Chapitre 113
Des sanglots s'élevaient sans discontinuer de la petite chambre. Tout était si calme que ces pleurs semblaient mis en valeur par le silence. Allongée sur son lit, Yunhee avait enfoui son visage dans son oreiller et ne parvenait plus à contenir sa peine.
Quelques dizaines de minutes auparavant Yoongi était revenu dans l'appartement avec entre les mains sa lettre d'admission dans la petite université dans laquelle elle s'était inscrite une semaine et demie plus tôt. La jeune fille avait été mortifiée, elle était convaincue que c'était par mail qu'on lui enverrait cette confirmation.
Yoongi avait exigé des explications, elle avait tenté de mentir mais, sous la pression, avait fini par avouer la vérité : son dossier d'inscription pour l'autre université, elle l'avait déchiré et mis à la poubelle. Le ton était monté et après d'intenables minutes à se disputer en hurlant, Yunhee avait fini par lâcher sans le faire exprès le nom de Hoseok.
Son frère l'avait fait tout avouer et était parti, furieux, régler ses comptes avec son collègue pendant que Yunhee, complètement impuissante, tentait malgré tout de l'arrêter. Elle n'avait rien pu faire face à la rage folle de son frère et était allée exprimer sa frustration à travers les larmes qu'elle versait désormais, compagnes humides de sa détresse.
Lorsqu'elle entendit la porte de l'appartement s'ouvrir une fois de plus, elle tenta de taire ses sanglots. Ce fut vain. On toqua doucement à sa chambre et son frère entra en silence. Il s'avança, Yunhee le sentit s'asseoir près d'elle. Il eut à peine posé une main réconfortante sur son dos qu'elle se redressait vivement et se retournait pour se jeter dans ses bras.
Yoongi la serra puissamment contre lui, comme lorsqu'elle était enfant et qu'elle venait pleurer dans son étreinte après avoir fait un cauchemar. Il lui frotta le dos en se balançant très légèrement, de façon presque imperceptible, ne s'apercevant pas lui-même qu'il la berçait.
« Je suis désolé de m'être emporté contre toi, souffla Yoongi. Tu voulais simplement bien faire... mais fais tes choix et laisse-moi faire les miens. D'accord ?
- C'est pas un choix, ça, pleura doucement sa sœur, c'est un suicide.
- T'exagères...
- Hoseok m'a dit que t'as fait plusieurs malaises.
- Ça n'a rien à voir.
- Me prends pas pour une idiote.
- Mais cette université t'en rêvais...
- Si tu dois souffrir pour me l'offrir alors non, elle m'intéresse pas cette université, je veux pas y aller. Et puis tu me connais, je suis pas idiote. Je suis allée chercher la meilleure université qui puisse rentrer dans notre budget et elle m'a acceptée dès qu'ils ont vu mes notes. J'ai discuté par mail avec une responsable, elle était très gentille et elle m'a longuement parlé de la fac, même au téléphone. J'ai envie d'aller dans cette université-là, elle a l'air vraiment cool.
- J'sais bien que tu dis ça juste pour me rassurer.
- Même pas vrai.
- Toujours aussi débrouillarde, hein ?
- Je changerai jamais, sourit Yunhee en relevant son adorable petit minois pour offrir un regard malicieux à son frère. Alors moi je vais aller faire de grandes études dans la nouvelle université de mes rêves et toi tu vas faire ce dont tu as envie et manger comme avant. Ça marche, on fait comme ça ?
- Yunhee, s'il te plaît, va dans l'université que t'avais choisie, laisse pas les problèmes de fric faire tout foirer...
