CHAPITRE 31

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PARTIE 1 : La réalité frappe

🎵 : exile - Taylor Swift feat Bon Iver

MIKE

Nous déposons Todd, Ernie et Nick au bar irlandais de Boulder le plus connu. Garé devant, nous pouvons entendre la musique clichée et l'odeur de bière mélangée à la sueur. Je rigole en voyant les trois hommes sortir du véhicule et se précipiter à l'intérieur, prenant un air dramatique de gens en manque.

Je roule encore un peu, ma main dans celle d'Andrea, et je dois dire que cela fait du bien d'être de retour dans cette petite ville, même si ce n'est que le temps d'une soirée. Je continue jusqu'à arriver sur le petit parking près du restaurant Pasta Jay's. Nous quittons le véhicule et marchons jusqu'à l'endroit en briques rouges, où nous avons pu avoir une réservation de dernière minute.

Nous sommes installés à une petite table de deux au fond du restaurant, contre le mur. L'environnement est typique, rustique ; les murs sont de briques, les tables sont en bois, couvertes d'une nappe à carreaux rouge et blanche. Rien qu'à l'odeur, on peut sentir les bonnes saveurs italiennes.

Je souris alors qu'Andrea s'installe devant moi, radieuse. Très rapidement, un serveur vient déjà prendre notre commande pour l'apéritif. Nous commandons deux verres de Spritz, afin de marquer un peu le coup.

- C'est notre premier vrai rencard, sourit Andrea. Dehors, comme les couples normaux.

- C'est vrai. C'est à la hauteur de tes attentes ?

- C'est un super restaurant, mais je crois que même un pauvre bar aurait fait l'affaire. Ça me manque trop de sortir.

De toute évidence, je ne suis plus du tout le genre d'homme qui sort s'éclater avec ses amis ou conquêtes. Depuis quelques années, je n'avais ni l'un, ni l'autre. Mais cela fait du bien d'être ici, avec elle.

     - Il faudra que je fasse plus de sorties avec Judith après ça, je dis. On n'en a jamais vraiment fait, tous les deux. Ça me ferait plaisir.

     - Je suis sûre que ça lui ferait plaisir aussi, sourit-elle.

     - Évidemment en ce moment ça serait compliqué. Elle est aussi agréable qu'une porte de prison.

     - Tu lui as montré l'exemple pendant quelques années.

Andrea accompagne ses paroles d'un petit rire que je rejoins.

     - Elle est dans une mauvaise passe, c'est normal pour une adolescente tu sais. Mes frères m'en ont fait voir de toutes les couleurs, avec les peines de coeur et ce genre de choses. C'est de son âge.

     - Je sais, c'est assez déroutant de la voir comme ça. C'est de son âge, mais elle est tellement en avance sur son âge habituellement... c'est perturbant.

     - Ça n'enlève rien à sa maturité. On se sent tous dépassé un jour, avec certains évènements.

La jeune femme ne donne pas d'exemple concret mais je sais qu'elle fait allusion à moi-même, à toutes ces années à me renfermer et à m'enterrer dans quelque chose de passé et inéchangeable. Certaines douleurs sont plus dures à supporter que d'autres, et il est impossible de juger.

Je me passe une main dans mes cheveux bruns bien coiffés.

     - Je parle tout le temps d'elle, je suis désolé, je dis. C'est mon seul sujet de conversation.

     - C'est ton seul enfant, c'est normal.

     - Tu ne parles pas autant de tes frères pourtant.

     - C'est différent. Je les ai élevé, j'ai vécu avec eux mais c'est... juste différent. Et puis on n'a pas vécu les mêmes choses, c'était un train de vie assez calme de mon côté, il n'y avait pas une tragédie au-dessus de nous. Tu aimes Judith et c'est ton seul enfant, c'est normal, elle hausse les épaules. Quand j'aurais mon enfant, je pense que ça sera mon sujet de conversation préféré aussi.

J'observe Andrea quelques instants, silencieux. Elle se tient droite, ses bras sur la table, ses yeux pétillants dans les miens. Elle a mis du rouge à lèvres rouge ce soir, et cela habille son visage juste comme il faut. Elle est très belle, mais je reste buté sur ses mots.

     - Ton enfant ? Je demande. Tu m'avais dit que tu n'en voulais pas.

     - Pendant longtemps j'ai pensé que non, à cause des jumeaux, j'avais déjà donné de ma personne... mais je crois que j'aimerais avoir un ou deux enfants, oui. Je suis dans la trentaine alors, pas tout de suite mais je vais pas non plus tarder tout de même.

Elle termine sa phrase par un petit rire doux, presque gêné. Je ressens également cette gêne lorsque je me lèche les lèvres et réponds :

     - Je ne veux pas d'autres enfants.

Le visage d'Andrea change légèrement, son sourire tombe doucement et elle continue à fixer mes yeux comme pour y lire quelque chose qui lui plairait. Je crois qu'elle ne trouve rien.

     - Vraiment ? Répond-elle.

     - J'ai eu Judith, j'ai eu un enfant, elle me suffit largement.

     - Ce n'est pas une question de suffire, c'est une question de... je ne sais pas. La vie.

     - J'ai 40 ans, je ne me vois pas vraiment retourner aux couches maintenant, je ris un peu jaune.

Ma collègue fronce les sourcils, pas par énervement mais par confusion.

     - Ce n'est pas parce que les choses se sont mal passées avec Judith, que, enfin...

     - Ça va mieux avec Judith, je me défends.

     - Oui, bien-sûr. Mais ce n'est pas parce que ça s'est mal passé avec elle pendant un moment que tu dois te dire que ça serait forcément comme ça si tu avais un autre enfant.

     - Bien-sûr, chaque enfant est différent, chaque relation est différente, je dis et Andrea hoche la tête. Mais c'est que je n'en veux pas. Je ne pense plus avoir le temps, l'énergie. Ce n'est pas comme ça que je vois ma vie dans ces prochaines années.

     - C'est comme ça que je la vois, moi, souffle Andrea.

Cette dernière se redresse un peu dans son siège, se tenant désormais aussi droite qu'un piquet, totalement tendue. L'ambiance du restaurant est toujours aussi chaleureuse, et heureusement qu'il y a un fond musical derrière, car c'est la seule chose agréable qu'il reste actuellement.

Je me pince les lèvres, geste qu'Andrea répète.

     - Ça n'a pas d'importance, je souffle. On n'en est pas là du tout, pas vrai ?

     - Non, on n'en est pas là, mais je ne sais pas si ça vaut le coup de s'investir dans une relation qui est vouée à l'échec parce que nous n'avons pas les mêmes objectifs.

Ses mots sont durs, crus, mais véridiques. Je ressens comme un pic au coeur et fronce les sourcils.

     - Ce n'est pas parce qu'on a des idées différentes qu'on est voués à l'échec, je tente.

