Chapitre 160
Jungkook resta immobile, le cœur battant, pendant de bien longues secondes. Sidéré par la révélation qui venait de lui être faite, il ne savait pas comment réagir et, incapable de prendre la moindre décision, il demeurait paralysé.
Pas un accident ?
C'était impossible que Jimin se soit fait ça lui-même, mais dans ce cas... non. Jungkook savait qu'il ne pouvait pas se montrer curieux, il ne pouvait pas bousculer Jimin dans le simple but de lui tirer une confession. Pas si ça devait le faire souffrir.
« Hyung, tu voudrais en parler à un professionnel ? lui demanda-t-il en lui caressant affectueusement la joue pour le réconforter. C'est pas une honte d'avoir besoin d'aide. »
Jimin hocha doucement la tête de droite à gauche avant d'esquisser un mouvement pour se redresser. Jungkook se décala afin de le lui permettre, et finalement tous les deux furent assis en tailleur l'un face à l'autre. Lorsque Jimin s'approcha de lui, Jungkook ne fit pas le moindre geste. Quand en revanche son aîné s'installa sur ses cuisses avant de l'enlacer, Jungkook enroula les bras autour de sa taille afin de le garder contre lui. Il passa les mains sous son haut puis lui caressa amoureusement le dos ; le silence s'installa.
Ce fut long aux yeux de Jungkook, tourmenté par les paroles de Jimin. Il avait beau ne pas vouloir s'immiscer dans le passé de son copain, impossible pour lui de ne pas imaginer mille scénarios possibles.
Jimin tremblait par moments, quand un sanglot le faisait hoqueter tout bas et qu'il reniflait pour éviter de montrer sa souffrance. Jungkook alors passait la main avec plus de tendresse encore sur la fine peau de son dos, et à plusieurs reprises il sentit qu'il y semait de petits frissons. Les minutes passèrent, les sanglots de Jimin aussi.
« Ça va ? murmura Jungkook en ne s'écartant que pour lui embrasser la joue. Tu te sens mieux ? »
Jimin acquiesça, mais son regard le trahissait. Il put voir à l'air triste de Jungkook que ce dernier s'en était rendu compte. Alors il baissa piteusement la tête et s'avança pour poser le front sur l'épaule de son petit ami qui caressa sa chevelure brune.
« J'avais seize ans... »
Jungkook déglutit en entendant ces mots. Son cœur fit un bond mémorable qui approchait l'abandon au vide qu'on pouvait expérimenter lors d'un saut en parachute. Il resta silencieux, Jimin aussi. Quelques instants à peine passèrent, mais ils parurent particulièrement longs à Jungkook qui ignorait jusqu'où iraient les confessions de son petit ami.
« J'étais dans un lycée artistique, je voulais... je voulais devenir danseur, poursuivit Jimin dont Jungkook put entendre dans sa voix qu'il avait la gorge serrée par ces révélations. J'étais doué, vraiment doué. Du moins, c'était ce qu'on me disait. J'étais le meilleur de ma promo, j'excellais en danse contemporaine. C'était... ma passion. Une passion brûlante, dévorante : Kook, quand je dansais, je me sentais comme toi quand tu écris. »
Jungkook ne fut pas en mesure de dire quel sentiment fut le plus fort alors : l'admiration qu'il éprouvait pour Jimin et le talent qu'il lui avait dissimulé... ou bien la tristesse de l'entendre parler au passé de cette passion et au présent de celle de son cadet.
« C'était quelque chose de si merveilleux, continua Jimin qui semblait de plus en plus frêle à mesure qu'il racontait. On me voyait déjà idol, mais moi je voulais simplement être professeur de danse.
« Et puis un jour, je suis arrivé en retard en cours. J'ignorais qu'on avait changé de salle, j'avais pas pris le temps d'allumer mon portable. Je suis entré dans notre salle de répétition habituelle et à la place de mon groupe, j'ai vu un garçon. Seul. Il dansait avec... j-je sais pas, mais il... il avait un charisme et un charme fous, ça se voyait qu'il était passionné, complètement emporté par ce qu'il faisait. Il était magnifique, son corps dégageait quelque chose de dingue, ses mouvements étaient d'une fluidité à peine croyable et ses gestes exprimaient un mélange de puissance et de grâce. Je sais pas combien de temps j'ai passé, subjugué, à le regarder. Ce que je sais en revanche, c'est qu'il a fini par me remarquer et qu'il s'est aussitôt arrêté. Je me suis excusé, j'ai voulu partir mais quand il m'a appelé par mon nom je me suis arrêté et je lui ai demandé si on se connaissait.
