CHAPITRE 30

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PARTIE 1 : Coeur à nu

LOUIS

Lorsque je ferme la porte d'entrée derrière moi, j'ai l'impression de laisser ma mauvaise humeur à l'intérieur. L'ambiance qui règne à l'intérieur est pesante, désagréable, et je ne peux pas m'empêcher de me blâmer pour cela. Mike a raison, je n'ai pas choisi de développer ce que je ressens, je n'ai pas décidé que tout prenne cette direction. Mais les mots de Judith restent, piquent. Et je suis le genre de personnes qui prend sur ses épaules, c'est plus simple.

Cependant, en fermant la porte en cette fin de matinée où le soleil tape déjà, je me dis que je laisse le négatif derrière ces murs. Je marche jusqu'au parc et dès que je monte dans la Range Rover du bouclé qui m'attend, je me rends compte que cela a marché : sa simple présence change mon humeur.

Je souris en le regardant. Il est habillé sobrement, un jean, un t-shirt blanc, et une casquette mise à l'envers sur ses boucles. Il relève son regard vert vers moi et un petit sourire le prend. Un bref baiser, et j'attache ma ceinture alors qu'il met le contact.

     - Alors, c'était bien ta soirée ? Il demande.

     - C'était terrible, je souffle. Judith me déteste je crois. Elle m'a fait pas mal de réflexions pendant qu'on mangeait. J'ai l'impression d'avoir tué sa mère sérieux.

Je grimace après avoir parlé vite, m'excuse mentalement pour cette piètre comparaison.

     - Ça lui passera je te dis, dit le bouclé.

     - Je sais. Je sais. Et si ça passe pas - je dois m'y faire, je sais, mais c'est chiant, quand même... Ça serait plus simple que les gens qu'on aime, et qui nous aiment en retour, acceptent tous nos choix tant qu'ils ne font de mal à personne.

     - Ah, Louis, rigole Harry. Tu viens de mettre fin à l'homophobie, le racisme et toute autre forme de discrimination dans le monde avec ton raisonnement.

Je roule des yeux et lui tire la langue. Ce geste le fait rire et je souffle d'aise, ce sourire à mes lèvres ne me quittant pas.

     - Enfin bon, je reprends. Tu sais ce qu'on mange ce midi ?

     - J'ai été cherché chinois. C'est posé à l'arrière.

En effet, deux sacs en papier se trouvent à l'arrière.

     - Tu n'aimes pas cuisiner, je note. On commande toujours à manger.

     - Tu aimes cuisiner, toi ?

     - Pas du tout. Je suis un désastre culinaire.

     - Moi aussi. Et Lucia adore cuisiner, alors je n'ai pas besoin de m'y coller.

     - La dure vie de riche, je le taquine.

     - C'est si dur, il rigole sur le même ton que moi.

Tout en restant bien concentré sur la route, Harry décale sa main droite afin de venir la poser sur ma cuisse. Il n'y a rien de déplacé à son geste, aucune arrière pensée - cela semble juste un parfait réflexe pour lui. Il est juste si bon dans les relations, dans les comportements à avoir. Pour moi, c'est bien plus compliqué ; je rougis et me fais plein de scénarios avant de tenter quelque chose, même basique. Je suppose que c'est normal, pour une première relation ; surtout aussi compliquée. La vie n'est pas un film.

Timidement, je pose ma main gauche sur la sienne. Il retourne sa main afin de lier nos doigts, et change même les vitesses avec sa main libre, lâchant le volant. Je ne saurais pas décrire ce que ce geste me fait, mais quelque chose me traverse définitivement.

Définitivement niais, ouais.

     - Comment ça s'est passé, toi ? Je parle.

     - De ?

     - Quand tu as annoncé à tes proches que tu étais gay.

Le bouclé hausse les épaules.

     - Lucia n'a jamais eu de vrai coming-out, mais je crois qu'elle le sait, je sais pas... Liam, il m'a dit qu'il n'en avait rien à faire. J'étais stressé comme pas possible, pour rien finalement. Et l'équipe, ils ont pas eu le choix. Je l'ai jamais caché, j'ai agi comme si j'étais hétérosexuel, comme si c'était la norme. Ils sont peut-être contre, peut-être pas, je m'en fiche. Et c'est à peu près les seules personnes que je côtoie tout le temps vraiment au courant.

     - Tu m'épates. Tu n'en as vraiment rien à faire du regard des autres.

     - Je t'ai dit, ça devient juste normal au bout d'un moment. Ça me fait quelque chose, certains mots plus que d'autres. Mais avec le temps, avec les années, avec des choses qui arrivent et qu'on aurait jamais imaginés... on s'y fait juste. Et je ne vois pas en quoi le fait que je préfère coucher avec des homme plutôt que des femmes devrait changer quoi que ce soit.

J'acquiesce tandis que je commence à caresser sa main avec mon pouce. Il touche pile l'endroit où la croix est encrée, venant tracer les contours de ce dessin. Je me mords la lèvre.

     - Et si ton père l'apprenait ? Je dis.

     - Tous aux abris, il rit jaune.

     - Il est homophobe ?

     - Je ne sais pas trop ce qu'il est. Il y a sûrement un peu de ça, ouais. Mais je pense qu'il se fiche un peu de cet aspect de ma vie - que je lui ramène un mec, une fille, il les traiterait de la même manière. Et c'est pas bien.

     - Rassurant, je déglutis.

     - Ne t'en fais pas, il tourne brièvement la tête vers moi. Tu n'auras pas à faire à lui. Il n'est jamais là, et quand il l'est, il n'en a pas grand chose à faire de passer du temps avec moi et encore moins avec mes conquêtes. Tu ne le verras pas.

Je ne sais pas si c'est rassurant, je ne sais pas si Harry se rend compte d'à quel point il dresse le portrait d'un monstre. Cela me serre le coeur de l'entendre en parler comme si c'était normal, banal - car il doit penser que ça l'est, après avoir vécu toute une vie ainsi. Et sa main douce dans la mienne, je me dis qu'il ne mérite pas ça.

     - Tu as déjà eu une copine ? Je demande.

     - Oh, oui. Quand j'étais plus jeune.

     - Tu as déjà couché avec une fille ? J'ajoute en me mordillant la lèvre.

Harry tourne la tête vers moi, et rigole un peu face à mon visage mélangé entre gêne, et probablement un peu de jalousie à l'idée d'imaginer ça.

     - Oui, la toute première fois que j'ai eu des relations sexuelles... oui. C'était pas mal, je sais pas trop - puis après réflexion, je me suis dit, ouais, plus jamais. Les mecs plutôt.

     - C'était qui ? Une fille de ton lycée ?

Le bouclé tourne à nouveau la tête vers moi, puis la route, puis moi, puis la route. J'arque un sourcil tandis qu'il lâche la bombe :

     - Kendall Jenner.

     - Quoi ?! Je m'exclame. Le mannequin, là ?

     - Ouais, j'avais 16 ans, elle était là à une espèce de gala caritatif organisé par mon père et, ouais. On a eu une amourette et éventuellement, ça s'est fait.

     - Mon dieu, je souffle en glissant dans le siège. Je passe après Kendall Jenner.

     - Hey, rigole Harry. On s'en fiche de qui était là avant.

     - Kendall Jenner, Harry. Kendall Jenner. Je ne peux pas rivaliser, quand l'ex c'est Kendall Jenner.

     - Pourtant je suis avec toi aujourd'hui, et pas elle.

Je réfléchis une seconde et finis par hausser les épaules, plutôt fier de moi. C'est un peu la classe en fait, de se dire que je passe après Kendall Jenner, et qu'il me préfère moi.

     - J'ai eu juste des mecs après, continue le bouclé. Pas forcément des relations, beaucoup de... gens de passage.

     - Élégante manière de le dire, je ris.

     - Désolé. Je n'ai pas envie que tu sois mal à l'aise avec mon passé.

     - Non, non, je secoue la tête en serrant un peu plus sa main dans la mienne. Je ne suis pas du tout mal à l'aise par rapport à ton passé. Je l'accepte, j'accepte tout ce qui vient avec toi.

Cela vaut pour tellement d'autres choses qu'il ne m'a pas encore dite, oui. Et j'espère qu'il le sait. Mais je crois qu'il en prend de plus en plus conscience.

Je tourne la tête vers la fenêtre, où j'observe la ville en pleine journée défiler au rythme de la circulation. Tous ces gens sur les trottoirs, toutes ces terrasses de bars et restaurants, ces arbres, ces bâtiments. À mesure que nous nous approchons de chez Harry, nous entrons dans les quartiers plus huppés.

     - Ça te dérange, le fait que je sois proche de Judith ? Je demande, réellement concerné.

     - Non, pourquoi ?

     - Tu pourrais, tu sais. Être jaloux.

