CHAPITRE 18


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PARTIE 1 : Passer au-dessus du mur

LOUIS

Je range mes livres dans mon casier. Je me prends à être presque surpris par à quel point celui-ci est vide, triste. Dans mon ancien lycée, mon casier était décoré, de manière un peu kitch, certes, mais comme un adolescent qui évolue.

Peut-être que je devrais ajouter quelques éléments, sur celui-ci.

Je suppose que je ne serai pas ici pour encore très longtemps, mais ajouter un peu de vie à cet endroit ne ferait probablement pas de mal. Une écriture stupide par Nick, un baiser marqué par le rouge à lèvres de Judith - quand les choses s'arrangeront entre nous.

Si elles s'arrangent.

Je prends mes livres pour mes prochains cours de la journée. Je ne suis pas très attentif en cours, et j'ai parfaitement conscience que je vais probablement redoubler cette année, et rater mon diplôme. Cela tombe mal, mais c'était le risque, et après tout, ce n'est pas bien dramatique de redoubler. Il faut dire qu'en ce moment, j'ai des objectifs et obligations bien plus importants.

La sonnerie retentit, et je soupire. Le brouhaha provoqué par la masse d'élèves s'accentue encore plus, jusqu'à doucement, disparaître. J'attends toujours une minute après l'alarme pour partir vers ma salle de classe, afin d'éviter les embouteillages de couloirs. Me retrouver coincé entre des dizaines de gens ne m'a jamais plu.

Alors, désormais dos collé contre mon casier froid, je regarde les élèves tous partir. Chose que je ne faisais pas avant : je les examine. Je ne peux pas lire ce qu'il y a dans leurs têtes, ni deviner ce qu'il se passe dans leurs vies ; mais cela a un côté intéressant de visualiser, d'imaginer.

Ce n'est peut-être pas la meilleure manière de s'évader, mais c'en est déjà un, et c'est déjà ça.

Je suis invisible ici, je m'en rends compte à mesure que tout le monde passe devant moi sans même tourner la tête. J'avais déjà cet avantage auparavant.

Il faut le voir comme un avantage. Trop attirer l'attention peut mener au négatif. Harry en est probablement la preuve vivante.

Et, passer incognito était une nécessité pour mener à bien la mission. Au moins, un but de réussi pour l'instant.

Un seul.

Tandis que je réfléchis, tous les jeunes devant mes yeux partent petit à petit. Je tourne la tête sur la gauche et vois Harry. Il marche seul, sans Liam, décontracté et juste... lui.

     - Ce n'est pas un jour de tutorat pourtant, je m'exprime doucement à voix haute, confus.

Puis après la confusion, vient le stress. Car de toute évidence, il avance pas à pas vers moi. Et je n'oublie pas ce qu'il s'est passé - bien-sûr que je n'oublie pas.

Je souffle, comme pour me motiver, alors qu'il n'est plus qu'à une dizaine de mètres. Je fais semblant de prendre encore quelque chose dans mon casier, l'air de dire que je ne l'attends pas ou je ne sais quoi.

Et lorsque j'entends ses pas tout derrière moi, je me tourne, prêt à enfin discuter. Pour la mission, il va falloir que je m'y remette. Et, ça va aller.

Ça va aller. C'est ce que je me répète.

Si je le dis assez de fois, je finirais sûrement par y croire.

Seulement, lorsque je me retourne, Harry est bien derrière, oui. Mais il continue à avancer.

Et ne m'adresse pas un seul regard.

Comme si je n'étais pas là.

Je ne peux même pas apercevoir le vert de ses yeux une seule seconde, qu'il m'a déjà dépassé, sans même daigner m'adresser une seconde son temps. Ma première réaction est de froncer les sourcils. Mais je réagis aussitôt.

     - Harry ? Je parle.

Aucune réaction ; des pas supplémentaires.

     - Harry ?

Mais de nouveau, je ne vois que sa silhouette de dos s'éloigner davantage. Sa démarche est toujours la même, décontractée, contrastant totalement avec ses vêtements entièrement noirs. Et il ne bouge pas d'un millimètre à l'entente de son prénom.

     - Merde, je grogne dans ma barbe.