« C'était pas le cas, il m'avait simplement vu lors d'une représentation et avait beaucoup aimé ce que j'avais fait. Il m'a félicité et a proposé qu'on s'entraîne ensemble de temps en temps : on avait beaucoup à apprendre l'un de l'autre d'après lui, et j'étais complètement d'accord. Il m'a filé son numéro et son nom : Taemin.
« On a passé des heures chaque semaine à répéter ensemble, notre art nous rapprochait un peu plus chaque jour, on discutait beaucoup par messages et on est rapidement devenus de très grands amis. Je... pour ma part, en fait, j'étais tombé amoureux de lui au premier regard. Taemin était un garçon magnifique, et pas seulement physiquement : c'était quelqu'un d'immensément généreux, toujours prêt à aider les autres. J'admirais ce côté de lui, ça le rendait d'autant plus beau. C'était un véritable ange.
« Mais parfois pour trouver un ange, il faut descendre le chercher en enfer : on a fini par sortir ensemble, j'étais le garçon le plus heureux du monde à cette époque. On habitait pas très loin l'un de chez l'autre et il vivait seul, du coup j'allais souvent chez lui, mais seulement les après-midis jusqu'en début de soirée. Il me disait qu'il fallait que je me repose, alors il ne voulait pas que je reste trop longtemps.
« Sauf que... un jour, on s'est mis un film en arrivant chez lui. On était crevés, on avait passé des heures à danser et on voulait se reposer un peu. On s'est installés sur son lit pour regarder la télé mais on s'est tous les deux endormis peu après, dans les bras l'un de l'autre. Le réveil a été atroce : un type, un véritable fou furieux, est entré dans la chambre et s'est mis à hurler en nous voyant. Taemin s'est aussitôt placé devant moi en me faisant signe de rester bien derrière lui. Je risquais pas de refuser, j'étais terrorisé. Ce gars avait la cinquantaine, il était massif et sa voix grave tonnait de manière effrayante.
« J'ai été tellement choqué que je me souviens même plus ce qu'ils se hurlaient, tout ce que je sais c'est que Taemin tentait de nous défendre... et qu'il a appelé ce dingue « papa ». »
Jungkook resserra son étreinte autour du corps fragile de son petit ami lorsqu'il sentit une larme couler sur la peau dénudée de sa clavicule.
« Taemin avait réussi à calmer provisoirement le jeu, il m'a dit de partir, je me suis barré sans attendre. Il a pas répondu à mes messages de toute la soirée, et le lendemain quand je l'ai revu il avait un œil au beurre noir. Il a pas cherché à me mentir, ça aurait été bien inutile de toute façon. Alors il m'a raconté que depuis que sa mère avait plaqué son père, ce dernier était devenu alcoolique mais il avait jamais été violent avant de nous voir. Parce que... le problème, c'était qu'il était homophobe depuis toujours, pas difficile de comprendre ce qui s'était passé. Taemin n'avait jamais eu à subir le moindre coup, généralement son père rentrait bourré, venait le voir pour lui souhaiter une bonne journée et allait dormir sur le canapé. Mais maintenant, il le frappait aussi... parce qu'il m'aimait, moi, un autre garçon.
« Ça me rendait malade de rien pouvoir faire pour l'aider. Je lui proposais parfois de passer la soirée chez moi, mais il refusait toujours, effrayé à l'idée de ce que pourrait lui faire son père s'il ne rentrait pas. Je vivais avec mes parents mais j'osais pas leur en parler, Taemin m'avait demandé de garder le secret sauf que... un jour, j'ai juste plus été en mesure de le faire. Taemin me répondait pas et ça me faisait flipper, alors je lui ai dit que j'allais en parler à mes parents, pour son bien. Quelques secondes à peine sont passées avant qu'il me réponde qu'avant ça il fallait qu'on parle.
« J'étais d'accord, je lui ai demandé où il voulait qu'on se retrouve et il m'a donné rendez-vous dans une rue pas très loin de chez lui où il était sûr qu'on serait seuls. J'y suis allé le plus vite possible, et quand je suis arrivé... il était pas là. Je lui ai envoyé un message au moment où une voix s'élevait derrière moi pour m'insulter. Une voix que j'ai reconnue tout de suite. J'ai à peine eu le temps de faire volte-face, déjà son père m'assénait un coup magistral à l'aide d'une barre de fer qu'il avait trouvée je ne sais où. Il m'a frappé à la hanche. La barre était abîmée et j'ai senti un morceau de métal s'enfoncer dans ma chair.
« Je me suis effondré, ça faisait atrocement mal. J'ai voulu appeler à l'aide mais les coups se sont mis à pleuvoir : j'étais à terre, il m'a noyé sous une déferlante de coups de pied. C'était... c'était même plus un passage à tabac... c'était un massacre... une tentative de meurtre. »
Une nouvelle larme roula sur la peau de Jungkook, mais c'était une des siennes cette fois-ci. Jimin serrait entre ses poings fermés le t-shirt de son cadet contre lequel il était recroquevillé. Chaque mot lui coûtait, chaque souvenir était bien plus douloureux que les atrocités que son corps avait subies ce jour-là.