     - Je ne le suis pas, je suis pas trop un mec jaloux. Tu as ta liberté. Et je n'ai pas de raison d'être jaloux, pas vrai ?

     - Pas du tout ! Je rétorque au quart de tour. Vraiment, il n'y a rien. C'est juste... j'en parle beaucoup, depuis deux jours.

     - Si ça avait été un autre de tes proches avec cette réaction, tu aurais fait pareil, à autant en parler. Le fait que ce soit ton ex n'a rien à voir. Tu es juste blessé de ne pas être accepté, et tu as peur que ça ne change jamais.

Face à la justesse troublante de ses mots, je me mords la lèvre et acquiesce lentement.

     - C'est normal Lou, poursuit Harry. C'est la première fois que tu y es confronté donc tu en parles beaucoup mais c'est normal. Et puis tu peux me parler de ce que tu veux de toute façon.

     - Je m'assurais juste que ça ne te dérangeait pas.

     - Pas du tout. Je suis pas très bavard en plus, ça nous permet d'avoir toujours un sujet de conversation, il sourit.

Je serre un peu plus sa main alors que mon coeur contraste en se gonflant. Je finis par hocher la tête, et me répète ces mots. C'est dingue, comme les mots d'une certaine personne, peuvent avoir tant d'impact et rassurer à ce point.

Un petit silence règne quelques instants, qui me plait. Il est tendre, calme, vraiment pas aussi dur qu'à la maison, comme hier. C'est presque marrant, de regarder en arrière, comme au début être en présence d'Harry me mettait mal à l'aise, que la maison était mon échappatoire. Cela s'est inversé - tout, s'est inversé.

Je suis toujours distrait lorsqu'Harry reprend la parole :

     - Mais tu sais, si vraiment ça ne s'arrange pas chez toi, tu as le droit de venir vivre chez moi.

Je reviens sur Terre immédiatement, je m'écrase même un peu le visage au sol à l'atterrissage. Je tourne la tête vers le bouclé, qui a éternellement l'air si décontracté. Il lâche parfois des mots si lourds, et a l'air si léger.

Je papillonne des cils un instant.

     - Tu rigoles pas toi, je parle. Je suis pratiquement sûr que c'est pas une conversation à avoir entre deux personnes qui ont fait l'amour qu'une seule fois.

     - Et pour ceux qui se marient avant le sexe ? Il rigole.

     - Définitivement pas mon style.

     - Ça, c'est sûr.

Je lui adresse une petite tape sur l'épaule, signe affectif qui le fait rire.

     - Je ne disais pas ça sur une note si sérieuse qu'emménager ensemble, reprend mon petit-ami. C'est simplement, j'ai énormément de places, même différentes chambres si tu veux avoir ton propre espace. C'est juste si vraiment ça se passe mal à force, ne reste pas dans la même maison qu'elle.

     - Oh, si on vivait dans la même maison j'aurais ma propre chambre ? Je le charrie.

     - Ouais, on pourrait. Je pourrais me faufiler dans ton lit la nuit en secret.

     - Ou moi dans le tien, je tente. Ou dans la douche.

Harry garde cet éternel sourire. Cela le fait du bien, de le voir si lumineux, si léger, lui qui est souvent si fermé et sombre.

     - On a déjà pris une douche ensemble théoriquement.

     - Oh, j'ai cru que j'allais m'évanouir, je souffle. Tu étais devant moi, nu.

     - Je suis quasiment sûr que c'est le principe des douches collectives, il rigole.

     - Eh, te moque pas. Je luttais contre moi-même.

La voiture s'arrête devant le portail d'Harry, qui s'ouvre en reconnaissant la plaque d'immatriculation. Nous roulons jusqu'arriver dans son garage, où il coupe enfin le contact. Nos mains se séparent et Harry se tourne vers moi.

     - Tu n'as pas lutté longtemps, il sourit.

Il s'approche de moi pour venir m'embrasser, vraiment. Son bras passe autour de mon dos, venant presque me rapprocher de lui, et je souffle contre ses lèvres. Nous n'avons qu'un tout petit écart de taille, mais nos gabarits sont différents, je me sens petit, entre ses bras. Et j'adore ce sentiment.

     - Toi non plus, je réponds doucement.

Car je sais que nous avons tous les deux luttés afin d'échapper à cela. Et c'est peut-être la défaite la plus agréable que j'ai expérimenté.

Harry sourit et m'embrasse encore. J'ai remarqué qu'il a tendance à agir, plutôt que parler. Dans ses baisers, il me remercie, me montre son affection, parfois son désir. Ce baiser là, est un remerciement, est un « moi aussi, je suis heureux de ce qu'on a ». Il n'y a pas de prise de tête, rien, et qui l'eut cru ?

Que je trouverais une telle légèreté, dans les bras de la personne la plus complexe ?

Nous sommes deux êtres différents, difficiles à notre manière. Peut-être qu'ainsi, nous équilibrons la balance du bonheur.

     - Pour la proposition, c'est gentil mais, tu as raison, ça va s'arranger et elle va s'y faire, je dis finalement.

     - J'en suis sûr, sourit Harry.

À sa voix, je sais qu'il est sincère et cela m'aide à me rassurer davantage.

     - Je continuerais à squatter souvent par contre. Et à me faufiler dans ton lit.

     - Il y a intérêt.

Un dernier bécot pour la route, et nous sortons de la voiture en prenant chacun un sac avec la nourriture.

Nous passons par la petite porte communicante avec son entrée, et je m'arrête en trouvant Lucia présente dans la cuisine, avec une autre femme.

     - Oh, s'étonne Harry. Je ne m'attendais pas à ce que tu sois là Lucia. Chiara, ça fait plaisir de te voir.

Le bouclé va aussitôt prendre la femme dans ses bras. Je me souviens qu'elle m'a été présentée comme la fille de Lucia, et je peux remarquer l'air de ressemblance sans soucis. C'est une très belle femme, plus âgée que nous cependant.

     - Bonjour, je viens dire poliment.

     - Enchantée, Chiara, sourit celle-ci. Fille de Lucia.

     - Louis, je rétorque. Je joue dans l'équipe avec Harry.

Je lance un bref regard à Harry, un peu gêné. J'ai l'impression de rencontrer ma belle famille, un peu. Alors que je me présente comme un simple ami et collègue.

     - Salut Louis, sourit Lucia. Je voulais faire la surprise à Harry, j'ai préparé un bon repas.

     - Oh on pensait être seuls alors on a pris chinois, souligne le bouclé. On peut manger ailleurs -

Le bouclé a l'air aussi perturbé que moi.

     - Oui, je ne veux pas déranger, j'interviens. Je peux même vous laisser manger tous les trois pour vous retrouver, je reviendrais plus tard.

     - Ne dis pas de bêtises mon garçon, reprend Lucia. Toi non plus Harry. Vos couverts sont déjà servis.

En tournant la tête vers la table à manger dressée avec quatre places, je me rends compte que oui. Je me mords la lèvre en sentant mon coeur se chauffer.

     - Ça sera avec plaisir alors, je rétorque à la femme.

× × ×

J'aide à finaliser de mettre la table, avant que nous nous installions. Je suis en face d'Harry, Lucia à côté de moi, et sa fille aux côtés du bouclé. Ce dernier est très à l'aise avec les deux femmes tandis qu'il déballe notre nourriture.

     - J'ai pris de tout, me dit-il. Nouilles sautées, nems, viande aux épices, soupe, rouleaux de printemps.

     - C'est super t'en fais pas, je réponds poliment, peu à l'aise.

Je me sers une portion assez petite, tandis que les deux femmes se servent les pâtes à la carbonara que Lucia a préparé. Dès que je lève les yeux vers Harry, même s'il discute avec Chiara, il trouve le moyen de me faire un petit sourire radieux. Il a l'air vraiment heureux, là, tout de suite. Et ça fait du bien à voir.

Nous commençons à manger tranquillement. Je suis un peu silencieux, pas mal à l'aise mais pas non plus totalement dans mon élément.

     - Alors Louis, tu joues dans l'équipe nationale avec Harry ? S'intéresse Chiara.

C'est une très belle femme, avec ses longs cheveux bruns un peu ondulés, et ses yeux entre vert et marron.

     - Oui, je suis frappeur.

     - Ça fait longtemps que tu joues avec les Colorado Rockies ?

     - Non, j'ai rejoint l'équipe il y a quelques semaines.

Seulement quelques semaines, ou peut-être déjà quelques semaines. Le temps passe à la fois si vite, une éternité semble s'être déroulée ; et à la fois si lentement.

     - Louis est un très bon joueur, intervient Lucia. J'ai regardé votre dernier match à la télé, elle ajoute fière à l'attention d'Harry.

     - C'est vrai ? S'illumine ce dernier.

     - Oui, c'était super. Louis est super.