Tel un - mauvais réflexe - je saisis la large chemise que j'ai mis par dessus mon t-shirt, sur laquelle mon micro est attaché, et la retire. Je la mets en boule et la lance violemment dans mon casier, que je claque avant de courir derrière Harry.

Je cours littéralement derrière ce mec. Quelle mission de merde.

     - Harry, je dis en arrivant à côté de lui.

Il continue à marcher en fixant droit devant lui, alors je fais de même, à l'exception que ma tête est tournée afin de le regarder. Je vais être en retard.

     - Tu ne m'entends pas quand je t'appelle ?

     - Si, dit-il banalement. Je t'entends.

     - Alors pourquoi tu ne me réponds pas ? Et puis qu'est-ce que tu fais là, en premier lieu ? Ce n'est pas un de tes jours de tutorat, même dans les rendez-vous exceptionnels.

     - Tu as retenu mon emploi du temps, je devrais peut-être t'engager comme secrétaire.

Harry accompagne ses mots d'un petit ton se voulant faussement humoristique. Je sais qu'il ne se moque pas de moi, mais utilise simplement cette espèce d'humour qui va avec son masque, et cette personnalité publique « parfaite ».

Je me retiens de rouler des yeux.

     - Je suis là parce que j'ai à faire ici, reprend-il.

Évidemment, toujours pas de regard. Comment peut-il être ainsi ?

     - Qu'est-ce qu'il y a ?

     - Tout va bien, Louis. Qu'est-ce qui pourrait bien ne pas aller dans ma vie ?

Ses réponses comme automatiques me perturbent tellement que je m'arrête une seconde. Il continue à avancer, et cela me trouble davantage. Parfois, Harry ressemble à un pantin. Et dans ces moments-là, il est indéfendable.

Beaucoup de choses me viennent en tête pour répondre à sa réponse, en fait. Beaucoup de choses ne vont pas dans sa vie, et c'est une évidence - j'en sais un rayon.

Ses problèmes semblent être comme une deuxième nature pour lui. Il y tient, s'y vautre, s'en alimente - tout cela en secret. Il y a une sacrée liste, des choses qui sont bien étranges et négatives dans sa vie.

Enfin, je crois.

J'accélère de nouveau le pas pour me retrouver à ses côtés.

     - Tout va bien, et pourtant tu m'ignores, je note.

     - C'est vraiment à moi que tu poses cette question ?

     - Ok, j'ai été bête en t'ignorant, je sais. Mais ce n'est pas en faisant la même chose que les choses vont avancer.

     - Mais il n'y a aucun problème, Louis.

     - Si - il y en a un.

Je devine que le bouclé ne va pas me répondre, alors agacé, je lui coupe chemin en me mettant devant lui. Il n'a pas d'autre choix que de s'arrêter, et enfin, baisser ses yeux pour rencontrer les miens.

C'est comme si je pouvais voir des lignes défiler dans ses pupilles, mais que j'avais oublié comment lire. Je suis incapable de deviner ni même d'apercevoir un échantillon de ce qu'il se passe dans la tête d'Harry. Il est fermé ; le masque est porté.

Retour à la case départ, pas vrai ? Comme si je l'avais dépassé un jour...

     - On sait tous les deux ce qu'il s'est passé, je reprends. Et on passe de ça... à... ça. Il y a un problème.

     - On sait tous les deux ce qu'il s'est passé, oui.

     - Alors on pourrait peut-être en parler ? Je suggère, confus.

     - On pourrait. Mais de toute évidence, nous en sommes tous les deux à la conclusion qu'il n'y a rien de plus à dire. J'ai tort ?

Donner tort à Harry Styles, voilà quelque chose qui donne l'eau à la bouche. Mais présentement, j'en suis incapable.

Car je n'ai rien à dire de plus. De toute évidence, je ne peux pas lui partager le secret de la situation délicate dans laquelle je me trouve - je ne peux pas, veux pas, dois pas.

Je baisse les yeux. Et simplement, le châtain part. Non mais - sérieux ? Je me retourne vers lui, totalement halluciné.

     - Hey !

Enfin, Harry semble réagir à mes mots et s'arrête. Sans se tourner, il parle :

     - Est-ce que tu veux jouer dans cette équipe ?

     - Quoi ?

     - Je t'ai demandé, est-ce que tu veux jouer dans cette équipe ?