     - Un peu ? Je ne vais pas me forcer à ne pas avoir d'enfants, et tu ne vas pas te forcer à en avoir. Ça serait idiot dans les deux cas.

     - Regarde-nous, à avoir une telle conversation alors que nous sommes ensemble depuis... quoi ? Je réfléchis un instant. Un mois ?

     - Plus ou moins.

     - Je ne veux pas penser à des choses si sérieuses maintenant, je me braque.

     - Je ne veux pas d'enfants maintenant non plus, ni pendant cette mission ni même dès qu'on rentrera, je ne suis pas folle, elle soupire. Mais ce n'est pas déroutant d'en parler, surtout au début... Parce que je pense que si c'est clair et net qu'on n'a pas les mêmes principes fondamentaux pour plus tard, on perd notre temps.

Ce rendez-vous prend en quelques instants un tournant que je n'aime pas du tout. Et je ne sais pas ce que je déteste le plus : cette conversation, ce qu'elle implique, mes ressentis, ou le simple fait qu'Andrea a raison. C'est impensable de sacrifier des années de vie alors que dès le départ, nous savons que l'issue n'est pas commune.

     - Pourquoi on parle de ça ? Je répète, froidement. On est ensemble depuis pas longtemps. Et tu m'as dit que tu ne voulais pas d'autres enfants. Qu'est-ce qui a bien pu te faire changer d'avis ?

     - Te rencontrer Mike, défend-elle, désabusée par notre différend. Rencontrer la personne qui m'a donné envie de voir plus loin. Il parait que nos idées changent quand ça a arrive, et j'y croyais pas, mais c'est peut-être vrai. Je me voyais bien dans plusieurs années à avoir mon enfant et me dire qu'il était de toi.

     - Ça fait un mois qu'on est ensemble, Andrea ! Je m'emporte.

     - Et je ne te demande pas de me faire un enfant sur cette table de restaurant, Jésus, souffle t-elle. Ce n'est pas ça que je dis. C'est juste - c'est mon idée de vie. D'ici cinq ans, être mère et un peu moins prise par le travail. Cette mission me fait réaliser que le travail c'est pas la vie. Que j'ai une vie, qu'on a une vie, tu en fais partie maintenant ! Et je sais que je ne voulais pas d'enfants, mais peut-être que maintenant j'en ai envie. J'ai rencontré cette personne qui m'a donné envie et je me disais que peut-être... c'était pareil, pour toi.

Elle finit sa phrase par une douceur qui crie la douleur ; sa voix craque un peu et ses sourcils sont froncés par la peine. Je la regarde un instant, demeure silencieux, soupire, réfléchis.

     - Je ne veux pas d'autres enfants, je dis doucement.

Parce que même si ce n'est pas totalement la vérité, c'est ce que je me suis mis en tête ces dernières années, face à tous mes échecs accumulés. Je ne laisserai pas ça arriver à nouveau.

     - Et je respecte ça, rétorque Andrea. Et je n'ai pas envie de te le reprocher le jour où ça arrivera, de te dire que je pensais que tu en voulais parce qu'on en avait jamais parlés.

     - Ce n'est pas près d'arriver, je reprends.

     - Je sais, je sais, arrête d'agir comme si je te demandais de me faire un bébé là maintenant, sérieusement. Je me tirerais une balle dans la tête si je devais porter la vie lors d'une mission aussi dangereuse.

Je déglutis, me passe à nouveau une main dans les cheveux. J'ai chaud dans mon costume, transpire probablement un peu, je mets ça sur le dos des cuisines qui se trouvent derrière moi, pour ne pas citer cette conversation.

Andrea se tait un instant, voyant que je ne suis pas à l'aise. Je relève les yeux vers elle, je remarque qu'elle se veut compatissante, qu'elle ne me reproche pas mon opinion. Et c'est peut-être encore plus difficile ainsi.

     - Je ne changerai pas d'avis, dit-elle doucement.

     - Moi non plus, je suis catégorique.

Elle essaie de cacher sa déception, mais fait un terrible travail. Et à cet instant, je me dis que notre enfant serait probablement magnifique, avec ses traits fins de visage et mes yeux clairs. Mais je m'interdis cela.

     - Alors... dit-elle doucement.

     - Alors... je souffle.

Nous sommes coupés par le serveur qui vient déposer nos deux grands verres remplis du liquide orange. Nous prenons chacun quelques gorgées bien méritées après un tel échange. Lorsque je pose le verre, je soupire, et Andrea fait de même. Aucun de nous deux n'a envie de sortir la prochaine réplique, de continuer cette conversation qui tournera en rond, ou d'y mettre un terme. Les mots d'Andrea finissent cependant par retentir :

     - Tu n'as jamais oublié ta femme, dit-elle doucement. Dans tout ce que tu fais, dis, vis, tu penses à elle, pour elle, pour ce qu'il te reste d'elle, donc Judith. C'est de ça qu'il s'agit.

Son expression meurtrie combinée à la justesse de ses mots me frappent en plein coeur. J'ouvre la bouche mais rien n'en sort ; et lorsque finalement, je veux parler, je m'arrête en remarquant quelqu'un se tenir à côté de nous, et pense immédiatement au serveur. Je tourne la tête et me fige presque.

Monsieur Tanson se trouve là, les mains dans son jean de ville bien taillé. Il a un polo de marque sur ses épaules, et je vois de loin sa femme et son fils, Josh, assis à une table. La probabilité pour qu'on mange au même endroit, le même soir, était fine. Et il a fallu que cela arrive.

Andrea se raidit, tout comme moi. Elle aborde un sourire crispé, une attitude professionnelle, chose bien complexe après un tel moment. Que nous sommes supposés cacher totalement, comme notre relation est strictement interdite par notre règlement.

     - Bonjour, dit-il poliment. Je ne m'attendais pas à vous croiser ici, je n'étais pas sûr que ce soit vous.

     - C'est bien nous, je réponds.

Car je suis bien doué pour ne montrer aucune émotion. Donc je me charge du rôle.

     - Nous avions envie de sortir, j'explique. Sur notre temps libre. Nous sommes revenus à Boulder pour éviter de croiser des gens qui pouvaient nous reconnaitre.

Jusque-là, c'est la vérité.

     - Vos équipiers ne sont pas avec vous ? S'étonne t-il.

     - Ils ont préférés le bar, sourit Andrea. Tandis qu'ils sont hors service, évidemment.

     - Je vois...

Notre patron laisse planer ses mots, balance son regard entre mes yeux et ceux d'Andrea. Il se tient debout, nous surplombe et c'en est presque aussi gênant que notre dernière conversation.

     - Je suis étonné de vous voir manger tous les deux, note t-il. Vous n'étiez pas l'équipe la plus fusionnelle auparavant.

     - On vit ensemble maintenant, c'est un peu différent, je dis. On s'entend très bien, on sait faire notre travail comme il faut.

     - Avec une robe et du rouge à lèvres ? Il demande.