« Je pouvais pas me relever, continua-t-il avec un courage impressionnant malgré le chagrin, alors je me suis roulé en boule en attendant que ça cesse. Ce gars frappait où il pouvait : ma hanche a pris plusieurs coups de plus, ma jambe aussi – et entre temps il avait repris sa barre de métal pour me frapper le genou –, mon dos et ma tête. Je me protégeais le visage, alors j'ai eu quelques phalanges fracturées mais à part une cicatrice à l'arrière du crâne, j'ai rien eu de grave. Une chance, le coup avait pas été très fort. Juste assez fort, en fait, pour qu'entre ça, la douleur lancinante et tout le sang perdu, je m'évanouisse. »
La voix de Jimin n'était plus qu'un murmure étranglé par des sanglots qu'il retenait courageusement. Jamais il ne s'était à ce point dévoilé, jamais il n'avait eu à raconter cette histoire atroce à quiconque. Chaque mot était douloureux, car chaque mot lui faisait revivre ces scènes qu'il avait si longtemps tenté d'oublier. C'était comme rouvrir une cicatrice à l'aide d'une pointe en fer chauffée à blanc.
Blotti dans l'étreinte rassurante de Jungkook, il trouva la force de poursuivre :
« Il m'a laissé pour mort, mais des passants m'ont trouvé et ont appelé les urgences. Je me suis réveillé à l'hôpital, Taemin et Taehyung auprès de moi, morts d'inquiétude. Le diagnostique, tu le connais déjà, Jungkook : des fractures multiples, la rotule complètement pétée, la hanche aussi, et de nombreuses blessures plus superficielles qui ont guéri plus ou moins rapidement. Mais le fait était là : ma carrière était anéantie, je... on m'a... o-on m'a annoncé que... je pourrais p-plus jamais danser... »
Et finalement, ce fut à ces mots que Jimin fondit en larmes, bouleversé. Il tremblait comme une feuille et Jungkook n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pouvait faire pour le calmer. Il lui caressa les cheveux, déposa sur son front de nombreux petits baisers et se balança lentement de gauche à droite de sorte à le bercer comme un enfant qu'il cherchait à consoler.
Jungkook pourtant ne parvenait pas même à cacher ses propres larmes, bouleversé par ce qu'il venait d'apprendre. Tout prenait sens peu à peu.
Il fallut de longues minutes pour que les déchirants sanglots de Jimin s'apaisent enfin.
« Taemin, reprit-il une fois qu'il fut de nouveau en mesure de parler, il... il m'a expliqué que s'il ne répondait pas ce soir-là, c'était parce que son père avait bu, l'avait frappé et lui avait confisqué son téléphone. C'est pour ça qu'il a pu intercepter mon message et se faire passer pour son fils dans le but de me piéger. Taemin avait été enfermé à clé dans sa chambre, il pouvait rien faire. Quand il a pu en sortir, son père était déjà revenu et avait réduit son portable en miettes. Alors il est allé chercher Taehyung pour le prévenir – ils se connaissaient, on se retrouvait parfois tous les trois à la fin des cours. Ils m'ont cherché pendant deux heures avant d'apprendre que j'étais à l'hôpital. Mes parents étaient horrifiés, et on m'a demandé d'aller porter plainte.
« Sauf que... même si cette ordure avait foutu mon rêve en l'air, même si je devais être handicapé à vie par sa faute... j'avais peur. Taemin était le premier à m'encourager à le faire, mais je voyais dans son regard qu'au fond de lui, ça lui coûtait de m'inciter à envoyer son père en prison. Je pouvais pas lui en vouloir : jusqu'à ce que sa mère parte, il avait eu une enfance heureuse. Je crois qu'il avait toujours l'espoir que son père redevienne celui qu'il avait connu. Et surtout, j'avais peur de me retrouver face à cet homme qui m'avait massacré, j'avais peur qu'il soit pas condamné et qu'il finisse par me retrouver pour me faire encore plus de mal. Alors... j'ai pas souhaité porter plainte. »
Jungkook ferma les yeux, écœuré à l'idée que justice n'ait pas pu être rendue. Deux larmes roulèrent sur ses joues ; il ne les essuya pas, préférant continuer les caresses qu'il offrait à son copain. Alors c'était pour ça que Jimin lui avait dit ne pas supporter les injustices, c'était pour ça qu'il avait souhaité que les harceleurs de Jungkook ne s'en sortent pas impunis...
