Chapitre 144
« Tu m'avais encore jamais fait prendre le car, remarqua Hoseok. J'aurais pu nous amener, tu sais ?
- Je sais, mais je voulais garder notre destination secrète.
- Tu sais que ça fait quinze fois qu'elle a été annoncée ta destination secrète, aussi bien à la gare que maintenant qu'on est dans le car ?
- Ouais je sais, râla Yoongi, mais on descend pas au terminus. Et tu sais pas exactement ce que j'ai prévu, c'est l'essentiel.
- Pas faux. »
Affalé contre la vitre du car, Hoseok jeta un rapide regard à Yoongi qui se trouvait pour sa part affalé contre lui, occupé sur son portable. Il n'avait rien voulu dire à son petit ami : comme tous les jeudis, Hoseok avait terminé son service au café à dix-huit heures et, alors qu'il laissait l'établissement aux mains de Namjoon et Seokjin, il avait aperçu Yoongi qui l'attendait en discutant avec Taehyun.
Lorsque Hoseok était arrivé à leur hauteur, il avait discrètement pris la main de son copain à qui il avait demandé ce qu'il faisait ici, ce à quoi Yoongi avait répondu qu'il était venu lui faire une surprise. Sans lui révéler où il comptait l'amener, il lui avait demandé de préparer un sac avec de quoi dîner ainsi qu'un gilet et sa brosse à dents. Le reste, il l'avait dans son propre sac – un large sac de voyage noir qu'il portait à l'épaule.
Ils avaient ensuite pris le métro jusqu'à la gare routière où ils avaient sauté dans le car pour lequel Yoongi avait réservé deux billets. Ça faisait désormais une demi-heure qu'ils roulaient, la ville était loin derrière eux et, de ce que les écrans annonçaient, il y en avait encore pour deux heures de trajet avant le terminus – car quelques arrêts jonchaient leur parcours.
« D'ailleurs, j'y pense, reprit Hoseok avec pour principal objectif celui de faire la conversation, pourquoi cette surprise ?
- Bah je sais pas... parce que je t'aime ? Et puis pourquoi pas, après tout ?
- Effectivement. J'ai hâte de voir où tu vas nous amener.
- Moi aussi j'ai hâte qu'on y soit. Tu verras, je suis certain que ça te plaira.
- J'en doute pas. »
Instinctivement, le jeune garçon enroula un bras autour de la taille de son petit ami. Ils étaient au fond du car et les quelques autres passagers ne pouvaient pas les voir depuis leur siège, raison pour laquelle les deux amants avaient décidé de ne pas s'obliger à se tenir à distance l'un de l'autre.
Hoseok était en train de somnoler quand il fut tiré de sa torpeur par son copain qui lui secoua doucement le bras dans un geste qui se voulait tendre. Il lui murmura un léger « on descend au prochain » qui tira un sourire au cadet tandis qu'il acquiesçait pour lui faire comprendre qu'il avait saisi.
Les deux garçons donc descendirent quelques instants plus tard du véhicule, chacun armé de son sac. Encore assoupi, Hoseok écarquilla en découvrant où ils étaient descendus.
« Hyung... T'es sérieux ?
- Eh oui.
- Mais on est au beau milieu de nulle part !
- Effectivement. Mais d'après Yunhee, pour te prouver que j'étais prêt à t'offrir la lune, il faudrait commencer par dormir à la belle étoile. »
La moue surprise de son petit ami se teignit d'amusement et un large sourire fit peu à peu son apparition sur ses lèvres. Il roula des yeux puis lui demanda par où il leur fallait aller. Yoongi se contenta alors de tendre l'index vers un chemin de terre qui menait en direction d'un plateau planté de quelques rares arbres.
« L'endroit idéal pour profiter des étoiles, indiqua-t-il. Je suis venu ici avec ma grand-mère il y a quelques années. J'en ai chié pour retrouver où c'était, mais finalement ça m'est revenu. Je voulais qu'on profite d'un moment ensemble, juste nous deux, minuscules sous la voûte céleste. La lune en plus est pleine en ce moment, alors on ne sera même pas dans le noir complet.