     - Oui !

Il se retourne vers moi, et son expression est dure, son ton sec.

Les couloirs sont vides, nos voix résonnent, et je suis définitivement en retard. Et en train de me prendre la tête avec Harry Styles.

     - Alors si tu veux jouer dans cette équipe, agis comme un joueur. Arrête de mélanger le personnel et le professionnel, et arrête de sauter des entraînements juste parce que tu n'es pas capable de venir me dire les choses.

Mon coeur s'alourdit alors que je me fais engueuler. Je n'essaie pas de batailler, de répondre méchamment. Car il a parfaitement raison. Là, je me fais engueuler par le capitaine, et non pas par le suspect, non pas par le fils du secrétaire d'état, non pas par l'adolescent qui m'a embrassé.

     - Je ne t'évitais pas, je rétorque comme pour me défendre.

     - Ça n'a aucune importance, maintient Harry.

     - Vraiment ?

Il ignore mon interrogation comme si elle n'avait même pas atteint ses oreilles.

     - N'oublie pas qu'il y a des enjeux, reprend-il. Il y a une équipe entière, des joueurs, un public. Tu es arrivé dans cette équipe, et tu as dû te faire une place. C'est pas encore gagné, mais le public semble déjà t'apprécier, et à ta manière, tu t'en sors. Et ça s'entretient, ça se travaille constamment. Apprends à faire une différence entre le personnel et le professionnel. Sinon, tu n'iras jamais loin dans l'équipe.

Sa voix n'est pas élevée, et ses mots ne sont pas violents. Ils sont vrais, et d'une certaine manière, font mal. Mais je sais que son discours a un but, une portée.

Pour la première fois depuis le début de notre échange, Harry semble attendre une réponse de ma part. Il reste là, à me regarder, sans piper mot.

Je ne lui en offre pas. Je baisse les yeux et reste quelques secondes ainsi. Je ne sais même pas ce que j'attends en réalité - probablement qu'il en ait marre, et parte.

Le bouclé finit par s'exécuter. Face à mon manque de réponse, il tourne les talons et une fois le tournant du couloir passé, est hors de mon champ de vision. A ce moment, j'ai l'impression de pouvoir relâcher la pression.

     - Quel con, je soupire, m'insultant moi-même.

Résigné, je repars vers mon casier pour reprendre mon sac et ma chemise. Je la remets, et approche mes lèvres du micro :

     - Ne vous inquiétez pas, je m'adresse aux enquêteurs. J'avais enlevé ma chemise parce que j'avais chaud, tout va bien, je vais bien.

À nouveau, je mens - et même si c'est minime, cela commence a être pesant.

Savoir qu'Harry et moi avons partagés un baiser ne les avancerait absolument pas dans l'enquête et dans son dénouement.

N'est-ce pas ?

De toute manière, cela n'arrivera plus.

Je claque la porte de mon casier, et sursaute en voyant Judith juste derrière.

     - Tu m'as fait peur, je lâche. Je ne t'ai ni vue, ni entendue. Parfois, on dirait que tu es un fantôme.

     - Ouais, t'as raison, j'en suis un. Je viens de prendre un café avec Zayn d'ailleurs, il m'a dit de te dire que t'es un petit con de pas avoir embrassé la jolie blonde.

     - Oh, alors... Je rétorque, gêné. On a le droit d'en rigoler maintenant.

     - Non, je crois pas. On n'a même pas à en parler, d'ailleurs. Oublie cet épisode.

Sans chercher à comprendre, j'acquiesce. Judith me reparle, du moins pour le moment, et c'est tout ce qui importe.

     - Tu n'es pas en cours ? Je demande.

     - Je te retourne la question.

     - Je viens de me faire engueuler par Harry parce que j'ai loupé un entraînement sans le prévenir.

     - Oh, il fallait s'en douter.

Je grimace mais de nouveau, hoche la tête. Comme automatiquement, nous commençons à nous diriger tous deux vers la salle de classe. Et cela me rassure, d'être avec elle. Je ne suis pas le seul à être en retard, et surtout, je suis avec elle. Mon amie.

     - Oui, je l'ai mérité.

     - Le karma n'était pas trop avec toi ces derniers jours. J'ai vu comment Nick s'est énervé hier.