- Pourquoi t'as le droit de tenir à moi au point de te flinguer la santé alors que moi j'ai pas le droit de t'aimer au point de simplement changer de fac ? C'est pas la mer à boire pour moi, je suis heureuse quand même. Et savoir que tu le seras aussi, ça me rend encore plus heureuse, alors c'est double dose de bonheur tu vois. Parce que c'est toi qui passes avant tout, pas mes études. Tout comme je sais que je suis passée avant énormément de choses pour toi ces derniers temps. Laisse-moi te montrer que moi aussi je tiens à toi... les plus grandes universités ne valent rien à mes yeux si les tiens doivent verser des larmes pour que j'y aille. J'étudierai deux fois plus sérieusement, comme ça j'aurai pas besoin d'une école reconnue pour prouver ce que je vaux. »
Yunhee réfugia son petit visage dans le creux du cou de son frère qui la serra affectueusement contre lui, déposant quelques baisers tendres sur son front. Sa petite sœur sourit, le corps réchauffé de bonheur, et s'accrocha à sa nuque en essuyant une ultime fois les larmes qu'elle avait laissé couler. Yoongi l'y aida, passant un geste délicat la pulpe de son pouce sur l'épiderme diaphane de sa joue. Yunhee plissa le nez et laissa échapper un rire attendrissant.
« Je t'aime, lui dit-elle, et c'est pas ni ton argent ni une université qui vont y changer quoi que ce soit. T'es mon grand frère, mon héros.
- Merci... »
L'émotion était vive dans sa voix et il se tut de peur que sa sœur ne l'entende – même s'il savait que c'était déjà trop tard. Yunhee esquissa un sourire et le silence revint peu à peu jusqu'à ce que la jeune fille le brise de nouveau.
« Pourquoi tu m'as rien dit ? C'était juste une fac, ça comptait tellement moins que ta santé...
- Mais t'avais l'air de vouloir tellement y aller, répliqua Yoongi, et c'était la meilleure université. Tu mérites la meilleure université, je voulais du plus profond du cœur que tu y ailles. Tu mérites un avenir à ta mesure, un grand avenir. Je voulais pas être une entrave à ça... toutes les portes te seraient ouvertes avec le nom de cette école sur ton CV.
- T'es peut-être plus vieux que moi mais t'es stupide.
- Tss, tais-toi, gamine.
- Mais du coup... tu t'es pas trop énervé, hein ? T'en veux pas à Hoseok ? Il avait juste peur, comme moi.
- Je lui avais explicitement demandé de ne rien dire, plus d'une fois, soupira Yoongi. Je sais qu'il l'a fait pour mon bien. Je sais tout ce qu'il a toujours fait pour moi alors je peux décemment pas lui en vouloir... mais pour l'instant si, je suis dégoûté. J'aurais pas dû lui en parler. J'imagine que c'est moi qui ai été con sur ce coup.
- Oppa... t'as fait quoi avant de revenir ? s'inquiéta sa sœur.
- Je suis allé dire à Hoseok ma façon de penser. »
Yunhee poussa un soupir dépité en venant poser le front contre le torse de son frère. Yoongi n'était pas du genre à s'énerver facilement, elle l'avait très rarement vu en colère, même quand il avait en face de lui quelqu'un de particulièrement agaçant. C'était un garçon qu'elle admirait pour son calme et sa patience à toute épreuve. C'était en revanche quelqu'un de très franc, parfois un peu maladroit dans ses propos.
« Et qu'est-ce que tu lui as dit plus exactement ? s'enquit-elle.
- Tout ce que j'avais à lui dire.
- C'est-à-dire ?
- Que j'ai pas aimé qu'il t'ait parlé de ça, que ce n'était pas à lui de se mêler de mes affaires. Et puis comme j'étais bien lancé il se peut que je lui ai aussi avoué que je l'aimais depuis notre rencontre. »
Un hoquet de surprise échappa à Yunhee qui recula vivement la tête du torse de son aîné pour le regarder dans les yeux, cherchant vainement la moindre trace d'humour. Yoongi avait enfin trouvé le courage d'avouer ses sentiments à son cadet ? Dans de telles circonstances, c'était désolant, ça sonnait comme l'ultime confession qui précédait une déchirure inévitable. Ça sonnait comme un adieu.
« Mais... tu vas faire quoi maintenant ? demanda-t-elle.
- Comment ça ?
- Si tu vas pas t'excuser auprès de Hoseok c'est moi qui t'y amènerai, t'en es bien conscient ? Il avait pas à trahir sa parole, certes, mais t'étais en train de te détruire à petit feu. Ne rien dire, c'était de la non assistance à personne en danger. Parfois la seule solution c'est de parler.
- T'es chou mais qu'est-ce que t'es chiante...
- Je sais, on est pareils. Alors je réitère ma question : tu vas faire quoi ? Va bien falloir que t'ailles t'expliquer avec lui.