     - Je me débrouille, je réponds avec un petit rire gêné.

     - Non, tu as raison, reprend Harry. Louis est un joueur génial qui doute beaucoup de lui.

Je sais qu'il veut me faire comprendre qu'il parle de bien plus que le sport, et je retiens mes joues de se teinter de rose pour paraitre le plus amical possible. Je reprends quelques bouchées et me racle la gorge. Le sujet du baseball me met à l'aise, alors je reprends :

     - J'ai eu un passage à vide, il y a pas longtemps. J'étais mauvais sur le terrain.

     - Pourquoi ? S'intéresse gentiment Chiara.

     - Je ne sais pas, beaucoup de choses à penser. J'ai fait un bon match l'autre jour et c'est vrai que j'étais très content.

Elle acquiesce. Je remarque qu'elle a un sourire constant aux lèvres, et je me prends à penser qu'elle a l'air forte, pour une femme qui vit avec sa mère qui a été si malade. En sa présence, Harry semble différent ; plus lumineux, plus lui-même. Je crois que je me sens chanceux de le voir se dévoiler ainsi.

     - J'ai été avec un joueur de baseball, reprend la jeune femme.

     - Tu peux dire son prénom, rigole Harry en se tournant vers moi. Elle a fréquenté Liam.

     - C'est vrai ? Je m'étonne.

     - Drôle d'époque, pouffe Lucia.

     - Vous n'avez pas, enfin... pas le même âge, je reprends.

     - Oh, tutoie-moi ! Je n'ai que 30 ans, pas 45.

J'acquiesce en essayant d'enregistrer l'information. C'est vrai qu'autant physiquement que dans son attitude, elle fait jeune, presque notre âge. A côté d'Harry, face à leur complicité, on dirait presque des jumeaux qui se retrouvent.

     - On a eu une petite histoire, elle poursuit. Rien de sérieux. L'année dernière. C'est vrai qu'il y a une différence d'âge.

     - Liam était fou amoureux d'elle depuis qu'on était des gosses, précise Harry. J'ai cru que j'allais les tuer quand ils ont commencés à se fréquenter, j'avais l'impression que ma soeur et mon frère faisaient de l'inceste.

     - Oh, tu abuses, rigole Chiara.

Timidement, mais me détendant petit à petit, je rejoins leur rire.

     - Ça a duré longtemps ? Je reprends.

     - Quelque chose comme six mois, je crois ? Elle se tourne vers Harry qui confirme en acquiesçant. Oui, c'est ça, six mois.

     - Et ça n'a pas marché ?

     - Non, simplement parce que parfois les histoires ne marchent pas. Ce n'est pas grave - on s'entend très bien maintenant !

Le bouclé acquiesce, et alors je comprends qu'il était bien placé pour me dire qu'on s'y fait, quand on apprend une relation qui nous dérange un peu. Il a dû passer par là, entre son meilleur ami et celle qu'il considère comme sa soeur.

Nous continuons à manger dans un léger silence, brisé par le bouclé :

     - Je pensais t'organiser une fête d'anniversaire ici, dit-il. Pour tes 30 ans.

     - C'est vrai ? Il ne faut pas.

     - C'est ce que je lui ai dit, intervient Lucia.

     - Oh, arrêtez les filles. Ici c'est chez vous aussi, vous le savez très bien.

Lucia adresse un regard tendre à Harry, qui lui rend. Je crois qu'elle prend 95% de la place dans son coeur, avec sa douceur et sa confiance aveugle en lui.

      - On en reparlera mais j'aimerais bien faire ça. J'aime bien organiser des fêtes - je pourrais le faire avec Louis.

Les yeux des deux femmes se posent sur moi. Je balade mon regard entre le leur, avant de tirer un petit sourire.

     - Oui, avec plaisir, je parle.

Le simple fait qu'Harry m'inclut dans ses projets me fait plaisir. J'apprécie tous ces petits gestes anodins, qui font tressaillir mon coeur.

     - Tu passes beaucoup de temps ici alors ? Sourit Chiara.

     - Oh, oui. On est devenus assez proches, on parle beaucoup de baseball, de l'équipe, de sport...

Pour terminer ma phrase, j'hausse les épaules et reprends un nem.

Harry pince les lèvres, amusé sans le montrer. C'est vrai que ça fait très discours de l'hétéro viril qui fait du sport avec son pote, no gay, tout ça. Et quand on sait ce qu'on fait de notre temps libre, donc s'embrasser, se câliner, s'embrasser et encore s'embrasser, c'est assez comique.

     - Tu n'as pas de copine ? S'intéresse t-elle ensuite.

     - Non, non, je suis célibataire.

Je parle à toute vitesse avant de réaliser. Et le dire à haute voix, c'est bizarre. Car pour la première fois, je le dis alors que c'est faux. Je suis en couple - pour la première fois de ma vie. Avec un homme. Assis juste en face de moi. Ouais, ces dernières semaines sont définitivement passées à toute vitesse.

     - Pas célibataire, je reprends. J'ai une copine.

     - Tu viens de dire le contraire ? Rigole Harry, pour me taquiner.

     - Oui, oui, j'ai... j'ai divagué, je lui rends un sourire narquois.

Même si nous sommes avec deux autres personnes à table, j'ai l'impression que ce petit moment n'appartient qu'à nous, car nous sommes seuls à comprendre la signification. Enfin, je crois.

     - Elle ne serait pas contente d'entendre que tu oublies son existence, rigole Chiara.

     - Je crois que ça l'amuserait beaucoup, ajoute le bouclé.

     - Oh tu la connais Harry ? Sourit Lucia. Je ne pensais pas... On devrait l'inviter à manger.

     - Oh, oui, continue Harry avec un sourire grandissant. On devrait l'inviter à manger, tiens.

     - Avec plaisir, je rentre dans son jeu.

À nouveau, nous rigolons, et je me sens totalement détendu. Comme Lucia, Chiara a cette faculté à mettre les gens à l'aise avec sa présence pleine de légèreté. Elle est plus dynamique que sa mère, mais tout aussi agréable.

     - Et toi Harry ? Reprend la jeune brune. Tu as une copine ?

     - Oui tiens, je continue. Cette fille dont tu me parles tout le temps.

     - Oh, oui, cette fille...

Il fait mine de réfléchir en terminant sa bouchée, non sans cacher l'amusement sur ses lèvres.

     - Je fréquente quelqu'un en ce moment, rien de sérieux, il reprend.

     - Ah ? Je m'étonne.

     - Oui, elle est très belle, elle serait à ton gout Louis.

     - Si tu le dis, je souris.

     - On devrait aussi l'inviter à manger alors ! Décide Lucia. Un grand repas, tous ensemble, où vous nous présentez vos conquêtes.

     - Ça me parait être une super idée, je rigole doucement.

     - Idée de génie même, appuie Harry.

Et à ce moment-là, je me sens juste bien. Cela n'a rien à voir avec l'ambiance mortuaire qu'il y a dans les repas chez moi en ce moment. Ici, je suis détendu, tranquille, je plaisante même d'un sujet qui se veut secret sans peur ni honte ;

Et je me sens juste bien.

     - Tu habites dans quel côté de la ville ? Reprend Chiara.

     - Larimer Square, je réponds. Dans une vieille maison.

     - Je connais bien le quartier, sourit-elle. Tu vis avec ta famille ?

     - Avec mon cousin, en fait. Et mon ex-copine, j'ajoute un peu plus gêné.

     - Vraiment ? Rigole Chiara. Tu vis avec ton ex-copine ?

     - Ouais... je souffle, un peu amusé tout de même.

     - Et ta copine actuelle n'est pas jalouse ?

Je me pince les lèvres et ne peux m'empêcher de tourner mon regard vers Harry, qui mange avec un sourire planté sur ses lèvres. Ses boucles sortent de sa casquette, et il est craquant, avec ses coudes posés sur la table, qui dévoilent tous ces dessins qui subliment son corps.

     - Je crois qu'elle n'est pas jalouse, je rétorque enfin.

     - Ou alors elle le cache bien, parle le bouclé en haussant les épaules.

     - Sacrée comédienne alors, je siffle.

     - Les gens peuvent te surprendre Lou.

Ce surnom sonne parfait dans sa bouche.

Chiara rigole un peu et arque les sourcils un instant.

     - C'est peu commun, de vivre avec son ex à vos âges quand même, note t-elle.

     - Louis est un garçon peu commun, rigole Harry.

     - C'est un garçon super, appuie Lucia.

     - Merci, je dis timidement. Mais je sais, c'est pas commun... On voulait se rapprocher de Denver pour la suite, et on s'est dit que ça serait important de s'installer ensemble - on était encore ensemble à ce moment-là, évidemment.

     - Alors vous êtes en bons termes ? S'intéresse la femme.