Je tourne la tête vers Andrea, essayant de lui faire comprendre que c'est à elle de jouer ses cartes sur ce point-là. Elle s'essuie un peu la bouche et se racle la gorge.

     - L'agent Horan et moi avons un passé. Nous essayons de recoller les morceaux, et comme j'ai passé la journée avec lui, j'étais habillée comme ça et je ne me suis pas changée pour sortir manger.

Et même si je n'aime pas cette idée, je sais qu'elle est fausse alors je me dis simplement qu'elle a bien répondu.

     - Pourquoi l'agent Horan n'est pas là ?

     - Il voulait absolument terminer les rapports, je reprends.

     - On lui a proposé, reprend Andrea.

J'appuie ses propos en acquiesçant, tout en regardant Jim. Il arque un sourcil, et hoche lentement la tête. Pendant un court moment, je me dis que nous sommes de piètres menteurs - ironique, pour des détectives - et que nos carrières vont s'envoler. Puis il se met à rire, un rire presque forcé, presque gênant - je le suis et Andrea fait de même.

     - J'ai presque cru que j'allais devoir vous virer, rit-il.

     - Oh, ouais, super drôle, je dis avec un ton un peu plus ironique que prévu.

     - Ça fait plaisir de vous voir après toutes ces semaines, ailleurs que derrière un écran. Est-ce que vous voulez vous joindre à nous ?

     - Oh, non, non, je décline poliment. Nous allons vous laisser diner en famille.

     - Cela nous arrive tous les soirs, aucun soucis, insiste t-il. Ça me ferait plaisir de vous avoir pour parler un peu de cette enquête et de comment ça se passe vraiment.

Je demeure silencieux et ose à peine relever les yeux vers Andrea. Cette dernière se mord l'intérieur de la joue, et j'ai juste envie de partir en courant, tel un gosse lâche.

Ma collègue relève la tête vers notre supérieur commun, aborde un sourire radieux.

     - Ce sera avec plaisir, dit-elle. Vous avez raison de toute manière, nous ne prenions pas spécialement de plaisir à ne diner que tous les deux.

Je me prends ces mots en pleine face et ne peux m'empêcher de me dire que c'est peut-être un peu mérité. Tanson fait un signe aux serveurs pour les informer que nous changeons de table, et la minute suivante, je suis assis à côté de l'ex de ma fille, à la même table que mon patron, encore plus froid que moi-même et en face d'Andrea qui ne me regarde qu'à peine. Son sourire radieux semble presque réel ; et c'est difficile de réaliser qu'il l'est peut-être.

Auprès de Monsieur Tanson en chair et en os, nous sommes confrontés à une dure réalité ; nous ne voulons pas les mêmes chemins de vie, et surtout, nous nous prenons la tête pour une relation qui n'est même pas supposée exister.

Lorsque le secret sera découvert, nous serons virés, probablement mutés dans d'autres juridictions, voire états. Pourquoi s'obstiner à voir si loin, alors que nous savons que le « nous » ne survivra que quelques semaines, tout au plus ?

Ainsi, je passe le diner fidèle à moi-même ; terne et froid.




*

PARTIE 2 : Nouvelle page

🎵 : Atlantis - Seafret

LOUIS

En partant de chez Harry le lendemain matin, mon visage se ferme et mes pensées ternissent. Les situations se sont bien inversées, depuis notre arrivée ici. J'enfonce un peu plus mes mains dans mes poches, ignorant la chaleur écrasante, et marche un peu plus vite.

Je n'ai pas de raison d'être pressé ; je n'ai rien à faire, j'ai toute la vie devant moi. Mais cela en dit probablement long sur moi. Je suis pressé de faire les choses, de les dire ; pressé d'être, de vivre, de trouver comment faire.

Mon téléphone qui vibre dans ma poche me sort de ma rêverie. Le nom qui s'affiche semble tout droit venu d'ailleurs.

     - Salut papa, je dis doucement en apportant l'appareil à mon oreille.

     - Salut mon grand... je viens de sortir du travail. Désolé de ne pas avoir appelé avant. C'est la folie ici...

     - C'est la folie ici aussi.

Surtout ici. Surtout dans ma tête. Mais à quel pouvoir puis-je prétendre, à comparer les situations de la sorte.

Mon père reste silencieux quelques instants au bout du fil. Je l'entends soupirer, je le visualise parfaitement se passer une main dans les cheveux, ou sur sa nuque, signe d'inconfort. Je ne me démonte pas cependant, et j'attends qu'il parle à nouveau. Car c'est à son tour.

     - Comment ça se passe ? Demande t-il. Raconte-moi un peu.

     - Impossible de tout résumer en quelques minutes.

     - J'ai plus que quelques minutes. J'ai plein de temps là, si tu veux.

     - Je n'en ai pas moi.

Les mots sortent plus secs que prévu. Je soupire.

     - Désolé papa, je rétorque. Mais c'est la folie ici aussi. Je ne sais pas comment tout te raconter... j'ai eu mon diplôme.

     - C'est vrai ? La joie s'entend dans sa voix. C'est super mon garçon !

     - Oui... C'est génial.

     - Et l'enquête ? Comment ça avance ? Tu es en sécurité ?

Le rire jaune qui m'échappe n'est pas contrôlé.

     - Ça fait des semaines que tu aurais pu me poser cette question.

     - Louis...

     - Je suis en sécurité. Bien plus en sécurité que j'aurais pensé, en fait. Ils sont tous géniaux.

     - Et le coupable ?

     - On le cherche toujours.

     - Vous le cherchez ?

Je déteste cette sensation que j'ai, à ne pas avoir envie de raconter nos pistes, à ne même pas avoir confiance en une personne externe à notre petit groupe spécialisé. Car mon père est devenu une personne hors de ce champ, il n'y est même à peine entré ; et devenant de plus en plus professionnel sur le sujet, je sais que communiquer ce que l'on sait à quelqu'un d'autre n'est pas envisagé.

Et c'est ainsi que je réalise que j'ai grandi, évolué, en ces quelques semaines. Que cette expérience m'a déjà totalement changé. Que j'ai revu mon système de défense, que j'ai modifié ma manière de fonctionner.

Même auprès des personnes les plus proches. Un travail de couverture, ce n'est pas seulement devenir quelqu'un d'autre ; c'est façonner notre personne à renverser tout ce qu'elle a appris, et vivre ainsi.

     - Je ne peux pas trop t'en dire, je réponds simplement.

     - Comment ça vous le cherchez ?

     - Nous cherchons les preuves.

Ce n'est qu'un demi mensonge. Harry est innocenté, mais cela ne signifie pas que le coupable est prêt à aller derrière les barreaux.

     - Louis, mon garçon, il rigole doucement. Tu peux me parler de tout ça. Tu peux extérioriser. C'est moi, ton père.

     - Je sais, tu l'es, évidemment. Mais il y a quelques pistes assez privées.