- Ça promet réellement d'être extraordinaire.
- J'espère que ça le sera.
- Dans tous les cas, si on est ensemble... »
Ça ne pouvait qu'être parfait, oui. Yoongi sourit et baissa les yeux sur sa main que Hoseok avait prise dans la sienne. Il la regarda avec une tendresse inchangée malgré les semaines qui passaient et il s'engagea sur le chemin, son petit ami à ses côtés. Les deux garçons discutèrent de choses et d'autres en chemin, appréciant la tranquillité de cette campagne.
En bas du plateau se trouvait un petit village peu fréquenté, c'était bien là la seule vie qui existait à des kilomètres à la ronde. Les deux garçons purent s'en rendre compte lorsqu'ils arrivèrent à destination après une montée qui, bien que courte, leur avait demandé des efforts tels qu'ils avaient eu l'impression de lutter avec graviers et cailloux pendant des heures.
Le soleil n'était pas encore couché lorsqu'ils s'installèrent sur l'herbe que la canicule avait rendue sèche sans pour autant lui voler son admirable couleur verte. Yoongi tira de son sac ce qu'il avait amené pour dîner et Hoseok l'imita, mis en appétit par ce qui avait tout eu d'une randonnée. L'un face à l'autre, ils mangèrent en échangeant parfois quelques rapides répliques auxquelles leurs bouchées avaient tôt fait de mettre fin.
Pourtant ils communiquaient : leurs regards communiquaient. Des mots inaudibles, de tendres sous-entendus. Il y avait tant de choses qui se disaient de cette manière. C'était d'ailleurs les paroles les plus douces qu'ils se transmettaient. Les regards, les gestes : les mots étaient tellement plus beaux quand ils ne s'entendaient pas. C'était la preuve que parler n'était pas nécessaire pour se comprendre et, plus encore, que parler ne pouvait parfois pas permettre de tout exprimer de manière juste.
Yoongi avait toujours cherché une quelconque trace d'amour dans les yeux de celui qui n'était jadis que son amant. Il avait si longtemps désespéré d'en trouver que les voir désormais déborder d'amour chaque fois qu'ils se posaient sur lui, c'était à peine croyable. C'était sans doute pour ça qu'il aimait les moments comme celui-ci où, parce qu'ils mangeaient, ils devaient rester silencieux.
La nuit tomba lentement alors que les deux compagnons rangeaient leurs affaires. Yoongi sortit de son sac une fine couverture qu'il déplia puis étala sur le sol.
« Il va faire chaud cette nuit, les températures vont pas beaucoup baisser. Quand je t'ai dit d'amener ton gilet, c'était pour que tu t'en serves d'oreiller.
- J'espérais que ce serait toi mon oreiller...
- Après, tu dors comme tu veux, tu sais, répliqua timidement Yoongi en haussant les épaules sans oser le regarder en face.
- Dans ce cas c'est vendu : cette nuit, je dors sur toi ! »
Jusque là assis en tailleur sur la couverture qu'il venait de déplier, Yoongi y finit étendu lorsque son cadet se jeta sur lui en s'accrochant à sa taille. Un instant, l'aîné se demanda même si son copain n'avait pas eu la folle idée de tenter un plaquage.
Pourtant il ne le repoussa pas, il se contenta de rester immobile et d'observer Hoseok s'installer confortablement sur lui malgré leurs deux corpulences bien différentes. Ce n'était de toute façon pas la première fois qu'ils dormiraient de cette façon et ce serait sans doute également loin d'être la dernière.
Étalé sur son amant, Hoseok avait posé le menton sur son pectoral pour pouvoir l'observer tranquillement. Yoongi lui passa la main dans les cheveux d'un geste bienveillant. Le silence encore une fois était agréable, preuve de cette paix intérieure qu'ils ressentaient tous les deux.
« Dis, t'avais réellement jamais remarqué que j'étais amoureux de toi ? demanda Yoongi d'un ton distrait.