Harry demeure silencieux, ne plaisante pas sur le sujet qu'il sait être le mien. C'est petit, minime, mais j'apprécie le geste silencieux. Ils parlent parfois plus que des mots.

Je me concentre à nouveau sur Chiara.

     - Disons qu'elle n'aime pas trop ma nouvelle petite-amie, je souris.

     - Oh, les problèmes de coeur... souffle Lucia en mettant une main rassurante dans mon dos. Ne t'inquiète pas mon garçon, ça lui passera.

Je n'ai jamais autant entendu ces mots que ces derniers temps.

     - Je sais, et puis, ça n'a pas trop d'importance, je crois. Ça ne m'empêchera pas d'être totalement investi dans ma nouvelle relation pour autant.

Les deux femmes me sourient, comme pour m'encourager dans cette voie. Je ne les connais que peu, voir pas du tout pour Chiara, mais leurs mots et leur aura m'aident beaucoup. J'adresse un petit sourire à Harry, qui me le rend.

Pour me remercier de mes mots, me montrer qu'il apprécie, il bouge son pied sous la table afin de venir le coller au mien. Encore une fois, c'est petite, minime ; discret, secret, mais cela me fait sourire.

Nous reprenons le déjeuner en discutant. J'en apprécie chaque seconde.

× × ×

Après manger, Lucia propose que nous fassions quelque chose ensemble, alors cela finit en jeux de société de toutes sortes. Je découvre sur le Poker qu'Harry sait bluffer comme un pro, et au Monopoly, je discerne cette petite pointe de mauvais perdant qu'il a en lui.

Les heures passent, elles se ressemblent mais ce n'est pas un problème. Nos rires viennent meubler la maison si vide, si moderne. Pour diner, nous finissons par manger le chinois qui reste, et après coup, la nourriture sur l'estomac, nous sommes exténués. La nuit approchant, Lucia opte pour du repos dans sa chambre, et Chiara, ayant un peu bu, part s'installer dans une chambre d'ami.

J'entre dans la chambre d'Harry alors que ce dernier ferme la porte derrière nous. Je souffle un coup et viens m'allonger dans son lit, mon dos contre le matelas, mes pieds toujours au sol, épuisé alors que la journée a été calme, douce. Je passe mes mains sur mon visage, le frotte un peu, puis écarte les bras et les pose sur le matelas.

Le bouclé ne prend même pas la peine d'allumer la lumière. Les lumières citadines à travers sa baie vitrée suffisent à apporter une luminosité tamisée, et c'est parfait ainsi. Je pourrais presque comprendre qu'il ne ferme pas ses volets pour cette raison.

     - Désolé de t'avoir coincé avec nous, parle Harry. Mon but n'était pas de te faire passer une sorte de repas et journée test avec ce qui ressemble le plus à ma famille.

     - Tu rigoles ? Je rétorque en relevant un peu la tête afin de le regarder se tenir plus loin dans la chambre.

     - Je ne fais jamais ça, d'habitude. Les présenter. Faire passer du temps avec. Jamais.

     - J'étais pas totalement à l'aise et fan de l'idée au début mais, elles sont géniales. J'ai beaucoup aimé Chiara, je comprends que tu la vois comme une soeur.

     - Elle a beaucoup joué avec toi, rit le bouclé.

Tout en parlant, il vient sur le lit, s'allonger à côté de moi, sur le ventre. Son visage est maintenu en hauteur grâce à sa main, son coude étant planté dans le lit. J'arque un sourcil.

     - Comment ça ? Je rétorque.

     - À te parler autant de copine. À parler de ma copine.

     - Pourquoi ?

     - Chiara sait que je suis gay.

J'hausse les sourcils, reste ainsi quelques secondes puis finis par rigoler.

     - Ok, elle doit avoir deviné qu'on n'est pas...

     - Des potes qui parlent de sport virilement toute la journée ? Rit Harry. Ouais, je suis quasiment sûr qu'elle s'en doute, même si elle ne me le dira pas clairement.

Je souris et viens me tourner, désormais sur le flanc. Je redresse ma tête de la même manière qu'Harry.

     - Tu aurais pu me le dire. Tu joues avec moi, je dis, amusé.

     - Je peux, genre, littéralement jouer avec toi ? Il demande.

     - Je suis quasiment sûr que c'est une allusion à un truc pervers ? Je rigole.

     - Ouais, quelque chose comme ça.

Son sourire vient s'écraser sur mes lèvres. Il embrasse lentement, ce qui vient contraster avec sa langue qui trace le chemin dont elle a envie comme si c'était une personne à part entière. Harry sait embrasser, il n'y a pas de doute. Je n'ai pas réellement de comparatif - mais je sais qu'il est ce genre de personnes qui nous époustouflent en un baiser.

Je pose ma main sur sa joue et finis par me reculer. Harry sourit, tendre, et je suis obligé d'aborder la même expression. Je découvre

Mon sourire retombe alors que je parle plus sérieusement :

     - Mais du coup, ça te dérange pas que je vive avec mon ex, hein ?

     - Non Louis, la réponse était non toute à l'heure, elle est toujours non.

     - Toute à l'heure je t'ai demandé si ça te dérangeait qu'on soit proche... pas qu'on vive ensemble.

     - C'est... Harry plisse les yeux. La même chose, non ? Vous êtes proches, vous vivez sous le même toit, littéralement proche.

     - T'es un sportif de haut niveau t'es pas censé être doué avec les mots, je ris. C'est pas exactement la même chose, je ne voulais pas dire la même chose en tout cas. On pourrait vivre sous le même toit, et pas être proche du tout.

Ce qui est un peu en train de se passer, là.

     - Si tu es pas à l'aise à l'idée qu'on se réveille en même temps, qu'on partage une salle de bain, qu'on soit, je sais pas, littéralement l'un sur l'autre au quotidien -

     - Littéralement ? Reprend Harry, un sourcil arqué.

     - Non, pas comme ça.

     - Pas... comme ça ?

En guise de démonstration, le brun m'attrape par les hanches et dans un mouvement brouillon, m'installe sur lui alors que son dos est sur le matelas. Je le surplombe, sa casquette a quitté son crâne désormais, ses cheveux sont un peu décoiffés et ses mains sont sur mes hanches. Un rire me quitte, je me mords la lèvre, confortablement assis sur son bassin.

     - Non, pas comme ça, je dis. Vraiment pas. On ne fait pas ça - je te jure. On a des chambres séparées, tout ça.

     - Je n'ai jamais vu chez toi, il rétorque, distrait.

     - C'est vrai...

Je me mords la lèvre, pensif pendant quelques instants. Harry commence à faire de petites caresses sur mon dos, je sais qu'il n'y a rien d'étrange au moment, il semble juste tellement aimer le contact, constant. Cela fait partie des choses que je n'ai pas soupçonnées chez lui, jamais. Et cela fait aussi partie des choses que je ne pensais pas apprécier, du tout.

Je me concentre à nouveau sur les yeux verts sous moi.

     - Ce n'est pas la maison où j'ai grandi, je ne la porte pas dans mon coeur, pas vraiment. Mais tu viendras la voir un jour, si tu veux.

Je vais devoir foutre l'équipe à la porte, ils vont râler, ça va encore être la comédie dell'arte là-dedans, mais je le ferai. Je crois que je ne suis pas à ça près.

Harry sourit, acquiesce, comme content de ma réponse. Il m'ouvre constamment ses portes, et même s'il dit ne pas aimer cette propriété, car trop grande, trop prétentieuse, trop comme son père, je suis flatté qu'il me laisse cet accès.

Je sens ses mains sur le tissu de mon haut, bien vite à même ma peau, lorsqu'il glisse ses doigts sous le vêtement.

     - Ça ne me dérange pas, il reprend sur le sujet précédent. Quand c'était pas clair entre nous, ça me dérangeait un peu. Maintenant, c'est bon. Je te l'ai dit, je ne suis pas vraiment un mec jaloux. Xander était plutôt le jaloux entre nous deux.

     - Je crois que je le suis pas non plus. Je sais pas trop. Mais j'aimerais clairement pas que tu habites avec Xander, je soupire.

     - C'est sûr, rigole t-il. Tu emménagerais ici juste pour marquer ton territoire.

     - Je t'ai un peu volé à lui, je veux dire... si j'étais pas arrivé, vous seriez probablement ensemble à l'heure actuelle.

Le bouclé se terre dans une réflexion, qui semble assez lointaine. Il met tous les éléments dans sa tête, à la suite, puis finis par acquiescer.

     - C'est probable. Je ne sais pas si ensemble est réellement le bon mot - c'était du sexe. Il s'est attaché, on a mis l'étiquette parce qu'il voulait, et par confort. Je te l'ai déjà dit mais ça n'avait rien à voir avec ce qu'on fait. Je suis vraiment pas le genre de mecs à relation.

