Chapitre 50

La question eut à peine franchi les lèvres de Jimin que déjà le regard de Jungkook se voilait de larmes retenues bien trop longtemps. L'étudiant se mordait férocement la lèvre et sa gorge, serrée quelques instants plus tôt, lui semblait désormais sèche et brûlante. Il renifla dans l'espoir de contenir ses sanglots mais déjà les premières larmes lui échappaient.

Alors, conscient que de toute façon ça ne servait plus à rien de tenter de les cacher, il les laissa subitement couler. Son corps se mit à trembler et il remarqua à peine le mouchoir que lui tendait Jimin, toujours accroupi devant lui.

« Ça va aller, lui promit-il doucement. Prends ton temps, Jungkook. Respire. »

Le jeune garçon se moucha rapidement avant de venir cacher son visage entre ses mains ; il détestait qu'on le voie faiblir de la sorte. Jimin cependant ne sembla pas être du même avis puisqu'il lui prit délicatement les poignets et l'obligea à retirer ses paumes afin qu'il puisse le voir.

« Jungkook, tu ne...

- J'ai grandi à Daegu, pas Busan... O-On y a seulement déménagé il y a quelques années. C'est à cause d'eux qu'on a quitté la ville, le coupa son cadet qui avait la sensation que s'il ne parlait pas maintenant il n'en serait plus capable. J'ai jamais compris ce qu'ils... ce qu'ils avaient contre moi. Je pensais q-que si je les ignorais ils finiraient par se lasser... mais au contraire, ç-ça les encourageait. »

La voix tremblante, il déglutit et voulut poursuivre quand il fut coupé par un frisson agréable : Jimin lui caressait doucement la cuisse, un regard encourageant posé sur lui. Ce simple contact réchauffa Jungkook qui passa le dos de sa main sur ses yeux afin d'en enlever autant que possible les quelques larmes qui revenaient sans cesse.

« Est-ce que tu pourrais me raconter ça depuis le début ? lui demanda Jimin sans le brusquer. Est-ce que tu veux bien m'en parler ? »

Cette fois-ci Jungkook n'hésita pas et acquiesça sans un mot.

« D'accord, dans ce cas on peut aller s'asseoir sur le canapé ? s'enquit son aîné. Parce que là mes jambes elles commencent à tétaniser, ça fait mal. »

Son ton espiègle parvint à tirer un sourire au jeune garçon qui opina une fois de plus. Jimin se redressa et ils ne tardèrent pas à se retrouver assis sur le petit canapé de la pièce, tournés de sorte à se faire face.

« Alors Jungkook, dis-moi tout.

- J'étais au collège, avoua l'étudiant en baissant les yeux sur ses doigts qui jouaient nerveusement les uns avec les autres. J'étais du genre à m'entendre bien avec tout le monde alors j'avais toujours eu beaucoup d'amis – pas forcément des amis proches, mais des gens avec qui je parlais souvent disons. »

Un peu plus confiant maintenant que ses sanglots s'étaient tus, Jungkook continua avec un visage qui exprimait à lui seul la douleur immense qu'il ressentait face à ces souvenirs.

« Je... je crois que les filles m'aimaient bien, elles venaient souvent vers moi, elles étaient gentilles. Les profs aussi ils m'appréciaient, j'étais du genre bosseur et premier de classe. C'est pour ça que... c'est pour ça que j'ai pas compris quand des gars que je connaissais à peine ont commencé à m'insulter et à dire je ne sais quelles absurdités dans mon dos et sur les réseaux sociaux. Au début c'était facile pour moi de me dire qu'ils étaient simplement stupides, jaloux... mais des camarades avec qui je passais souvent du temps s'y sont mis aussi. Ça a pris quelques semaines mais ça s'est répandu comme une traînée de poudre. Je n'ai aucun ami d'enfance puisque tous m'ont tourné le dos à cette époque.

