Chapitre 172

Le bruit de l'eau de la douche n'avait pas réveillé Jungkook, au contraire ça lui avait permis de s'assoupir plus rapidement encore. Il avait veillé à ce que la pommade sur ses poignets abîmés ne salisse pas les draps, et à présent il dormait sur ses deux oreilles, un sourire d'ange sur son visage apaisé.

Jimin ne se pressa pas : son copain et lui avaient près de deux heures devant eux, si bien qu'il en profita, après sa douche, pour aller jeter un petit coup d'œil sur ce qu'il avait discrètement préparé avant le réveil de son copain. Il en peaufina quelques détails puis retourna à la chambre où il trouva Jungkook recroquevillé, somnolant sous les draps avec un oreiller dans les bras.

Attendri, Jimin approcha et se glissa auprès de lui pour l'enlacer, allongé derrière lui, le torse contre son dos. Réveillé par le mouvement, Jungkook bougea faiblement. Il se retourna, les paupières entrouvertes, poussa un soupir de bien-être et changea de position : il poussa Jimin à s'allonger sur le dos pour pouvoir poser la tête contre sa clavicule, puis il enroula un bras autour de son torse et une jambe à la sienne. Il avait entre temps refermé les yeux et était déjà en train de se rendormir sous l'œil aimant de Jimin qui lui embrassa le front.

À ce contact, un demi-sourire naquit sur les jolies lèvres de son cadet. Il suffit de quelques instants pour que Jungkook se rendorme, quant à Jimin il programma de sa main libre un réveil et se recoucha à son tour paisiblement après avoir jeté un œil aux poignets de son copain. Les marques de la cravate s'effaceraient rapidement, mais d'ici là, c'était certain qu'au Boy's love Café ses collègues allaient comprendre ce qui s'était passé...

Surtout Hoseok. Lui, il s'y connaissait ; sans doute serait-il même capable de deviner que c'était avec une cravate que Jungkook s'était retrouvé attaché.

Ce fut environ une heure plus tard que le réveil sonna. Jimin s'étira pour remarquer ensuite que Jungkook était venu s'allonger complètement sur lui plutôt que de se contenter de se coller à lui. Amusé, il lui caressa le dos jusqu'à ce que le jeune garçon ouvre à son tour les yeux, la mine fatiguée.

« Il est quelle heure ? marmonna-t-il.

- Bientôt huit heures.

- Pas cours ce matin.

- Je sais, mais moi je bosse.

- T'as le temps. Dodo... »

Jungkook avait déjà refermé les paupières, toujours accroché au corps de son aîné sur lequel il avait trouvé refuge. Jimin laissa échapper un gloussement.

« Ça fatigue, un orgasme, hein ?

- J'te le fais pas dire...

- Mon petit lapereau veut pas se lever ?

- Hyung, je suis fatigué, se plaignit Jungkook d'une voix faible.

- D'accord, d'accord. Une petite demi-heure de plus, ça t'irait ?

- Moui. »

Et sans attendre un mot de plus, Jungkook se blottit plus confortablement encore contre Jimin qui lui couvrit le front de petits baisers amoureux. Jungkook, son Kook-ah, son ange... comme il l'aimait. Un soupir proche du ronronnement de bien-être échappa à Jungkook qui frotta le bout de son nez contre la clavicule partiellement dénudée de Jimin. Ce dernier étouffa un gloussement : il ressemblait à un petit animal qui réclamait de l'affection.

« J'ai envie de passer cette demi-heure à te faire des câlins et des bisous, lui confia Jimin en lui caressant les cheveux.

- Je suis pas contre... »

Il releva son visage fatigué vers celui de son aîné qui n'hésita pas un instant à s'avancer pour l'embrasser avec tendresse.

La demi-heure qu'ils s'étaient laissée passa vite – trop vite. Ils en profitèrent, comme prévu, pour échanger diverses caresses qui poussèrent Jungkook à songer qu'il vivait le plus bel anniversaire qu'il ait connu ces dernières années. Il se sentait si serein, si bien.

Lorsqu'il fallut se lever, Jungkook était parfaitement réveillé par tous les baisers échangés avec Jimin qui en haletait encore, le regard pareil à celui d'un prédateur qui venait de déguster son plus copieux festin. Jungkook lui adressa un large sourire en se relevant. Jimin le suivit et, avant même que son cadet ait le temps de s'en rendre compte, il s'était déjà placé derrière lui, les deux mains sur ses yeux.

« Hyung, qu'est-ce que...

- T'as quand même pas cru que j'avais pas prévu une petite surprise pour ton anniversaire ?

- Une surprise ?

- Oui. Alors garde les yeux fermés encore quelques instants, tu veux bien ? »

Jungkook approuva d'un acquiescement. Jimin le relâcha puis se planta face à lui pour s'assurer qu'il avait les paupières closes. Satisfait de constater que Jungkook avait obéi, il lui prit la main et le guida jusqu'au salon. L'éclairage tamisé qu'offrait le soleil matinal baignait la pièce et lui conférait une atmosphère tranquille.

« Tu peux ouvrir les yeux, mon ange. »

Jungkook s'exécuta, et ses pupilles brillèrent d'appétit : il y avait sur la table un large plat contenant une quinzaine de pancakes recouverts d'un film plastique transparent. À côté, Jimin avait sorti divers accompagnements : pâte à tartiner au chocolat, confiture, beurre, caramel, et même de la pâte de haricots rouges. La table était magnifique, mise comme pour un grand évènement – c'était seulement son anniversaire, rien de bien exceptionnel aux yeux de Jungkook qui fut ému de voir tout le soin que Jimin avait mis à lui organiser ce petit déjeuner fabuleux.

« Ouah... mais t'as fait ça quand ?

- Avant que tu te réveilles, ce matin.

- Ça a l'air tellement bon, merci, merci !

- Bon anniversaire, mon Kook-ah, » rigola Jimin lorsque son petit ange fit volte-face pour le serrer dans ses bras.

Les deux garçons s'enlacèrent et un baiser de plus – oui, encore un – fut échangé avant qu'ils ne s'installent l'un face à l'autre. Jimin retira le plastique du plat de pancakes et servit à son copain un jus de fruits pendant que Jungkook plaçait quelques pâtisseries dans leurs deux assiettes. Un « bon appétit » fut rapidement échangé et chacun attrapa ce qui lui faisait le plus envie.

