Chapitre 3

 Mardi 9 novembre

Je n'avais pas ma montre, je n'avais rien sur moi. Je ne voyais rien non plus. Je remarquais bien ce moment sombre et ennuyeux d'un lundi soir ou d'un mardi matin . Peu importait le moment, je ne vivais pas le paradis.

Je me sentais stupide d'avoir oublié d'amener un pull.  Portant mon uniforme, je n'avais en aucun cas une version pour le mois de novembre. Je devais forcément mettre quelque chose en dehors ce que j'avais alors oublié. 

Il faisait clairement plus froid que dans mes estimations et dormir à l'extérieur pointait le contraire d'un endroit chaud avec un radiateur. L'argent servait en effet dans ces cas-là.

Mais j'avais aussi mon propre égo, devoir utiliser l'argent de mon père pour rester dans un hôtel quelconque serait lui dire que j'étais bel et bien un incapable. J'avais la nausée des pensées de mon père qui me sous-estimait sans arrêt.

Ma personne ne savait pas où exactement elle avait fini par dormir. Je me sentais en hauteur. Mes yeux n'étaient pas encore habitués au noir, ils essayèrent de déchiffrer leur entourage pendant un moment.

– On est à l'école, souffla quelqu'un dans mon dos.

Je sursautai, terrifié à l'idée qu'on m'avait surpris en train de dormir dehors.

La personne alluma la lampe de son téléphone et je réussis alors à distinguer ses traits.

– La fille du zoo ? m'étonnais-je.

– Que faites-vous dehors, en t-shirt, à cette heure-ci ?

– Quelle heure est-il?

– Tôt le matin, répondit-elle. Mais certainement moins tôt que vous pouvez le croire. Il est 4h26 pour être exacte.

Je fus surpris de savoir que l'heure ne se rapprochait pas autant de minuit que je le croyais. Mais entre-temps, je me posais des centaines de questions. Surtout, que faisait-elle ici ?

Il faisait sombre, je ne la voyais presque pas.

– Pourquoi es-tu là ? demanda-t-elle.

Elle s'approcha d'une barrière. Près d'une délimitation. Etions nous en hauteur ? Certainement sur un toit d'un bâtiment plat, une terrasse. Elle ne mis pas de côté, et préféra profiter de l'air. Contrairement à moi, elle semblait loin de geler. Personne n'aurait froid avec son pull après tout.

– J'aime profiter de l'air du matin et regarder le soleil s'élever dans le ciel, chuchota-t-elle tout bas.

Ses paroles semblaient toujours aussi éphémères que lors de notre première rencontre. La même apparence et le même comportement. Pourtant, je m'étonnais de voir qu'elle ne me demandait rien.

Était-ce classique de voir quelqu'un sur le balcon de l'école aux aurores ?

Je me levai de ma position allongée pour m'asseoir en tailleur. Elle ne se retourna pas et continua à fixer le ciel. Les étoiles étaient-elles vraiment belles ?

Mon père avait construit la maison afin que même dans un jour nuageux, les étoiles restent visibles. Je n'en avais jamais profité.

– Tu vois souvent des gens ici ?

Je crus la voir sourire.

– Je ne suis là que depuis le début de ma scolarité au collège.

Et alors ?

– Je ne peux pas employer le mot « souvent ». En revanche, il faut dire que j'ai rarement vu des gens venir.

Tu viens justement de répondre à ma question, sérieux...

– Quelques couples, quelques déclarations, c'est un endroit plutôt romantique après tout. Mais profiter de l'air ou du paysage, il n'y a jamais eu personne, non.

– Je ne suis là pour aucune de ces raisons, affirmais-je.

– Pourquoi êtes-vous ici dans ce cas ?

Je lui souris, content d'avoir la question que j'attendais puis je me levai. Je la rejoignis alors le bras relâché de l'autre côté de la limite de la terrasse avant de soupirer.

– J'ai eu des problèmes à la maison, j'ai dû dormir dehors.

– Vous auriez pu prendre un pull.

Je ne voulais pas passer pour quelqu'un d'étourdi, je lui dis alors que je n'en avais pas besoin et que je n'avais pas froid. Elle me crut sur parole, ce qui m'arrangea beaucoup.

– Si cela te convient, je te rendrai ton parapluie demain. C'est pratique de te voir dans le collège.

