Je sais que ce soir elle a entraînement de gym alors elle ne pourra me répondre qu'à partir de 20h. J'attends donc patiemment sur mon lit que mon écran s'allume. Quand je vous disais que mes journées étaient rythmées par ses messages, ce n'était pas une blague.

20h20 et toujours rien. Je m'impatiente et hésite à lui envoyer le premier message, mais je sais pertinemment qu'il ne faut pas trop la jouer pot de colle alors j'attends, encore.

Appel de Cassie

Je sursaute quand j'entends le son de ma sonnerie. Je suis vraiment surprise puisque l'on ne m'appelle quasiment jamais. Je regarde, pétrifiée, l'écran de mon portable qui affiche en gros "Cassie". Oh non.  Pourquoi m'appelle-t-elle ? Pourquoi tout gâcher maintenant ? On avait dit juste des SMS.

Je ne peux pas répondre, mais si je ne décroche pas, elle finira par se douter de quelque chose. Mon cœur se serre, mon ventre se noue et mes mains deviennent moites.

Je regrette alors tout ce que j'ai fait pour être dans cette situation. Pourquoi j'ai fait tout ça ? Je n'aurais jamais dû lui donner mon numéro, je n'aurais même pas dû jouer à ce jeu à la con. Je fais les cents pas dans ma chambre quand la sonnerie de mon téléphone s'éteint enfin.

Cassie
Tu dois être occupé mais rappelle-moi, c'est important.

Je ne réponds pas tout de suite car je sais pertinemment qu'à partir du moment où je lui enverrai ce message, je serais dans un bourbier pas possible. Et si jamais il lui était arrivé quelque chose et que c'était réellement important ?  Heureusement pour moi, ma mère prend la décision à ma place et m'appelle pour manger, ce qui me permet de m'écarter de cette situation en laissant mon portable bien loin de moi.

Max
Désolé, je mangeais.

Max
Je ne suis pas très à l'aise au téléphone mais je t'écoute.

Cassie
Je dois vraiment t'appeler s'il te plait.

Je suis une très bonne menteuse mais là je manque d'argument pour repousser cet appel alors je réfléchis.

Mon portable se met alors à sonner de nouveau, comme tout à l'heure. Une nouvelle fois, je ne décroche pas et attends que ça raccroche tout seul.

Cassie
Max, je t'aime beaucoup mais t'es tellement mystérieux que j'ai besoin d'avoir des réponses sur certaines choses. J'ai parlé de toi à des amies et je me suis rendue compte que je connaissais que très peu de choses sur toi.

Cassie
Je ne sais même pas à quoi tu ressembles, ça se trouve tu t'appelles Jean-Michel et tu as 43 ans. L'appel, c'est juste une nouvelle étape pour découvrir quelque chose de toi. C'est pas grand-chose, je veux juste entendre ta voix.

Pour elle ce n'est pas grand-chose, pour moi c'est juste la fin si elle m'entend.

Max
Je ne peux pas t'appeler.

Cassie
Pourquoi ? T'as peur ? Je sais que ce n'est pas ton truc mais je te promets que ça ira.

Max
Si je réponds à ton appel, tu ne voudras plus jamais me parler et ça me tuerait parce qu'en ce moment je n'ai que toi.

Cassie
Donc tu t'appelles Jean-Christophe et t'as 59 ans ?

Max
Mais non quand-même pas mdrr.

Cassie
Alors répond stp.

Cassie
Tu me dois des explications.

Mon portable sonne de nouveau, et cette fois, j'ai la forte impression que je ne pourrais pas y échapper. Je prends mon courage à deux mains et j'appuie sur le petit téléphone vert qui s'affiche sur l'écran. Au bout du fil, aucun son, alors je me lance.

-       Salut.

Aucune réponse, aucun bruit. Les secondes s'écoulent longuement et je me sens plus seule que jamais. Cassie finit par raccrocher sans rien dire. J'attends patiemment un message de sa part mais je ne reçois rien. C'était prévisible, et pourtant, au plus profond de moi, j'espérais qu'on pourrait au moins en parler, que je pourrais m'expliquer. Je viens de la perdre.

Au fond de mon lit, la musique à fond dans mes oreilles, les larmes coulent le long de mes joues. Je mérite totalement ce qu'il m'arrive, c'est juste que c'est dur de savoir que je ne pourrais plus lui parler. Elle ne le sait pas mais elle m'a sauvé. Les ténèbres m'ont toujours menacés, mais ces derniers mois, elle m'éclairait. Cette fille, c'était ma lumière, mon rayon de soleil. Et j'ai tout gâché.