Et cela me donne l'impression d'être un peu privilégié, avec lui, par lui. Je me mords la lèvre et acquiesce.

     - Mais tu es avec moi, j'appuie.

Harry acquiesce simplement.

     - Et toi ? Poursuit il. Si tu ne m'avais pas rencontré, tu serais probablement encore avec Judith.

À mon tour de réfléchir, de me faire les scénarios et les dérives en accéléré. S'il ne m'avait jamais embrassé, c'est probable que, oui, je me sois retrouvé à réellement tenter quelque chose avec elle. Par déni, par peur, par confort.

     - Possiblement, oui... j'avoue, moi-même dérangé par l'idée. Mais ça n'aurait pas duré non plus. On dirait bien qu'on est genre, l'élément déclencheur et perturbateur de l'un et l'autre, j'ironise.

Harry se met à jouer avec mes doigts dans les siens, comme distrait. Mes mots sont justes à nos deux situations. Nous déclenchons et perturbons beaucoup de choses en jeux, c'est évident. C'est comme une lutte constante entre le bien et le mal ; et à ce stade je ne sais pas lequel de nous deux représente quoi.

     - Alors, dit-il, qu'est-ce que tu veux faire maintenant ?

     - Je sais pas ? On pourrait, je sais pas. Jouer au docteur ?

     - Tu es un pervers, sourit Harry.

     - Tu l'es ! Je me défends. C'était une blague, pour info. Je ne ferai rien dans un endroit où il y a quelqu'un à moins de trois kilomètres.

     - On n'aura pas beaucoup de relations sexuelles alors.

     - Je sais, t'as misé sur le mauvais poulain Styles.

     - Ah ouais ? Poulain ? Sourit-il. Est-ce que je peux faire une blague avec le jeu de mot chevaucher et ce genre de conneries ?

Je roule des yeux et me laisse dramatiquement tomber sur le matelas, quittant ainsi son bassin. Il rigole et viens passer son bras autour de moi. Oui, du contact constant, lorsque nous sommes seuls. A l'extérieur, quand il y a du monde, il est différent. Moi aussi. C'est normal.

     - Je rigole, au fait, il dit doucement. Je ne suis pas un obsédé et tout ça.

     - Je sais, je souris.

     - Je n'ai pas envie que tu crois que je pense qu'à ça. J'ai jamais de relations comme ça - une vraie relation, c'est pas mon truc d'habitude. Du tout. Et j'aime le sexe, j'ai aimé le sexe avec toi, mais je veux pas qu'on passe notre temps à en faire.

J'hoche la tête et me tourne pour le regarder.

     - Je sais Harry. T'inquiète pas - j'ai bien aimé, aussi.

     - Je suis juste pas très doué pour faire autre chose de ma vie. J'ai pas de relation comme ça - j'en veux pas. Ça rend faible, ça distrait. T'as envie de passer ton temps avec, t'as envie de faire plein de trucs, parfois basiques. C'est pas mon truc, ça, moi, je sais simplement se voir en douce et coucher ensemble.

     - Wow, je pouffe. Liam a raison - t'es vraiment un fuckboy.

     - Liam t'a dit ça ?

J'hausse les épaules, conserve ce sourire sur mes lèvres.

     - Il m'a fait comprendre que tu étais pas très relation, je réponds. Mais j'avais pas besoin de lui pour le remarquer, ça se voit.

     - Je sais pas comment le prendre, il rit doucement.

     - Tu peux le prendre bien, je crois. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose, il y a des gens qui ne sont pas faits pour ça... Je ne sais pas si je suis fait pour ça.

Tout a l'air simple avec lui cependant. Et là est toute la folie de cette situation : tout a l'air simple lorsque je suis en sa compagnie, qu'il m'embrasse ou me touche, alors que notre relation et ce qui plane autour est la définition même du mot « complexe ». Harry a raison : ça rend faible, les relations. On baisse notre garde, nos murs internes. Et cela peut être dangereux.

     - Tu es... je reprends. Tu es très bien, pour quelqu'un qui n'aime pas les relations comme ça. Tu te débrouilles très bien - je me sens bien.

Il acquiesce, puis son bras me serre afin de me rapprocher un peu de lui. J'hume son odeur, ferme les yeux une seconde.

     - Garde ça en tête, ouais ? Parle t-il bas, si bas. Quand mon père reviendra, je serai probablement un con avec toi.

Je relève la tête pour le regarder dans les yeux, mais Harry ne me laisse pas faire. Il fixe son plafond, les yeux presque vides. Une simple pensée lui étant dirigée, et quelque chose change en lui.

     - Pourquoi ? Je parle doucement.

     - Tu sais. Notre relation - nous ne sommes pas fusionnels, c'est le moins qu'on puisse dire. Je me braque quand il est là.

     - Est-ce que tu veux me dire pourquoi ?

Le bouclé se crispe contre moi, et je regrette presque mes mots aussi vite que je les ai sortis. Un petit silence nous enveloppe et je me demande s'il va être brisé. Il finit par de nouveau bouger contre moi.

     - Pas maintenant, dit-il. Pas maintenant.

     - D'accord, je réponds simplement. Mais sache que.. tu n'as pas à me repousser à cause de lui, parce que tu te sens mal en sa présence ou qu'il te force.

Cette fois il me regarde, mais son vert est sombre, terne. Je mets ça sur le dos de la lumière grise de la lune.

     - Je le ferai pourtant, il m'assure.

Mon coeur me fait mal alors que je me résous à acquiescer et à poser de nouveau ma tête contre son torse. Celui-ci se soulève doucement, à un rythme régulier. Harry semble si calme, même lorsqu'il parle de choses dures comme cela. Il apporte une légèreté à la chose, et c'est peut-être encore plus sensible, encore plus douloureux ; comment quelqu'un peut se détacher autant de sujets qui font mal comme cela. Personne ne mérite ça - et je pense que même s'il y avait une liste des plus méritants, il serait tout en bas.

Ouais, vraiment faible, hein ?

     - Il n'est pas trop tard pour faire demi-tour devant le mur, il rit tristement.

     - Non.

     - Je suis sérieux. La porte de sortie est toujours ouverte, vraiment.

     - Je ne fais pas demi-tour, j'assure. Je ne sors pas. Et puis ton père n'est pas là, on n'a pas à penser à lui.

Harry reste sans bouger un instant, puis il relève un peu la tête afin de déposer un baiser sur mon crâne. C'est tendre, triste également. Le mélange de ces deux notions est parfois trop amer. Puis, il parle :

     - Oh, Louis. On aura toujours à penser à lui.

Mes entrailles se serrent parce que je sais qu'il a raison.



*
PARTIE 2 : Coeur en réparation

HARRY

J'observe le garçon endormi à côté de moi. Il a les paupières fermées, et elles semblent si légères. Je peux entendre son souffle dans l'air, sa bouche entrouverte, sa respiration est rythmée à quelques secondes d'intervalle. Ses cheveux bruns lui tombent un peu sur le front, et mon t-shirt trop large sur lui découvre une de ses épaules pâle.

Je me trouve ainsi, à l'observer. A détailler son visage que je connais bien, à anticiper chacun de ses mouvements endormis. Il est tombé comme une masse ce soir, paisible et content de sa journée.

Je suis incapable de dormir. Je me tourne encore et encore dans les draps, lâche quelques soupirs comme si cela pouvait vider mon esprit par la même occasion.

Au bout d'un moment, je finis par me lever, quitte la chambre sur la pointe des pieds et rejoins le long couloir. Le silence est total sur la propriété, et ainsi j'atteins le grand bureau de politicien qui se veut être la pièce maitresse de la villa. J'allume la lumière, sens cette odeur de vieux livres, de vieux bois de bibliothèque. Le grand bureau domine au milieu de la pièce, et je m'avance afin de déclencher le système qui vient ouvrir la pièce secrète.

Sous mes yeux, cela se déroule. J'avance dans l'endroit, regarde la marchandise. Je me penche sur les étagères ; vois la poussière qui s'est accumulé, que je laisse ici. Les bonbonnes ne quittent plus cette pièce.

Le trafic est au point mort.

Tandis que moi, j'apprends un peu à vivre.

Je suis pris d'un sentiment de culpabilité lorsque j'ouvre le carnet et y vois que les dernières notes ont été prises il y a un moment, lorsque Liam était chez moi. Je soupire, tourne la tête vers ce stock qui ne bouge plus. Vers tout ce courrier empilé sur le bureau de mon père, toutes ces enveloppes marquées confidentiel, importantes, qui sont en réalité liées à un trafic secret et illégal.

Je pourrais utiliser mon insomnie pour rattraper mon retard dans cette lourde tâche, je devrais faire cela - car c'est mon rôle, car si je ne le fais pas, les conséquences seront probablement lourdes.