- Non, t'as jamais vraiment changé je veux dire... enfin, je sais pas comment l'expliquer mais chaque fois que tu devenais un peu plus affectueux, j'attribuais ça à quelque chose qui paraissait logique : quand on s'est connu t'étais super timide, alors quand t'as commencé à devenir ami avec moi, ça m'étonnait pas de te voir plus avenant. Quand on a commencé à coucher ensemble, je me suis dit que notre relation physique nous permettait de nous sentir plus à l'aise, et puis on avait aussi les entraînements pour les performances, alors je trouvais ça normal que parfois tu m'embrasses. Et puis quand t'as commencé à devenir vraiment câlin et à avoir besoin d'affection, ces derniers mois... j'ai attribué ça à la raison pour laquelle t'étais toujours épuisé : puisque t'étais fatigué et mal en point, t'avais besoin d'attention, c'était normal. Mais j'aurais jamais cru que tu puisses tomber amoureux de moi, non.
- Pourquoi ?
- J'étais pas le genre de mec pour toi : il te fallait quelqu'un d'affectueux.
- Dit celui qui m'a fait tomber en arrière en se jetant sur moi...
- Je me suis même pas rendu compte que peu à peu je changeais. Simplement parce que c'était toi, parce que je supportais pas de te voir souffrir. Alors ça a fait ressortir cet aspect de moi que je n'avais jamais montré avec mes anciens partenaires. Parce que t'étais pas un partenaire comme les autres. Même sans qu'on sorte ensemble, c'était toi que je considérais comme étant ma plus longue relation. Qu'on se mette en couple à l'époque, ça m'aurait fait bizarre : j'étais convaincu d'être plutôt du genre à papillonner à droite à gauche. Je crois que si cette longue relation qu'on a eue m'avait pas permis de me rendre compte que je pouvais ne pas me lasser de quelqu'un, de toi, les choses auraient été bien différentes aujourd'hui.
- Alors j'ai bien fait de t'engueuler ?
- C'était un peu violent quand même, ronchonna Hoseok en faisant la moue.
- Et comment... comment tu t'es rendu compte que finalement... tu éprouvais des sentiments pour moi ? s'enquit encore Yoongi d'une voix mal assurée – Hoseok le lui avait déjà dit... mais il aimait bien l'entendre parfois.
- Quand on s'est disputé et qu'on s'est éloigné, tu m'as atrocement manqué. J'avais peur que tu sois réellement en colère contre moi et ça me foutait en l'air. Qu'on couche plus ensemble, j'en avais rien à foutre, je voulais juste pouvoir continuer de te serrer dans mes bras, t'embrasser pour te faire sourire, prendre soin de toi pour m'assurer que t'allais bien... et en me faisant cette réflexion je me suis aperçu que ce que je souhaitais par-dessus tout, c'était pouvoir continuer de t'aimer. J'avais besoin de rien de plus. Toi, ta présence, et la certitude que t'étais heureux. Depuis que t'avais commencé à avoir des soucis je m'étais attaché à toi de manière beaucoup plus profonde. C'était plus simplement une histoire de sexe, c'était bien plus. Tu étais bien plus.
- Et tu l'es aussi. Tu me rends tellement heureux, Hoseok-ah.
- Toi aussi tu me rends heureux, hyung, merci de m'aimer depuis tout ce temps. »
Hoseok lui déposa un petit baiser sur le torse, au niveau de son cœur et malgré le t-shirt que Yoongi portait toujours. Quelques marques de tendresse suivirent avant que Yoongi n'indique à son copain de lever les yeux vers le ciel.
« Regarde comme c'est beau ! se réjouit-il.
- Ouah, hyung, on a une vue incroyable ! »
Les étoiles vues d'ici semblaient bien plus brillantes que celles du ciel de Séoul. Elles constellaient la voûte nocturne mouchetée de ces petites taches plus ou moins lumineuses. La lune quant à elle, énorme et brillante, adoucissait l'obscurité pour la rendre claire et rassurante. C'était un spectacle unique pour Hoseok qui s'en émerveillait et s'en trouva presque ému : il n'aurait jamais cru aimer ce genre de choses. C'était la sensibilité de Yoongi qui le touchait et affaiblissait son cœur. Il aimait l'influence que son aîné avait sur lui.