« J'ai... j'ai réellement jamais compris. Ils disaient des choses qui n'avaient pas de sens, ils inventaient des trucs dingues juste pour pouvoir m'humilier, que ce soit à travers un écran ou dans la cour du collège. Et moi je savais pas quoi faire. Je regardais ces messages de haine qu'on me crachait à la gueule, je les voyais s'accumuler tous les jours. J'ai fini par ne plus en dormir, je ne parlais plus de peur qu'on me critique, j'évitais les autres pour éviter leurs regards. J'ai mis des mois avant d'oser en parler à mes parents. J'ai bien fait de tout leur avouer : ma mère s'était vue offrir un poste à Busan qu'elle hésitait à accepter. Dès qu'elle a su que je vivais un enfer à l'école elle a aussitôt saisi l'opportunité et moins d'une semaine plus tard on quittait Daegu.

« En arrivant dans cette nouvelle ville... j'ai pas réussi à oublier. J'étais terrorisé à l'idée que quelqu'un de mon nouveau collège découvre ce qui s'était passé et que tout recommence subitement. Sur le conseil de mes parents, j'ai supprimé tous mes comptes sur les réseaux sociaux. Je me suis plongé dans les livres et, en arrivant au lycée, on m'a conseillé le théâtre pour essayer d'en finir avec la timidité, mais...

- Mais ce n'était pas de ça dont tu avais besoin, compléta Jimin alors que Jungkook ne trouvait pas les mots pour terminer sa phrase.

- Exactement... J'ai constamment peur d'être jugé, critiqué, j'ai constamment peur que ce que je dis soit mal interprété et vu comme vexant, j'ai... j'ai simplement toujours peur. »

Il se moucha une fois de plus et garda les yeux rivés sur ses mains... jusqu'à ce que deux mains un peu plus petites ne viennent les entourer de leur chaleur rassurante. Il osa alors croiser le regard bienveillant de Jimin.

« Merci de m'en avoir parlé, Jungkook. Je comprends que ça te coûte de raconter ça, ça me touche que tu me l'aies confié. »

Son cadet hocha doucement la tête. Il avait tant voulu fuir ses souvenirs qu'il n'en avait jamais parlé à personne, pas même à Taehyung de qui il était pourtant extrêmement proche. C'était quelque chose de douloureux qui lui faisait honte. Chaque fois qu'il y repensait, il tournait et retournait cette époque dans son esprit : est-ce qu'il aurait dû réagir autrement ? Était-ce de sa faute si on l'avait tant pointé du doigt ? Qu'avait-il bien pu faire de mal ? Aurait-il pu arranger les choses au lieu de fuir la ville ?

C'était des questions qui le tourmentaient. Il savait que ce harcèlement n'avait aucune justification... pourtant une part de lui ne pouvait pas s'empêcher de lui répéter qu'il avait forcément fait quelque chose de travers pour s'attirer ainsi les foudres même de ses meilleurs amis. Ils avaient sans doute eu peur d'être humiliés eux aussi et avaient, de fait, préféré lui tourner le dos. Jungkook avait pourtant confiance en eux... et ça l'avait lentement rongé au fil des jours, des semaines puis des mois qu'il avait passés à subir ce harcèlement constant.

Cette petite partie de lui qui lui répétait qu'il avait dû faire quelque chose de mal, que c'était en partie de sa faute s'il avait été dans cette situation, c'était elle qui avait grandi et pris une ampleur telle qu'elle avait changé Jungkook en un garçon particulièrement craintif et réservé.

Après être arrivé à Busan, par chance, il n'avait plus jamais eu de problèmes. Puisqu'il ne s'intéressait pas aux autres, les autres ne s'intéressaient pas à lui. Il avait cherché à se fondre autant que possible dans la masse afin que plus jamais rien ne puisse l'atteindre... ni le décevoir comme ses amis l'avaient déçu et blessé.

Les yeux perdus dans le vague, il fut ramené à la réalité lorsque Jimin posa une main sur son épaule en signe de soutien.