« C'est trop bon ! s'émerveilla Jungkook en mordant dans son pancake. T'as changé quelque chose à ta recette, non ?

- J'ai mis moins de sucre, j'en ai remplacé une partie par du sucre vanillé, expliqua Jimin en savourant sa bouchée. Putain, c'est vrai que ça rend bien !

- On m'avait encore jamais préparé de petit déjeuner d'anniversaire... ça me fait tellement plaisir que tu fasses tout ça juste pour moi, tu peux même pas imaginer !

- Si ça te fait plaisir, ça veut dire que ça en valait la peine, alors je suis heureux aussi. »

Jungkook le remercia d'un regard reconnaissant et poursuivit son petit déjeuner, imité par Jimin. Les deux garçons n'eurent pas assez d'appétit pour terminer ce qui avait été préparé, si bien qu'il restait encore quelques pancakes qu'ils finiraient plus tard.

Après avoir rangé la pièce et s'être préparés, ils se séparèrent : Jimin alla travailler, quant à Jungkook, il avait à faire lui aussi, même s'il n'avait cours que dans l'après-midi. Cependant, une fois seul chez son petit ami, l'étudiant ne put pas s'empêcher d'être rêveur, songeant à Jimin et à ce qu'il lui avait offert ce matin-là. Il revoyait son regard de prédateur, il sentait le souvenir de ses caresses faire frissonner sa peau. C'était délicieux, il avait adoré.

Lui était beaucoup moins doué pour ce qui était de procurer à son amant du plaisir avec sa bouche. Jimin avait été avec lui d'une patience exemplaire, il l'avait guidé, l'avait rassuré, mais l'étudiant avait conscience d'avoir commis quelques maladresses. Son aîné lui avait assuré le contraire, mais Jungkook savait que sa timidité et sa pudeur exacerbées l'avaient empêché d'offrir à Jimin un moment parfait.

Il suffirait d'un peu de temps... et de pratique – ça, pour sûr, ça allait plaire à Jimin.

Jungkook était donc sur son petit nuage quand son téléphone vibra, indiquant la réception d'un message. Il en avait reçu deux venant de ses parents en se réveillant, et quand il déverrouilla son portable...

Taehyung – BON ANNIVERSAIRE, MON JUNGKOOKIE ! ^3^

Trop mignon.

Jungkook – Merci beaucoup, hyung. ^^

Taehyung – Ton Jiminie t'a offert quelque chose ou vous attendez ce soir ?

Jungkook – Non, il m'a offert un petit déjeuner digne de celui d'un palace, c'était top !

Taehyung – Mdr il offrirait jamais juste ça, je suis sûr qu'il te réserve un truc incroyable. Avec lui, faut s'attendre à tout.

Jungkook – Et c'est toi qui dis ça ?

Taehyung – Je suis le roi pour ce qui est d'être imprévisible, mais Jimin est très doué lui aussi. :3

Jungkook ricana, la conversation cessa peu après. Bien décidé à se concentrer sur son travail, le jeune garçon fit son possible pour n'être distrait ni par ses rêveries ni par son roman qu'il brûlait d'écrire : il l'avait presque terminé, il restait à peine quelques chapitres, mais les chapitres les plus importants de son histoire. Il comptait bien y apporter un soin tout particulier.

En plus... Jimin était un de ses lecteurs, désormais. Il continuait de laisser parfois des votes sur ses histoires, ce que Jungkook trouvait adorable et qui lui permettait en plus de savoir comment son copain avançait. Si au début il en avait été gêné, aujourd'hui ce n'était plus le cas : Jimin lui parlait rarement de ses livres et, quand c'était le cas, c'était simplement pour lui demander s'il avait des notifications. Il avait conscience que le petit écrivain était toujours embarrassé de parler de ce qu'il écrivait, même si Jimin en avait lu le moindre mot.

Lorsqu'il revint de l'université, Jungkook fut heureux de trouver Jimin déjà dans l'appartement. Les deux garçons s'embrassèrent et échangèrent brièvement pour savoir ce que l'autre avait fait de sa journée. Jimin pourtant semblait ailleurs, il avait l'air nerveux.

« Hyung, tout va bien ? s'inquiéta Jungkook.

- Comment ça ? »

Assis côte à côte sur le canapé, ils regardaient tous deux la télévision. Jungkook se tourna vers Jimin dont le regard se fit fuyant. Sa curiosité et son appréhension furent piquées au vif.

« Il s'est passé quelque chose ?

- C'est... c'est pas grand-chose...

- Ça en a pas l'air. »

Jimin leva les yeux vers lui mais les détourna bien vite dans un soupir. Il tira son portable de sa poche et, au terme de quelques trop longues secondes, il le tendit à Jungkook dans un « regarde » à peine murmuré. Malgré une brève hésitation, Jungkook obéit pour découvrir un message.

Inconnu – Hello, on peut se voir demain après-midi ?

« Je comprends pas, balbutia Jungkook, c'est qui ?

- La seule personne dont j'ai pas enregistré le numéro : Taemin.

- M-Mais... comment tu peux en être sûr ?

- Je connais ce numéro par cœur, ricana amèrement Jimin.

- Et c'est quoi qui te dérange avec ce message ? demanda-t-il timidement, de peur de dire quelque chose qu'il ne fallait pas.

- Il ressemble tellement... à celui de ce soir-là... »

Jungkook en frissonna. Il n'hésita pas une seconde : il enroula les bras autour de la nuque de Jimin pour l'amener à se serre contre lui. Son aîné se laissa faire, inspirant un bref instant son odeur enchanteresse. Parce qu'il ne savait pas quoi dire, Jungkook demeura silencieux, les yeux clos et le cœur bruyant au creux de sa poitrine. La simple mention de Taemin était une épreuve pour Jimin, alors le fait qu'il reçoive de lui un tel message, il pouvait comprendre que ce soit difficile pour son compagnon qui luttait contre un violent traumatisme.

« Mais j'ai envie d'enterrer ça pour toujours, susurra Jimin. Je veux lui parler mais je pourrais jamais y aller seul. Alors... e-est-ce que t'accepterais de venir avec moi ?

- Pourquoi pas Taehyung ? Ils se connaissent, au moins, non ?