Mes baisers avec le capitaine de l'équipe, par exemple.

     - Ne t'en fais pas, je reprends. Ça avance. Zayn aura eu justice d'ici la fin de l'année.

Son silence à travers le combiné me fait penser qu'il est encore peiné par cette affaire. Il le connaissait si bien, après tout.

     - Parle-moi de la vie au garage, j'ajoute. Dis-moi pourquoi tu es si occupé.

Alors, sans réelle conviction, il le fait. Il me raconte les mésaventures de certains clients peu aimables, ou les problèmes sur des voitures auxquels il n'a jamais fait face avant. J'ai toujours adoré l'entendre me parler de son travail, que ce soit à l'oral ou sur nos petits mots échangés, cela me permettait de me rassurer, de me dire qu'on se voyait peu pour une réelle raison.

Là, cela a une saveur différente, une amertume. Nous prétendons simplement que tout est comme avant.

La sensation dans mes tripes me hurlent que rien, n'est et ne sera jamais, comme avant.

× × ×

Je pousse la porte d'entrée et retire mes écouteurs avant de les ranger dans mes poches. J'arque un sourcil en entendant le bruit dans la maison, comme si tout le monde parlait. Je retire mes chaussures et Todd entre dans le salon.

     - Oh, salut Louis, dit-il. Tenez, regardez qui nous fait l'honneur de rentrer plus souvent pour voir sa petite famille ! Il ajoute en taquinant.

     - Salut Todd, je souris. Oui, j'essaie de passer plus de temps ici.

Ces derniers temps, j'ai passé énormément de temps chez Harry, avec celui-ci, à ne voir que par nous. Mais j'ai des gens qui tiennent à moi ici, à qui tenir, et il ne faut pas les délaisser pour autant. Je reproche un peu cela à mon père ; ce n'est pas pour le répéter.

     - Comment vous allez ? C'était bien hier soir votre sortie ? Je m'intéresse en allant dans la cuisine me servir un verre d'eau.

     - C'était super, répond Todd. Si tu savais comme l'ambiance irlandaise m'avait manqué.

     - Je me doute, je ris.

     - Tu y as déjà été, rassure-moi ? Au bar irlandais de Boulder ?

     - J'ai bien peur que non.

La mine choquée que l'homme aborde me fait rire. Il apporte la main à son coeur pour jouer un air dramatique.

     - Je te rappelle que je n'ai que 18 ans, je souris. Pas l'âge pour boire de l'alcool.

     - C'est une excuse ça. Tu as bu avec nous l'autre fois, Nick était avec nous au bar hier et Niall va faire conduire Judith de temps en temps.

     - Je commence sérieusement à soupçonner que vous avez tous eu votre badge dans un Kinder surprise, je rigole.

Todd partage mon rire avant de m'assurer qu'il m'emmènera dans son bar préféré, à tout prix. Avant que je ne puisse me demander où sont tous les autres, Nick dévale les escaliers accompagné de Niall et Judith, plus en retrait. Je lui adresse un regard timide qu'elle me rend, et je me tourne vers l'adolescent.

     - Louis, tu es là ! Tu as ouvert tes lettres ? Demande Nick.

     - Mes lettres ? J'interroge, confus.

     - Oui ! Tes lettres d'université qu'on a reçu ce matin.

     - Je viens d'arriver, je n'ai pas vu.

Niall fouille dans le courrier et me tend trois enveloppes scellées, abordant toutes un emblème de faculté. L'université de Denver, la seule que je pensais avoir à la base, Harvard, et la fac en Californie, celle avec le programme de baseball.

Je commence par Denver, où je suis accepté. Puis Californie, où je suis pris également. Pour Harvard, c'est malheureusement un refus, mais je m'y attendais. Je suis un peu déçu, mais je me concentre sur les deux autres réponses positives. Mon dossier est loin d'être excellent alors c'est une chance.

     - J'ai été accepté à deux facs, j'annonce aux autres.

     - C'est vrai ? S'exclame Nick. Lesquelles ?

     - Denver, et celle de Los Angeles, je réponds en relisant les lettres encore et encore.

     - LA ? Rebondit Todd. La classe. On pourra venir chez toi pour se prélasser à la plage.

     - C'est génial ! Reprend Nick. C'est celle que je t'ai conseillé, avec le programme de baseball ? J'y suis pris aussi ! C'est super !

Le brun saute un peu partout, me prend dans ses bras, et un grand sourire se greffe à mon visage. Ca me parait un peu irréel, intouchable comme situation ; mais c'est pourtant vrai. J'ai réussi, malgré les conditions difficiles. Il y aura un après.

     - Et vous ? Je demande en regardant Nick, puis Judith. Vous avez été admis ?

     - Oui, reprend Niall. On a reçu toutes les lettres en même temps.

     - Pour moi c'était par mail, reprend l'adolescent. Et Judith a eu Harvard.

On a réussi.

J'ouvre la bouche, stupéfait, et me tourne vers la blonde. Elle est en retrait, a presque l'air fragile avec son chignon et son visage au naturel, et elle m'offre un sourire timide.

     - Bravo Judith, je lui dis tout de même. C'est génial.

     - Merci Louis.

J'ai l'impression qu'un silence nous enveloppe mais ce n'est qu'un ressenti personnel, car la seconde d'après Nick passe son bras autour de moi. Il est d'excellente humeur, ce qui me fait sourire.

     - C'est marrant quand on y pense, me dit-il. Tu te souviens quand on se lançait l'un à l'autre qu'on arriverait jamais à rien avec nos comportements ?

     - Comment oublier.

     - Et regarde-nous maintenant ! On va devenir de grands hommes ! Enfin, tu ne dépasseras jamais ce semblant de mètre 70, donc façon de parler.

     - Va te faire Nick, je rigole.

Il frotte son poing fermé contre mes cheveux, les décoiffant ainsi, ce qui fait beaucoup rire les deux agents présents. Au même moment, Mike et Andrea arrivent dans le salon.

     - Salut Louis, me lance la jeune femme, souriante face à la scène chaleureuse.

     - Salut vous deux, je réponds. J'ai été accepté à la fac !

     - C'est vrai ? Oh, c'est super.

Elle m'entraine dans ses bras et je remarque que Mike reste un peu en retrait, au même titre que sa fille. Je remarque cette anomalie mais n'ai pas le temps de me concentrer davantage dessus qu'Ernie passe son bras musclé autour de moi, coinçant ma tête. Je grossis des yeux.

     - J'ai appris qu'un petit avait été accepté à la fac, dit-il en frottant mes cheveux.

     - En effet, Nick et Judith aussi, et ils ne se font pas maltraiter eux.

     - Oh, allez, qui aime bien châtie bien ! On ne te voit jamais, il faut bien compenser.

Malgré mon visage qui vire au rouge, je rigole un peu et lorsqu'il me lâche, je respire un bon coup.