     - Je l'ai mérité aussi. Il est à bout, et il en attend beaucoup de moi, c'est normal.

     - Ils en attendent tous énormément de toi. Ça se comprend, mais ils devraient y aller doucement.

     - Ce n'est facile pour personne.

     - Exactement, pour personne, appuie la jeune femme. Même si c'est compliqué de faire ça, il ne faut pas qu'on commence à mélanger personnel et professionnel. C'est ce qu'on apprend directement en entrant à la criminelle. C'est primordial.

Je me retiens de grimacer. Ils se sont passés le mot aujourd'hui ou quoi ?

     - Plus facile à dire qu'à faire, je suppose.

     - Évidemment. Mais ça s'apprend. Ma mère est morte à cause d'une affaire liée à celle-ci, et pourtant, je suis là à comprendre de quoi il s'agit et pourquoi il faut le faire tomber.

Je ne peux m'empêcher de regarder autour de nous, afin de vérifier qu'Harry n'est pas là.

     - Oh, calme toi James bond, s'amuse mon amie. Il n'est pas là. Je ne suis pas si bête que ça.

     - Je n'ai jamais dit ça. Tu es brillante.

     - Je sais.

Nous arrivons devant la salle de classe. Judith lève son poing fermé, comme pour toquer, mais s'arrête à quelques centimètres du bois.

     - Ce qu'il s'est passé entre nous, on n'a vraiment pas à en parler. Je sais que tu penses que parler c'est cool, et je suis d'accord, c'est cool, mais je n'en ai vraiment pas besoin, là.

     - Comme tu veux.

     - Ouais, non. Ça m'a un peu, fait mal, tu sais. Peut-être qu'un jour je vais débarquer en me disant que j'ai besoin de savoir, de comprendre, mais j'en suis très loin. Je suis pas comme ça. Je préfère oublier ça plutôt qu'en faire un mélodrame, tu sais, tuer l'embryon dans l'oeuf.

     - Tu n'as pas idée d'à quel point ça me va, je souffle.

Mon air dramatique la fait sourire, et je me dis que c'est déjà un nouveau bon début. C'est une prise de tête en moins, et finalement la matinée n'est peut-être pas si négative que ça.

Définitivement juste amis.

x   x   x

Du revers de ma main, j'essuie mon front et les gouttes de sueur qui y perlent. Je respire difficilement - le climat est chaud, et sec. J'ai l'impression qu'à chaque inspiration, de l'air chaud vient brûler ma gorge. Je saisis une bouteille d'eau non loin et boit au maximum. Je continue à marcher un peu - il ne faut jamais rester statique après un exercice, afin d'éviter les courbatures.

Des tours de terrain. C'est ce que je dois faire. Encore, et encore. Tout seul.

Travailler mon endurance, a-t-il dit des dizaines de fois. Car il y a des enjeux.

Et je comprends cela, c'est évident que vu comment je crache mes poumons, c'est mon point faible. Et je ne suis pas assez têtu pour remettre en question les méthodes du coach ainsi que du capitaine, mais je me pose sincèrement des questions sur Harry lui-même.

Mais en même temps, comment lui en vouloir ? Il me traite comme un joueur qui a le niveau. Il n'a aucune idée que je sors d'une pauvre équipe départementale d'un lycée banal, et que je dois doubler d'efforts.

À l'autre bout du terrain, je reprends mon souffle. Tous les autres sont là-bas, à s'entraîner sur les lancés. Je pourrais me sentir mis à l'écart, mais en réalité, il n'en est rien. Un peu de solitude ne fait pas de mal, et surtout, j'essaie de voir le verre à moitié plein. Je ne m'entraîne pas sur les lancés, parce que je les gère déjà pas mal.

Le sifflet retentit, et le coach me fait un signe. Je comprends que je dois les rejoindre, alors je m'exécute, tranquillement. L'entraînement touche à sa fin.

     - Les résultats ne sont pas encore parfaits, annonce Harry à l'assemblée. Nous avons encore quelques lacunes. L'enjeu est de taille, et vous le savez.

Tous les joueurs acquiescent.

     - Samedi, nous affrontons les Yankees, reprend le coach, haut et fort. Même ceux qui n'y connaissent rien au baseball, connaissent leur nom. Ils dominent. En plus de cela, nous les jouons à domicile pour eux. Ça ne sera pas un grand déplacement, mais ça fait d'eux les favoris.