- Je vais d'abord discuter avec Jimin, soupira Yoongi, il a un regard complètement neutre sur la situation et Hoseok lui parlera sûrement si ce n'est pas déjà fait.
- Alors... tu comptes t'excuser ?
- Ouais, tôt ou tard.
- Oppa...
- Oh la la, oui, je m'excuserai. Mais je maintiens qu'il aurait pas dû parler, je m'excuserai seulement d'avoir été trop brutal dans mes propos... et de l'avoir insulté. C'est bon ? Contente ? »
Yunhee acquiesça vivement, un large sourire au visage – le même sourire gommeux et tendre que son frère qui le lui rendit en lui ébouriffant les cheveux.
« Tu fais chier, se plaignit-elle en riant, je ressemble déjà à rien !
- Mais dis pas de conneries, t'es magnifique. »
Nouvel éclat de rire de la part de la jeune fille qui leva les yeux au ciel avant qu'une dernière question ne lui traverse l'esprit.
« J'y pense, dit-elle, t'avais réussi à réunir tout l'argent nécessaire pour me payer une année de fac ?
- C'est pas des questions qui se posent.
- Ça me concerne. »
Yoongi soupira et l'écarta de lui avant de lui faire signe de le suivre. Il se redressa, quitta la chambre et entra dans la sienne, sa sœur sur les talons. Yunhee, curieuse, le regarda ouvrir l'armoire et en tirer une petite boîte de bonbons en métal. Ses sourcils se froncèrent plus qu'ils ne l'étaient déjà quand son frère l'ouvrit et en sortit une feuille qu'il déplia et lui tendit.
« Au won près c'est tout ce que j'ai pu économiser ces deux derniers mois, lui dit-il. Mais c'était loin d'être suffisant pour te payer une année d'université. »
Yunhee écarquilla les yeux en voyant une liste qui, à ses yeux, n'apparaissait comme rien d'autre que comme la liste des sacrifices faits par son frère. Le salaire de son travail de nuit, la vente de ses livres, de vêtements, d'une console et de ses jeux, les économies réalisées depuis qu'il avait décidé de ne plus consommer qu'un sandwich par jour...
« Comment t'as pu faire ça ? susurra-t-elle les larmes aux yeux. Comment t'as pu croire qu'aller à l'université me ferait plaisir si tu devais subir tout ça en retour ?
- C'est pour ça que je voulais pas que tu le saches...
- Y a tellement de choses... ça fait combien au total ? »
Sans discuter, Yoongi tira son portable de sa poche. Il ignora les messages reçus et alla directement sur le compte bancaire qu'il avait créé en secret deux mois plus tôt. Il tendit le smartphone à sa sœur qui le prit délicatement et y baissa les yeux.
Un sourire soulagé prit forme sur son visage.
« Y a de quoi me payer trois ans d'études dans ma nouvelle université, souffla-t-elle avec une douceur qui traduisait son bonheur. C'est bien plus que ce dont j'ai besoin.
- Je continuerai de mettre de l'argent de temps en temps dessus, comme ça tu...
- Non. Pas seulement pour moi, le coupa sa petite sœur en lui rendant son portable. Cette somme tu l'as gagnée, tu mérites d'en profiter aussi. Je sais que c'est pour mes études mais si on fait tous les deux un peu attention à nos dépenses, t'auras plus besoin de cumuler deux jobs pour que chaque année je puisse renouveler mon inscription. Alors je veux que tu profites de cet argent aussi, on fait moitié-moitié. J'y tiens.
- Mais... j'en ferai quoi de cet argent ? Je veux rien... »
Le sourire de Yunhee s'étira.
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Jamais Jungkook n'avait trouvé une journée aussi longue... probablement parce que jamais il n'avait vécu une journée de travail aussi longue au café. Devant le départ de Yoongi, l'étudiant s'était aussitôt proposé pour le remplacer sur ses heures libres. Hoseok l'en avait remercié plus d'une fois et avait lui aussi donné un coup de main tout au long de la journée pour éviter que les services soient intenables. Namjoon quant à lui s'était proposé pour remplacer Yoongi le lendemain s'il ne revenait pas et Jungkook s'était lui aussi porté volontaire pour apporter son soutien à son collègue.