« C'est fini, lui dit-il simplement, ce n'est plus la même époque, Jungkook. Ici, ni nos clients ni nous ne te jugerons. À la fac, je suis convaincu que jamais tes camarades ne te feraient subir la même chose. Tu n'as plus rien à craindre. Je sais que c'est débile de le dire comme si ça allait miraculeusement changer quelque chose, mais ça fera pas de mal que tu l'entendes : t'as le droit d'aller de l'avant. T'as le droit d'être beau, intelligent, sympa, aimé et heureux. T'as le droit d'être différent sans craindre que ça implique que les regards posés sur toi soient différents aussi. Ici, Jungkook, t'es entouré de personnes qui t'apprécient justement parce que tu es quelqu'un d'exceptionnel, des personnes qui veulent te pousser à l'être plus encore, même. Des personnes qui ne te jugeront pas si tu fais une faute et qui, à la place, t'aideront à la comprendre pour ne plus la faire.

« C'est ça, un refuge, Jungkook. C'est pour ça que mes employés je les choisis essentiellement en fonction de qui ils sont et non des compétences qu'ils ont. C'est pour ça que j'ai mis en cuisine des gamins qui savaient uniquement faire des pâtes en arrivant ici... et c'est pour ça que j'ai employé comme performeur un jeune garçon incapable de discuter avec quelqu'un sans bégayer ou fuir son regard. Tu peux le faire, Jungkook, si t'as confiance en toi tu pourras toujours tout réussir. Moi je crois en toi, alors fais-en de même. Ça sera pas de la prétention, ça sera simplement de la confiance. Ici on a tous confiance en toi.

- Merci, hyung. »

Jimin ne réfléchit pas plus longtemps : ses mains qui entouraient celles de son cadet s'enroulèrent autour de ses épaules tandis qu'il venait le réconforter, assis si près l'un de l'autre que leurs deux cuisses se touchaient. Jungkook le laissa faire, entourant pour sa part sa taille de ses bras timides. Il inspira doucement et revit les images de ce cauchemar qu'il avait vécu à l'époque où chacun, sans la moindre raison, l'avait haï. La jalousie pouvait-elle pousser à un tel degré de mépris ? C'était insensé.

Inconsciemment son étreinte se resserra en même temps que son cœur. Jimin alors chercha à le calmer, effectuant des mouvements tranquilles sur son dos dans l'espoir de le rassurer. Pour Jungkook, c'était aussi agréable qu'étrange : à part Taehyung, il ne prenait jamais personne dans ses bras. Et là, en un mois, il acceptait désormais les étreintes de trois performeurs qu'il ne connaissait pas avant... ainsi que celles de Jimin. Ces derniers jours il avait eu la sensation de se rapprocher un peu de lui, c'était indéniablement quelqu'un de bien.

Quelqu'un capable d'entendre, comprendre et apaiser son cœur.

C'était... agréable.

« Merci, répéta donc tout bas le jeune garçon. Merci de m'avoir demandé d'en parler... »

Ces mots lui coûtaient, l'obligeaient à se replonger dans un passé qu'il cherchait à oublier... mais pouvoir se confier à Jimin avait sans le moindre doute allégé son âme. Sentir qu'il pouvait se confier à lui avait quelque chose de profondément réconfortant.

« Je serai toujours là, t'en fais pas. Quand quelque chose va mal, on a tous besoin d'en parler tôt ou tard. L'important c'est qu'une fois que c'est dit, tu puisses permettre à ce traumatisme de s'envoler peu à peu en même temps que tes mots pour pouvoir aller de l'avant. Compris ?

- Oui. »

Les secondes s'égrainèrent silencieusement et ce fut finalement Jungkook qui s'écarta le premier. Jimin néanmoins garda une main sur son épaule et l'autre dans ses cheveux qu'il ébouriffa avec un sourire malicieux.

« Je suis sincèrement heureux que tu t'ouvres un peu plus à moi, affirma Jimin. Je voudrais pouvoir t'aider mais, tu t'en doutes, j'y peux pas grand-chose. C'est un travail que tu dois avant tout faire sur toi-même. Ça ne signifie pas que tu es seul, mais ça signifie que même avec de l'aide, c'est toi qui devras faire l'essentiel du boulot.

- Je comprends, acquiesça Jungkook qui avait retrouvé un visage apaisé.