Rien qu'à l'entente de ses mots, une certaine pression monte en moi. Il ne faut pas décevoir, et les performances doivent être au rendez-vous. Mais étrangement, le stress est mélangé à une sorte d'excitation.

Mon premier déplacement avec l'équipe de mes rêves, affrontant des titans du baseball que j'admire. Le titre est prometteur, quand on ne pense pas à l'envers du décor.

     - Il faut que vous donniez le meilleur de vous-mêmes, reprend Harry. C'est important. Gagner la saison est l'objectif ultime.

     - On peut compter sur Louis, s'amuse Liam. Il a quand même fait un home-run pour son premier match.

Je retiens un sourire de fierté. Je ne réalise toujours pas que j'ai fait ça.

Le bouclé me regarde très brièvement, sans quitter son expression de leader sérieux. Puis détourne les yeux, et continue son discours. Mon sourire retombe doucement.

     - Tomlinson ou un autre joueur. J'ai besoin que vous soyez tous à cent pour cent. Compris ?

En choeur, nous hochons la tête. Harry fait de même.

     - Concernant l'organisation du déplacement, comme aujourd'hui était notre dernier entraînement avant, il faut que vous soyez présents ici, vendredi, à 20h, parle le coach. Nous partirons avec le bus pour se rendre à l'aéroport.

     - Nous serons à l'hôtel habituel ? Demande un joueur.

     - Nous serons à l'hôtel habituel, confirme l'homme. Nous y serons dans la nuit, et le match commence à 14h le lendemain.

Un monde inconnu s'ouvre sous mes pieds. Je n'ai vu ça qu'à la télé, dans les documentaires, et pourtant les garçons autour de moi en parlent comme si c'était leur quotidien. Car ça l'est.

Parfois, ce qui paraît impensable et incroyable pour un individu, est juste devenu banal et bateau pour un autre. Les paysages magnifiques, les îles paradisiaques, les métiers de rêve, l'argent à ne plus en pouvoir.

L'humain semble se lasser de tout ce qu'il convoite. J'ai l'impression, dans cette petite foule, d'être le seul à avoir les yeux pétillants à l'idée de partir dans une ville nouvelle, vivre une aventure exceptionnelle.

     - Tout est bon ? Parle Harry.

En réalité, je crois que j'ai mille et une questions. Je tourne la tête vers les autres joueurs, pour qui tout cela est naturel. Alors, je me résigne. Mon autre équipe secrète saura sûrement me briefer.

Le regard d'Harry passe sur moi, et s'attarde, quelques secondes. Je sais qu'il essaie de me lire, et je ne me ferme pas.

Notre capitaine acquiesce.

     - L'entraînement est terminé, marque-t-il.

Il n'en faut pas plus aux joueurs pour repartir en direction des vestiaires. Je traîne du pied, toujours épuisé par ma course effrénée.

Je suis interpelé par un homme en costume qui marche dans le sens inverse, vers nos deux référants.

Curieux, je me retourne et vois Harry, le coach et cet individu se mettre à discuter. Cela semble sérieux, pointu. Je m'imagine plein de choses, en l'espace de quelques secondes.

     - Attendez, reparle Harry et tous les joueurs s'arrêtent et se retournent. Nous sommes soumis à un contrôle anti-dopage.

Mon coeur rate un battement, et je devine que c'est de même pour Mike et Andrea positionnés dans la camionnette sur le parking, qui viennent d'entendre l'information par le biais de mon micro.

Il est évident que je ne risque rien. Mais nous avons attendus ça, espérant que cela puisse débloquer un peu les choses, les faire bouger, jusqu'à créer une immense secousse.

Pourtant, comme quand j'ai tenté de prélever des cheveux, j'ai le sentiment que quelque chose ne va pas. Je fronce les sourcils, incapable de mettre le doigt dessus. Ce test est fiable, mais quelque chose ne va pas, bordel.

     - Monsieur Langford ici présent va dire le nom de joueurs aléatoires qui devront effectuer sur le champ un contrôle. Les résultats arriveront d'ici 24h, et si quoi que ce soit est trouvé, l'individu sera suspendu.