     - Alors qu'est-ce qu'on fait pour fêter ça ? Interroge Todd. Parce que ça se fête.

     - Je propose... commence Ernie.

     - Non, non non non, intervient Niall. Il est hors de question qu'on mange Hawaïen ce soir mon grand.

     - Comment ça ? S'outre l'homme.

     - Tu m'as très bien entendu, rit le blond. Justement, ce soir c'est soir de fête alors, on ne mange pas hawaïen.

Celui-ci marmonne quelque chose comme je mangerai ma cuisine excellente tout seul alors, et nous rigolons tous un peu.

     - On ne peut pas sortir manger dehors, c'est trop risqué, parle Judith.

     - On pourrait aller à Boulder, comme hier soir ? Tente Niall. Se faire un grand repas tous ensemble.

     - Je suis pas très chaud pour ça, intervient Mike.

Il lance un regard concerné à Andrea qui a une brève lueur triste dans les pupilles.

     - On peut juste se faire un repas ici, tous ensemble, je propose en souriant. Pas hawaïen, mais on peut se cuisiner quelque chose.

     - Tu restes manger avec nous ? Sourit Andrea.

     - Oui, je rétorque.

     - On pourrait se commander des pizzas ! Reprend Nick.

Tout le monde se regarde et hausse les épaules.

     - Va pour les pizzas, tranche Niall. Notez tous sur une feuille ce que vous voulez, je me chargerais de commander pour 20h.

Il reste toute l'après-midi à passer alors en effet, ce n'est pas pour tout de suite.

Une fois que nous avons tous noté notre commande, il y a une sorte de division ; Mick repart à l'étage, suivi d'Andrea, mais elle attend quelques instants, comme si partir en même temps que lui était gênant. Je devine un froid entre eux, mais ne m'immisce pas dans leur vie privée, comme ils savent si bien respecter la mienne.

Niall reste dans le salon avec Todd et Ernie. Judith, elle, m'adresse un petit sourire timide, puis ouvre l'accès au jardin et y part. Nick reste avec moi, commence à me parler d'une éventuelle colocation l'année prochaine, comme il sait qu'il ne pourra pas compter sur ses parents. Je ne l'écoute que d'une oreille, interpelé par la blonde qui vient de sortir.

J'arrive à être heureux d'avoir de telles opportunités, de si bonnes nouvelles malgré une dure situations ; mais je ne suis pas aussi heureux que je pourrais l'être. Car savoir que j'ai ce que j'ai toujours voulu, mais que j'ai perdu une amie chère dans le processus, cela ne vaut pas le coup.

     - Tu m'écoutes ? Parle Nick, me sortant de ma rêverie.

     - Oui, oui, excuse-moi. Tu disais ?

     - Donc tu ne m'écoutais pas du tout, rit-il. Je disais...

Ainsi, le brun reprend. Pour l'instant, je me concentre sur mon autre ami, qui a aussi besoin de moi.

× × ×

Une petite heure plus tard, je soupire et viens ouvrir la grande porte vitrée qui dévoile le jardin. Je referme la porte derrière moi, laisse mes pieds nus entrer en contact avec l'herbe chaude. Je me demande presque comment elle peut être si verte, avec de telles chaleurs.

J'avance jusqu'au fond du terrain, où je vois Judith, assise sur une balançoire, qui bouge très légèrement d'avant en arrière. Je souffle, enfonce mes mains dans les poches de mon jean, et prends place sur la seconde balançoire, à côté d'elle.

Je fais les mêmes mouvements, fixe mes pieds, mes mains que je touche sans raison, cause d'une sorte de stress. La blonde à ma gauche est muette, tête baissée également. Je tourne la tête vers elle.

     - Je n'arrive pas à me réjouir d'être accepté à la fac, à l'idée que je vais peut-être partir, en sachant que tu me détestes, je soupire.

Je fais un pas vers elle, un pas sur un fil au milieu du vide, car je n'ai aucun indice sur la progression de sa colère, sur une quelconque amélioration entre nous. Judith secoue la tête, fronce les sourcils et tourne la tête vers moi. Elle me regarde dans les yeux, et je ne suis pas sûr de ce que j'y lis, mais je crois au moins qu'il n'y a plus cette lueur haineuse.

     - Je ne te déteste pas, souffle t-elle. Comment tu peux penser que je te déteste ?

     - Je ne sais pas. Je ne serai pas si en colère, si tu le faisais.

     - Tu le serais, elle rigole doucement.

     - Je ne sais pas... je ne crois pas. Blessé, déçu, triste, oui. Mais je ne pourrais pas te reprocher quelque chose qu'on ne contrôle pas.

La blonde hoche lentement la tête, lève les yeux vers le ciel. J'ai l'impression qu'elle chasse quelques larmes, ainsi, et cela me serre le coeur. Je m'attends à ce qu'elle réponde, mais elle ne le fait pas. Elle baisse de nouveau la tête, fixe l'herbe et ses pieds, nus également.

     - On fait très nos étoiles contraires, là, je dis avec une pointe d'humour.

     - Oh, ouais, elle pouffe. Ça signifie que l'un de nous meurt avant la fin?

Je grimace, hausse les épaules.

     - J'espère pas.

     - Moi non plus.

Judith lâche un petit rire, aussi léger que la brise presque inexistante, mais ce son me rafraîchit un peu. Je souffle, me sent presque plus léger de l'avoir faite rire. Le silence nous enveloppe à nouveau, pas complet car perturbé par les couinements de la vieille balançoire.

Mon amie ouvre la bouche, la referme. Une infinité de mots semblent lui venir en tête, et je lui laisse le temps.

     - Je suis désolée.

Simple, efficace. Ces trois petits mots suffisent pour que je me sente aussitôt soulagé d'un poids conséquent sur les épaules. Je sens la sincérité dans sa voix, la tristesse de ces derniers jours dans ses yeux.

     - C'est pas grave, je réponds.

     - Ça l'est. J'ai été dure avec toi.

     - Tu étais en colère...

     - Ouais, c'est le moins qu'on puisse dire, souffle t-elle. Et, hey, je crois que je le suis toujours un peu. Si tu préfères les bruns fallait me le dire, je me serai teint les cheveux.

Même dans une situation pareille, Judith sait apporter une touche d'humour, tourner son malheur en quelque chose qui va faire rire, détendre l'atmosphère. Cela fonctionne, je lâche un petit rire, tendre.

     - Je crois que je n'aime pas les filles, j'avoue doucement, autant à elle qu'à moi-même. Ça n'a jamais été contre toi.

     - Ça répare un peu mon égo, je crois.

J'hausse les épaules.

     - Tu t'en es rendu compte avec lui ? Rajoute t-elle.

     - Oui, je crois. Je ne sais pas... je n'arrive pas à m'imaginer avec quelqu'un d'autre, ça me... dégoute un peu. Alors je ne peux pas te dire, mais avant je ne pensais à aucun garçon comme ça non.