- Pour en revenir à ce cover dont on a parlé... je comprends que t'aies pas envie de le faire. C'est pas rien pour toi, j'en suis conscient. Je suis désolé si je t'ai paru insistant ou je ne sais quoi. Je ne savais simplement pas d'où te venait cette timidité maladive. Mais ne t'en fais pas, on n'en parle plus, oublie : une photo ça sera tout aussi bien. Si tu veux quand même poster un truc spécial, prends une photo avec Yoongi-hyung, nos abonnés vous adorent, ils aimeraient sans doute beaucoup une photo de vous deux. Tu pourras leur faire ce cadeau pour ton premier mois avec nous.

- D'accord, merci beaucoup. Encore désolé... pour tout ça.

- C'est lassant de t'entendre toujours t'excuser pour rien, tu sais, » soupira Jimin avec une mine taquine.

C'était ce que Jungkook avait fait pendant des mois au collège : s'excuser auprès de ses amis, essayer de s'expliquer, de leur faire comprendre qu'il n'avait rien fait ni dit de mal... alors c'était devenu comme... une habitude. Chaque fois que le plus minime reproche lui était fait, il s'excusait. Il s'excusait de ne pas être parfait, toujours.

« Je voudrais quand même essayer... le cover, hésita Jungkook. Mais... j-j'ai rien pour m'enregistrer.

- J'ai une caméra sympa pour tourner les petits spots publicitaires qu'on a postés sur le site, indiqua Jimin avec une mine pensive, et Yoongi est bon en informatique, il avait pu nous faire un montage sympa. En revanche, l'idée que j'avais, c'était pas de faire un truc pro, mais vraiment juste une vidéo amateur. La caméra servirait à avoir un son correct et une belle image, mais pas besoin du moindre matériel d'enregistrement. Si tu te sens vraiment capable de faire ça, ça serait juste une vidéo simple : toi, pourquoi pas sur ton lit, tranquille, en tailleur, et en train de chanter face caméra. Pas de fioritures, comme ta voix : quelque chose de pur mais de beau. »

Jungkook rougit au compliment et acquiesça doucement. Il avait le sentiment que ce cover pourrait l'aider à s'ouvrir un peu plus, il voulait montrer à Jimin – et se montrer à lui-même – qu'il en était capable. Sans doute lui faudrait-il prendre sur lui pour les premières notes de cette chanson... mais il voulait essayer, se prouver qu'il en était capable et même plus : se prouver qu'une fois la gêne passée, il pourrait y prendre du plaisir. Il en était convaincu, c'était comme une performance au café : d'abord c'était atrocement embarrassant, puis peu à peu on se prenait au jeu et il n'y avait même plus à se forcer pour improviser une scène mielleuse qui s'approchait presque de la caricature.

Si Jimin l'en pensait capable... alors il pouvait y arriver. Il n'était pas seul.

Un sourire naquit sur son visage et il regarda son aîné se relever et aller chercher sa veste sur sa chaise de bureau. Un instant Jungkook fronça les sourcils en constatant que Jimin semblait boiter très légèrement, néanmoins il n'eut pas le temps de s'attarder sur ce détail que déjà son ami se retournait.

« Bon, conclut le gérant en passant sa veste, mine de rien on a énormément avancé ce soir et je pense que tu dois être fatigué. C'est fini pour aujourd'hui, je vais te ramener à ton arrêt de bus. T'as tout, on peut y aller ?

- Oh, c'est gentil, sourit Jungkook qui s'empourprait déjà, mais j'ai pas besoin que tu me raccompagnes, je ne...

- Mais je t'ai pas demandé ton avis, répliqua l'autre avec un sourire, je te ramène à ton arrêt, c'est non-négociable. Je te demandais seulement si tu avais repris ton sac et le reste.

- J-Je... oui, ils sont là, vers la porte.

- Parfait. Allons-y. »







_______________________________

Le Vkook annoncé hier est en ligne, vous pouvez en retrouver dès maintenant le prologue et le premier chapitre. ^^

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top