C'était parce que lui-même avait vécu une des pires injustices qui puisse exister. On lui avait volé son avenir et il avait préféré se taire plutôt que de risquer pire que ce qu'il avait subi.
« Taemin et moi on s'est séparés quand je suis sorti de l'hôpital, souffla Jimin contre la peau de la clavicule de son cadet. J'ai dû quitter mon académie de danse et je ne voulais plus en garder le moindre souvenir, alors je me suis débarrassé de tout ce qui avait un rapport avec cette période de ma vie. Ma mère, en revanche, ne m'a pas laissé jeter les trophées que j'avais gagnés lors de compétitions, mais c'était si douloureux de les voir en sachant que ce n'était que du passé... alors j'ai commencé à aller squatter chez Taehyung. Encore aujourd'hui je ne vais plus chez mes parents, quand on veut se voir on se donne rendez-vous ailleurs. Taehyung, lui, il me changeait les idées avec sa bonne humeur, et au moins je ne voyais plus ni ces coupes ni ces médailles que je haïssais. »
Sa voix s'était chargée de colère, et Jungkook sentit son cœur se briser définitivement à ces mots. Savoir que la passion qu'avait eue Jimin s'était mise à le hanter de cette manière, ça lui permettait d'entrevoir à quel point il avait pu souffrir. Si Jungkook devait ne plus pouvoir écrire... oui, sans doute que lui aussi il voudrait oublier qu'il avait à ce point aimé laisser divaguer son imagination au fil de la plume.
« C'est à cette époque que j'ai commencé à faire des cauchemars, des cauchemars qui n'étaient que de simples souvenirs, ceux de ce moment où tout a basculé. Toutes les nuits, je revoyais ce fou furieux, son regard hagard et débordant d'une haine irrationnelle. Ça a duré deux ans. Deux ans pendant lesquels toutes les nuits ou presque on me brisait les os. Si Taehyung avait pas été là, je l'aurais pas supporté.
« Tu sais, Kook... on dit parfois qu'un danseur meurt deux fois : une première fois quand il arrête de danser, et on dit de cette mort que c'est la plus douloureuse. Bah c'est putain de vrai. La danse, c'était toute ma vie. J'avais la sensation qu'il m'avait tué, qu'il m'avait arraché mon âme et qu'il n'avait laissé de moi qu'une enveloppe corporelle estropiée. Ma hanche a toujours été mille fois moins douloureuse que le fait de savoir mon rêve détruit.
« Tae m'a conseillé, pour passer à autre chose, d'essayer de m'épanouir dans une nouvelle activité. J'ai tout essayé, rien ne fonctionnait. Et puis un jour, un peu par hasard à vrai dire, j'ai découvert le théâtre. On m'a poussé à me glisser dans la peau d'un autre, mes agissements devaient sembler naturels alors même que tout le monde savait qu'ils étaient feints. C'était un mensonge, tout était mensonge, mais j'aimais ça. J'aimais devenir quelqu'un qui n'avait pas de problèmes, j'aimais pouvoir changer de personnalité comme de manteau. Le théâtre m'a pas permis de surmonter cette douleur mêlée de colère que je ressens encore aujourd'hui... mais ça m'a permis de faire si souvent semblant qu'elle existait pas, que parfois j'arrivais à me convaincre moi-même que ça avait été qu'un cauchemar.
« D'une certaine manière, en fait... j'étais tellement désespéré que je ne voulais plus être moi-même. C'est à cette époque, aussi, que j'ai commencé à me faire tatouer les bras : ces motifs n'ont aucune vraie signification à mes yeux, ils étaient juste un moyen pour moi de me transformer, de me glisser dans la peau d'un autre, si je puis dire. Comme le théâtre. Et c'est grâce au théâtre que, quelques mois plus tard, j'ai rencontré Hoseok. »
Il termina sa phrase d'un ton qui laissait supposer qu'il était épuisé d'avoir eu à se souvenir. Jungkook s'en voulait de l'avoir poussé à raconter ce monstrueux traumatisme, il en demeurait sans voix, incapable de trouver quoi répondre à quelque chose de pareil. Sans doute n'avait-il pas à répondre, finalement. Jimin avait enfin pu vider son sac, il n'attendait en vérité pas grand-chose de son cadet, simplement son soutien à travers la tendresse qu'il lui offrait.
Jimin resta sans bouger dans les bras de Jungkook. Ils étaient muets, l'un demeurait blotti contre l'autre qui avait passé les mains sous son t-shirt pour lui caresser de dos. L'étudiant avait la sensation que son cerveau bouillonnait, il était complètement désemparé et ne fut rassuré que de trop longues minutes plus tard, quand enfin il sentit que Jimin avait cessé de pleuré.