- Non, toi, s'il te plaît. »

Pour clore cette histoire, Jimin avait besoin de tourner le dos à son passé et regarder son avenir : s'il voulait se détacher de Taemin une bonne fois pour toutes, il avait le sentiment que celui qui devait être à ses côtés, c'était Jungkook et personne d'autre. Il ne souhaitait pas le forcer à quoi que ce soit, mais il avait besoin que son petit ami soit celui qui le soutienne dans cette ultime épreuve.

« D'accord, céda Jungkook en lui caressant les cheveux. Si je peux faire quelque chose... ouais, je ferai tout ce que je peux.

- Merci... mon ange. »

Jimin releva enfin son regard pour croiser le sien. Celui de Jungkook brillait de tendresse et d'innocence, le sien laissait transparaître toute sa reconnaissance et son amour. Il l'embrassa avec une inhabituelle tendresse : bien sûr qu'il faisait toujours ou presque preuve de délicatesse, mais cette fois-ci... leurs lèvres se frôlaient à peine. Ils se cherchaient sans vouloir se trouver, c'était un baiser qui n'en était pas un, frustrant en même temps que délicieux.

Jimin avait besoin d'aller enfin de l'avant... mais pour cela, il allait lui falloir affronter son passé une dernière fois. Peu importait, cependant, car cette fois-ci, il ne serait pas seul : il y aurait la main de Jungkook dans la sienne pour le protéger de ses peurs.

L'étudiant avait éteint la télévision, ce bruit de fond ne lui plaisait plus. Tout ce qu'il voulait entendre, c'était les palpitations du cœur de son compagnon. Ce fut donc dans une ambiance paisible qu'ensemble ils préparèrent le dîner. Ils n'en eurent que pour quelques minutes à faire chauffer de l'eau pour les ramyons et ils purent rapidement se servir. Jungkook appréciait cette atmosphère tranquille qui berçait cette agréable soirée, un instant même il en oublia qu'il n'était pas chez lui mais chez Jimin. Ce n'était pas encore chez eux deux, même s'ils partageaient de plus en plus souvent cet appartement.

Il faisait nuit lorsqu'ils se retrouvèrent dans le lit, enlacés pendant qu'ils regardaient une série. L'aîné, pour donner à ce petit moment un air de fête d'anniversaire, avait acheté quelques paquets de bonbons et un petit gâteau que Jungkook et lui étaient présentement en train de partager. Ils avaient rapidement terminé leur part et, l'un contre l'autre, ils se contentaient désormais de picorer de temps en temps un bonbon dans le saladier qui en était presque rempli.

Jimin en avait trop fait, mais Jungkook ne pouvait pas s'en plaindre : il adorait être chouchouté de cette manière, sentir la puissance de l'amour que Jimin lui vouait. Il se rappelait parfois à quel point il avait hésité avant de finalement accepter de sortir avec lui. Il se rappelait parfois ce moment où il avait rejeté son amour de peur que Jimin ne soit pas sincère.

Comme il était heureux d'avoir choisi de lui laisser une chance... C'était probablement la meilleure décision qu'il ait prise.

« Je te laisse ce qui reste de bonbons, soupira Jimin après en avoir avalé un de plus, je vais exploser si ça continue.

- J'ai plus faim non plus, répliqua Jungkook en lui lançant un regard rieur, t'en as pris beaucoup trop.

- C'est jamais trop si c'est pour te faire plaisir. »

Il lui tendit ses lèvres charnues sur lesquelles Jungkook posa amoureusement les siennes après un gloussement enfantin. Il lui semblait que malgré les difficultés, malgré les atrocités que leur passé renfermait, leur relation avait quelque chose de touchant par son innocence et la naïveté dont ils faisaient preuve. Ensemble, dans l'intimité de cet appartement qui les protégeait, ils étaient deux jeunes garçons qui redécouvraient la douceur et ne se souciaient plus des autres.

« Kook-ah...

- Oui ?

- Il y a quelque chose que je voudrais t'offrir, murmura Jimin contre ses lèvres. Un dernier petit cadeau. Quelque chose d'important pour moi.

- Ah bon ? »

Jimin hocha la tête, l'air à la fois heureux et sérieux. Jungkook ne fut pas en mesure de décrire ce qu'il ressentit alors. Qu'est-ce qu'il lui réservait encore... ?

Jimin s'écarta de son cadet qui le regarda quitter le lit. Il chercha quelque chose un bref instant sur le bureau avant de trouver : son portable. La curiosité de Jungkook grandit lorsqu'il revint s'installer auprès de lui, anxieux.

« T'es sûr de toi ? demanda Jungkook qui avait la sensation que son copain allait lui offrir quelque chose qui n'avait rien de banal.

- Oui, approuva timidement Jimin. C'est quelque chose qui compte pour moi et... j'ai pensé que ça pourrait te plaire. »

Jungkook hocha doucement la tête. Il ne pouvait pas voir ce que Jimin cherchait, mais ce dernier sembla avoir trouvé lorsqu'il releva les yeux sur son copain en se mordillant la lèvre inférieure. Il prit une profonde inspiration pour se calmer puis expliqua :

« Tu sais... je t'ai dit que quand il m'a fallu abandonner la danse, j'avais essayé de chercher d'autres passe-temps, de changer d'air ?

- Oui, je m'en souviens.

- C'est... c-c'est à cette occasion que j'ai enregistré ça. Je crois que j'avais besoin de crier ma douleur et... ça m'avait permis de me sentir un peu mieux. »

Jungkook n'eut pas le temps de demander ce qu'il voulait dire : déjà dans la pièce s'élevait une musique délicate, de simples notes jouées au piano. Puis une voix, une voix éthérée, une voix d'une beauté à couper le souffle.

Celle de Jimin.

Jungkook ignorait en quelle langue il chantait, mais la mélodie était époustouflante par sa complexité : les aigus que Jimin atteignait par moments étaient incroyables. La chanson bouleversait Jungkook sans qu'il n'en comprenne le moindre mot, Jimin y exprimait simplement une telle détresse et une telle frustration que le jeune garçon en eut les larmes aux yeux. La langue des émotions était universelle.

Lorsque les percussions vinrent soutenir le piano, ce fut comme s'il entendait le cœur de Jimin exploser en mille morceaux à l'annonce qu'il ne danserait plus jamais. La voix du jeune chanteur se révélait être d'une puissance saisissante, et tandis que la mélodie s'apaisait pour les dernières notes, sa voix était redevenue si fragile que Jungkook jurerait qu'il avait chanté avec les larmes aux yeux. C'était tout simplement divin, l'étudiant en tremblait d'émotion et n'avait remarqué ni sa gorge nouée ni ses prunelles humides.