Après tout, il était en vacances, s'il pouvait aider, autant en profiter – d'autant plus que ça allait faire gonfler son salaire.
Il était désormais huit heures, Namjoon et Hoseok allaient faire la fermeture ensemble. Jungkook les laissa donc et quitta l'établissement avec un soupir de soulagement. À peine sorti il tira son portable de sa poche ; Yoongi n'avait pas répondu à son message. Sans doute voulait-il prendre ses distances pour aujourd'hui.
Il rangea son téléphone et se retourna en entendant des pas derrière lui. Il sourit lorsque Taehyun arriva à sa hauteur. Celui-ci le lui rendit et consulta à son tour son portable.
« Toujours rien ? s'enquit Jungkook.
- Non, toujours rien. Toi non plus ? »
Son aîné hocha doucement la tête et ils se mirent en route.
« Hoseok a dit que quand hyung était énervé, il avait tendance à essayer de décompresser dans son coin. J'espère au moins que ça lui a permis de prendre du temps pour lui. Tu sais... Yoongi c'est pas quelqu'un de colérique, il était simplement à cran ces derniers temps. Si seulement t'avais pu le connaître avant que tout ce bordel ne commence. C'est vraiment un employé modèle, affirma Taehyun. Il se donne toujours à fond et même si ces derniers mois il était fatigué, ça se voyait qu'il essayait de ne pas faiblir.
- Oui, approuva Jungkook, j'ai eu l'occasion de passer pas mal de temps avec Yoongi, j'ai pu discuter avec lui et c'est vraiment comme ça que je le perçois moi aussi. C'est quelqu'un de très – trop – généreux. Je... je pense qu'entre la fatigue, la colère et la frustration, fallait simplement que ça sorte un jour ou l'autre.
- Exactement. »
Le silence retomba entre les deux garçons, arrêtés à l'angle de la rue. C'était là que leur chemin était supposé se séparer, néanmoins ni l'un ni l'autre ne semblait décidé à retourner de son côté.
« Dis, hésita Taehyun, maintenant que hyung a avoué ses sentiments... ça va être bizarre, non ?
- Comment ça ?
- Demain quand il va revenir... il performera de nouveau avec Hoseok, c'est obligé. Ça va pas être difficile pour eux ?
- Yoongi a toujours performé malgré ses sentiments, pour lui ça changera rien. Quant à Hoseok, toi et moi on sait qu'il est assez professionnel pour ne rien laisser paraître. Il est tellement bon dans ce qu'il fait que parfois même moi je me demande s'il est ou non en train de jouer. Alors ouais, ça sera sans doute gênant au début, mais ça finira par passer. »
Et Jungkook savait bien de quoi il parlait : la gêne, il avait eu à l'affronter bon nombre de fois. Si lui avait réussi à la surmonter à son arrivée au café, deux performeurs professionnels tels que Hoseok et Yoongi n'auraient aucun mal à paraître toujours aussi naturels, même s'il leur fallait être ensemble le temps d'une scène.
« Je sais pas pourquoi mais j'ai le sentiment que ça sera pas si simple, soupira Taehyun. J'étais pas là ce matin quand Yoongi est arrivé mais... Hoseok avait l'air tellement bouleversé. Ça se voyait que ça l'affectait beaucoup. Il... il ne tient pas à hyung comme hyung tient à lui, mais il est quand même très attaché à lui. Je crois que plus que tout il s'en veut de n'avoir jamais remarqué qu'il l'aimait. »
Jungkook acquiesça : Hoseok n'avait aucun regret à avoir expliqué la situation à Yunhee. En revanche il s'était immédiatement blâmé pour avoir toujours ignoré les sentiments de Yoongi. Tout au long de la journée Jungkook l'avait vu servir les clients avec un faux sourire qu'il perdait chaque fois qu'il entrait en cuisine. Son regard en revanche demeurait le même, et toute la journée Jungkook avait pu y lire de la douleur et des remords.
L'ambiance avait été très particulière au café, tendue comme si les non-dits persistants du passé flottaient autour des jeunes garçons. Malgré ses sourires feints, jamais Hoseok n'avait semblé si abattu. Jungkook s'était senti désolé pour lui et il espérait vivement que tout pourrait rentrer dans l'ordre. Pas dans l'immédiat, sans doute, mais tôt ou tard. Yoongi et lui s'étaient toujours réconciliés, alors ils y parviendraient cette fois encore... n'est-ce pas ?