Il se rendit compte par la même occasion que c'était parce qu'il s'était endormi, sans doute épuisé par les larmes versées. Jungkook donc, avec infiniment de soin, allongea son petit ami et le couvrit d'un drap léger. Jimin esquissa faiblement un mouvement sans pour autant se réveiller. Son cadet observa son visage dont l'obscurité ne parvenait pas à effacer la douleur, et il se coucha auprès de lui après lui avoir tendrement embrassé les lèvres.
Jimin ouvrit les yeux quelques heures à peine après s'être endormi. Il faisait noir dans le studio de Jungkook, tout était calme, comme si le monde lui-même dormait.
Pourtant, quelqu'un d'autre ici était éveillé. Jimin esquissa un sourire mélancolique en levant les yeux vers Jungkook. Ils étaient tous deux allongés face à face, sur le flanc, et l'aîné était recroquevillé dans les bras de son cadet qui n'avait pas cessé de lui frotter amoureusement le dos, perdu dans ses pensées. Il en fut tiré en sentant Jimin bouger, leurs deux regards sombres se croisèrent.
« Ça va ? murmura Jungkook avec douceur.
- Oui... ça va.
- Je suis désolé... que t'aies eu à te rappeler tout ça. Je voulais pas que tu te sentes obligé...
- Je me suis pas senti obligé, affirma Jimin, je te rassure. Je crois que... qu'au fond de moi, je voulais en parler, j'osais simplement pas faire face à ce passé que j'essaie d'esquiver sans arrêt. Mais j'imagine qu'il faut bien l'affronter tôt ou tard. La scène peut pas durer indéfiniment, parfois il faut baisser les rideaux et accepter la réalité.
- Mais si la scène te réconforte, t'as aussi le droit de t'y abandonner de temps en temps. Juste... t'as pas besoin de nier ton passé. Je te connais, tu es quelqu'un de fort, tu peux réussir à surmonter ça.
- J'en sais trop rien... Je continue de me cacher derrière mon personnage, je continue de haïr mes trophées, je continue de craindre de sortir avec quelqu'un et, pire que tout, je continue... de vouloir danser. »
Sa voix s'éteignit et il poussa un profond soupir qui ne traduisait rien de plus que son désarroi. Jungkook alors avança son visage vers le sien, lui frotta doucement la joue du bout du nez avant de venir chercher ses lèvres pour lui offrir un baiser qui, il l'espérait, réconforterait ne serait-ce qu'un tout petit peu celui qu'il aimait.
Jimin se sentait assailli par les fantômes de son passé. Ses craintes refaisaient surface, plus vives qu'elles ne l'avaient été ces dernières années. Parfois, il revoyait l'expression du père de Taemin au moment où il levait cette infernale barre métallique pour lui en asséner un coup mortel. Ce regard fou, ces traits rendus monstrueux par la fureur... il n'oublierait jamais.
C'était pour cette raison qu'il avait si longtemps refusé la moindre relation. Si le père de Taemin, ivrogne mais qui n'avait jamais fait preuve de violence, avait pu basculer dans la folie simplement en voyant deux garçons s'aimer... alors pourquoi cela ne se reproduirait-il pas ? Comment pouvait-il être certain que s'il était de nouveau en couple, il ne subirait pas une fois de plus les foudres d'un des proches de son petit ami ? Tout ce temps, la peur avait été plus forte que tout et l'avait empêché d'oser sortir avec quiconque.
Il était perpétuellement effrayé.
Il lui avait fallu un refuge, un refuge qui lui permettrait également de se glisser dans la peau d'un autre. Alors il avait eu cette idée de café yaoi. Il s'était bâti un refuge, un refuge où il accueillerait des garçons qui lui ressemblaient, qui avaient besoin de devenir quelqu'un d'autre pour se reconstruire. Il avait créé un refuge où se formerait une grande famille dont chaque membre pourrait compter l'un sur l'autre sans craindre un regard haineux. En créant cet établissement pour aider les autres, il avait simplement espéré pouvoir venir en aide à de jeunes garçons qui, à travers leur histoire, lui permettraient d'oublier la sienne, occupé qu'il serait à les soutenir.
« Hyung... »
Jimin fut tiré de ses pensées lorsque Jungkook s'écarta de lui sans le quitter des yeux.
« Oui ?
- Je t'admire encore plus qu'avant, lui confia Jungkook avec un sourire attristé.
- Je t'aime.
- Si t'avais pas eu ce café, c'est quelque chose que tu m'aurais peut-être jamais dit... »
Jimin acquiesça doucement malgré sa mine peinée. Sans doute auraient-ils fini par se rencontrer puisqu'ils étaient tous les deux les plus proches amis de Taehyung, mais... effectivement, Jimin était à l'époque si absorbé par son avenir qu'il passait son temps à répéter. Même si Taehyung avait fini par les présenter l'un à l'autre, ils n'auraient probablement pas passé beaucoup de temps ensemble. Et puis, finalement, si tout ça n'était pas arrivé, Jimin serait peut-être encore en couple avec Taemin. Il n'en savait rien, jamais il ne le saurait.