Le silence. Il ne resta plus que ça dans la pièce. Aucun ne semblait décidé à parler. Jungkook déglutit avant de finir par articuler :

« Hyung... c'est quoi le titre de la chanson ? C'est quelle langue ?

- C'est Tae qui l'a trouvée et m'a conseillé d'essayer de la chanter, expliqua Jimin d'une voix basse qui donnait des airs d'aveux à ses mots. C'est une chanson française : « SOS d'un terrien en détresse ».

- T'as la traduction des paroles ?

- Oui, je pourrai te la passer. »

Jungkook acquiesça. Il se racla la gorge en prenant une longue inspiration qui lui parut douloureuse.

« Hyung... je sais même pas quoi dire... t'as un talent fou. Ta voix est sublime.

- Merci beaucoup.

- Ça a dû être un travail énorme pour réussir à la chanter si bien.

- Ça m'a occupé, au moins je... je pensais à autre chose.

- Tu pourras me passer l'enregistrement ? T'as une voix tellement incroyable, j'aurais envie de la réécouter un milliard de fois. »

Jimin lui adressa un sourire dans lequel Jungkook pouvait malgré tout sentir une pointe de douleur, une douleur qu'il comprenait : cette chanson, si magnifique soit-elle, paraissait exprimer une douleur et un mal-être si profonds qu'ils en étaient bouleversants. Jungkook avait cru entendre toute la détresse de son compagnon hurlée à travers les sons mélodieux de cette chanson à la puissance hors-norme. Jimin y avait exprimé sa frustration, sa colère, son chagrin. C'était un mélange émouvant qui remuait Jungkook, qui lui donnait la sensation que c'était son âme en entier qui avait frémi, note après note.

Les deux garçons échangèrent peu : Jungkook ne savait pas quoi ajouter, quant à Jimin il avait le regard voilé par une mélancolie que le temps et le soutien de son amant avaient fini par apaiser, même si elle restait présente et pareille à une corde enroulée autour de lui pour l'empêcher de s'épanouir pleinement.

« Est-ce qu'un jour t-tu pourrais chanter pour moi ? murmura Jungkook après un long moment de silence.

- Chanter ? Cette chanson ?

- Pas si elle est douloureuse pour toi, mais... une chanson aussi belle que celle-là.

- La douleur s'efface avec le temps, la blessure cicatrise...

- Mais ne disparaît pas, le coupa Jungkook avec douceur. Je comprendrais que tu refuses.

- Au contraire, nia Jimin en posant la main sur sa cuisse, si ce dont j'ai souffert me permet de faire quelque chose de beau, alors c'est une cicatrice que je serai fier de montrer. Et dans tous les cas, j'imagine qu'elle a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Qu'elle m'a permis de te rencontrer et de t'aimer.

- Hyung... je sais à quel point t'as souffert. Ce que tu dis, ça me touche, mais... j'ai conscience que c'est loin d'être aussi simple pour toi. Quoi que tu décides, prends ton temps, réfléchis : ne rouvre pas pour moi une plaie qui commençait enfin à disparaître.

- Je te promets que ce sera pas le cas. J'ai envie de te faire plaisir.

- Et moi j'ai envie que tu sois heureux et qu'auprès de moi tu te sentes en sécurité.

- C'est le cas, et c'est justement pour ça que je serais ravi de pouvoir chanter pour toi cette chanson un jour ou l'autre.

- C'est vrai ? T'es sûr ?

- Parfaitement sûr, approuva Jimin qui renforça cela par un acquiescement. Kook-ah, je crois que... que demain je pourrai définitivement enterrer cette histoire. Ça aura été long, il aura fallu bon nombre d'années, mais savoir que ce fou furieux est dans un cercueil six pieds sous terre... je crois que ça a été le déclic : je me sens plus libre, plus léger. Et avec ton chant chaque nuit, j'ai plus aucune raison de craindre quoi que ce soit. J'ai encore des souvenirs atroces, mais jour après jour je m'en rends compte : je n'ai plus peur. Alors quand tout sera fini, mon ange, je serai fier de pouvoir chanter pour toi, avec toi pourquoi pas, et de pouvoir enfin aller de l'avant. Bientôt... »