Taehyun et lui partageaient en vérité les mêmes peurs : Jimin avait créé son café comme un refuge, un endroit où chacun pouvait se sentir libre de s'exprimer, un endroit où chacun, en dépit de son passé, avait sa place. Un endroit où chacun pouvait trouver du réconfort lorsqu'il en avait besoin. Pourtant, pour la première fois, la simple idée de devoir aller travailler le lendemain leur nouait le ventre.
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Jimin – Salut, Kook, je viens d'avoir un message de Yoongi-hyung : il viendra pas bosser aujourd'hui non plus. Tu pourrais prendre ses créneaux de 12h à 15h puis de 18h à 20h ? Je suis désolé de te demander ça si tard mais c'est assez urgent. :/
Jungkook – Salut, pas de soucis, je serai à l'heure.
Jimin – Merci beaucoup. De mon côté je vais essayer d'avoir une vraie conversation avec lui.
Jungkook – Ok, tu nous tiens au courant ?
Jimin – Bien sûr.
L'étudiant le remercia et consulta sa montre : dix heures du matin. Il avait encore un peu de temps devant lui pour se préparer et aller prendre son bus.
C'était vendredi matin. La veille au soir Jungkook n'avait pas lâché son portable dans l'espoir vain que Yoongi lui réponde. Ce dernier était resté silencieux, personne n'avait eu la moindre nouvelle. Visiblement, tout ce que leur aîné avait dit depuis hier matin, c'était qu'il ne viendrait pas travailler ce jour-là non plus.
Avec une puissante douleur au cœur, Jungkook se demanda s'il reviendrait travailler ou s'il comptait démissionner après le différend qui l'avait opposé à Hoseok. Pourrait-il réellement abandonner son travail pour ça ? Était-il simplement en train de régler l'inscription de sa sœur à l'université ? La laisserait-il aller dans celle qu'elle avait finalement décidé de choisir ou bien allait-il insister pour que son choix reste inchangé ?
Jungkook avait mal dormi. N'avoir aucune nouvelle de Yoongi était frustrant, et d'après ses collègues Yunhee demeurait elle aussi injoignable. Beomgyu avait tenté de lui téléphoner à plusieurs reprises sans succès. Ni le frère ni la sœur n'avait donné la moindre raison à ce silence qu'ils avaient gardé et comptaient visiblement garder encore ce vendredi.
Lorsque Jungkook arriva au café, l'ambiance était moins tendue que la veille mais il sentait malgré tout une certaine anxiété émaner de chacun de ses collègues et plus particulièrement de Hoseok. Ses cernes ne trompaient pas : il avait passé une mauvaise nuit lui aussi et n'avait pas même pris la peine de mettre un peu de maquillage.
Jungkook put par chance penser un peu à autre chose : le café était bien rempli et cela lui permit de ne pas avoir à se soucier des interactions ou des performances. Les clients n'étaient pas là pour ça et le rythme était trop soutenu pour qu'il puisse se permettre la moindre pause en dehors d'une performance qui serait explicitement réclamée par un client.
Performer, d'ailleurs, serait sans doute difficile ces temps-ci...
Une fois son premier service terminé, Jungkook s'éclipsa en salle de repos où il s'assit dans un soupir. Il se frotta les tempes, les yeux clos, et alla chercher son téléphone dans son casier. Pas de nouveau message.
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Ce fut après de nombreuses sonneries ignorées que Yoongi se décida finalement à décrocher. Il activa le haut-parleur et abandonna son téléphone sur la table de la cuisine tandis qu'il continuait de préparer le dîner.
« Hyung ? Allô ? demanda avec incertitude la voix qui s'échappait de son portable.
- Hey, Chim, comment tu vas ?
- Je suis soulagé de t'entendre, soupira Jimin visiblement heureux de pouvoir lui parler. Comment tu vas ?
- Bien et toi ?
- Ça va, ça va.
- Désolé de pas être venu, ces deux derniers jours. Je pourrai pas rattraper autant d'heures, t'embête pas à te casser la tête pour moi.