Comment lui expliquer que je suis Max, un gentil garçon coincé dans le corps de Maxine. Un corps que je déteste, que je hais au plus au point. Comment lui dire que je suis destinée à vivre comme ça jusqu'à la fin de ma vie. Comment lui dire que je n'étais pas censée tomber amoureuse.

J'ai tellement de choses à lui dire, à lui montrer, mais elle n'est plus là.

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Max
Je suis désolée Cassie.

Max
Je m'appelle Maxine et je n'étais pas censée m'attacher autant à quelqu'un. J'aimerais vraiment tout t'expliquer mais il faut que tu me laisses une chance. Je veux juste pouvoir t'expliquer. Je sais que tu ne me pardonneras sûrement pas mais au moins tu sauras.

Ce sont les derniers messages de notre conversation et ça fait une semaine que je les ai envoyé. Je n'ai eu aucune réponse depuis. Elle me manque énormément, et pour la première fois, je sens un réel vide en moi. Je n'ai jamais vu cette fille, donc ça peut paraître fou, mais j'ai de vrais sentiments pour elle. Le soir, toutes mes pensées sont pour elle, mon cœur s'emballe à chaque message. Je n'ai jamais ressenti ce genre de choses auparavant et, à en croire les nombreuses séries que je regarde, il n'y a qu'une signification à cela. Je l'aime. Je l'aime sans avoir pu l'approcher, ni la toucher mais je l'aime dans sa façon de me parler, de se préoccuper de moi. J'aurais aimé avoir ma chance mais je savais que c'était couru d'avance. Le mensonge, ce n'est jamais bon dans une relation, qu'elle soit amicale ou amoureuse.

Plus le temps passe et plus elle risque de m'oublier. Moi, plus le temps passe et plus je pense à elle, plus elle me manque. Je n'ai jamais été la fille courageuse, à prendre des risques. Mais dans cette situation, je n'ai plus vraiment grand-chose à perdre, alors je me décide à tenter le tout pour le tout.

Max
Tu ne répondras sûrement pas à ce message, mais je dois t'expliquer pourquoi tout ça est arrivé. Au lycée et sur les réseaux sociaux, tout le monde parlait de "NewLife" alors j'ai voulu essayer. Je ne comptais pas y rejouer, seulement une fois, pour voir. Alors j'ai créé un avatar masculin parce que c'est ce qui me correspond le plus au fond, et que pour une fois, je pouvais être qui je voulais : être un garçon. Ensuite t'es arrivée comme une fleur et tu as tout chamboulé. J'aimais beaucoup te parler, ça me faisait du bien, et forcément avec mon avatar t'en as déduit que j'étais un mec alors je n'ai pas osé dire le contraire. Pour que tu continues à me parler. Je ne pensais vraiment pas que je m'attacherais autant et qu'on finirait par parler en dehors du jeu. Je sais que j'aurais dû tout te dire avant, mais j'ai finis par développer des sentiments pour toi et j'avais peur de te perdre si t'apprenais la vérité. Maintenant je m'en rends compte maintenant que c'était bête parce que t'aurais fini par apprendre la vérité quoi qu'il arrive. Je suis désolée pour tout et j'espère que tu me pardonneras.

Au moins à ce stade, j'aurais tout fais pour me rattraper.

Les jours passent encore et je n'ai toujours aucune nouvelle. Je sais très bien qu'à ce stade, il n'y a plus rien à espérer, mais il ne me reste plus que ça, de l'espoir.

En plus de ça, Alexia a décidé que, maintenant, elle ne se contenterait plus de prendre mon dessert. Non, maintenant elle me bouscule tous les jours, retire ma chaise quand je veux m'assoir ou colle des chewing-gums sur ma chaise. Aujourd'hui, j'en ai marre, et je vais me venger. Je vais l'humilier comme elle le fait tous les jours depuis le début de l'année. Je vais lui montrer ce que ça fait d'être le souffre-douleur.

Je l'ai croisé dans les escaliers pour aller à notre premier cours, et cette fois, c'est moi qui l'ai bousculé. Elle ne s'y attendait tellement pas qu'elle s'est cassée la gueule devant tout le monde. Elle m'a insulté de tous les noms, mais grâce aux rires des élèves autours de nous, je n'ai pas vraiment entendu et je suis repartie comme si de rien n'était.

