Chapitre 7

Samedi 13 novembre

– Maman ! Tu es revenue ? Ne me quitte plus, reste avec moi, je t'aime maman.

Je courus vers elle et me blottis dans ses bras. Je retrouvai l'endroit le plus chaleureux du monde. Ainsi, mes souvenirs commencèrent à jaillir, la cuisine, le ménage, les études, tout, avec une voix angélique pour m'encourager en permanence.

Je lui souris, elle se trouvait là, debout devant moi, depuis le temps que je l'attendais, elle est là. Je tendis ma main vers sa joue. Son sourire se montra encore.

– Je suis désolée, sois fort mon petit Kazune.

Elle devint transparente et commença à disparaître.

– Ne pars pas ! Maman !

Même dans un rêve, elle me laissait seul dans une vie sombre, noire, sans vie.

Lentement, j'ouvris mes yeux. Ce lieu était différent, d'un blanc vif, d'une odeur désinfectée. Je sentais mes membres fourbus, mon corps immobile et mes larmes humides. Avais-je pleuré pendant mon sommeil ? Je mis toutes mes forces pour les essuyer.

Inquiet, je commençais à regarder autour de moi. Les rideaux, les machines, le lit : J'étais à l'hôpital. Je me sentis bien plus léger, mes souvenirs allaient rester enfouis, et personne ne pourrait en prendre conscience.

Devant moi, Black était endormie, ses bras cachaient son visage Je ne pouvais pas non plus bouger, de peur qu'elle ne se réveille.

– Je suis réveillée, dit-elle.

Étonné, je pouffai.

– D'accord, répondis-je.

– Vous avez l'air heureux, fit-elle remarquer.

Encore un vouvoiement, elle n'allait donc pas changer...

Réfléchissant un moment à ses paroles, je compris sa remarque. Je n'y pensais plus mais, le jour précédent, j'avais été assommé avant de m'évanouir devant des filles qui me prenaient pour quelqu'un pitoyable.

J'avais côtoyé des continuelles horreurs, entre ces idiotes et le terminale imposant, je ne voyais que des mauvais souvenirs. C'est ainsi que je me souvins des maux qui foudroyaient mon corps.

– Dai va bien ? demandais-je. Et toi, tu n'es pas blessée ?

Elle me fixa un instant avant de répondre. Ii lui arrivait souvent de me gêner, qu'elle s'en rende compte ou non.

– Dai est rentré chez lui, ses parents sont venus le chercher dès qu'ils ont entendu la nouvelle.

Elle conclut ainsi sa réponse et n'ajouta rien. D'un côté elle me rassura un peu : savoir que mon ami allait être en lieu sûr m'apaisait. En revanche, le fait qu'elle ne me dise rien à son propos m'inquiétait.

Il était clair qu'elle aussi avait subi des dommages lors de l'incident. Surtout, l'élève de terminale était initialement censé venir pour la frapper elle. Je ne la culpabilisais pas, mais penser qu'elle se sentait intérieurement totalement sereine me paraissait impossible.

– Et toi, tu vas bien ?

Elle parut surprise. Quand je me mis à sa place, je compris assez rapidement. Je parlais à une fille de nature introvertie. Voir quelqu'un demander de ses nouvelles ne devait pas être commun. De plus, elle se sentait certainement coupable et ne voulait pas aggraver les choses.

– Je vais bien, affirma-t-elle.

Je m'étais senti tout de même rassuré de ne pas recevoir un « Pourquoi tu veux savoir ? » ou un simple vent. Malgré tout, son expression ne sembla pas pour autant dans une meilleure humeur qu'au moment où je m'étais réveillé.

Je m'approchai d'elle pour caresser sa pommette. Black était vraie, je ne voyais pas un fantôme, je n'hallucinais pas, elle était véritablement à côté de moi. Par réflexe, elle recula.

– Que faites-vous ? demanda-t-elle.

Mes larmes reprirent. Cette fois-ci, elles ne s'arrêtèrent plus, mon interlocutrice devint floue, le paysage entier devint flou, humide.

Sa main me tapota l'épaule. Je sentais sa paume tremblotante, elle essayait de me rassurer mais devait se sentir tout aussi triste pour d'autres raisons. Les gens se montraient bien différemment de leur véritable visage.

– J'ai pensé que peut-être tu n'allais pas vraiment bien, tentais-je.