Et c'est la vérité. Je me suis déjà demandé quelques fois pourquoi je n'étais pas bon les filles, pourquoi je ne « fonçais » pas comme certains me conseillaient, et je me disais que ce n'était pas si anormal, que Zayn non plus n'était pas un fonceur avec les filles.

Ironique, quand je pense qu'il était gay. Je tourne la tête vers la troisième balançoire, vide. J'ai l'impression d'y voir Zayn, qui me soutient dans cette conversation. Il n'est jamais très loin.

Je souffle, continue à triturer mes doigts.

     - Pour ce que ça vaut, je n'ai vraiment pas prévu que ça arrive, j'ai juste... je ne vais pas rentrer dans les détails là-dedans, mais je n'ai pas prévu tout ça. Vraiment pas.

     - J'imagine, elle souffle. Parce que c'est cocasse.

     - Ouais, bien-sûr. J'en ai conscience - je ne sais même pas comment... je ne sais pas comment j'ai pu en arriver là, avec lui. Je te jure que si j'avais pu choisir - Judith, j'aurais choisi autrement. Je suis sincère, il faut que tu me crois.

Je la regarde presque avec du désespoir dans les pupilles, et la blonde secoue la tête en soupirant.

    - Je te crois. Ne t'excuses pas d'être tombé amoureux... c'est injuste. Je n'ai pas à te faire t'excuser, c'est moi qui doit m'excuser. C'est juste... elle hausse les épaules. J'étais blessée pour des raisons évidentes - et j'ai eu peur. J'ai eu peur, parce que ça va au-delà de votre relation, de ce que je peux ou dois en penser. Ça va... au-dessus.

Sans développer davantage, l'adolescente lève les yeux vers le ciel bleu. Je l'imite, observe cette étendue unie. S'il faisait nuit, nous pourrions voir chaque étoile et constellation. Je baisse la tête et regarde la blonde, tandis qu'elle continue à regarder là-haut.

     - Ta mère, je parle. Tu as peur que mon histoire d'amour foire tout et qu'on ait jamais justice pour ta mère.

     - Ouais, elle avoue difficilement. C'est probablement égoïste, je suis désolée.

     - Non... j'aurais peut-être réagi pareil. Beaucoup l'auraient fait.

À juste titre, probablement.

     - Je ne perds pas l'enquête de vue, je te promets, j'assure. Je ne pourrais pas - j'en suis incapable. Je ne peux pas imaginer qu'on laisse le meurtrier de Zayn tranquille, qu'on n'en apprenne pas plus sur le trafic, qu'on sache ce qui est arrivé à ta mère lorsqu'elle était sous couverture. Je ne peux pas - je ne laisserai jamais quoi que ce soit, qui que ce soit, m'éloigner de ça.

     - Je sais...

     - Harry n'était pas prévu, pas comme ça. J'avais prévu de le détester, et je ne sais pas si j'ai réussi plus de cinq minutes, il a été intriguant dès le début. Mais il faut que tu me croies quand je te dis qu'il n'est pas celui qu'on nous a fait croire dès le début, qu'il ne dégage absolument pas l'énergie de ce gosse pourri gâté qui a passé l'interrogatoire avec ton père et Andrea. Je ne sais même pas comment il peut être les deux, d'ailleurs, mais il est juste... je soupire. Quand son père est là, il est une personne totalement différente, une personne probablement sous emprise, je n'ose même pas imaginer. Et, juste...

Je soupire, me perds moi-même dans mes mots. Je suis à la fois si sûr, et à la fois encore si faible, si novice à tout cela. Je dois gérer et découvrir beaucoup de choses, et parfois, j'ai envie de fermer les yeux, et d'avoir une longue, longue, pause.

Judith ne parle pas, sa gorge nouée. Je lève les yeux vers le ciel une seconde et trouve la force de continuer :

     - Être avec lui, ça me motive encore plus à découvrir la vérité. Ça fait une personne en plus pour qui il faut obtenir justice. Mais je n'oublie pas ta mère. C'est elle, la première personne qui a travaillé sur ce trafic pour le faire tomber. C'est un peu... pour elle qu'on fait ça. Pour elle.

Désormais, je suis sûre de remarquer des petites larmes dans les yeux clairs de la blonde. Je tends la main vers la gauche, vers elle ; et elle la saisit. Je serre un peu ses doigts, et j'envoie tout mon amour dans ce geste dont j'ai autant besoin qu'elle.

Un amour différent de ce qu'elle a pu espérer.

Un amour fraternel.

     - Tu es ma famille, je continue. Je ne laisse pas tomber ma famille, pour rien ni personne. Il y a juste... une personne en plus dans le tableau.

     - Je sais.

     - Et je suis tout de même désolé. De ne pas avoir su t'aimer comme tu le voulais.

Alors qu'elle rigole, une larme coule sur sa joue. Avec sa main libre, elle l'essuie très furtivement.

     - Tu t'excuses vraiment pour rien, elle rit. Je ne veux pas d'excuses pour ça - sérieux, je vaux mieux que ça.

     - Tu vaux mieux que ça, j'assure. J'aurais été un piètre petit-ami.

     - Si tu as peur des filles, ouais, ça aurait probablement été bizarre, elle rigole.

     - Je n'ai pas peur de vous. Je serai juste... jamais descendu en bas ou quelque chose comme ça.

J'appuie mes mots avec une mine de dégout et Judith grimace.

     - Je crois que je suis définitivement passée à autre chose, parce que ça me dégoute ce que tu viens de dire.

Le rire que nous échangeons semble réparer tous mes maux. Nos mains ne se lâchent pas, et cela pourrait être gênant, mais au contraire, cela semble renforcer la douceur du moment.

     - Tu peux remercier Niall, me dit Judith. Il m'a pas mal aidée avec tout ça - avec cette idée de m'excuser, d'accepter que c'était hors de mon contrôle.

     - Niall ? Je m'étonne. Je ne vous savais pas proches.

     - On ne l'est pas, je crois. Ou peut-être qu'on le devient, maintenant... je n'en sais rien.

     - Il y a quelque chose entre vous ? Je m'intéresse.

     - Oh, non. Je n'ai pas envie de me prendre la tête, j'ai juste envie de, je sais pas, m'amuser. Niall est mignon mais il est l'ex de la copine actuelle de mon père.

     - Dit comme ça... je grimace. C'est vrai que c'est bizarre.

Elle acquiesce d'un rire.

     - Il reste toujours Liam, je souris. Je crois qu'il recherche rien de sérieux non plus. Vous pourriez vous amuser.

     - Roméo tu veux dire ? Ouais, je sais pas. Il est mignon. Pourquoi pas. Mais, hey - je suis pas un cas désespérée. Je suis très bien toute seule aussi.

     - Tu l'es, je souris.