Allongés, les deux garçons s'étaient tus, le regard concentré sur la splendeur de la voûte étoilée. Hoseok s'était peu à peu laissé tomber du corps de son copain pour s'allonger lui aussi sur le dos, tout contre lui, et observer dans la position la plus agréable possible cette nuit exceptionnelle.
Le ciel semblait figé, tout semblait figé. S'il n'y avait pas le souffle discret de l'autre à côté d'eux pour leur rappeler que le temps se déroulait toujours, les deux garçons auraient oublié que tout ne s'était pas arrêté. Hoseok glissa une main dans celle de son copain qui la serra avec douceur. Ils ne quittèrent des yeux le ciel que pour tourner la tête l'un vers l'autre. Dans leurs pupilles brillait le reflet des étoiles, c'était comme si les corps célestes s'y trouvaient.
C'était beau, ce panorama immense prisonnier de leurs yeux fins. Et Hoseok trouva magnifique la façon dont, de son angle de vue, les étoiles auréolaient de lumière le visage juvénile de Yoongi.
« Je te le répèterai autant qu'il le faudra pour que tu n'en doutes plus jamais, hyung, lui murmura Hoseok. Je t'aime. »
Il ne laissa pas son copain répondre que déjà il lui volait ses lèvres, hypnotisé tant par la beauté de Yoongi que par celle de cet instant qu'ils partageaient tous deux. Ce fut pour Yoongi d'une douceur affolante avec laquelle la lumière tamisée des étoiles se mariait d'une manière inimitable. Tout n'était que délicatesse, même lorsque Hoseok prit place sur son bassin contre lequel il ondula lentement. Le baiser cessa, le jeune garçon se redressa, les mains sur le torse de son copain pour se stabiliser tandis qu'il poursuivait ses mouvements.
C'était sensuel, lascif. Ça avait pour but de les exciter sans pour autant qu'ils se sentent obligés d'aller plus loin que ces frottements délicieux. Ils savaient qu'ils s'en tiendraient là, qu'entre eux il ne se passerait rien de plus ce soir-là, sous les regards brillants des innombrables étoiles. Pourtant, même ce petit rien les liait d'une manière indescriptible. Chaque mouvement rapprochait tant leur corps que leur âme.
Installé à califourchon sur son petit ami, Hoseok était aux commandes, le regard plongé dans celui de son copain qui avait entrouvert les lèvres pour laisser passer de lourds soupirs. L'aîné était décidément du genre à partir au quart de tour quand il s'agissait de son amant : un rien le mettait dans tous ses états. Hoseok le mettait dans tous ses états.
Peu à peu ce furent leurs deux respirations qui se firent haletantes. À mesure que le plaisir montait, les décibels en faisaient de même. Au beau milieu de ce plateau parfaitement désert, ils pouvaient profiter l'un de l'autre sans s'inquiéter : les seuls témoins étaient les corps célestes et la couverture sur laquelle ils étaient étendus, toujours habillés.
Les gestes se firent désordonnés, des baisers furent échangés, les mains se promenèrent. Finalement, tout atteignit son apogée tandis que le silence de la nuit se faisait lacérer tantôt par des soupirs anarchiques, tantôt par des gémissements sensuels.
Ensuite ce fut de nouveau le silence, le silence le plus complet.
Un ultime « je t'aime » put se faire entendre après de longues minutes, auquel un autre fit écho.
~~~
Jungkook dormait à moitié lorsqu'il monta dans le train en direction de Séoul. C'était samedi, il était encore tôt et la veille il s'était couché tard : il avait profité avec Jimin de leurs dernières heures ensemble à Busan. Ils s'étaient promenés dans la ville en discutant paisiblement. Jimin avait dû s'en aller en début d'après-midi, après avoir déjeuné avec les Jeon qui avaient été ravis de l'avoir à leur table.
Le reste de la journée, Jungkook l'avait passé en compagnie de ses parents avec qui il était allé dîner au restaurant. Ils y avaient passé la soirée à discuter, ça avait été un moment extrêmement agréable pour le jeune garçon à qui ça manquait souvent d'être avec sa famille. Il ne regrettait pas d'être revenu ici, Jimin avait bien fait de l'en convaincre. Et puis... ça avait permis à Jungkook de se rendre compte de ses désirs.