Elle garda un visage impassible, sans forcément montrer d'émotions. Je me posais des tas de questions. Pourquoi ne me disait-elle rien ? J'étais pourtant persuadé qu'elle avait été aussi blessée que moi.

– En fait..., commença-t-elle.

Au moment même où elle s'ouvrit à moi, mes yeux grandirent. Ils ne la lâchèrent plus et attendirent sa réponse avec impatience.

– Hier, il s'est passé beaucoup de choses...

Black commença alors à raconter les événements. Aya, la fille qui prétendait vouloir mon numéro, ou qu'importe si elle en avait véritablement besoin, cette imbécile avait surgi de nulle part pour frapper autrui. Elle était accompagnée de ses amies et semblait en colère.

La raison paraissait débile, quelqu'un avait pris une photo de moi et de Black un des jours où nous étions ensemble sur la terrasse . Par jalousie, Aya était venue pour déverser du soda sur la discrète fille avant de la frapper et de l'insulter. Celle-ci avait beau l'ignorer, je savais bien qu'au fond elle voulait rendre le coup.

– Mais comment avons-nous fini par nous retrouver ici en sécurité ?

– J'ai entendu leur conversation, j'ai compris que tu avais pris des coups à cause de moi. J'ai donc fait ce que je n'aurais pas dû faire.

– Comment ?

Elle hésita.

– Je les ai frappées, et j'ai fait en sorte que vous puissiez arriver à l'hôpital sans souci.

J'eus peur pendant un moment, Black avait mis à terre bien plus qu'une personne à elle seule. Finalement, je me sentis chanceux d'avoir quelqu'un de bien pour me protéger. Je n'avais à ce moment-là, pas du tout eu envie de devenir une poupée reconnaissante envers une harceleuse.

– Je suis désolée.

– Si tu es désolée, ça te dirait de partir en excursion, ça nous changera les idées.

– Comment ? répondit-elle immédiatement.

– Puisque c'est le week-end, je me suis dit que nous pourrions aller dans une région voisine, ou près de l'océan, qu'en dis-tu ?

Elle ne semblait pas refuser ma proposition, mais son esprit devait penser à beaucoup de choses : budget, temps, famille et probablement d'autres détails qui pourraient empêcher ses envies.

– Mais vous êtes blessé, dit-elle.

Tenter de changer de sujet pour éviter la principale et tourner en rond était ma spécialité, il fut donc difficile pour elle de me battre à mon propre jeu.

– Je pourrais y aller dans tous les cas, et toi ?

Elle resta indécise. Cependant, ce qui m'inquiétait le plus venait de moi-même. Je me demandai intérieurement si la raison pour laquelle Black hésitait, était moi. Si on avait pensé aux derniers évènements, aurait-elle toujours pensé que j'étais blessé à cause d'elle ?

Je la pris dans mes bras pour la rassurer.

– Juste viens avec moi, entre amis.

– D'accord, céda-t-elle. Je vais prévenir mes parents.

Elle alla prendre son sac et en sortit un vieux téléphone. Cherchant le numéro, elle sembla inquiète.

– Allo, oui père, je serai absente jusqu'à demain, je serai de retour avant le soir.

Elle raccrocha si vite que je ne fus pas sûr de la voir écouter la réponse de celui qu'elle avait appelé.

– En revanche, je choisis la destination.

J'eus un doute, voulait-elle me proposer un lieu pour ne pas devoir trop payer ou avait-elle vraiment une envie particulière ? Quelle que soit la raison, j'avais vraiment envie d'aller à Tokyo, voir la tour, aller à la plage, regarder les magasins, je voulais le faire avec elle.

Elle sortit son téléphone et commença à regarder des hôtels sur un site d'offres à bas prix. Sans réfléchir, je pris sa main et posai l'écran de son téléphone contre le lit.

– Ne t'inquiète pas, je vais payer, je te demande déjà trop en te demandant de venir.

Elle sembla soudainement perdre son sang-froid.

– Je peux payer moi-même, c'est vous qui avez déjà trop fait, vous sympathisez avec moi, vous me proposez de voyager avec vous et en plus vous êtes blessé par ma faute. Je ne suis pas si pitoyable que ça, j'espère.