Jungkook hocha doucement la tête, ému : jamais il n'aurait cru entendre un jour quelque chose de si beau, et le fait que Jimin lui fasse une telle confession le jour de son anniversaire était d'autant plus significatif à ses yeux.

~~~

Parce que c'était mercredi, Namjoon se sentit seul chez lui ce soir-là : quelques semaines plus tôt, il passait ses mercredis soirs à s'entraîner à performer avec Seokjin ou bien à cuisiner avec lui. Même s'il n'y avait rien entre eux, ils étaient ensemble.

Aujourd'hui cependant, Namjoon craignait qu'inviter son collègue à passer du temps avec lui puisse être mal perçu aussi bien par Seokjin que par son petit ami. Même s'ils s'étaient expliqués à ce sujet, Namjoon préférait éviter tout possible malentendu. Ça ne l'empêchait pas de se comporter normalement avec l'ulzzang, il ne lui proposait simplement plus de passer du temps avec lui en dehors du travail. Sans cela, leur relation n'avait pas changé, elle était redevenue ce qu'elle avait été : Namjoon était seul, Seokjin et Taehyung étaient heureux. Tout était pour le mieux, sans doute.

Et pourtant, il brûlait d'envie d'envoyer un message à son aîné, un simple « bien rentré ? » ou quelque chose du genre... c'était ridicule, certes, mais il avait envie de lui parler. Comme de nombreuses fois auparavant, il s'en retint. Oui, combien de fois avait-il failli envoyer un SMS à son ami avant de se raviser, craignant de le déranger.

Plus le temps passait, plus il était amoureux de ses deux amis... et plus cet amour le poussait à sentir sa solitude se faire pesante. C'était une prison dans laquelle il s'enfermait seul pour se protéger aussi bien que pour protéger ses amis : il ne souhaitait pas qu'ils se sentent coupables de le mettre à l'écart, si bien que lui-même prenait quelques distances tout en s'assurant que ses amis ne s'en rendent pas compte – il ne voulait pas les vexer.

Après un regard à l'heure qu'affichait son portable, il se pinça les lèvres : à peine huit heures du soir, encore tôt en somme. Il était encore habillé, vêtu d'une chemise noire à manches longues aux premiers boutons ouverts et d'un jean délavé. Ainsi, sur un coup de tête, il bondit de son canapé sur lequel il était affalé à broyer du noir. Il attrapa son porte-monnaie, son portable, puis il partit en coup de vent.

La nuit avait rafraîchi l'air. Il n'y avait pas de nuages, si bien qu'on pouvait distinguer chaque étoile de la voûte sombre former une auréole pâle autour de la lune argentée. Namjoon contempla un court instant cette étendue incolore percée de lumières avant de prendre le chemin du centre-ville. Il avait envie de changer d'air le temps de quelques heures, envie d'oublier les sentiments qu'il faisait tout pour taire jour après jour.

Il lui fallut une bonne demi-heure avant d'atteindre de grandes artères. Il y avait foule, tout était éclairé au point que Namjoon aurait pu se croire en pleine journée, et déjà le jeune garçon se sentait délesté d'un poids : parmi tous ces gens, il se sentait moins seul.

Plus léger, il songea aussitôt à aller boire un verre dans un bar fréquenté où il pourrait se noyer dans la masse et passer inaperçu tout en se reposant un peu l'esprit. Une enseigne de néons bleus lumineux attira son attention. C'était un bar qui attirait massivement des touristes, l'ambiance y était joviale, les jeunes gens s'amusaient avec en fond sonore les dernières chansons à la mode. Quand Namjoon y entra, il découvrit un endroit agréable, où il pourrait profiter d'un moment paisible et qui, à coup sûr, lui permettrait de s'évader. Des téléviseurs diffusaient des clips, la décoration semblait si neuve qu'on pourrait croire le bar neuf, et il y avait assez de place au centre de l'établissement pour que ceux qui étaient debout ne soient pas serrés les uns contre les autres.

En bref, Namjoon se sentit immédiatement à sa place – du moins, là où il avait envie d'être ce soir-là.

Le jeune performeur but un premier cocktail qui se révélait à son avis plus appétissant sur la carte qu'une fois servi. Pour autant, il ne fut pas déçu du goût, doux et agréable, qui lui resta sur la langue une fois les dernières gouttes avalées. Entre deux gorgées, il s'occupait sur son téléphone, hochant parfois distraitement la tête au rythme de la chanson qui passait et dont les basses puissantes lui donnaient l'impression de faire vibrer la grande salle.

Il ne pensait plus à rien d'autre qu'au jeu auquel il était en train de jouer, son second verre devant lui – un verre de soda, cette fois. La musique et le brouhaha environnant n'existaient plus à ses oreilles. Une bonne heure était passée depuis son arrivée, il était à ce point concentré sur ce qu'il faisait qu'il sursauta lorsqu'une voix s'éleva juste à côté de lui :

« Eh bien, dit un garçon d'un ton amusé, j'aurais jamais cru voir un jour quelqu'un venir au bar pour boire un coup en jouant au sudoku. C'est habituel, chez toi ? »

Namjoon se tourna d'un mouvement rapide pour découvrir, sur le tabouret le plus proche du sien, un garçon dont l'âge avoisinait probablement le sien. Penché, il avait cessé d'observer son écran pour, à la place, adresser à Namjoon un sourire avenant. C'était un beau jeune homme aux cheveux bruns et au visage harmonieux dont les traits lui rappelaient ceux de Taehyung – surtout lorsqu'il souriait comme il le faisait maintenant. Il était mignon, il portait des vêtements décontractés qui lui seyaient à merveille, soulignant son corps digne de celui des idols les plus populaires.

Ces réflexions, Namjoon se les fit en une brève seconde avant de bafouiller une réponse confuse.

« Euh... n-non, c'est la première fois que je viens.

- Je vois, opina l'inconnu. T'as pas l'air dans ton élément, ici.

- Comment ça ?

- Calme, réservé et distrait. T'es dans ta bulle, je veux dire, expliqua l'autre en haussant les épaules. En fait, tu me fais beaucoup penser à quelqu'un que je connais.

- Ah, si tu le dis, répliqua le performeur en reprenant son jeu.

- Oui, et je pense que tu le connais aussi, Namjoon. »

Plus concentré sur sa grille de sudoku que sur son voisin, Namjoon tiqua pourtant et l'inconnu eut aussitôt de nouveau droit à toute son attention. Le jeune homme, visiblement ravi de son effet, arborait un sourire plus large encore qu'auparavant. Méfiant, Namjoon hésita entre répondre ou bien s'en aller : quand on le reconnaissait, c'était toujours à cause de son travail, et c'était rarement une bonne chose. Plus d'une fois on lui avait fait une proposition indécente. Il ne désirait pas, ce soir, se retrouver confronter à quelqu'un incapable de comprendre qu'il s'agissait de son travail, d'un rôle qu'il jouait.

« Du calme, sourit l'autre en comprenant à son regard soupçonneux ce qui se jouait en lui, je suis pas là pour te faire chier. »

Malgré son air bienveillant, Namjoon était incapable de lui faire confiance : plus jeune, il avait eu tendance à accorder trop facilement sa confiance aux autres. Plus d'une fois il s'en était mordu les doigts. Des amis s'étaient bien souvent révélés n'être rien de plus que des profiteurs qui le jetaient à la poubelle une fois qu'il ne leur était plus utile. Ça ne l'avait pas traumatisé, mais il en avait retenu une bonne leçon. Et puis... les mésaventures de ses collègues lui avaient permis de se rendre compte qu'il était loin d'avoir connu la vraie douleur. Eux, ces garçons en qui il voyait de véritables frères, ils ne le trahiraient jamais.

Ainsi, préférant mettre fin à la conversation tout de suite, Namjoon se redressa. L'autre, sans y prêter la moindre attention, poursuivit comme s'il savait que le performeur allait rester. Il ne se trompa pas, il suffit de deux phrases :

« Je suis un ami de Jungkook, on travaillait dans le même café avant qu'il vous rejoigne. Je m'appelle Byun Baekhyun. »

C'était bel et bien un nom que Namjoon avait déjà entendu : le soir où Jungkook et lui étaient restés à l'occasion d'une soirée, ils avaient discuté et l'étudiant lui avait parlé de son ancien travail – et de Baekhyun, le collègue de qui il était le plus proche.

Baekhyun justement, il n'avait pas bougé. Il lui souriait toujours.

« C'est vrai ? lâcha Namjoon sans réfléchir.

- Tu veux ma carte d'identité, peut-être ? gloussa Baekhyun avant de reprendre. Je vais pas te déranger longtemps, je suis venu avec ma copine. Je voulais juste savoir comment allait Jungkook : ça fait quelques semaines que j'ai pas de nouvelles et je pense jamais à lui envoyer un message. Jimin et lui sont toujours ensemble ? »

Plus de doutes possibles : jamais ses deux collègues n'avaient évoqué leur relation sur les réseaux.

« Oh... euh oui, il va bien. J'imagine qu'il a la tête ailleurs, lui aussi.

- Ça m'étonnerait pas, acquiesça Baekhyun, souvent j'ai aucune nouvelle de lui pendant un mois ou deux avant qu'il se rappelle que j'existe... quand je lui envoie un SMS. »

Peu à l'aise mais rassuré, Namjoon s'apprêtait à répondre quand une jeune fille arriva à la hauteur de Baekhyun et posa la main sur son épaule, l'air timide. Contrairement à toutes les demoiselles présentes ce soir-là, celle-ci portait un jean avec un t-shirt et des converses. Son haut, malgré des motifs élégants, s'avérait basique, et si elle se démarquait, Namjoon n'était pas certain que ce soit d'une manière qui lui attire les regards des garçons. En revanche, elle attira immédiatement celui de Baekhyun, et il y brillait des étoiles telles que Namjoon devina aussitôt que c'était elle, sa petite amie.

« Oppa, bredouilla-t-elle, j'ai reçu un message de ma coloc, je dois rentrer tout de suite, je suis désolée...

- T'inquiète pas, c'est rien du tout, lui assura Baekhyun. Tu veux que je t'amène ?

- Oh non, non, reste avec ton ami, je veux pas vous embêter. D'ailleurs, continua-t-elle en adressant un regard désolé à Namjoon, je m'excuse sincèrement de vous couper.

- T'y peux rien. Et je préfère t'accompagner, soutint Baekhyun. De toute façon, je comptais pas déranger mon ami plus longtemps. »

Il jeta un bref regard à Namjoon pour s'assurer qu'il n'allait pas protester et, quelques instants plus tard, les trois jeunes gens se saluaient avant de se séparer. Baekhyun et sa petite amie étaient partis en souhaitant une bonne soirée à Namjoon qui, pour sa part, resta encore un long moment au bar. Il avait tourné de nouveau son regard sur son portable, mais sa concentration était quant à elle focalisée sur les songes qui défilaient les uns après les autres dans son esprit.

Voir Baekhyun et cette fille lui avait rappelé Taehyung et Seokjin. Il n'arrivait décidément plus à se les sortir de la tête...