Parce qu'il désirait Jimin de plus en plus ardemment. Il avait encore peur de lui avouer mais il savait que son copain s'en était rendu compte par lui-même. Jungkook lui vouait une confiance qui se faisait aveugle, et l'amour qu'il lui portait le désinhibait peu à peu. Il avait eu peur, il avait cru que c'était une mauvaise chose de laquelle il devait avoir honte... mais Jimin lui avait prouvé le contraire, l'avait rassuré.
Jungkook ne cessait plus d'y penser, ça l'embarrassait mais il savait que c'était simplement humain : il avait envie que son petit ami lui fasse redécouvrir ce plaisir immense qu'il lui avait fait ressentir une seule et unique fois.
Il avait envie de s'abandonner à ses mains, à sa bouche, de laisser le désir le contrôler pour lui permettre d'oublier ses craintes infondées.
Ainsi, dans le train le jeune garçon était en train de rêvasser, toutes ses pensées tournées en direction de son petit ami tandis qu'il était entre rêve et réalité, affalé contre la vitre. Ces longs trajets étaient pour lui l'occasion idéale pour se reposer, même si une fois sorti du train il savait qu'il se sentirait groggy et incapable d'enchaîner l'après-midi même avec son service au café.
Heureusement qu'il avait une bouteille de soda chez lui...
Comme prévu, il arriva fatigué à la gare et il lui fallut encore prendre les transports en commun pour arriver chez lui. Lorsqu'il poussa la porte de son studio, il y jeta presque son sac et referma derrière lui sans prendre le temps d'enlever ses chaussures avant de s'écraser sur son lit. Il était presque midi mais Jungkook préférait encore une bonne sieste à un bon déjeuner.
Il s'endormit presque instantanément sur son matelas, ouvrant par chance les yeux juste au moment où il lui fallait se préparer à partir travailler. Il avait eu chaud...
Jungkook enfila un jean noir, vérifia rapidement son apparence et attrapa son portable ainsi que sa carte de transports : il n'aurait besoin de rien de plus et il n'avait pas le temps de faire son sac. Lorsqu'il arriva, Seokjin et Namjoon étaient occupés en salle, quant à Hoseok il venait sans doute de partir à son bureau : il n'était plus de service à cette heure.
Le jeune garçon donc se rendit d'un pas tranquille en salle de repos, soulagé d'être à l'heure et en forme pour travailler. Retrouver l'ambiance apaisante du Boy's love Café avait quelque chose d'agréable, un quelque chose qui lui réchauffait le cœur.
D'ailleurs... il y avait au coin lecture une cliente en train de lire son roman, un sourire aux lèvres. C'était tout simplement inestimable. Même après avoir vu plusieurs personnes le lire, il ressentait la même fierté et la même émotion lorsqu'il voyait quelqu'un apprécier son histoire.
Ici aussi, d'une certaine manière, il était chez lui.
~~~
Taehyung – Hey, ça te dit de venir manger avec moi ? ^^
Seokjin – Désolé mon Taetae, Nam m'a invité à dîner chez lui et j'ai déjà dit oui. Mais si tu veux tu peux passer dormir chez moi, ça sera cool. <3
Taehyung – Ouais pas de soucis ! On se dit à quelle heure ?
Seokjin – Là je viens de sortir du boulot, alors sûrement d'ici une heure ou deux.
Taehyung – Pas de souci, prenez votre temps ! À toute, hyung ! ^3^
Seokjin – À toute, je t'aime !
Son cadet le lui rendit et Seokjin leva les yeux de son écran avec un air coupable. Il était assis en salle de repos, une bouteille d'eau à la main. Il se haïssait de mentir à son petit ami, et tout ça pourquoi ? Parce qu'il voulait manger avec lui le moins possible de peur que Taehyung ne se rende compte qu'il ne mangeait presque rien. Il trouvait toujours des excuses, mais un jour viendrait où son copain aurait des doutes et soupçonnerait quelque chose.