« Tu m'as montré que je pouvais aller de l'avant, poursuivit Jungkook après un bref silence, tu m'as montré que j'avais le droit d'être heureux malgré ce que j'ai vécu, malgré la peur que je ressens encore parfois. Tu m'as protégé, défendu, tu m'as aidé à retrouver la confiance en moi que j'avais perdue depuis bien trop longtemps. Tu m'as appris que le passé était passé, que continuer à le regarder était une erreur parce qu'on ne pouvait plus rien y changer, et qu'il fallait se tourner vers l'avenir. Ça a été long pour que je le comprenne, et encore aujourd'hui je suis parfois freiné par ce que j'ai vécu.
« Alors je sais que pour toi, ce sera long aussi, beaucoup plus long, sans doute, mais... tu peux y arriver, et moi je serai là pour t'y aider. M'en avoir parlé, c'est déjà énorme, et c'est la preuve que tu peux réussir à te débarrasser de ça. T'es seulement au début du chemin, certes, mais au moins t'es sur la bonne voie. Et je t'admire, j'admire ton courage, ta ténacité, ton altruisme aussi, parce qu'au lieu de faire de ta faiblesse une force, t'en as fait un moyen d'aider les autres, quitte à continuer de souffrir. Ton café, il est la preuve que même quand t'as été détruit, t'as trouvé le moyen de construire. T'es beaucoup plus fort que ce que tu crois. »
Ces mots avaient été prononcés à peine plus fort que de simples murmures, pourtant ils résonnèrent dans l'âme de Jimin comme l'écho assourdissant d'une explosion dévastatrice. Ça ne le toucha pas, ça le transperça. Ça sonnait juste, c'était doux, ça avait le don de le rassurer : Jungkook ne le plaignait pas, il ne le regardait pas comme un autre maintenant qu'il savait ce qu'il avait vécu. Jimin n'avait jamais aimé l'idée de s'attirer la pitié des autres, il détestait l'idée qu'on puisse le percevoir comme un garçon fragile – il lui fallait être fort, aussi fort que la carapace qu'il s'était constituée avec le temps.
Et le regard de Jungkook... ce n'était pas de la pitié qu'il exprimait, c'était une pointe de peine noyée dans un torrent d'espoir. C'était beau : Jungkook était convaincu de ce qu'il avait affirmé, il ne s'agissait pas de belles paroles pour le rassurer.
Il croyait en lui, et c'était sans doute la plus belle preuve d'amour que Jimin puisse espérer.
« Merci, Kook-ah. Merci... »
Jimin se lova contre son petit ami qui l'enlaça aussitôt. Les deux amoureux fermèrent les yeux, échangèrent quelques tendresses et finirent par s'endormir paisiblement malgré le cœur lourd de Jimin et les songes de Jungkook. Ils avaient envie de penser à autre chose le temps d'une nuit.
~~~
Il était encore tôt lorsque Seokjin s'éveilla. Les yeux clos, il s'étira rapidement avant de se serrer contre son petit ami dans un soupir de bien-être. Encore à moitié endormi, il se sentait comme sur un petit nuage de chaleur qu'il n'avait pas la force de quitter. Il était tôt, le réveil n'avait pas sonné. Par conséquent, Taehyung et lui avaient largement le temps de profiter de cette matinée avant d'aller travailler.
Et il y avait pour Seokjin un moyen sûr de permettre à son petit ami de passer une bonne journée...
L'aîné, le torse contre le dos de son petit ami, aventura une main sur sa hanche pour la lui caresser lascivement tandis qu'il lui embrassait la nuque. Il était en train de glisser la main jusqu'au bassin de son copain lorsqu'une voix derrière lui le figea :
« Hyung... qu'est-ce que tu fous ? »
Dans le même temps, celui qu'il avait jusque là cru être Taehyung s'écarta vivement de lui, et la lumière s'alluma, laissant voir la confusion provoquée par l'obscurité : c'était contre Namjoon que Seokjin s'était étendu, et non contre son petit ami qui, désormais, le regardait avec l'air à la fois surpris et amusé par l'erreur qu'il avait faite.
Namjoon, quant à lui, paraissait complètement perdu. Il venait à peine de se réveiller lorsqu'il avait senti la main de Seokjin approcher lentement son entrejambe. C'était en entendant Taehyung qu'il avait compris ce qui s'était passé et qu'il s'était rappelé les évènements de la veille : conscients que la soirée risquait d'être mouvementée pour Hoseok et Yoongi, Taehyung et Seokjin avaient proposé à leur ami de venir passer la nuit chez eux.