~~~

Jimin était tétanisé et, même s'il essayait de ne rien en montrer, Jungkook pouvait deviner à son comportement qu'il était loin – très loin – d'être serein. Les deux garçons étaient assis sur un banc, dans un parc. Il faisait beau, bien qu'un nuage passe de temps en temps devant le soleil. Très vite, l'ombre s'écartait pour laisser de nouveau place à la lumière qui réchauffait cette tranquille soirée de septembre.

Jimin était immobile, seule sa jambe droite qui tremblait compulsivement trahissait son angoisse. Il n'y avait pourtant aucune raison de s'inquiéter : il y avait du monde autour d'eux. Des familles, des gens venus entre amis en petites bandes. Tous profitaient de ce soleil. Et puis il y avait Jungkook juste à côté de lui, Jungkook qui lui avait discrètement pris la main quand il avait senti que son anxiété devenait incontrôlable. Ça l'avait réconforté.

Le jeune garçon luttait contre ses pires souvenirs, contre les réminiscences terribles de cette atroce agression qu'il avait subie. Taemin lui avait donné rendez-vous ici. C'était bien Taemin qui viendrait. Il ne devait pas s'inquiéter, le monstre qui l'avait battu était mort désormais. Il ne devait pas s'inquiéter. Il avait le droit de vivre de nouveau.

Alors pourquoi ces satanés souvenirs ne voulaient-ils pas lui laisser de répit ? Pourquoi continuaient-ils de le poursuivre et le hanter ?

« Ça va aller, je te le promets. Je suis là. »

La voix bienveillante de son petit ami tout près de lui faillit faire sursauter Jimin qui tourna son attention sur lui plutôt que sur ses songes. Jungkook lui adressait un sourire aimant et sa voix, basse et caressante, sonnait comme une consolation.

Un regard à sa montre permit à Jimin de constater que son ex n'allait plus tarder. Taemin avait toujours été quelqu'un de ponctuel.

Incapable de répondre à Jungkook qui, de toute façon, avait tourné la tête, Jimin esquissa un sourire mal assuré. Puis son rythme cardiaque augmenta, il sentit son corps se réchauffer et des sueurs froides couler sur ses tempes.

Il était là, Taemin, marchant vers eux d'un pas tranquille. Il était exactement pareil que lorsqu'ils s'étaient quittés. Le même visage, le même style vestimentaire, la même innocence qui brillait dans son regard d'une incomparable douceur. Il avait l'air d'un ange – et avec Jimin, il avait toujours agi comme s'il en était un. C'était son père, le démon, pas lui. Taemin, il était d'une immense bonté.

Et il était là. Cette fois-ci, c'était bien lui, ici, c'était lui. Jimin en fut soulagé malgré les craintes qui continuaient de lui tordre l'estomac. Il se redressa mécaniquement, attirant avec lui Jungkook qui lui tenait toujours la main – et Jimin serrait la sienne si fort. Son cadet comprit immédiatement à son regard bloqué sur cette silhouette qui approchait qu'il s'agissait là de Taemin.

C'était un beau jeune homme, très mince, bien habillé, les cheveux teints d'un bleu qui lui allait à merveille. Ses traits étaient aussi doux que sa personnalité, il était doué d'un visage harmonieux et d'un regard qui exprimait à lui seul toute sa gentillesse. Jungkook en savait peu sur lui, mais Jimin avait à ce point insisté sur sa bienveillance qu'il l'imaginait aussi tendre que lui.