Je lui affirmais cela de manière enthousiaste. Pourtant, je trouvais étrange de remarquer que je ne l'avais jamais vue avant. Il était fort probable qu'elle ne faisait pas partie des élèves de mon âge. En quelle année était-elle née ?

Mon esprit finit par ne pas trop douter et suivit les premières idées. Je conclus tout ainsi, c'était une fille plus jeune qui avait probablement dit avoir vécu au collège depuis seulement son arrivée pour cette raison.

Pas la peine de chercher plus loin.

– Je n'aime pas trop aller en cours. Je reste généralement ici, vous pourrez venir si vous cherchez à me trouver.

– Tu ne viens pas en cours ? demandai-je alors.

– Les enseignants me préviennent quand un contrôle arrive, je viens uniquement quand je dois les faire. Sinon je reste ici, les cours sont inutiles.

– Et tes parents ?

– Ils sont à l'étranger, et puis, j'ai demandé au principal, il a accepté.

– Pourquoi personne d'autre ne peut ?

– J'imagine que mon discours a su le toucher.

– Que lui as-tu dit ?

Elle se retourna alors vers moi, radieuse. Finalement, elle éclata de rire et repoussa ses cheveux en arrière. Elle regarda le soleil qui commençait enfin à se lever puis sourit.

– Je te le dirais peut-être un jour ?

J'acquiesçais et n'insistais pas plus. Elle pouvait bien avoir ses raisons, je n'avais pas toujours à savoir les détails de la vie de chacun, c'était bien inutile.

Nous restâmes alors ensemble ce matin-là, sans discussion. Nous étions allongés sur le sol froid, mais la douce caresse du soleil me réchauffait peu à peu. Je sentis uniquement un moment agréable, rien d'autre.

Je voyais le ciel devenir de plus en plus clair, mon environnement semblait bien plus coloré. La couleur bleu foncé de la nuit restait cependant bien plus jolie.

Finalement, un long moment passa avant que je me mis à regarder d'un œil curieux du haut de la terrasse le « brouhaha » des élèves qui entraient à leur tour dans le collège.

– D'ailleurs, demandais-je à la fille qui avait actuellement les yeux fermés.

– Oui, me dit-elle en enlevant le bras qu'elle avait laissé pour cacher ses yeux exposés au soleil.

– Comment a-t-on passé la grille de l'école ?

Elle ouvrit alors les yeux sans se lever.

– Vous êtes arrivés bien avant moi. Personnellement, j'ai sauté par-dessus le portail.

Je supposais alors avoir fait pareil et ignorais la suite. Je plongeais mon visage dans la cour : à l'heure qu'il était, tout le monde était déjà présent. J'allais devoir rejoindre ma classe sans tarder.

Je vis Dai arriver. Il ne semblait pas vraiment de mauvaise humeur malgré mon père. Il était accompagné de quelques amis. Je me sentis rassuré de le voir en bon état.

– Je vais y aller, on se reverra. Tu ne vas pas en cours n'est-ce pas ?

– Non, probablement une autre fois. En quelle classe êtes-vous ?

Le fait de vouvoyer restait normal, mais en général quand ce n'était pas réciproque ça pouvait être étrange.

– En 9-2.

– D'accord. Je peux vous dire quelque chose avant de vous voir partir ?

– Je reviendrais sans doute, mais vas-y.

Le vent se déchaîna si brusquement que je dus fermer les yeux afin de ne pas recevoir des feuilles ou de la poussière. En les entrouvrant, je voyais la fille regarder dans la direction dans laquelle le vent avait soufflé. Ses cheveux s'envolaient et la jupe de son uniforme semblait suivre l'alizé.

Elle se retourna pour me regarder, le vent effleura son dos. Son cou se pencha sur son épaule gauche avec un sourire éblouissant.

– Personne ne pourra vous manipuler si vous ne vous laissez pas manipuler vous-même.

Curieux, je lui rendis son sourire.

Je ne compris pas immédiatement, mais je l'interprétai sans réfléchir. Arrogant comme je l'avais toujours été, je ne fis que lui assurer d'avoir compris. Si c'était vrai, encore fallait-il regarder mon futur.

- D'accord, soutins-je.

