L'or
Bouleversements. Hécatombe. Renaissance. Le calme et l'incertitude se disputent mon cœur. J'ai tant de choses à dire, et si peu de mots qui leur rendent justice. Comment parler de la jeunesse éternelle, de la liberté absolue, de la douceur, la lenteur, la chaleur du soleil, le coton et le lin, l'amour silencieux d'un chat, les matins solitaires, les soirs emplis de musique ? Comment décrire cette pelote d'émotions qui fait naître des larmes au coin de mes yeux ? Tout cet or entre mes doigts, qui coule comme du sable, tous ces joyaux qui scintillent et dont je ne sais que faire, ces bijoux que m'offre la vie, comment faire pour ne pas les abîmer, ne pas les perdre, en être digne ? Tous ces miracles auxquels j'assiste – la gourmandise d'une abeille lourde de pollen, la naissance d'une plante dans la terre molle, la course du soleil dans le ciel immense –, comment pourrais-je écrire à leur sujet sans ternir leur beauté ? Quels mots, quels mots choisir pour vous faire ressentir ce que je ressens ? Quelles phrases, quelles allégories, quel rythme, que dois-je faire pour expliquer l'inexplicable, pour démêler ce nœud qui m'étouffe, pour en faire le plus beau des tissages, le plus sublime des textes ?
Chaque paragraphe est une envolée de couleurs, un tableau en mouvement. Quels mots, quelles carnations, quelle métamorphose pour satisfaire vos papilles ? Quelle œuvre, quelle déchirure, selon quel angle dois-je me filmer lorsque je m'arrache le cœur pour que mon sang devienne poésie ? Comment orchestrer cette petite mort ? Comment vous décrire cette torture autrement que par le plaisir que je prends à l'éprouver ?
Il y a tant de choses à dire et je ne trouve aucun mot qui soit assez puissant. Comment vous parler de cette délicieuse douleur, du vert et du rose de Vivaldi, des jours trop chauds et des nuits trop fraîches, de la rosée scintillante, de l'odeur de thé et de sauge ? Comment articuler cette chorégraphie si complexe, cette partition à cent mains, cette pièce injouable, cet opéra pour mille solistes ?
Ce n'est que dans le plus pur silence que l'on peut observer un tel spectacle. Un feu d'artifice qui remplit l'entièreté du ciel, comme si toutes les étoiles venaient d'éclater en même temps. Des météorites qui traversent des arcs-en-ciel aux formes multiples. Une pluie de lumière.
Une goutte tombe sur mes lèvres. Elle a un goût de soufre sur le point d'exploser.
J'ai tellement, tellement de choses à dire, mais je ne fais que balbutier des mots trop barbares pour la tendresse de ce printemps, je me sens comme le fils qui apprend à parler la langue des choses cachées, blessé et démuni. Cet or dans mes mains, dans mes oreilles, dans ma bouche, qu'en faire, qu'en faire ? Comment vous le donner ? Comment ne pas m'étouffer avec ? Il coule dans la sève des arbres, s'insinue dans chaque pierre, se repose entre les pétales des coquelicots, déborde sur les joues des bébés. C'est la couleur des éclats de rire, du miel des prairies, des après-midi à Barcelone. L'or, tout cet or, et rien que des images fugaces pour tenter d'en capturer l'essence. Comment vous expliquer qu'il y a un soleil tout entier à l'intérieur de moi ?
Mon propre corps est trop étroit pour ces choses insensées que je ressens. J'aimerais pouvoir me glisser hors de lui, ramper jusqu'à l'aube, nager dans le sang des dieux. Bouleversements, hécatombe, renaissance, je suis les trois à la fois, je ne cesse de me détruire et de me reconstruire, au rythme des océans et du cœur d'un chat endormi. Je bois l'or du monde à sa source, chaque gorgée me donne cent ans, je ne me suis jamais senti aussi jeune qu'aujourd'hui. Si seulement il m'était possible de vous peindre ce que je vois, si seulement je pouvais vous montrer les couleurs de mes mots, la forme de mes émotions, si seulement je pouvais vous raconter à quoi ressemble la Tornade – si seulement j'arrivais à vous parler ma langue avec vos mots, serais-je enfin capable de vous donner un peu de cet or qui prend trop de place en moi ?
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