Soulagé de ne pas avoir à dormir chez lui, Namjoon avait aussitôt acquiescé et était allé rassembler quelques affaires avant de les suivre. Une fois chez Seokjin, Namjoon avait pris une douche pendant que le couple mettait un film dans la chambre. Seokjin était ensuite allé se doucher à son tour pendant que Taehyung cherchait ses affaires, et le cadet s'était lavé en dernier pour retrouver son amant et leur ami sur le canapé en train de discuter.
Ils s'étaient finalement tous les trois installés dans la chambre, sur le lit, pour regarder leur film. Les deux aînés s'étaient endormis avant la fin, si bien que Taehyung était allé éteindre avant de se coucher à son tour. C'était pour cette raison qu'ils s'étaient réveillés dans le même lit.
Et désormais, les yeux agrandis par la surprise et le cœur tambourinant contre ses côtes, Namjoon essayait de revenir de sa surprise. Seokjin était mort de honte, il ne savait plus où se placer, quant à Taehyung... il explosa de rire.
« Eh bah, Jin, la prochaine fois que tu voudras me tromper, évite de le faire quand je suis dans le même lit, lança-t-il pour alléger l'atmosphère. Là, c'était pas ultra discret. »
Le sourire si doux de Taehyung, ce sourire carré qui faisait fondre le cœur de Seokjin, finit par devenir contagieux : l'aîné esquissa un rictus gêné et se passa la main dans la nuque.
« Désolé, mon Taetae, s'excusa-t-il, j'avais oublié qu'on était tous les trois, je croyais que c'était toi. Et... désolé, Nam, je t'assure que c'était pas intentionnel.
- C'est rien, balbutia Namjoon en détournant son regard embarrassé.
- Je m'en doutais bien, répondit pour sa part Taehyung, t'inquiète pas, c'est rien... et puis ça aura eu le mérite de bien me faire marrer, ça a fait ma journée. »
Dans un nouvel éclat de rire, il se pencha pour venir cueillir les lèvres de son copain qui sentit son cœur s'alléger : il avait décidément rencontré le garçon idéal, Taehyung était une perle.
« J-Je vais vous laisser, hésita Namjoon dont les joues n'avaient pas perdu leur couleur pourpre, je vais prendre une douche. »
Les deux garçons acquiescèrent et, tandis que Seokjin ne pouvait pas quitter des yeux le doux visage de Taehyung, ce dernier cependant jeta un regard à Namjoon lorsqu'il quitta les couvertures puis la pièce.
« Eh bah, faut croire que Namjoon-hyung était en forme ce matin, ricana-t-il tout bas une fois que leur ami fut à la salle de bains.
- Comment ça ? s'enquit Seokjin avec une moue qui exprimait sa curiosité.
- T'as pas vu ? Tu l'as fait bander...
- Eh merde...
- Mais t'inquiète, je t'ai dit que je t'en voulais pas, on sait tous les trois que c'était rien.
- Oui... je trouvais aussi que t'avais quand même une carrure plus massive que d'habitude, répliqua Seokjin d'un ton qui se fit malicieux.
- Pardon ? Tu le trouves mieux foutu ? »
Avec un air exagérément outré, Taehyung posa la main au niveau de son cœur. Le sourire de Seokjin se fit plus détendu, soulagé qu'il était que Taehyung prenne à la rigolade ce dont un autre aurait pu être vexé. Cet incident visiblement avait autant fait rire le cadet qu'il avait embarrassé les deux aînés.
« Carrément mieux foutu, approuva Seokjin, mais je préfère largement ton corps à toi, mon bébé... »
Et tandis qu'il parlait, Seokjin avait posé les mains sur les épaules de son copain et l'allongeait doucement sur le lit. Taehyung se laissa faire, le regard joueur et empreint de désir. À quatre pattes au-dessus de lui, l'aîné se pencha juste assez pour frôler ses lèvres appétissantes avant de les lier aux siennes. Le baiser ne tarda pas à s'approfondir, les mains à devenir curieuses : celles de Seokjin passèrent sous le t-shirt de son cadet pour lui caresser le ventre, celles de Taehyung en firent de même mais pour lui caresser la taille. Leurs deux bassins se rencontrèrent, se mirent en mouvement l'un contre l'autre. Les premiers soupirs leur échappèrent tandis que l'excitation grimpait.
Et le réveil sonna.
Taehyung tendit le bras pour l'éteindre, malheureusement ce bruit l'avait fait revenir à la réalité :
« Hyung, dit-il, Nam est ici, on ferait mieux de se lever...
- Ou alors on peut s'occuper de ça sous la douche, minauda Seokjin.