Mais je pourrais également remettre cela à demain, encore.

Ce choix ne s'appliquait pas il y a encore un moment. Xander dans mon lit, je ne pensais pas de la sorte.

Louis est vraiment différent. Il y a quelque chose de différent chez lui, dans ses yeux, lorsqu'il me regarde ou regarde simplement le monde autour de lui.

Et mon esprit a du mal à envisager une fin heureuse pour une relation qui se passe si bien. Mon cerveau ne peut pas s'imaginer que c'est normal, une relation stable.

Il ne doit pas en attendre trop de moi, non.

Car avec moi, qui se nourrit d'attente, risque de mourir de faim.

Et pourtant, je réagis si mal à la simple idée que quelqu'un le fasse souffrir. Moi davantage. Et cette lutte interne commence à épuiser tous mes sens un par un.

Je referme le livret et le repose dans sa cachette sans y ajouter une seule annotation. Je quitte la petite pièce, qui se referme, et éteins la lumière du bureau. Je n'aime pas m'y trouver, m'y attarder. J'associe cet endroit à un devoir que l'on m'a inculqué, que je sais pourtant être mal, négatif. Mes pas résonnent dans les pièces vides jusqu'à atteindre ma chambre ; la pièce où je me sens le mieux.

Discrètement, je me glisse de nouveau sous la couette, et souffle d'aise. Mes yeux se posent à nouveau sur le brun. Il n'a pas bougé, son corps est juste un peu moins découvert, laissant apparaitre sa hanche couverte de son caleçon.

Inconsciemment, en préférant rester ici, dans ce lit, plutôt qu'à noter les stocks, je fais un choix lourd de conséquences.

Avancer.

Mais avant cela, il faut apprendre à marcher.

Et à ne pas faire demi-tour.

Pour la première fois en la présence de Louis, je ne parviens pas à trouver le sommeil.

Sûrement parce que pour la première fois de ma vie, la réalité semble mieux que le rêve.

Mais c'est terrifiant. Peut-être même plus que mon père lui-même.

Je m'approche de Louis, viens entremêler nos jambes, enroule mes bras autour de son être. Un petit gémissement de plainte le quitte, et je souris. Oh Harry, ne foire pas tout avec celui-là.




*

PARTIE 3 : Coeur qui s'ouvre

NIALL

Je suis penché sur de la paperasse, mes lunettes tombant un peu sur mon nez lorsque la porte du bureau s'ouvre. Je tourne la tête vers Mike qui ajuste sa veste de costard sur ses épaules, et Andrea qui s'est faite belle à côté de lui.

     - Vous allez quelque part ? j'interroge.

     - Oui, on sort en ville, sourit la femme.

     - Ce n'est pas risqué ? Je reprends. L'équipe de baseball sait qui vous êtes.

     - On va rouler jusqu'à Boulder, explique Mike. C'est moins d'une heure, je ne boirais pas d'alcool pour qu'on puisse rentrer, mais on va se faire une vraie sortie digne de ce nom.

Les yeux de la brune sont pétillants. Même s'ils ont eu le temps de se rapprocher ici, on peut considérer cela

Je leur souris un peu, amicalement. Je suis sincèrement content pour eux.

     - Amusez-vous bien alors, je dis simplement.

     - Hop hop hop, intervient Todd qui entre dans mon champ de vision. Il y a de la place dans la voiture, j'espère ? Il ajoute à l'intention de Mike. S'il y a un véhicule qui part vers la liberté, je monte dedans et je vais directement au bar. Marre de rester coincé ici.

     - Je suis ! Crie Ernie depuis le salon.

     - Attendez, quelqu'un a parlé de liberté ?

Nick accourt dans le bureau en prenant une sorte d'air dramatique de garçon épuisé, et cela me fait un peu rire. Mike lâche aussi un petit sourire et c'est impressionnant, comme il s'ouvre de plus en plus.

     - Si vous sortez, je viens, insiste l'adolescent.

     - On va à un rencard en tête à tête, explique Mike. Tu ne vas pas t'incruster pour rater mon rencard, jeune homme.

     - Rien à faire de vous, je vais au bar moi.

     - Tu as 18 ans, rigole Andrea.

     - On va faire comme si les policiers ici suivaient la loi à la règle maintenant ? Il croise les doigts, gardant cet air de diva.

Cela nous fait tous rire et lever les yeux au ciel.

     - Je vais avec Todd et Ernie, reprend le garçon.

     - Ça ne vous dérange pas ? Parle Andrea.

     - Ils ont pas leur mot à dire, s'outre l'adolescent. Je suis entre ces murs depuis je ne sais pas combien de temps - c'est pas humain. Laissez-moi noyer mon chagrin dans du jet 27.

Je jurerais que Mike marmonne quelque chose comme doux jésus à ce moment.

     - On va clairement dans un pub irlandais par contre, parle Todd.

     - Oh non, couine Ernie, toujours depuis le salon.

     - Pas le choix ! Rétorque le roux. Je n'ai pas été dans mon élément pendant trop longtemps.

     - Tu as un compagnon irlandais dans cette maison toi, moi j'oublie de plus en plus Hawaï avec ces conneries.

     - Pas mon problème, rit son équipier.

Je les entends continuer à se chamailler tandis que je me reconcentre sur l'écran de mon ordinateur, sur cette page de rapport quasiment blanche, que je n'arrive pas à remplir. Mes amis continuent à discuter et décider de « qui monte à l'arrière ou au milieu ? », jusqu'à ce que j'entende mon prénom et me tourne à nouveau vers Mike :

     - Alors, tu veux venir au bar aussi ? Demande t-il. On peut prendre deux voitures.

     - Oh, c'est gentil mais non. J'ai ça à finir... je soupire.

     - Monsieur Tanson peut attendre, tente Andrea.

     - C'est gentil mais j'ai deux rapports à faire, un pour votre poste, un pour ma juridiction comme cela concerne les stups. Je vais essayer de me pencher un peu dessus, je suis inspiré.

Les deux agents tournent les yeux vers mon écran où il n'y a que quelques pauvres mots écrits, mais se retiennent de commenter.

C'est une excuse bidon, de toute évidence. Plus facile de dire cela plutôt que d'assumer que je ne me sens pas encore totalement à l'aise de faire partie de ce qui ressemble à un vrai groupe d'amis avec mon ex. Je suis passé à autre chose, oui - mais cela est encore un tout autre niveau, que je ne suis pas sûr d'avoir envie de franchir.

Être amis, le genre d'amis proches, réels, avec ses ex, je n'y crois pas.

     - Bonne soirée alors, me dit poliment Mike.

     - Vous aussi.

Ils ferment la porte derrière eux, et la seconde suivante, je suis de nouveau plongé, mes doigts tapent un peu sur le clavier. J'écris quelques phrases bien trop longues, qui ne mènent nulle part. J'écris simplement pour écrire, sans réelle conviction ni nouveaux éléments.

Faire des rapports de la sorte, cela fait partie de la procédure. C'est même essentiel, pour ce genre de missions délicates. Je soupire, enlève mes lunettes et me frotte les yeux à l'aide de mon pouce et index.

Je me lève de ma chaise de bureau peu confortable et avance jusqu'au tableau de suivi. Je croise les bras, souffle encore un coup. Je l'observe comme si j'allais voir de nouveaux éléments, être soudainement inspiré. Comme si la réponse était là, juste sous nos yeux - que la preuve allait arriver, que le coupable allait être trouvé, que nous pourrions faire tomber le trafic à l'aide d'une si petite chose.

Je divague un instant, me perds dans mes pensées et finis par me ressaisir. Je consulte ma montre, et décide de quitter le bureau pour rejoindre la cuisine et me préparer un café. J'arrive devant la machine, remplis le réservoir d'eau, mets une capsule et appuie. Un lourd bruit se fait entendre.

     - Super, je grogne.

Je tente de tirer le levier afin de faire tomber la capsule, puis en mets une nouvelle - mais le bruit se répète, et l'élément se coince.

     - Tu vas la casser.

Je sursaute à l'entente d'une voix qui n'est pas la mienne. Je me tourne vers Judith qui se tient là, portant un espèce de jogging gris taille haute, et un débardeur qui lui arrive au milieu du ventre. Ses cheveux ne sont pas attachés, et je crois bien que c'est la première fois de ma vie que je la vois ainsi. Que ce soit le soir, ou au réveil, elle est toujours un minimum apprêtée, prêtant elle-même une certaine importance aux apparences.

     - Elle est déjà cassée je crois, je me défends. Je ne savais pas que tu étais là, je pensais que tu étais sortie avec Nick et les autres.

     - Ils m'ont proposés, je n'avais pas envie. Je suis pas dans le meilleur mood ces derniers temps.