Ainsi, à la culpabilité de ne pas savoir manger correctement s'ajoutait celle de ne pas être un bon petit ami. Il mentait à Taehyung, lui cachait sa maladie. Pourtant il l'aimait tellement, il ne voulait pas lui faire de mal, il n'y pouvait rien s'il ne souhaitait simplement pas l'inquiéter : il l'aimait beaucoup trop pour ça.
Le jeune ulzzang s'éclipsa discrètement avant que Hoseok ou Jimin ne le rejoigne ici. La soirée venait de s'achever et il voulait rentrer seul, se faire un thé puis passer la nuit avec son copain entre ses bras. Il avait besoin de lui, de son regard bienveillant et amoureux. Ça lui faisait tellement de bien, c'était inestimable pour lui.
« Alors, t'as mangé quoi aujourd'hui ? »
Seokjin se figea. Il venait d'arriver au bas des escaliers et se trouvait désormais face à Namjoon qui l'attendait, le regard inquisiteur. Il n'avait pas la mine soupçonneuse, il semblait complètement neutre, comme... comme s'il ne le jugeait pas. Et en même temps Seokjin avait le sentiment de sentir de l'inquiétude poindre, une inquiétude que Namjoon tentait de lui cacher.
« Pas grand-chose...
- C'est-à-dire ? »
Seokjin sortit son portable de sa poche et pianota quelques instants dessus. Namjoon le regarda faire patiemment et le lui prit lorsque son ami le lui tendit. À l'écran, c'était une application que le jeune garçon avait installée quelques mois plus tôt et qui lui permettait de contrôler tout ce qu'il mangeait. Il y consignait la moindre chose qu'il avalait.
« Presque cinq cents calories... Et t'arrives à tenir avec si peu dans le ventre ?
- Les légumes et le blanc de poulet c'est pas très calorique, tu sais, je peux en manger beaucoup sans que les calories s'envolent.
- Et pourtant tu le sais qu'il faudrait qu'à défaut de s'envoler elles évitent de s'écraser.
- Oui, je le sais.
- J'ai pensé à toi quand j'étais sur le point de cuisiner, tu veux bien m'aider ? J'ai vu sur ton Insta que t'étais plutôt doué derrière les fourneaux.
- Alors maintenant tu te caches même plus de me suivre sur Insta ?
- J'ai fini par l'admettre, oui. Alors, tu veux bien venir ?
- Oui, mais je dois être chez moi dans une heure ou deux.
- T'inquiète, de toute façon j'ai pas si faim que ça, je comptais pas me préparer un truc bien lourd. »
Seokjin opina et suivit son ami chez lui. Pourquoi ? Il n'en avait pas la moindre idée. Namjoon dégageait un quelque chose d'indescriptible mais de rassurant et qui poussait à l'obéissance. Il avait cette bienveillance dans le regard, cette bienveillance qui disait « écoute-moi et ça ira, tout ira bien ».
Une fois dans la cuisine de son cadet, celui-ci alla au plan de travail sur lequel il avait laissé une recette. L'autre approcha et y jeta un œil qui se fit malicieux lorsqu'il la reconnut : sur une publication, quelques semaines plus tôt, il avait indiqué que c'était sa recette préférée.
« J'imagine que tu la maîtrises bien, songea Namjoon, alors on risque pas de la rater.
- Moi je risque pas de la rater, le corrigea Seokjin, en revanche j'ignore comment ça va se passer avec toi.
- Je t'ai fait venir pour cuisiner, pas pour m'en envoyer plein la gueule, râla l'autre.
- Surveille ton langage devant un aîné, malpoli.
- Oh pitié... »
Namjoon roula des yeux et alla chercher les ustensiles dont ils auraient besoin. L'œil rieur, Seokjin le regarda faire, attendant qu'il ait sorti le nécessaire. Le jeune garçon réunit enfin tout ce qui était indiqué sur la fiche qu'il avait écrite lui-même puis se tourna vers son aîné avec un sourire en lui faisant signe qu'ils pouvaient commencer.
Les deux amis passèrent plusieurs dizaines de minutes à cuisiner ensemble. Ce fut laborieux au début, surtout pour ce qui était de Namjoon qui ne s'y connaissait visiblement pas autant que Seokjin. Le jeune garçon avait passé son temps à commettre de petites bourdes qui, par chance, étaient rattrapables.