Je me sentis immédiatement blessé, je n'avais jamais voulu la rabaisser, et je ne pensais pas que ce que j'avais fait était suffisant. Mais si je lui disais être reconnaissant pour avoir été mon amie et m'avoir sorti d'un abîme profond, elle m'aurait pris pour un idiot.

– Non, juste laisse-moi payer, disons que c'est ton parapluie que je paye avec les intérêts depuis notre première rencontre.

Elle ne répondit pas.

– Est-ce que...

– Laissez tomber, ne partons pas.

Je me sentis mal pour elle. J'étais égoïste, je ne voulais que partir pour me changer les idées, pour m'amuser et me sentir moins mal, alors que cette fille pensait à tout ce qu'il y avait derrière.

Je remontai l'époque, celle où chaque billet comptait pour le mois entier. En ces temps, je n'aurais même pas pris en compte l'idée de sortir de la ville. J'avais trouvé mon père insultant de se montrer avec son argent. Est-ce que Black commençait à avoir les mêmes pensées ?

– J'aimerai qu'on puisse partir sans regarder l'argent, alors laisse-moi faire s'il te plaît.

– On n'a qu'à ne pas partir, ainsi on pourra ne pas penser à l'argent.

Je baissai la tête.

– Ou alors...

Je n'avais pas réfléchi avant de parler.

– Ou alors on part sans argent.

– Comment ?

– On part avec juste un billet de train et on regarde le soleil se lever.

Elle ne répondit pas, elle garda un air silencieux. Cependant, son expression eut un progrès, un visage purement adouci se dessina.

– On pourra...

– C'est bon, allons-y, céda-t-elle. En revanche, comment allez-vous faire pour sortir d'ici ? Vous n'avez aucun représentant légal !

Un représentant légal ? Si mon père en était considéré comme un, il serait déjà venu ou aurait déjà envoyé quelqu'un. Il avait sans doute pensé qu'à l'hôpital, je resterais tranquille. J'ignorai donc sa remarque.

– Qui partirait en voyage sans argent sans passer par la fugue ? formulais-je en souriant, les yeux fermés.

Je ne pris pas le temps de regarder sa réaction de petite fille et attrapai sa main. Je sentais bien mes jambes, elles ne voulaient pas bouger. Elles étaient fatiguées, mortes, et en pleine douleur, mais je m'en moquais bien.

Il y a longtemps, j'ai vécu bien plus de douleurs dans mon enfance, ces blessures n'en représentaient pas même un millième. Je pouvais courir, et Black me suivait. Nous courûmes jusqu'à la ville voisine. Elle n'avait pas beaucoup d'endurance, plutôt mais je pouvais la porter si nécessaire.

Nous continuâmes ainsi pendant toute l'après-midi. Le paysage changea entre les plus petites villes, les allées remplies de restaurants, les grands et les petits magasins, puis l'eau, l'océan, la plage... J'avais faim et soif mais mon corps ne s'en souciait même plus.

À mes yeux la seule chose qu'il y avait était une plage vide de monde, juste pour moi et celle qui m'accompagnait.

– Merci, dis-je, on ira regarder les alentours demain ?

– J'ai...froid, répondit-elle.

Je la fixai un instant avant d'éclater de rire. Je ne m'attendais pas du tout à avoir cette réaction de sa part.

Je lui passai mon manteau.

– Vous êtes convaincu que ça va aller ? demanda-t-elle.

– Non ? répondis-je. Mais, je suis certain que dès que le soleil se lèvera, on pourra tout oublier.

Elle haussa les épaules et sourit.

– Merci à toi aussi, souffla-t-elle en redirigeant son regard vers la mer sombre. C'est joli.

Content, je courus vers une camionnette de vente sur la plage et achetai du soda pour elle et moi-même.

En rigolant, je lui collai la canette froide à la joue. Elle manqua de sauter en arrière et me regarda, perdu entre la surprise et l'euphorie mais se calma assez rapidement. Elle accepta la boisson et nous l'ouvrîmes en même temps.

La nuit fut à son comble, la lune restait encore dans le ciel, et ma montre rapprochait la grande et la petite aiguille à son rythme, minuit arrivait mais nous ne dormîmes pas encore.

– Dis, Kazune Gautier, me fit-elle.

Je trouvais encore plus gênant de la voir prononcer mon nom en entier mais je la laissais faire.

– Oui ? posais-je.

Elle se retourna et posa ses yeux écarlates sur moi.

– Tu m'aimes ?

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