Taemin arriva à leur hauteur et s'inclina poliment devant eux. Jimin ne le lui rendit pas, il semblait happé par ses propres pensées, immobile et muet. Jungkook, du pouce, lui caressa le dos de la main, et Taemin prit la parole :

« Jimin-ah... tu vas bien ? »

Sa voix aussi, elle était douce. Jungkook tourna les yeux vers son petit ami qui, en réponse, hocha lentement la tête de gauche à droite tandis qu'il se mordait la lèvre pour empêcher ses yeux humides de faire couler la moindre larme. Pourtant ça se voyait à son visage, qu'il était bouleversé. Ses souffrances lui revenaient en pleine figure.

« Je suis tellement désolé pour tout... »

Ému lui aussi, Taemin s'avança et, le regard rivé sur Jimin, il ne fit même pas attention à Jungkook : il enroula les bras autour du corps frêle de son ex et lui offrit une étreinte qu'il espéra réconfortante. La main toujours dans celle de Jungkook, Jimin posa le front contre l'épaule de Taemin avant de sentir les premières larmes lui échapper. Cette odeur si familière, ces bras aimants... ça faisait si longtemps.

Ça lui rappelait mille choses qu'il avait tenté d'oublier, et pas seulement son agression. Ça lui rappelait aussi sa passion pour la danse, les entraînements avec Taemin, les représentations, la scène, les applaudissements, les sourires, les basses de la musique et son corps qui bougeait en rythme.

Qu'est-ce que c'était agréable. Qu'est-ce que c'était douloureux !

Taemin symbolisait tout ce que Jimin avait cherché à enterrer lorsqu'il avait dû renoncer à sa plus grande passion.

Lorsque les deux garçons s'écartèrent l'un de l'autre, ils échangèrent un regard qui en dit long, du moins ce fut ce que Jungkook pensa. Ils semblaient s'avouer mille regrets indicibles, car comment les mots pourraient-ils traduire quelque chose de si fort ?

« Chim, reprit Taemin en posant la main sur sa joue, j'avais besoin de te voir une dernière fois, d'être sûr qu'aujourd'hui t'allais mieux. Ça fait des années que je me demande ce que tu deviens, que je m'inquiète pour toi. Te voir marcher sans difficulté et... et tenir la main d'un autre... je pouvais pas espérer mieux. Je vous souhaite d'être heureux, je te souhaite à toi de te remettre de tout ça. J'ai bien compris que ça te marquait encore aujourd'hui, je m'excuserai jamais assez pour ce que mon père t'a fait.

« Depuis cet évènement, j'ai jamais osé sortir de nouveau avec quiconque, j'avais peur que mon père le découvre. Et puis... l'année dernière, il est mort. Alors j'ai cherché à refaire ma vie. J'ai un job de chorégraphe, un copain qui m'attend dans notre studio, et je cherche à passer à autre chose, à me défaire de l'emprise de mon père.

« Mais... il y avait toujours cette ombre au tableau : j'arrêtais pas de me demander comment tu t'en sors. Je me suis tellement inquiété. Je... je savais bien que tu voulais plus avoir le moindre contact avec moi, alors je me tenais à distance. Un jour, j'ai entendu parler de ton café, j'ai été soulagé de découvrir que tu t'en sortais, toi aussi.

« Alors... voilà, j'imagine que c'est un adieu, désormais.

- Un adieu ? souffla Jimin.

- Oui. Quand on s'est quittés... j'ai pas eu l'occasion de te remercier pour tout ce que j'avais vécu avec et grâce à toi. Donc... ouais, merci pour tout, et je m'excuse encore pour les horreurs commises par mon père. Je te souhaite une bonne continuation, j'avais juste besoin de te voir une dernière fois, mon Jiminie. Je t'oublierai jamais. »

Taemin avança son visage vers le sien pour poser son front sur le sien. Sur la joue de Jimin roulait une larme solitaire alors même qu'il avait fermé les paupières. Jungkook, la main toujours dans celle de son copain, assistait à toute cette scène sans savoir quoi dire.

« Hyung... »

Taemin sembla surpris en entendant ce murmure de son ex. Il leva un sourcil, attendant de savoir ce que Jimin avait à dire. Ce dernier prit une longue inspiration avant de trouver ses mots. Et ses mots... ils émurent profondément Taemin :

« Non, susurra Jimin, c'est moi qui te remercie. »

Il laissa planer un silence que comblèrent les enfants qui jouaient autour d'eux et les jeunes gens qui discutaient un peu plus loin. Il y avait du monde, pourtant aucun des trois garçons ne parvenait à percevoir ces multiples présences : ils se sentaient comme seuls au monde, et Jungkook et Taemin étaient suspendus aux lèvres de Jimin qui prit dans sa main libre celle de Taemin.

« Hyung, j'ai eu peur, j'ai tellement souffert. Je pouvais plus ne serait-ce que penser à toi sans revoir ce que j'avais vécu ce jour-là. Pourtant, rien n'était de ta faute, au contraire t'as tout tenté pour me défendre, alors je t'en suis reconnaissant. Je suis désolé d'avoir rompu, je crois que... tu me rappelais un passé si heureux. Oui, c'est ça : tu me rappelais tellement de bonnes choses – des bonnes choses qui m'étaient désormais interdites – que je ne pouvais tout simplement plus le supporter. Ne plus pouvoir danser m'a détruit, j'ai eu la sensation d'apprendre que je venais de perdre mon âme.

« Et toi, hyung, t'étais au croisement de ces deux traumatismes : dans mon esprit, tu leur étais lié, à ton père et à la danse. C'était tellement difficile pour moi de te regarder et de te sourire. J'avais peur et je me sentais détruit. Comme un lâche, la seule solution que j'ai trouvée, ça a été de fuir puis de me changer en quelqu'un d'autre pour tenter de commencer une nouvelle vie. Mais... j'en avais besoin, c'était vital : j'ai fait ça pour survivre, parce que j'avais bien compris après tout ça que ma vie ne tenait plus qu'à un fil, un unique fil qui m'empêchait encore d'en finir.