Ainsi, une fois le plat en train de chauffer à feu doux, Seokjin poussa un profond soupir.
« J'avais jamais vu ça, dit-il, j'ai bien cru qu'au lieu de venir à bout de la recette c'est elle qui viendrait à bout de toi. Sérieux tu l'as fait exprès ou quoi ?
- Maintenant tu sais pourquoi je cuisine rarement...
- Au contraire, tu devrais t'entraîner plus souvent pour acquérir des gestes sûrs et précis. Y a qu'en répétant les mêmes mouvements encore et encore que tu n'auras plus de mal à les faire.
- Tu crois ?
- Bah ouais, ça paraît logique, non ? Pour y arriver faut s'entraîner, alors au lieu de te dire que t'es pas fait pour ça, dis-toi plutôt que si tu veux vraiment y arriver, il faudra simplement bosser avec sérieux.
- Mais Yoongi-hyung a pas le temps de me donner des cours de cuisine... Tu pourrais m'aider, toi ? En plus on pourrait demander à Taetae de venir aussi et on en profiterait pour s'entraîner tous les deux.
- Euh... je sais pas trop.
- S'il te plaît, hyung, je demande pas à être aussi doué que toi mais juste... pas enchaîner les gaffes.
- Même pour ça y aura un sacré boulot, le railla Seokjin qui tentait de cacher son sourire en coin.
- N'importe quoi, je suis pas si mauvais que ça. »
Seokjin tourna la tête sur les grains de riz échoués sur le sol – car en mettant un peu trop de force dans son geste, Namjoon en avait dispersé un peu partout en ouvrant le paquet. Il reporta ensuite son regard sur son cadet qui avait suivi son geste et prit une moue lasse.
« Ce genre de choses arrive très rarement, » tenta-t-il de se justifier.
Alors le regard de Seokjin se tourna cette fois-ci sur le plan de travail : il s'y trouvait une baguette en bois brisée en deux. Namjoon l'avait fait tomber sur le sol et, en la cherchant, il avait marché dessus.
Une fois de plus le regard du cadet suivit celui de son ami.
« Ça aussi c'est rare, dit-il une fois de plus.
- Dans ce cas c'est vraiment étrange que pile le soir où je suis là il se passe deux choses aussi rares. Je dois avoir de la chance aujourd'hui pour avoir le privilège d'assister à ça, tu crois pas ?
- Oh ça oui.
- Bon j'ai compris, Nam, je t'aiderai.
- C'est vrai ?
- Ouais, t'es un cas désespéré mais j'aime bien les défis.
- Cool, je te décevrai pas, je te le jure ! »
Namjoon lui offrit un large sourire qui le fit sourire en retour : c'était attendrissant, Seokjin n'avait jamais remarqué qu'il avait des fossettes.
« Ça va bientôt être cuit, indiqua-t-il alors que quelques instants plus tard ils avaient retrouvé leur sérieux. Sors un bol. »
Celui qui lui servait de commis obéit tout de suite. Seokjin quant à lui retira la poêle du feu et la posa sur un repose-plat qu'il avait laissé sur le plan de travail. Il attrapa ensuite ses baguettes, touilla rapidement et tourna la tête en direction de son ami qui avait deux bols entre les mains et les lui tendait.
« J'ose espérer que tu me laisseras t'inviter à dîner pour te remercier de m'avoir aidé, lui dit-il d'un ton profondément gentil.
- Ça, Namjoon, c'est un cadeau empoisonné.
- Au contraire, c'est la faim qui t'empoisonne. Manger te fera du bien. Ça sent si bon, et puis on s'est donné tellement de mal. Je te demande pas de partager le plat en deux, sers-toi juste trois nouilles et deux morceaux de légumes si tu veux mais... hyung, je t'ai dit que je t'aiderais. J'ai conscience que je sais pas du tout comment m'y prendre. Je suis désolé si je suis maladroit, je ne...