- Je vois... pour l'instant c'est pas l'important : tu vas bien, toi ?
- Ouais, ouais ça va. Vous avez vraiment pas à vous inquiéter pour moi, je vous assure.
- T'avoueras que c'est quand même difficile à croire quand on sait que tu ne nous as pas adressé la parole depuis deux jours. »
Plus que de l'amertume ou du reproche, c'était avant tout de la peine que Yoongi pouvait entendre dans la voix de son cadet. C'était pour ça qu'il n'avait pas voulu les contacter : il avait honte et se sentait coupable de ce soudain coup de sang qui l'avait poussé à s'énerver sur son meilleur ami. Son amant.
Ça avait été la goutte qui avait fait déborder le vase qu'il remplissait de ses frustrations depuis de trop longues années, il avait complètement explosé, lui-même n'avait pas été en mesure de contrôler quoi que ce soit. La colère était devenue tout à coup si forte qu'il lui avait fallu l'exprimer d'une manière ou d'une autre et par malheur c'était tombé sur Hoseok.
« Il m'en veut pas ? l'interrogea Yoongi d'un ton craintif.
- Il s'en veut avant tout à lui-même.
- J'ai fini par comprendre qu'il a fait ça pour mon bien.
- Non, hyung, il s'en veut de n'avoir pas compris tes sentiments. Il a l'impression d'avoir joué avec ton cœur et d'avoir profité de ta naïveté.
- Mes décisions ne sont pas toujours les meilleures mais même si je les sais stupides, je suis assez mature pour les assumer. J'ai voulu coucher avec lui, affirma Yoongi, et si je l'ai fait pendant deux ans c'est parce que j'aimais ça.
- C'est à lui que tu devrais le dire, soupira Jimin d'une voix attristée.
- J'en ai conscience... mais ça me fait peur. Je pensais ne jamais lui dire ça, c'est sorti tout seul, je comptais pas lui avouer que je l'aimais. Je flippe d'être face à lui. J'ai aussi essayé de lui envoyer un message mais chaque fois je trouvais que mes phrases sonnaient mal, que ça semblait ridicule, alors je les effaçais les uns après les autres jusqu'à finalement décider que je tenterais de nouveau plus tard. Mais c'est toujours pareil. J'arrive pas à trouver les mots justes.
- Les mots justes, ce sont ceux du cœur.
- Ça doit être pour ça que je trouve pas les mots justes... comment faire parler mon cœur quand ça fait des années que je l'oblige à se taire ?
- Hyung...
- J'ai pas encore ni le courage ni les mots pour aller m'expliquer avec lui, mais s'il te plaît, Chim, tu pourrais lui dire que j'ai réfléchi et que je m'excuse de m'être autant énervé contre lui ? Et... dis-lui aussi qu'il n'a pas à se blâmer pour mes sentiments. J'ai toujours été assez grand pour savoir ce que je voulais. Tout ça c'est moi qui l'ai souhaité, j'ai toujours été d'accord.
- Je vois... »
Yoongi se concentra sur le riz qui cuisait paisiblement avant qu'une nouvelle question ne lui traverse l'esprit.
« Je... Quand je suis parti hier matin j'ai vu que Hueningkai allait pas bien, balbutia-t-il. C'est de ma faute, hein ?
- Il a paniqué, oui, mais il s'est rapidement calmé, t'en fais pas. Il gère de mieux en mieux, je suis vraiment fier de lui.
- J'irai m'excuser auprès de lui, je voulais pas qu'il soit témoin de ça, j'ai vraiment rien contrôlé...
- T'inquiète, il en est conscient. Tu sais bien que c'est pas toi qui l'as effrayé, c'est ce qui lui est revenu.
- Et ça lui est revenu par ma faute.
- Il ne t'en veut pas, mais n'hésite pas à aller lui parler, lui aussi il s'inquiète beaucoup pour toi.
- Ouais, je ferai ça. Il a demandé à te voir ?
- Oui, Jungkook me l'a amené. Mais je t'assure qu'il t'en veut pas.
- Je suis désolé...
- Je t'ai dit qu'il est pas resté longtemps, le rassura Jimin, ce qui l'a le plus secoué c'est que ce soit vous deux qui vous disputiez je pense. Il a eu peur mais c'est rapidement passé.