Je ne commente pas ce fait irréfutable et elle s'approche jusqu'à être à mes côtés. Elle réessaie le même geste : tire le levier, fait tomber la capsule, vérifie que tout est en ordre, répète l'opération basique. La machine fait un bruit encore plus lourd, qui fait grimacer la blonde qui se recule d'un pas.

     - Je crois qu'elle est cassée, dit-elle en levant les yeux vers moi.

     - Tellement plus facile de ne pas me croire, je rigole.

     - Je t'ai dit, je ne fais pas confiance aux gens.

Elle dit ces mots tristes avec une légèreté presque foudroyante. Je m'appuie contre le plan de travail.

     - J'avais vraiment besoin d'un café, je soupire. Ces rapports me rendent fou.

     - Va t'en chercher un. On est en Amérique, tout est ouvert.

     - Peut-être que je vais en chercher un, oui.

Judith acquiesce et tourne les talons. Je pense qu'elle va quitter la cuisine mais elle s'assoit sur une chaise, amène son pied droit dessus, et pose son coude sur son genou. Elle soupire. Je l'observe un moment, mes jambes et bras croisés.

     - Je ne savais pas que tu avais des lunettes, elle note.

     - Je ne savais pas que tu avais la capacité de détacher tes cheveux, je rétorque.

     - Woah, on a encore tellement de choses à apprendre l'un sur l'autre, elle utilise un ton ironique.

     - Je t'ai pas mal cerné, j'hausse les épaules.

Se faisant, je me tourne à nouveau et tente une dernière fois d'arriver à mes fins avec la machine. Si une maison pleine de flics se retrouvent sans machine à café, ça va être la folie.

     - Comment ça tu m'as cernée ? Dit-elle.

     - Je t'ai cernée. Je t'ai dit, je suis policier. C'est mon truc.

Nouveau bruit sourd, comme si quelque chose était coincé je ne sais où. Je grimace.

     - Aussi bon flic que réparateur ? Taquine Judith.

     - Heureusement pas.

     - Alors si tu m'as cernée, dis-moi le genre de personne que je suis.

Je me tourne vers elle, qui n'a pas bougé. Ses sourcils sont arqués, elle semble réellement intéressée par ma réponse. Je secoue la tête.

     - Ça n'a aucune importance. Je vais aller me chercher un café. Prendre un truc à manger aussi, peut-être. Je vais aller dans un diner.

     - Un diner ? Rit Judith. C'est le cliché américain.

     - Eh bien, on est américain.

Judith se contente d'hausser les épaules, l'air de dire ouais, c'est vrai.

     - Je croyais que tu ne voulais pas sortir ? Reprend cette dernière.

     - Le café passe avant. Tu veux venir ? Je propose en allant chercher les clés.

     - Ouais, pourquoi pas, elle soupire.

     - Je croyais que tu ne voulais pas sortir ? Je rebondis.

La blonde ne réagit pas et viens enfiler ses baskets blanches sans réelle conviction. Vu la chaleur qu'il fait dehors même si la soirée est déjà installée, elle ne prend pas de veste.

     - Tu y vas comme ça ? Je demande en ouvrant la porte.

     - Un problème avec ma tenue Monsieur l'agent ?

Je roule des yeux, amusé, et ferme la porte derrière nous.

× × ×

Nous prenons place sur les classiques banquettes rouges, face à face. Le sol carrelé blanc et noir est parfaitement propre, presque glissant. Je me colle contre la fenêtre, là où la rue est visible. Même s'il se fait tard, les gens sont encore nombreux dans les rues.

Rapidement, un serveur vient prendre notre commande. Je me contente de prendre un café, tandis que Judith opte pour un milkshake, vanille banane. Je tourne les yeux vers la vitre et l'activité qu'il se passe dehors.

     - C'est différent de New-York ? Demande Judith.

     - C'est différent sans vraiment l'être. La ville n'a rien à voir - moins de bâtiments, beaucoup plus de jolies maisons. Mais c'est dynamique aussi, ici.

Judith tourne à son tour la tête pour observer. Les nombreuses voitures qui attendent au feu rouge en face de la rue appuient mon point. Il y a aussi un parc, qu'on peut remarquer plus loin, où énormément de gens semblent être installés.

Je me tourne à nouveau vers la femme.

     - Ça me manque parfois, je dis. New-York.

     - Tu n'as pas, genre, un appart minuscule ?

     - Il est ok. Un peu moins de quarante mètres carré. Une chambre. C'est largement suffisant.

     - C'est même du luxe pour New-York, note t-elle.

     - Je ne m'en plains pas, ouais. Je suis situé tout en haut d'un bâtiment, j'ai une vue assez imprenable sur New-York.

     - Tu peux ramener les filles et leur montrer la vue, c'est l'élément parfait pour conclure, rigole t-elle.

J'hausse les épaules, partage son rire en restant peu convaincu.

     - Je ne suis pas tellement un charmeur, je dis comme si cela avait une importance que je lui dise à elle.

     - Pourtant tu as l'appart pour.

     - Ouais, comme quoi, j'ai vraiment pas à me plaindre.

Au tour de la blonde d'hausser les épaules avec un petit sourire. Celui-ci s'estompe bien vite alors qu'elle croise les bras sur la table et se passe les mains sur le visage. Elle est totalement démaquillée, et je ne suis même pas sûr de remarquer une grande différence avec d'habitude. Judith est une très belle femme, c'est une évidence. Elle serait ce cliché dans les séries, cette personne au physique d'une femme de 25 ans, qui joue une lycéenne. Elle a tout pour - l'attitude, le physique, la répartie. Pourtant elle est jeune, et déjà marquée par la vie.

Je l'observe quelques instants. Je ne parle pas, il y a tout de même du bruit autour de nous - d'autres groupes dans le diner qui parlent, ou les bruits qui proviennent des cuisines mal isolées. Je détaille son visage un moment.

     - Comment tu te sens ? Je tente, me voulant sympathique.

     - Je ne sais pas, elle rétorque et elle porte vraiment la confusion dans ses yeux. Je ne sais pas comment je me sens, comment je dois me sentir...

Judith laisse flotter ses mots et se recule, son dos vient se coller contre la banquette rouge. Elle tourne la tête vers la vitre. Je sais qu'elle n'observe pas réellement ce qu'il s'y passe, mais évite simplement le contact visuel.

     - C'est super frustrant en ce moment. Je réagis d'une manière... je ne me reconnais pas. Je dis des choses, fais des choses, je suis en colère, mais je ne me reconnais pas. Je suis fatiguée, et je suis en colère, mais je suis même pas sûre de contre qui, quoi. Je crois que c'est un peu contre le monde entier.

Elle marque une pause dans ses paroles, pour lâcher un long soupir.

     - Et ça sort brouillon de ma bouche. Mes mots dépassent ma pensée, je parle sans réfléchir, je regrette - mais je suis quand même en colère. Je suis en colère contre Louis, et en même temps je m'en veux d'être comme ça, parce que je sais qu'il ne mérite pas toute ma colère. Je sais pas réellement comment... gérer.

     - Ça se voit.

     - Merci, elle pouffe en me regardant. J'ai remarqué, tu as toujours le mot parfait pour rassurer.

     - Tu n'as pas besoin de quelqu'un qui va te rassurer. Tu as besoin de quelqu'un qui va te dire clairement les choses. C'est pas un cadeau de juste te dire des jolis mots, il faut te dire quelque chose qui va t'aider. Et toi, t'es pas le genre de personnes qui a vraiment envie d'être juste rassurée tendrement.

     - Peut-être que tu m'as un peu cernée, elle soupire.

J'acquiesce. Judith revient à sa précédente posture, les bras croisés sur la table blanche. Elle se met à mordiller sa lèvre inférieure.

     - J'ai eu un copain, avant, un seul vraiment. Il s'appelait Josh.

     - Josh Tanson, oui, je réponds. Son nom figure dans le dossier.

     - Ouais, cet idiot a trouvé le moyen d'être impliqué dans cette histoire, elle soupire. C'était... il était un peu con, avec moi. Le cliché parfait, le joueur de sport un peu macho qui s'est mis à draguer la fille populaire du lycée jusqu'à la séduire.

     - Je ne t'imagine pas du tout avec un mec macho.

     - Ouais ? Moi non plus. Ni maintenant, ni à l'époque. Les sentiments, ça rend vraiment fou. Et j'apprends pas de mes erreurs.

Elle fait de toute évidence référence à la situation actuelle, avec Louis - à comment elle se laisse transporter par ce tsunami de ressentis qui se veulent négatifs par moment. Elle en a conscience, et c'est encore plus frustrant d'être spectateur de sa propre vie, de ses propres gestes. J'en sais quelque chose.

     - Il était gentil, dans l'intimité, elle poursuit. Et plus brute devant ses copains. À faire le fier, le mec pas du tout proche de moi, ce genre de conneries. Je n'ai rien vécu de dur avec lui - il était juste assez con, vis à vis de mon trouble TDAH. Ça lui arrivait de m'empêcher de prendre mon traitement.

