J'aime à croire que la vie est comme un ballet infiniment complexe. Qu'il existe une musique qui bat la mesure et dicte chacun de nos mouvements, mais que nous ne pouvons pas l'entendre à moins de savoir tendre l'oreille. Parfois, les violons s'emballent et le piano dégringole, et la vie fait une petite pirouette. Ce sont des instants d'une grâce inexplicable, des soubresauts hors du réel, où soudain tout s'aligne et rien n'est à sa place. Comme si notre cœur pulsait à contretemps.

Aujourd'hui, l'orchestre a joué une symphonie toute particulière pour moi. Au creux de la ville nerveuse, entre le fromage, le poisson et les voitures mal garées, j'ai entendu sa mélodie sublime portée par la harpe de la sagesse. Les notes avaient la couleur des jeunes forêts et des bouches qui viennent d'être embrassées. J'ai écouté attentivement les cordes délicates me souffler leurs secrets, et je me suis surpris à leur en murmurer quelques-uns en retour.

« Tu as vécu de grandes choses, et tu en vivras beaucoup d'autres », m'a dit la sagesse. Je me suis exclamé : « Encore ? », sans parvenir à cacher mon trouble. La sagesse a répondu : « Tu vivras de belles choses. » Ses yeux pétillaient de malice et moi j'avais l'impression d'avoir à nouveau quinze ans.

Je suis reparti l'âme légère. La harpe venait d'entrouvrir ma cage thoracique pour libérer l'oiseau du doute que je gardais prisonnier sans le savoir. Je l'ai regardé s'envoler et rejoindre les canards, les cormorans et les pélicans au-dessus de la rivière furieuse.

Le ciel était gris et le vent impitoyable, mais derrière le tintamarre incessant du vendredi matin, j'entendais résonner la mélodie du monde. Les notes fusaient de partout, dans chaque chapeau trop léger, chaque ticket de caisse égaré, et coloriaient la partition trop vide de cette ville où volent de drôles d'oiseaux. Puis mon pouls a retrouvé la mesure et l'orchestre est parti faire danser d'autres cœurs, ouvrir d'autres cages, ne me laissant qu'avec le souvenir étourdissant d'une pirouette colorée.