lever les yeux sur le plafond de sa chambre. Il avait besoin d'avoir la sensation de posséder un minimum de contrôle, il avait besoin de savoir ce qu'on disait de lui dans son dos, sur internet.
Il marqua une dernière hésitation et se décida enfin à lire les tweets qui mentionnaient son nom.
« C'est dégueulasse, ce Jungkook espérait vraiment que personne ne remarquerait le genre de lectures qu'il a ? »
« Je vois même pas pourquoi on s'intéresse à Jungkook, déjà j'aime pas sa voix et en plus j'aime pas non plus sa gueule. »
« Est-ce que Jungkook a sérieusement cru que c'était une bonne idée de poster ça sur Twitter ? Sa voix est agaçante et lire ce genre de trucs ça fait pitié »
« Les homos c'est tous les mêmes, de vrais cancers, ils pensent qu'à ça. Jungkook en est la preuve. Sérieux, faudrait au moins qu'il s'excuse. »
« Perso j'attends des explications, je préfère ne pas juger Jungkook trop vite. Mais je suis déçue. »
« Je suis abonné depuis longtemps à leur compte, j'aimais bien l'ambiance bon enfant et détente qu'ils montrent toujours. Mais là c'est allé beaucoup trop loin, Jungkook devrait avoir honte, je me désabonne direct, ces mecs me dégoûtent. »
Et Jungkook s'infligea cette insupportable lecture de longues minutes durant. Chaque fois qu'il songeait à arrêter un nouveau commentaire débordant de haine attirait son attention. Il était incapable de faire cesser ça.
Il ne fut en mesure de se ressaisir que lorsque les larmes qui dégringolaient de ses joues s'échouèrent sur son écran pour en camoufler les horreurs.
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Ouah, c'est tellement dingue que c'est exactement ce qui se passe dans la réalité, non ?
Soyons honnêtes.
Un prétexte de merde pour cracher sur quelqu'un, un truc type « théorie du complot » tiré par les cheveux, des gens qui relaient ça sans réfléchir, des inconnus qui ne savent rien de ce qui a pu se passer, des gens qui jugent sans connaître, d'autres qui estiment qu'il faut absolument des explications et des excuses, d'autres encore qui se revendiquent fans de la première heure mais lui crachent dessus quand même – sans doute pour que leur venin soit plus toxique encore. Est-ce que j'ai inventé le moindre de ces tweets ? Non.
C'est le genre de saloperie que dans la réalité n'importe quel idol se prend quotidiennement dans la gueule au moindre mini « faux pas » qui parfois n'en est même pas un (à l'image de ce qui se passe ici pour le personnage de Jungkook qui n'a rien fait de mal). T-T
Voilà c'est tout ce que j'avais à dire, à samedi ! ^3^
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