Je déglutis, ce qui me vaut quelques regards étranges. Je secoue la tête et ne peut m'empêcher de lâcher :

     - Non, je ne me drogue pas.

Cela fait rire quelques personnes, mais pas du tout l'inspecteur.

     - Bonjour à tous. J'ai ici une liste, parle ce dernier. Seront soumis Clearson, Tyler, Adam, Payne, et Styles.

À mesure qu'il évoque les noms des quelques concernés, je tourne la tête vers ceux-ci. Tous, sans aucune exception, se content d'acquiescer - peut-être de râler un peu sur le fait d'uriner dans un pot, mais globalement, personne ne semble avoir peur du résultat.

Puis je finis par Harry, dernier appelé, qui hoche simplement la tête, avec un naturel effrayant.

Il demande les consignes dans le plus grand calme, qui sont que l'homme va les surveiller un par un pendant le test, et mettre les échantillons dans un récipient prévu à cet effet. Ni plus, ni moins. Tous les autres joueurs ont le droit de repartir dans les vestiaires en attendant, de prendre leurs affaires et de vaquer à leurs occupations.

Pourtant, je reste quelques instants sur le terrain, bouche bée.

Je sais bien qu'une équipe aussi haute a dû être sujette des dizaines de fois à ce type de contrôle, et que cela aussi, doit faire partie d'une certaine routine pour eux. Pour lui.

Mais merde, il est sensé être à la tête d'un trafic de drogue inestimable.

Et il est juste, décontracté.

Il n'a pas peur des résultats, des conséquences ; de rien.

Quelque chose ne va pas.

Quelque chose nous échappe.

Et c'est peut-être ça la réponse tant attendue.

× × ×

C'est comme si rien ne s'était passé. À la seconde où l'inspecteur a quitté le stade, les joueurs se sont simplement déshabillés pour aller aux douches, sans en parler. L'ambiance est normale, ils rigolent, parlent.

C'est comme si la scène à laquelle je venais d'assister, n'était qu'une petite virgule dans leur vie, sans signification ni réelle importance.

Dans notre plan, ce qui vient de se passer, c'est un chapitre entier, et non pas une simple virgule mal mise dans un texte. Nous comptons sur les résultats, même si les résultats sanguins n'avaient pas donnés grand chose.

Et si ce n'était qu'une virgule ?

Je soupire en regardant autour de moi. Difficile de réaliser que je vais partir avec tous ces inconnus pour un match sérieux dans une autre ville, d'ici peu. Difficile

Celui-ci est parti dans les douches communes, je peux voir sa silhouette dans le coin de l'oeil. Bien évidemment, mes yeux restent sur mon casier, trop honteux

Je pourrais presque sentir du rouge sur mes joues. C'est ridicule.

Et ce qui est encore plus ridicule, c'est de me laisser atteindre par une histoire de rien du tout. Ce n'était qu'un baiser, un stupide baiser qui ne voulait rien dire. Lui comme moi, nous semblons d'accord là-dessus.

Ce n'était rien. Rien de compromettant, rien d'alarmant pour ma mission. Ce n'était rien.

Pourtant, cela me trotte dans la tête. Harry semble parfaitement détaché, et je suis perturbé. J'ai l'impression que tous ces éléments sont étroitement liés, que toutes ces choses qui m'échappent ont un rapport - et j'ai vraiment la sensation de toucher du bout des doigts la réponse.

     - Je reviens, pas d'inquiétude, je marmonne.

J'enlève mes vêtements discrètement, sans remarquer que Xander vient d'entendre mes paroles.

Timide, je rejoins les douches. Personne ne fait attention à moi vu la normalité de la situation, et j'arrive jusqu'au niveau d'Harry. Celui-ci est dans un coin, pudique malgré sa prestance. Mon regard est fixe, posé droit devant moi.

Je me dépasse déjà bien assez en venant ici. Heureusement, la buée fait un bon travail en cachant légèrement mon corps.

     - J'aimerais qu'on en parle, dis-je doucement.

Je regarde Harry, qui est de profil. De l'eau coule de ses cheveux plaqués par l'élément naturel, et j'ai l'impression qu'avec la chaleur, sa peau ressort encore plus bronzée.

Il tourne sa tête vers moi.

     - Qu'on en parle ?