Ensuite, pendant notre cours de maths, j'ai retiré sa chaise juste avant qu'elle s'assoie. Sa chute était exceptionnelle. Mais cette fois, ça n'a vraiment pas plu à madame, alors elle s'est jetée sur moi. C'est pour ça je suis actuellement à l'infirmerie avec un beau cocard au niveau de mon œil droit. Je ne suis pas vraiment une bagarreuse, je n'aurais jamais pensé qu'un jour je me battrais, alors que pour Alexia, on sait très bien que ce n'est pas sa première fois. Elle m'a tapé tellement fort que je ne pouvais que me protéger avec mes bras. Je n'imagine même pas la tête de ma mère quand elle va voir mon visage boursouflé. 

L'heure de la fin de mon calvaire sonne enfin et je m'empresse de sortir du lycée par peur des représailles. Une petite foule s'est déjà formée devant le bâtiment, mais je suis préoccupée par une blonde qui est posée devant les barrières à attendre. Sans m'en rendre compte, je suis debout, figée, à regarder cette fille. Elle me regarde aussi, et c'est là que je comprends. J'ai déjà vu cette fille quelque part, sur Instagram. Cassie. Un sourire se dessine automatiquement sur mon visage. Je ne réalise pas, elle est là, à quelques mètres. J'aimerais courir la rejoindre mais mon corps ne réagit plus.

Finalement c'est elle qui vient à ma rencontre.

-       Salut, dit-elle tout sourire.

-       Salut, réponds-je timidement.

Elle passe sa main sur ma joue en fronçant les sourcils.

-       Je ne savais pas que tu étais une bagarreuse.

-       Je ne le suis pas d'habitude mais c'était trop, il fallait que je me défende.

-       Je pense que ça te donne un côté sexy.

Je ris nerveusement ne savant pas où me mettre.

-       Pourquoi tu es ici ? Je pensais qu'on ne se parlerait plus jamais, demandé-je.

-       On pourrait aller autre part ? Un endroit avec moins de monde ?

-       Tu comptes me kidnapper ?

Elle rit et je découvre enfin son magnifique sourire. Je tombe définitivement sous son charme.

Je l'emmène alors dans un petit parc juste à côté du lycée. Je préviens au passage ma mère. Évidemment, je ne lui dis pas la vérité, elle poserait beaucoup trop de questions. Je préfère lui dire que je finis plus tard, en espérant qu'elle me croit.

Assise sur un banc, l'une à côté de l'autre, je peine à la regarder dans les yeux. Cette fille aux allures si douce me rend nerveuse. J'ai peur de dire des bêtises ou de faire quelque chose de mal.

-       Je t'en ai beaucoup voulu tu sais.

-       Je suis désolée.

-       Je vais t'expliquer pourquoi je suis ici mais tu dois me laisser parler ok ?

J'acquiesce et l'invite à continuer.

-       Je comptais ne plus te parler du tout parce que tu m'as menti sur quelque chose que je pense être important. Tu m'as blessé et je pensais que c'était mieux pour moi qu'on arrête de se parler.

Je baisse la tête honteuse.

-       Mais quand j'ai lu ton message, j'ai compris que ce n'était pas méchant et que tu n'as pas voulu me faire du mal. Je suis tombée sous le charme de Max, parce que j'aime les garçons. En tout cas je le pensais.

Je relève la tête instinctivement et la regarde dans les yeux.

-       Je veux apprendre à te connaître. Je veux qu'avec moi, tu sois toi-même. Tu peux être Max ou Maxine, peu importe, tant que tu te sens bien.

-       Alors j'ai le droit d'être Max ?

-       Tu es Max au plus profond de toi, tu l'as sûrement toujours été. Malheureusement tu as un corps aux attributs féminins et la société te genre ainsi. Mais si un jour tu as le courage, tu pourras révéler au monde qui tu es. En attendant, avec moi, tu es Max.

Je remarque que des larmes coulent le long de mes joues lorsqu'elle vient les essuyer avec délicatesse. Son visage est si proche de moi, je sens son souffle, son parfum. Je n'ai jamais embrassé quelqu'un, mais pour une fois, je sens cette envie, ce désir. Celui d'avoir ses lèvres contre les miennes, de sentir tout mon corps frissonner. Si seulement j'avais le courage, si seulement j'étais Max.

Poussé par un élan de bravoure, je dépose un léger baiser sur ses lèvres douces et fruitées, sûrement à cause de son baume à lèvre. Par son regard, je comprends alors qu'elle attendait ce geste depuis un moment. Et c'est avec ce tendre baiser que je suis né, moi, Max.

Fin.