Judith est la parfaite définition de la femme indépendante, qui n'a besoin de rien ni personne. Elle est plus vulnérable qu'elle n'ose le montrer, mais je suis plus que persuadé qu'un homme est la dernière chose dont elle a absolument besoin dans sa vie.

Je continue à la regarder avec un petit sourire, fier. Du chemin que nous parcourons, des personnes que nous devenons.

     - Je ne pourrais pas vivre sans toi tu sais, je parle.

     - Oui, je sais, répond-elle fièrement. Je sais cet effet.

Je rigole un peu.

     - Mais tu vas devoir apprendre à le faire, ajoute Judith. On n'ira pas à la même fac.

     - C'est vrai ça... Je divague. Mais comme avait dit Nick, on continuera à se voir, même adultes et puis ridés. On se fera des barbecues chez celui qui aura la plus belle maison.

     - Si tu épouses Styles, vu son compte en banque, ce sera clairement toi.

     - Vrai, je rigole. Si tu épouses Liam, ça pourra se jouer, il est pas mal riche aussi, et depuis plus longtemps que moi.

     - Je le connais pas vraiment mais le compte en banque garni c'est alléchant, j'avoue. Il va falloir qu'on fasse ou double date à quatre alors.

Elle me taquine en venant taper son épaule contre la mienne et nos rires occupent le jardin encore un peu. Doucement, le silence retombe. Judith me regarde avec plus de peine.

     - Fais attention à toi, d'accord ? Dit-elle doucement. Je te crois quand tu dis qu'Harry n'est pas ce qu'on pense. Mais fais attention quand même. Parfois ce sont les gens qu'on aime le plus, qui sont les plus doux, qui nous font le plus de mal. Promets-moi que tu feras attention et que tu ne sombreras pas avec lui.

Lentement, j'hoche la tête.

     - Je te le promets.

La blonde s'approche et me prends dans ses bras. Je lui rends son étreinte, ferme les yeux, hume son odeur et souffle d'aise. Les choses semblent plus justes ainsi, dans un monde où Judith Carter et Louis Tomlinson se parlent et s'entendent. Le moment dure une bonne minute, aucune de nous ne veut lâcher, prend sa dose de douceur, puis lorsque nous nous reculons, tout est comme avant. Cela fait du bien de savoir qu'il y a certaines choses qui malgré tout ce qui arrivera, ne bougerons pas. Mon amitié avec Judith fait partie de ces choses-là.

Nous entendons la baie vitrée s'ouvrir et une tête blonde en sortir.

     - Vous vous êtes enfin réconciliés ? Lance Niall au loin. Parce qu'on va aller fêter votre admission à la fac maintenant ! Tous en voiture avec moi, départ dans trois minutes trente sept secondes.

Puis il disparait dans la maison. Je ris et me tourne vers Judith.

     - C'était très précis. Je vois pourquoi tu l'aimes bien.

     - Oh, tais-toi, rit-elle en levant les yeux au ciel.

Nous partons en voiture avec l'agent. Celui-ci est assis à l'avant avec Judith, et je suis à l'arrière avec Nick. Nous nous enfonçons dans les routes boisées du Colorado, la musique résonnant à fond dans le véhicule.

Niall roule, et nous chantons, nous rigolons. Judith a l'air pétillante, et je crois que je dois au blond cet éclat.

     - Essayez de vous lever par le toit ouvrant, nous indique la jeune femme. Et ouvrez les bras, criez. Vous verrez ! Essayez !

Nick et moi nous échangeons un regard puis il est le premier à le faire. Judith et moi lui tenons les jambes au cas où, puis il déploie les bras et crie de toutes ses forces. Il crie sa colère contre le monde, contre ses parents de ne pas l'accepter pour qui il est, contre l'injustice et le deuil. Ses poumons se vident et lorsqu'il rentre à nouveau dans la voiture, il semble différent.

Je monte timidement, me prends le vent en pleine face, comme une bouffée d'air frais.

     - Wow, je rigole.

     - Tu as vu ! Crie Judith d'en bas ; je l'entends à peine. Essaie de te lâcher, ouvre les bras ! Lâche toi !

Comme indiqué, bien que timidement au début, j'ouvre les bras et en ouvrant la bouche, sens tout cet air qui s'amasse dans mon corps ; cette sensation de brulure et en même temps de renaissance. Je rigole, m'autorise à crier un peu, puis encore plus fort, jusqu'à fermer les yeux et me sentir moi-même. Me sentir légitime.

Une nouvelle page se tourne.




*

PARTIE 3 : Dernière page

🎵 : favorite crime - Olivia Rodrigo

MIKE

Je regarde les alentours de ma chambre. Elle n'est pas dérangée, rien ne traine car je n'ai à peine défait ma valise depuis notre arrivée ici, rangeant constamment mes affaires à l'intérieur et non pas dans les rangements prévus à cet effet. Constamment prêt pour un départ en trombe ; réticent à apporter une quelconque attache ici.

Pourtant, l'endroit est vide. Andrea a retiré ses affaires hier soir en rentrant, discrètement.

Je souffle, me passe une main dans les cheveux et me décide finalement à me lever pour rejoindre la salle de bain. La maison est majoritairement vide - il y a juste Todd et Ernie dans leur coin, ainsi qu'Andrea dans sa chambre, et moi - alors je profite de ce moment pour me faufiler dans la salle de bain de l'étage.

Face au miroir, je soupire à nouveau, pose mes mains à plat sur le lavabo. Je prends finalement un peu d'eau chaude pour m'en mettre sur la peau, pâle et fatiguée. Je mouille au passage mon t-shirt bordeaux un peu trop large pour moi.

Si je me concentre très fort, dans le miroir je peux voir une version heureuse de moi-même, dans son costume trop bien taillé, un sourire radieux au visage, le genre de sourire qui fait remonter les pommettes et rendrait mes yeux bleus clairs encore plus perçants. Je visualise mes cheveux noirs parfaitement coiffés, ma barbe de trois jours taillée au millimètre près. Un homme propre sur lui, heureux, qui a un passé évident, mais un présent plaisant.

Je secoue la tête et prends ma brosse à dents. A ce même moment, j'entends de petits pas derrière moi.

     - C'est occupé, je lance.

     - Je sais, répond Andrea.

À l'entente de sa voix, je me tourne directement vers elle. Ses bras sont croisés sur sa poitrine, refermant au passage sa longue robe de chambre. Elle a l'air fatiguée, et bizarrement, la pensée qu'elle a aussi mal dormi que moi la nuit dernière m'est plaisante.

     - Je ne m'attendais pas à ce que ce soit toi, je parle.

     - Je sais. Mais on est des adultes, je ne pense pas qu'il faut qu'on s'ignore et qu'on agisse stupidement. Les enfants vont le sentir et ça pourrait les perturber.

Lentement, j'acquiesce.

     - Regarde-nous, je dis doucement. On sonne comme des parents qui viennent de décider le divorce.