- T'inquiète, Nam, c'est rien. De toute façon je me doutais bien que ça finirait comme ça. J'essaie vraiment de faire des efforts pour manger un peu plus ces temps-ci, et ça a l'air vraiment bon. Alors... ouais, je vais me servir un peu. En plus c'est léger, c'est pas comme les plats et les gâteaux de l'autre fois. »
Raison pour laquelle il en avait eu des haut-le-cœur qui s'étaient changés en vomissements. Ça ne lui était presque jamais arrivé et il avait fallu que Namjoon soit là pour être témoin de cet acte immonde...
« Du coup je... ouais je peux m'en servir un peu, c'est d'accord.
- C'est vrai ? s'étonna Namjoon avec une lueur d'espoir dans le regard.
- Ouais, c'est pas grand-chose. Avec mon frère j'avais réussi à remonter à mille deux cents calories par jour alors... si aujourd'hui je monte à huit cents ça devrait le faire. »
Namjoon prit un air peiné, son aîné tenta de lui offrir un sourire mais il sonnait faux. Il y avait beaucoup de choses chez lui qui sonnaient faux, à bien y regarder : chaque fois qu'il parlait de ce qu'il avait mangé, chaque fois qu'il disait à Taehyung qu'ils dîneraient ensemble un jour prochain.
Taehyung...
C'était avec lui qu'il devrait dîner, pas avec Namjoon. Mais c'était impossible : il pouvait manger avec lui quand il ne s'agissait que de quelques légumes, ou bien de viande blanche. Or il savait que Taehyung aimait le gâter et adorait pour sa part les sucreries. S'il allait dîner chez lui, il savait qu'il y aurait un dessert, et pas une simple pomme comme il en mangeait parfois.
À plus d'une reprise il avait pourtant essayé : quand Taehyung avait amené des sucreries pour une soirée cinéma qu'ils s'étaient organisés, ou bien pour le dîner qu'ils avaient préparé et auquel ils avaient convié Jimin et Jungkook... mais chaque fois il avait fini avec des crampes d'estomac, et le lendemain, soit il ne mangeait presque rien, soit il s'imposait du sport jusqu'à en tomber d'épuisement – et le plus généralement c'était les deux à la fois. De cette façon au moins il n'avait jamais eu besoin de se faire vomir pour se sentir purgé et léger de nouveau.
Pourtant il savait que malgré tout il était tombé extrêmement bas. Il tenait debout parce qu'il était habitué à s'infliger ça, pas parce que c'était sain pour lui. Il s'en voulait, car il l'avait promis à son frère : il allait changer, il y était déterminé. Il voulait faire des efforts, et savoir que Namjoon était avec lui, ça le réconfortait.
Ils avaient cuisiné ensemble son plat préféré, ça ne serait pas aussi pénible de profiter de ce repas que d'un dessert beaucoup trop sucré.
Le jeune ulzzang donc servit d'abord son ami puis se servit à son tour. Son bol contenait l'équivalent d'un poing de nouilles aux légumes auquel il ajouta un peu de bouillon. Namjoon ne put pas cacher sa fierté : il savait que Seokjin avait déjà entamé un travail sur lui-même quelques mois plus tôt, mais il n'aurait pas cru voir son aîné céder si facilement à sa demande. Ça prouvait d'une part le fait qu'il essayait de s'en sortir depuis un moment déjà, et d'autre part sa détermination.
Parce que Seokjin était déterminé. Pour son frère, ses amis, son petit ami, il voulait pouvoir manger normalement sans en ressentir la moindre culpabilité. Il n'avait jamais fait de malaise, ça l'avait conforté dans son idée qu'il était capable de tenir en ne mangeant que cinq cents à mille calories par jour.
Et si ce soir-là ne fit pas exception, s'il ne mangea que la maigre portion qu'il s'était servie, au moins il avait mangé. Namjoon en était rassuré et songea que s'ils y allaient en douceur, sans jamais forcer Seokjin à manger mais en lui permettant plutôt de retrouver le plaisir qui était lié à la nourriture, alors il y avait un espoir pour que peu à peu la situation s'améliore. La route serait longue, certes, mais Namjoon était décidé à faire tout son possible pour tenir sa promesse.
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