     - Tu as un traitement ? Je m'étonne.

     - J'avais. Quand tu es vraiment très concerné par ça, tu peux avoir un traitement. Ça ne soigne pas, disons que ça... aide. Canalise, quelque chose comme ça. C'était un désastre sur moi, ça me vidait de mon énergie. J'étais vide d'émotions, fatiguée constamment, en chute libre. Ca lui plaisait pas du tout, parce que je n'étais pas la fille avec qui il avait commencé à sortir. Et sur le fond il avait raison, ce n'était pas pour moi, mais c'est putain d'hypocrite quand on y pense. Il me faisait des grands discours sur les méfaits de ce traitement quand il prenait de la drogue en douce avec Harry Styles.

J'ai du mal à savoir si elle est triste, frustrée, en colère, déçue. Il y a probablement un bien étrange mélange de tout cela.

     - Harry ne se drogue pas, je dis doucement. On a eu l'échantillon de son cheveu, et ça remonte à des mois et des mois. Il n'y a rien.

     - Ouais, c'est fou hein, soupire la blonde. Ça me rend encore plus stupide d'autant lui en vouloir. Il est vraiment monsieur parfait. Je ne peux pas nier qu'il est beau, et il a Louis.

Nouveau soupir de la part de la femme.

     - Je ne suis pas sûre que je sois vraiment amoureuse de Louis, j'ai juste eu cet énorme crush, beaucoup gros que je le pensais, et j'ai pensé que ça partirait juste d'un coup... C'est si stupide. Et me voilà maintenant à lui reprocher de faire sa vie de son côté,

     - Tu es en colère parce qu'il ne te l'a pas dit en tant qu'ami.

     - Bien-sûr, et un peu aussi parce que c'est pas moi. Et c'est ridicule de lui reprocher ça. Surtout s'il est gay - putain, il a pensé que j'étais homophobe. Moi ? C'est tragique.

Je me pince les lèvres tandis qu'elle souffle, encore, avant de reprendre :

     - Je perds le contrôle en ce moment. Ça t'est déjà arrivé, de perdre le contrôle ainsi ?

Il me faut un moment de réflexion, non pas pour réfléchir à une réponse, mais pour songer à si je dois la partager, ou non. C'est personnel, et c'est franchir une sorte d'étape, de se confier l'un à l'autre. Mais face à ses révélations, face à son coeur exposé comme un livre entrouvert, je décide d'en faire part.

     - Après ma rupture avec Andrea. J'ai eu cette phase, ce goût de pas fini. J'étais un désastre, au début. Heureusement que les fenêtres des appartements New-yorkais ne s'ouvrent pas, parce que j'aurais pu sauté.

     - Wow, s'étonne Judith.

     - Ouais, je soupire, presque honteux. Pendant toute une semaine, j'ai enchainé les bières le soir. Un soir, je me suis fait quelque chose comme 12 Guiness, et j'ai mangé genre, deux pizzas, des hot-dogs. J'aurais pu exploser. J'étais un vrai désastre, j'ai été malade tout le lendemain. Et j'ai tracé la limite à cet endroit. C'est normal d'être triste, de perdre le contrôle, mais il ne faut pas que ça aille trop loin pour la situation. Je me suis fait du mal, j'ai fait du mal à mes amis qui m'ont vus dans cet état, que je repoussais alors qu'ils n'avaient rien à voir là-dedans. Ce n'était pas de leur faute si j'ai balancé Andrea sur une erreur, et qu'on s'est séparés.

Machinalement, je me passe une main dans les cheveux. Judith semble se détendre alors que je me crispe, peu habitué à parler de cela.

     - J'ai frappé des gens aussi, j'ajoute. Un pauvre mec lambda dans la rue.

     - Quoi ? Elle rigole.

     - Ouais, je suis arrivé et j'ai genre, cogné son nez. D'un coup. Je l'avais jamais vu de ma vie avant, j'ai juste frappé - bordel, j'ai risqué mon badge là-dessus.

     - Quoi ? Répète Judith, son rire doublant.

     - Je sais ! Je rejoins son rire sans le contrôler.

     - Tu es si calme, ça n'a aucun sens.

     - Je te dis, j'étais un désastre. C'est normal de pas se reconnaitre dans ces cas-là, c'est normal, je continue sur une note plus sérieuse. L'essentiel c'est d'en prendre conscience. De se poser, de reculer d'un pas et d'y réfléchir. De pas trop se perdre en chemin. Certaines épreuves te changent mais ne doivent pas faire en sorte que tu te perdes toi-même. Je suis pas le genre philosophique mais je crois que c'est comme ça que ça marche.

Judith arrête de rire mais conserve un petit sourire sur son visage. Lentement, elle hoche la tête.

     - Ouais, peut-être que ça marche comme ça.

Je me perds dans ses yeux un court moment, lui rends son fin sourire sincère. Je me prends à détailler des petites choses inutiles, comme ces petits éclats de jaune dans ses yeux, ou la forme parfaite de ses sourcils, et cela n'a aucun putain de sens.

Le serveur arrive avec un plateau, souriant et poli.

     - Voilà le café pour Monsieur, dit-il en disposant la tasse devant moi. Et le milk-shake pour sa copine, il termine en posant le verre devant elle.

     - Merci, sourit Judith.

     - On n'est pas - je commence immédiatement. On n'est pas, comme ça, j'explique à l'homme.

Ce dernier arque un sourcil, l'air de dire je m'en fiche un peu, je n'ai pas à savoir. Je lui adresse un signe de tête pour le remercier et il repart à son service.

     - Je sais pas comment le prendre, rit Judith. Tu es si déterminé à dire à un inconnu que je ne suis rien pour toi.

     - C'est justement parce que c'est un inconnu. Je n'ai pas envie que les gens se fassent d'idée.

     - Et mon égo est encore plus blessée, deux hommes qui vivent avec moi me rejettent à un mois d'intervalle, coup dur pour la joueuse, ironise t-elle.

     - Non, non, ce n'est pas ça, je tente.

Judith se met à siroter le contenu de son verre à l'aide de la paille. Elle me regarde droit dans les yeux, elle sait très bien que je suis peu à l'aise.

     - Tu n'es pas vraiment vexée, je reprends. Mais je vais tout de même m'expliquer, parce que j'en ai envie - c'est juste parce que je n'ai pas envie qu'il se fasse d'idées. Tu es la fille de mon collègue.

     - Donc, c'est la seule raison ?

Quelque chose semble différent dans ses yeux, dans sa voix. Et l'espace d'une seconde, j'ai l'impression que quelque chose change en moi également. Mais cette brève impression n'est que très furtive.

     - Je suis trop vieux pour toi, tu es jeune, tu es amoureuse d'un autre, on est amis, tout ça c'est les autres raisons, j'argumente.

Sur ces mots, je prends quelques gorgées de mon café. Le liquide me brûle un peu la gorge, mais au moins cela me réveille. Je relève les yeux vers la blonde, qui sourit en retour.

     - C'est un plaisir d'être repoussée par toi, Niall, dit-elle. Je mettrais un petit 8/10, pour l'effort, parce qu'on est en publique. Bizarrement, c'est beaucoup plus agréable comme ça que seuls dans une chambre.

     - Je prends le 8/10, j'hausse les épaules.

     - Alors on est amis, malgré notre écart d'âge ?

    - Ça ne veut rien dire. On peut l'être. On se confie ces choses sur nos vies, j'essaie de t'aider. Je pense que c'est ce qu'on est, oui, une sorte d'amis.

Judith semble réfléchir un instant, continue à siroter son milkshake et finis par hocher la tête.

     - Amis alors, dit-elle doucement.

     - Amis, je répète une énième fois.

Et je déteste cette minuscule partie au fond de mon crâne qui ne peut s'empêcher de se dire que Louis et Harry ont dû passer par cette phase de déni, aussi. Car elle est peut-être aussi minuscule qu'une cellule, mais elle existe tout de même.

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Chapitre important, le cap des 30 chapitres est passé !

La partie de Louis est très importante car elle montre un aspect important de sa vie avec Harry : les moments du quotidien qui montrent qu'ils ont le droit à une pause, même s'ils sont rattrapés par la dureté des choses.

La partie d'Harry, brève mais fondamentale. Il a encore du mal à accepter ce qui peut lui arriver de positif et il n'est pas au bout de ses peines même si chaque pas en avant est un pas de plus vers le bonheur.

La partie de Niall, sur ses pensées, sur sa personnalité, sur Judith.
Est-ce que vous comprenez mieux le personnage de Judith et sa réaction ?
Que pensez-vous de leur relation, une belle amitié ou plus ?

Merci encore pour tout ❤️

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