- C'est déjà ça. Je ferai plus attention à l'avenir, je te jure. Ce gosse il a déjà tellement encaissé...
- T'en fais pas pour lui. »
Yoongi acquiesça en silence malgré le fait que Jimin ne puisse pas le voir. Hueningkai, lorsqu'il était arrivé au café, était quelqu'un de beaucoup plus craintif. Le jeune performeur s'en rappelait parfaitement : à l'époque le petit serveur paniquait dès qu'il recevait la moindre remarque, effrayé à l'idée d'être puni. Effrayé à l'idée d'être battu.
Car chaque fois il avait ce réflexe de lever les bras devant lui pour parer d'éventuels coups qui avaient plu jadis et qui l'avaient conditionné à ce réflexe de défense désolant, preuve du profond traumatisme qu'il avait subi. C'était une période que Yoongi n'oublierait jamais, horrifié qu'il avait été de voir ce garçon à peine adolescent paniquer de façon si violente.
Yoongi en effet avait eu le cœur brisé lorsque, quelques jours après l'arrivée de Hueningkai, il avait donné à ce dernier un simple conseil qui avait provoqué chez le jeune garçon une véritable crise de panique. Larmes, respiration haletante, le petit serveur s'était excusé à plusieurs reprises de ses erreurs et avait promis de ne plus jamais les refaire. Yoongi n'avait pas su gérer la situation, il avait tenté vainement de le réconforter avant d'aller chercher du secours. Jimin était resté avec Hueningkai de longues heures pour le rassurer et lui expliquer qu'ici jamais personne ne frapperait personne. Il avait trouvé un refuge, un endroit où il était en sécurité.
Avec le temps, Yoongi avait vu ce serveur craintif s'ouvrir et évoluer. Il l'avait vu guérir. Hueningkai était capable d'entendre aussi bien les conseils que les reproches, il avait conscience qu'ici il n'avait plus rien à craindre. Il avait trouvé en cette petite équipe de véritables frères capables de le soutenir en toutes circonstances. Il avait retrouvé confiance en autrui grâce à eux et avait finalement réussi à se libérer progressivement des fantômes du passé.
Même s'il s'effrayait encore face à un client mécontent, même s'il se crispait dès lors que quelqu'un s'énervait, il réussissait à se contenir et à évacuer ses émotions négatives en se rappelant le discours tenu par Jimin. Un regard en direction de ses collègues lui suffisait à se détendre et à se souvenir du fait qu'il n'était plus seul face à son bourreau.
C'était pour cette raison que Yoongi s'en voulait profondément de s'être montré violent et empli de colère. Comment Hueningkai était-il supposé se sentir en sécurité et comme chez lui dans un lieu où de telles choses pouvaient arriver ? Il avait la sensation que par sa faute tous les efforts de Jimin avaient volé en éclats. C'était pour cette raison qu'il se sentait à ce point coupable. Il voulait protéger son cadet, plus que tout il voulait le protéger.
La plupart des employés du Boy's love Café étaient des garçons qui avaient connu des événements traumatisants et profondément douloureux. Yoongi était l'aîné, il voulait être pour eux comme un véritable hyung, quelqu'un sur qui ils pouvaient se reposer et compter dans les moments difficiles. Il savait ce qu'était la souffrance, il devait faire en sorte que ces garçons qu'il aimait comme ses frères n'aient plus à subir la moindre douleur.
« Tu me connais, soupira Yoongi après un court silence, je m'en ferai toujours pour lui. C'est comme ça.
- Tu sais, c'est pas parce que t'es né avant que ça fait de toi quelqu'un qui n'a pas le droit à l'erreur. Être l'aîné ne t'interdit pas de faire des erreurs, ça ne t'oblige pas non plus à porter seul le poids du monde sur tes épaules. On est là pour toi, hyung, tout comme tu l'as toujours été pour nous. T'as le droit de te reposer sur nous.
- Et toi ?
- Comment ça ? s'enquit Jimin qui ne s'attendait pas à ça.