     - Oui.

     - C'était un simple contrôle anti-dopage, de routine.

     - Quoi ? Je m'étonne. Non, non - pas ça.

Je pourrais presque me sentir vexé qu'il oublie totalement notre évènement commun.

     - L'autre truc important.

     - Qu'on en parle ? S'amuse Harry. Et tu penses qu'entièrement nus dans les douches est le meilleur moment pour en parler ?

Le rouge me monte aux joues, mais je garde la face. C'est très clairement le meilleur moment pour en parler, oui. Ici, je n'ai pas mon micro sans paraître trop suspect auprès de mon équipe.

Je joue double-jeu et c'est déjà assez risqué comme ça.

Malgré ma gêne, je continue à regarder Harry droit dans les yeux. Baisser ceux-ci me feraient probablement avoir un malaise.

     - Ce n'est peut-être pas le meilleur moment, j'avoue. Mais c'est un moment.

À quelques mètres de nous se trouvent d'autres joueurs, discutant et rigolant entre eux. Ils font tellement de bruits que cela permet à notre conversation d'être moins risquée.

C'est peut-être le meilleur des moments possibles, finalement.

Harry hoche lentement la tête. Il porte toujours cette expression froide et générale.

     - Très bien. Alors parle.

     - Quoi ? Je m'étonne.

     - Tu veux qu'on en parle ? C'est que tu as des choses à dire. Alors je t'écoute, parle.

Pour l'énième fois aujourd'hui, je ne m'attendais pas à sa réponse, et l'incompréhension domine mon expression faciale.

Les mots ne me viennent pas. Dire qu'il faut parler de quelque chose est simple, cela permet de déclencher le dialogue. Ce système ne fonctionne pas avec le bouclé, qui ne se laisse faire dans aucun domaine de sa vie.

Et probablement encore moins dans ce qui touche le dessous de l'écorce - ce qui touche aux sentiments et à la sensibilité.

La buée me monte à la tête, je pourrais même jurer que celle-ci tourne, et je me concentre pour garder les yeux levés vers le ciel, silencieux. Rester ainsi ne sert à rien, et je le comprends bien. Ce qui est intimidant chez Harry, c'est qu'il reste là, à simplement attendre sans rien dire ni faire que je reprenne la parole.

Les blancs ne semblent aucunement le perturber. Les contrôles anti-dopages non plus. Qu'est-ce qui le perturbe, de toute façon ?

Je souffle un bon coup et affronte ses yeux.

     - Je n'avais jamais fait ça, je lâche.

Le bouclé fronce les sourcils. Cela ne dure qu'une seconde - la suivante, son visage est de nouveau fermé.

     - Fait quoi ?

     - Embrasser quelqu'un... d'autre, je me rattrape. Je l'avais jamais fait.

Je joue la carte de l'honnêteté, sur un secret léger afin d'essayer de créer une brèche chez Harry. Cela semble marcher quelques instants.

     - Du tout ? S'interroge-t-il.

     - Du tout. Une autre fille, encore moins un garçon. Je ne l'avais jamais fait avec quelqu'un d'autre que Judith.

Je ne l'ai jamais fait tout court. Mais je ne peux lui confier cela.

L'espace de quelques instants, je jurerais pouvoir constater l'ouverture d'une mini-brèche. J'ai provoqué de l'étonnement chez lui.

Jusqu'à ce qu'il parle de nouveau.

     - Alors au moins tu pourras un jour te vanter que j'étais ton premier baiser masculin.

     - Quoi ? Je m'exclame aussitôt. Et c'est tout ?

Ma voix monte légèrement dans les aiguës, désormais agacé.

     - Que veux-tu dire de plus ? Reprend le garçon.

     - Je ne comprends pas. Et ça ne te va pas, de jouer le garçon sûr de lui. Je ne peux pas croire que tu t'en fous d'avoir été mon premier baiser. Je ne sais pas - aie une réaction !

     - Tu crois que j'en ai eu une à chaque fois que quelqu'un m'a dit ça ?

Je fronce les sourcils, laissant nos deux regards s'affronter. Je ne baisserais pas les yeux, et je ne partirais pas pour lui donner raison.

Qu'il essaie de me blesser, ou qu'il me dise la vérité sur le don Juan qu'il est, cela n'a aucune importance. Je ne baisserais pas les yeux.