« J'ai voulu t'oublier, toi, alors que t'étais mon premier amour. Alors que t'étais toujours là pour me soutenir. Alors que t'étais lié à tant de belles choses que la peur m'a fait oublier. Hyung, je suis désolé de ma réaction à ce moment-là, j'aurais pas dû te demander de t'en aller, j'aurais pas dû rompre. Te voir réapparaître après toutes ces années... ça fait encore plus mal. Pas parce que ça fait remonter trop de mauvais souvenirs, mais parce qu'au contraire tous les bons moments qui reviennent me font comprendre à quel point j'ai été heureux avec toi. Savoir que tu pensais à moi et que tu t'inquiétais, ça me touche encore plus. T'es un ange, tu l'as toujours été.

« T'as pas à t'excuser pour ce que ton père a fait. Et moi, je te remercie pour tous ces merveilleux instants qu'on a passés ensemble. C'est quelque chose que j'oublierai jamais, peu importe les efforts que je pourrais faire dans l'espoir de passer à autre chose. T'auras toujours une place dans mon cœur, dans ma mémoire et dans ma vie. Et... et aujourd'hui, ça me rend heureux. Parce que je n'ai plus peur, parce que je ne suis plus triste, parce que cette vie qui m'a été volée m'a permis d'en recommencer une qui me rend fier. »

Et pour la première fois depuis l'arrivée de Taemin, Jimin se tourna vers Jungkook. Ce dernier fut frappé alors non par les larmes qui glissaient lentement sur les joues de son aîné, mais par son expression : son visage, derrière ses pleurs, était serein, serein comme il ne l'avait jamais été jusque là.

Jimin, en dépit du traumatisme, en dépit de la cicatrice qui ne disparaîtrait jamais, était enfin en paix avec lui-même. Revoir Taemin lui avait permis de recoudre définitivement la plaie. Sa nouvelle vie, l'annonce de la mort du père de Taemin, et la réapparition de son ex l'avaient aidé à revenir sur cette période de sa vie pour l'enterrer. Finalement, il avait réussi. Ses problèmes étaient derrière lui, et ce qu'il y avait devant lui... c'était celui qu'il regardait désormais : Jungkook, son ange.

Il ne pouvait plus pratiquer la danse, mais il avait Jungkook, Taehyung, Hoseok, Yoongi, Namjoon, Seokjin, Yeonjun, Soobin, Taehyun, Beomgyu, Hueningkai, son café – son refuge, tous autant qu'ils étaient, ils formaient son refuge.

« Taemin-hyung, merci pour tout. La danse me manque toujours, malgré tout je suis heureux, j'aime ma vie telle qu'elle est. »

Comme une preuve de ce qu'il disait, Jimin fit un pas vers Jungkook, lâcha la main de Taemin pour passer son bras autour des hanches de son petit ami et, malgré le monde autour d'eux, il se pencha vers lui pour l'embrasser avec passion. Le petit écrivain en eut le souffle coupé par la surprise et, si la gêne aurait sans doute dû le clouer sur place ou le faire reculer, le bonheur de voir Jimin aussi heureux lui donna des ailes. Il lâcha prise, il rendit à son aîné le baiser qu'il lui offrait, appuyant avec tendresse ses lèvres sur les siennes.

Taemin avait détourné les yeux, il ne reporta son attention sur eux que lorsqu'ils s'écartèrent. Jimin fixait son petit ami avec dans le regard un mélange de nombreux sentiments et émotions qui tous traduisaient la même chose : la cicatrice, quoique toujours visible, avait été pansée. Enfin.

« Alors j'en suis heureux pour toi, Jiminie, murmura Taemin sans dissimuler son émotion. Tu mérites de mener une vie paisible et sans la moindre trace d'ombre. Merci encore pour tout ce qu'on a partagé. Je te souhaite une très bonne continuation.

- Moi aussi, lui répondit Jimin en se tournant enfin vers lui. Je t'en souhaite tout autant. Adieu.

- Adieu. »

Le regard de Jimin était recouvert d'un nouveau rideau transparent de larmes qu'il ne laissait pas couler. Il n'essayait pas de les retenir, elles refusaient tout simplement de s'échapper. Taemin et lui échangèrent un ultime regard, une étreinte brève mais intense, et l'aîné s'inclina poliment devant eux avant de s'en aller, pareil à un fantôme du passé qui regagnait son monde. Pareil au spectre inconsistant d'un rêve qui s'envolait lorsque le réveil sonnait.

Jimin avait enfin ouvert les yeux.

Et ce qu'il voyait, c'était le regard aimant de Jungkook, toujours dans ses bras.

« Je t'aime, lui murmura Jimin en posant le front contre son cou. Kook-ah, je... »

Finalement, c'en fut trop : trop d'émotions, trop de tout. Il craqua, sa voix craqua, mais son cœur ne lui faisait pas mal ; au contraire, il exhalait dans tout son corps une chaleur d'une incomparable douceur. C'était si réconfortant. Quelques larmes – très peu – lui échappèrent. Puis il n'y eut plus la moindre goutte de tristesse dans son regard. Elles étaient parties avec Taemin, et désormais elles glissaient sur la peau lisse de Jungkook qui avait enroulé les bras autour de sa taille. Son cadet en effet le maintenait puissamment contre lui, profondément touché par la scène à laquelle il venait d'assister.

« Je suis fier de toi, lui dit-il. Hyung, ça... ouais, ça me fait tellement plaisir de t'avoir vu affirmer tout ça avec autant d'aplomb et de sincérité. Je suis vraiment heureux pour toi.

- Merci. Tout ça c'est grâce à toi et aux autres... »

Jimin releva les yeux pour croiser ceux de son compagnon. Son regard en disait long, mille fois plus que sa précédente tirade.

« On rentre ? proposa Jimin en s'écartant de lui.

- Oui, on rentre. »

Jungkook eut une courte seconde d'hésitation avant de prendre son courage à deux mains... et d'attraper entre ses doigts fins ceux de Jimin, pour lui tenir la main. Il n'émit pas la moindre protestation ; au contraire, il serra un peu plus fort la main de son copain dans la sienne.

Il se sentait si léger, si paisible. Tout ce dont il avait envie, à présent, c'était aller de l'avant, tourné vers le futur sans jeter le moindre regard à un passé qu'il ne pourrait, de toute façon, jamais oublier. Pour autant, il pouvait le surmonter, continuer d'avancer. Les chaînes qui le reliaient à ces évènements dramatiques avaient fini par céder.

Jimin était libre, libre et amoureux.

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