Je partis en lui faisant un « au revoir » de la main.

Les escaliers semblèrent un peu plus longs que d'habitude. Je sentai le besoin d'aller plus vite, probablement pour rejoindre Dai et surtout pour ne pas arriver en retard pour les cours. Ainsi, il était facile de m'entendre arriver, je n'avais pas pris le temps de retenir mes pas et d'avancer doucement.

Je courus pour rejoindre ma classe. Les panneaux que l'on trouvait un peu partout dans les alentours avec écrit « ne pas courir dans les couloirs » pouvaient bien être négligés de temps à autre.

J'arrivais finalement à rejoindre Dai avant le début des cours.

– Tu vas bien ? me demanda-t-il.

Il me fixai de ses yeux rouges. Sa main prit la mienne en la secouant comme pour me réveiller d'un cauchemar. 

– Oui, je m'inquiétais juste pour toi, depuis hier...

Lui, en revanche, ne semblait pas vraiment inquiet.

– Ce n'est rien, tu ferais mieux de retourner dans ta classe, tu risques de rater des cours.

– Mais... insistais-je.

– Je m'inquiète pour toi, que dira ton père si tu rates des cours ? Ne t'inquiète pas, on se verra pendant les pauses. Il y a bien une raison pour laquelle tu n'étais pas chez toi hier soir non ?

Je ne rajoutais alors rien et me soumis. Rien ne passait sans qu'il le sache, Dai m'attendait toujours devant ma maison le matin, ne pas me voir n'était jamais une évidence. Je repartis rejoindre ma classe d'origine en le laissant avec sa bande d'amis.

Contrairement à moi, Dai était capable de devenir ami avec n'importe qui, un talent de socialisation que j'enviais sans arrêt. Je ne pouvais pas toujours affirmer d'être en train d'apprendre de lui, j'étais un enfant pourri gâté qui passait son temps à être jaloux.

Rejoignant à nouveau ma classe, je vis les regards méprisants de mes camarades. Ils savaient qu'ils ne devaient pas me chercher, mais ces derniers ne m'appréciaient pas plus que ça non plus.

Enfin, c'est ce que je croyais.

– Kazune, fit une voix de fille qui approchait depuis la porte du fond de la classe.

C'était une fille d'environ la taille de celle que j'avais vu sur le balcon. Non pas une nouvelle, ni une personne transparente, tout le contraire. Elle avait la personnalité parfaite d'une fille plus ou moins « populaire ». Elle avait un visage que Dai lui-même complimentait toujours, et bien évidemment des cheveux frisés noirs, mi-longs. Mignonne et innocente d'après certains.

Personnellement, je la trouvais énervante et toujours en manque de quelque chose. Je me sentais toujours mal pour ceux qui avaient pris la décision de sortir avec elle. Son uniforme cachait bien ses goûts vestimentaires, mais tout le monde dans la classe avait déjà visité ses réseaux sociaux. Je devais parfois me retenir de l'insulter.

– Tu pourrais me donner ton numéro de téléphone ?

Elle me prit par surprise.

– Pourquoi faire ? répliquai-je.

Les deux filles qui la suivaient semblaient sursauter.

– C'est la culture ? cingla la « populaire » en se retournant vers ses amies.

– Tu as quelque chose contre moi ? ripostais-je.

Elle ne répondit pas.

– C'est une mode c'est ça ? Tous les mecs beaux prennent les gens de haut ainsi ?

– Je vais le prendre comme un compliment.

La fille sembla encore plus énervée.

J'eus ce jour-là beaucoup de chance d'avoir décidé de venir seulement tout près de l'heure de début de cours. Notre professeur arriva et me vit dans une situation délicate. Pour lui, la situation la plus délicate était de se retrouver devant mon père. Il prit alors mon parti sans réfléchir.

– Aya ! Veuillez retourner à votre place s'il vous plaît, le cours va commencer.

Aya frappa légèrement la table, puis tentant de retenir au mieux sa frustration, repartit s'asseoir. On voyait clairement ses traits de colère.

Les cours, les gens autour, aussi énervants qu'ils pouvaient l'être, ma plus grande crainte venait de chez moi. Ma famille. J'espérais que j'oublierais la suite des événements au mieux, souffrir momentanément était largement suffisant non ?

Parfois, pas toujours.

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