- Je suis discret mais pas aveugle. Il n'y a que quelqu'un qui connaisse parfaitement la douleur qui puisse la lire directement et si précisément dans le regard des autres. On s'est tous confiés les uns aux autres, même Jungkook a fini par nous dire ce qui l'avait blessé. Mais toi, Jimin, pourquoi est-ce que tu refuses de te reposer sur nous ? Je te demande pas de me dire ce qui a pu t'arriver, mais... tu nous aides à dépasser nos traumatismes, alors pourquoi tu nous laisses pas t'aider à dépasser le tien ? »
Un long silence s'ensuivit. Yoongi avait vu son cadet boiter plus d'une fois. Il avait alors remarqué dans son regard toute la souffrance qu'il terrait et qu'il avait toujours cherché à leur dissimuler. Une fois de plus cependant, les yeux parlaient plus que les mots. Il y avait des choses qui ne pourraient pas toujours rester cachées.
Jimin n'avait pas ouvert le Boy's love Café uniquement dans l'espoir d'en faire un refuge pour les autres, il l'avait également créé dans l'espoir de se construire un refuge pour lui-même. Pour Yoongi c'était une évidence, mais restait encore à savoir ce qui avait poussé Jimin à ressentir un tel besoin de se protéger et de se construire un rempart contre le monde extérieur.
Parce qu'à chaque entretien d'embauche, c'était avant tout ça qu'il recherchait chez ses futurs employés. Il voulait sauver des garçons détruits, et c'était à leur regard qu'il les choisissait, parce qu'un regard ne trompait jamais celui qui savait lire à travers. Un regard ne pouvait pas mentir. Celui de Jimin en tous cas ne mentait pas. Il cherchait à s'entourer de garçons sincères et brisés pour leur apporter tout le soutien auquel lui n'avait jamais eu droit. Il cherchait à s'entourer de garçons comme lui, tout simplement.
Mais pourquoi en avait-il besoin, de ce soutien ?
Et quand Jimin laisserait-il ses amis le lui apporter ? Quelle déchirure son être avait-il pu connaître pour que son âme en ait été à ce point affectée ? Qui était-il ? Qui avait-il été ? Était-il toujours le même que jadis ? C'était là des questions que Yoongi s'était longuement posées mais auxquelles il n'avait jamais eu de réponse.
Le silence se prolongea encore quelques instants avant qu'un soupir ne le brise.
« J'ai encore besoin de travailler sur moi-même avant d'en parler, expliqua Jimin. Un jour je vous expliquerai, pour lors ce n'est pas de ça dont j'ai besoin pour guérir.
- Est-ce que je peux te croire ?
- Oui, je vais bien, hyung, t'inquiète pas pour moi. Vous avoir tous auprès de moi est ce qui me rend le plus heureux. Je me sens bien avec vous tous. Vous êtes ma famille. Tu peux me faire confiance.
- D'accord. Ça marche. Mais tu nous connais, tu pourras toujours nous le dire si un jour ça devient trop difficile à supporter.
- Oui, j'en ai bien conscience, merci hyung, ça me touche que tu t'inquiètes.
- C'est normal, sourit Yoongi avec douceur tandis qu'il égouttait son riz.
- Mais pour en revenir au sujet principal de cet appel, nous aussi on s'inquiète. T'avais jamais raté un jour de boulot, hyung, même malade tu venais travailler, même... même au bord du malaise tu venais travailler. Je comprends bien que tu sois mal à l'aise avec ce qui s'est passé hier matin mais... o-on commence tous à se demander si tu vas revenir au café. »
Yoongi cessa ce qu'il était en train de faire. Immobile, il s'appuya sur le plan de travail de sa petite cuisine en poussant un profond soupir. Il sentait son cœur battre de plus en plus fort. C'était douloureux en même temps que c'était agréable.
« Yunhee ne changera pas d'avis, déclara-t-il donc, elle tient absolument à aller dans une fac beaucoup moins chère. Alors... avec toutes les économies que j'ai faites, j'ai largement de quoi lui payer son année et ça ne sera pas difficile de réunir de quoi lui payer les suivantes, c'est presque une somme dérisoire pour nous.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Je vais continuer de travailler de nuit, annonça Yoongi, de cette manière j'aurai encore un salaire le temps d'obtenir une réponse parce que... j-j'ai... j'ai candidaté pour la formation en maison d'édition. Je quitte le café. »
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