     - Oui... elle rit un peu. Ironique, vu la raison de notre rupture.

À nouveau, j'hoche la tête. Je ne sais pas tellement comment m'exprimer ; je n'ai jamais su, c'est encore pire dans ce genre de moments.

La femme se pince les lèvres et souffle.

     - Rupture alors ? Je reprends.

De la peine passe dans ses yeux, déforme un peu ses fines lèvres, comme si elle retenait une émotion. A son tour d'acquiescer avec la tête.

     - Oui Mike. Rupture.

Cette fois, je ne bouge pas la tête. Je ne bouge pas du tout.

     - On n'en a même pas parlé, je tente.

     - C'est ce qu'on fait là.

     - Sauf que c'est décidé.

     - Et qu'est-ce que tu vois d'autre ? Prétendre que rien n'est arrivé, que nous voulons la même chose ? Vivre dans le secret constant une fois qu'on sera de retour à Boulder, et se reprocher de ne pas être d'accord sur des choses importantes dans des années parce qu'on a préféré s'enfoncer dans quelque chose voué à l'échec ?

La justesse de ses mots est frappante, c'est ce qui fait encore plus mal. Je ne peux pas la contredire ; n'essaie même pas. A quoi bon perdre des années de nos vies - déjà avancées - alors que tout est bien clair ; nous ne sommes pas destinés aux mêmes choses.

Et j'emmerde le destin. Il m'a déjà pris trop de choses, et son appétit semble éternellement s'agrandir.

     - Quand on y pense, c'était la seule issue, reprend-elle. On risque nos carrières avec cette histoire, et on est tous les deux tellement attachés à notre travail. Si on le perdait l'un pour l'autre, on s'en blâmerait mutuellement.

     - Je sais, je réponds. C'est vrai. Mais ça ne veut pas dire que ça ne fait pas mal.

     - Regarde-toi, rit-elle doucement. À exprimer ce que tu ressens maintenant que c'est fini.

     - J'ai exprimé ce que je ressentais avant. Je t'ai dit que je t'aimais.

Andrea se pince les lèvres devant moi, ses yeux s'humidifiant.

     - Tu l'as dit, c'est vrai. Et tu le pensais, et je le pensais aussi. Je t'aime, Mike. Mais parfois l'amour ne suffit pas et tu le sais. Si l'amour suffisait à chaque fois, il n'existerait pas de thérapie de couple, de personnes qui s'aiment plus que tout, mais qui sont toxiques l'une pour l'autre. Si l'amour suffisait, Abigail serait encore en vie.

Mon coeur se serre tandis que mon visage se fronce sous la peine.

     - Toute cette mission, c'est une aventure si éprouvante que ça nous a poussés à aller l'un vers l'autre. Je ne sais pas si ça serait arrivé sans ça. On n'a pas réfléchi, on a juste agi, on s'est laissés porter par le moment, nos sentiments. Mais il y a tellement d'autres choses à voir. Nos postes, ta vie en tant que père de famille, ma vie avec mes deux frères, nos projets de vie pour le futur. Rien ne s'emboite.

     - Je sais, je murmure.

La brune fait quelques pas jusqu'à moi, apporte ses deux mains sur mes joues. Je contracte la mâchoire, tentant ainsi de retenir des larmes de couler. Non pas que j'ai honte, mais parce que j'ai mal.

     - Et je n'ai pas à changer pour toi, comme tu n'as pas à changer pour moi, elle ajoute en me regardant droit dans les yeux. Nous ne sommes pas de mauvaises personnes. Nous avons tous les deux notre histoire, et le fait qu'elle ne soit pas compatible ne veut pas dire que c'était mal d'avoir essayé. Nous sommes tous les deux légitimes dans nos idées de vie. Nous sommes tous les deux de bonnes personnes. Nous sommes adultes, et nous sommes biens. Il n'y a pas à avoir forcément de méchant et de gentil dans une rupture.

Elle insiste sur ses mots, garde mon visage entre ses mains, car elle sait que je vais me blâmer, porter le poids de cet échec. Andrea me connait, m'a percé à jour ; et c'est encore plus difficile de la laisser partir.

     - Nous sommes tous les deux les gentils, termine t-elle. D'accord ?

Je déglutis et m'efforce d'hocher lentement la tête.

     - D'accord, rajoute Andrea en imitant mon geste.

Une larme coule sur sa joue, que j'ai envie de chasser de mon pouce, ma paume posée sur sa peau douce ; mais elle l'essuie directement avec le dos de sa main, brisant ainsi le contact entre nous. Il fait froid, tout à coup. Puis Andrea se recule d'un pas et sourit.

     - Je pense qu'on est assez grands pour ne pas faire subir ça aux autres. Je ne me voyais pas faire d'annonce ni rien.

     - Non, je confirme. Pas besoin de tout ça.

     - S'ils demandent on... le dira juste.

     - On fera ça.

Ils remarqueront, je le sais. Et ce sera douloureux d'entendre leurs questions ou juste de voir leurs regards peinés, mais il faut en passer par là.

Là est le risque encouru lorsqu'un coeur tombe amoureux.

Peut-être même encore plus de risques que lors d'une mission sous couverture.

La femme reste là encore un moment ; nous n'avons rien à ajouter, mais il est difficile de tourner les talons, car nous savons que cela signifie la fin de quelque chose. Andrea finit cependant par le faire en première. Je l'ai toujours su plus forte que moi, de toute manière.

J'ouvre la bouche, laisse sortir un souffle que je retenais sans m'en rendre compte. Une larme coule sur ma joue ; je ne fonds pas en sanglots, cette larme prend simplement son envol seule. Je me tourne lentement face au miroir, apporte mes doigts à ma joue humide. J'ai du mal à croire ce qu'il se passe.

Cela fait des années que je n'ai pas réussi à extérioriser ; des années que je n'ai pas pleuré.

Des années que je n'ai pas aimé.

Je regarde mon reflet. Il n'y a plus aucune vision possible. Je suis seulement cet homme brisé, seul, perdu, terrifié.

Une dernière page se ferme.



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Réagissez avec #BornTDieFic
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Bonjour ! Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas publié sur cette œuvre. Comment allez-vous ? Trop contente d'être de retour !!

Nouveauté : j'ai mis des musiques à écouter pendant la lecture de chaque partie, si vous en avez envie évidemment !

Nous retrouvons nos personnages. Les choses fanent entre Andrea et Mike... quel avenir pensez-vous pour ces deux-là ? Comment interprétez-vous leur séparation ?
Louis a été accepté à la fac ! Et les choses vont mieux avec Judith. Elle n'était pas énervée en soit ; juste apeurée, trahie, triste. C'est légitime.

Pour les personnes qui suivent en direct la publication, vous avez reçu beaucoup de notifications ce jour : c'est normal. J'ai publié plusieurs chapitres d'un coup : 31, 32, 33, 34 et 35.
Merci pour tout.❤️

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