- On... »
Taehyung se coupa en se mordant la lèvre lorsque Seokjin lui asséna un léger coup de bassin qui le fit frémir alors que son érection se réveillait.
« Merde... hyung...
- Ta voix est ensorcelante, bébé, laisse-moi l'entendre...
- Dis pas n'importe quoi, pense à Namjoon.
- Je préfère ne penser qu'à toi.
- S'il te plaît, fais pas ça... »
Alors les mouvements de Seokjin cessèrent et il poussa un soupir tremblant d'excitation avant d'embrasser son copain. Taehyung lui lança un regard désolé auquel son aîné répondit par un sourire rassurant.
« D'acc, dit-il avec tendresse, j'aurai bien d'autres occasions de te faire du bien.
- Et moi ?
- Comment ça ?
- Quand est-ce que moi je pourrai te faire plaisir ?
- Taetae... tu sais bien que j'ai du mal avec... avec mon corps, balbutia Seokjin.
- Je sais... c'est pas grave, on attendra. On a tout notre temps. »
Seokjin opina et vola un bref instant les lèvres de son copain avant de se redresser pour quitter le lit. Ils allèrent à la cuisine préparer rapidement le petit déjeuner et, lorsque Namjoon sortit de la salle de bains, ce fut pour aller les voir et s'excuser pour l'incident.
« C'est moi qui suis désolé, répondit encore Seokjin, c'est moi qui ai fauté, toi t'y pouvais rien.
- Et puis c'est déjà oublié, affirma Taehyung. Viens manger, c'est prêt. »
Pourtant, en dépit de ces excuses, en dépit de ce ton avenant et de ces mets appétissants, Namjoon hocha négativement la tête.
« Je devrais y aller, souffla-t-il, je vais pas m'imposer plus longtemps. C'était déjà gentil de me proposer de rester ici cette nuit.
- Mais hyung... nous on est contents que tu sois ici.
- C'est gentil, mais je me doute bien que vous seriez... plus à l'aise juste tous les deux, tu vois ?
- C'est parce que Jin-hyung voulait me sucer ? »
Sa question fut suivie d'un « aïe euh » prononcé d'un ton pathétique lorsque Seokjin lui asséna une petite tape à l'arrière du crâne. Le ton innocent que Taehyung avait pris pour poser sa question fit sourire Namjoon, et un rire lui échappa à la réaction de leur aîné.
« C'est pas ça, reprit-il, j'ai juste... des trucs à faire, alors mieux vaut que je vous laisse tout de suite. Je m'achèterai un truc à manger sur le chemin.
- Tu veux pas emporter un ou deux trucs dans un petit sac ? On peut t'en passer un, proposa Seokjin.
- C'est gentil mais ça sera pas la peine. »
Et tandis qu'il parlait, Namjoon quittait la salle à manger pour aller chercher ses affaires qu'il amena à son sac, dans l'entrée près de ses chaussures.
« C'est pas à cause de nous que tu t'en vas, hein ? demanda encore Taehyung.
- Mais non, Taetae, je t'assure. Je... ouais, je préfère juste partir. Je bosse aujourd'hui.
- En moins d'une minute, t'as quand même réussi à nous sortir trois excuses différentes. C'est pour ça que j'ai des doutes, tu comprends... »
Namjoon se tourna vers lui pour répondre... mais il ne sut pas quoi dire. Taehyung avait complètement raison. Alors il haussa les épaules avec un air détaché et il enfila ses chaussures. Le petit couple le regarda faire sans savoir s'ils devaient essayer une fois de plus de le retenir ou non : ils avaient bien conscience que Namjoon souhaitait partir à cause de ce qui s'était passé un peu plus tôt, ils ignoraient s'il valait mieux qu'ils essaient de s'expliquer ou non.
Sans doute cette tension se dissiperait-elle rapidement.
Namjoon partit en saluant Taehyung et en adressant un « à tout à l'heure » à Seokjin qui opina sans un mot. Lorsque la porte fut close, Taehyung baissa les yeux, l'air pourtant neutre, et s'apprêtait à retourner à la cuisine quand il en fut empêché par Seokjin qui lui attrapa habilement le bras.
« Eh, Taetae, ça va ?
- Ouais.
- Essaie de la refaire de manière un peu plus convaincante...
- Désolé...
- Qu'est-ce qui va pas ?
- C'est dingue cette façon qu'il a de te regarder, tu trouves pas ? susurra Taehyung avec un sourire triste, comme s'il lui confiait un secret.
- Qu'est-ce que tu veux dire ? balbutia Seokjin qui craignait de comprendre où son petit ami voulait en venir.
- Tu crois que c'était déjà le cas avant ou bien c'est à cause de ce qui s'est passé ce matin qu'il s'est aperçu qu'il était amoureux de toi ? »
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