     - Que veux-tu que je te dise ? Rétorque Harry, lâchant un soupir.

     - N'importe quoi. Je veux que tu me dises n'importe quoi, mais quelque chose.

Ce quelque chose ne vient pas. A part le bruit ambiant créé par les autres personnes présentes dans l'espace, l'eau qui s'échoue au sol et les casiers qui claquent, aucune parole provenant des lèvres d'Harry ne parvient à mes oreilles.

     - Mais qu'est-ce qui va pas chez toi ? Je demande.

     - Je te demande pardon ?

Son ton est calme, son visage stoïque. J'ai envie de dire, comme d'habitude. Et c'est détestable.

J'ai envie de le détester, il rend les choses faciles, c'est évident. Et je n'y arrive pas.

     - Je ne te comprends pas. Un jour tu me parles comme cet espèce de personnage que tu es, la fois d'après tu m'aides, tu sembles m'aider, tu m'invites à une fête chez toi, tu me dis que tu veux que je sois là, et après tu...

Je m'arrête ici, ne dis pas les mots, ne les rendant ainsi pas réels.

     - ... Et après je t'embrasse, finit Harry, la voix lente.

Pour lui, les mots ne semblent avoir aucune valeur. Pour lui, les mots semblent simplement être des mots, des sons, peut-être même. Des bruits dans le vide.

Ils sont l'arme la plus performante au monde. Et il les manie à la perfection.

Je regarde autour de moi pour m'assurer que personne n'a entendu. Le bouclé ne prête pas attention à cela - il a tant confiance en lui et en ce qui l'entoure, qu'il ne vérifie même pas. C'est comme si tout ce qu'il faisait était calculé, qu'il savait pertinemment avoir parlé suffisamment bas pour que personne ne retienne l'information.

C'est tout ces petits détails qui font de lui un personnage intimidant là tout de suite - et peut-être aussi un peu le haut de son torse nuit et mouillé que je peux apercevoir dans la périphérie de mon champ de vision.

Sans penser au fait que nous sommes tous deux complètement nus.

Sans y penser du tout.

      - Oui. Ça, dis-je finalement. Ça, et après c'est à peine si on se calcule. Ça doit se régler, il faut en parler.

     - Tu me dis que tu veux parler mais tu ne dis rien.

     - C'est moi qui ne dit rien ?

     - Tu parles, oui, mais tu ne dis rien.

     - Parce que je suis face à un mur avec toi, Harry.

Ma phrase va au-delà de la situation du baiser, mais Harry ne peut pas le deviner.
Son regard semble se noircir alors qu'il en vient à une conclusion :

      - Dans ce cas-là, fais demi-tour.

Sa phrase va au-delà de la situation du baiser également, mais je ne peux pas le deviner.

Les mots du bouclé sont fermes, durs, comme son visage. Mais malgré cela, je n'ai pas de mouvement de recul. C'est comme un flash dans ma tête, qui vient tout éclairer.

Harry ne va pas bien.

Comme tout être humain normal, et peu importe à quel point il affiche un masque, des airs durs, des phrases déstabilisantes et une distance certaine, il a des jours avec, des jours sans, pour diverses raisons.

Et bordel ce que c'est stupide de ma part d'avoir perdu ça de vue. Avant tout, pour cerner la personne, il faut comprendre et garder en tête une chose : il reste humain.

J'affiche mon incompréhension en fronçant les sourcils, et parle :

     - Qu'est-ce qu'il y a ?

Mon ton est calme, inquiet. Cette question est plus comme un réflexe, je sais pertinemment qu'il ne va pas me répondre sincèrement et commencer à se confier sur ses problèmes.

     - Rien, rétorque-t-il.

     - Il y a quelque chose, je soutiens. Tu te comportes différemment.

     - Tu ne me connais pas, Louis.

     - Non, tu as raison, je ne te connais pas. Et pourtant j'arrive à voir que tu es comme tout le monde, et que là, il y a quelque chose. Et j'aimerais qu'on en parle aussi.

C'est comme s'il n'était pas habitué à ce que quelqu'un lui dise ces mots. Malgré tout, il n'affiche rien.

     - Je suis le fils du secrétaire d'Etat, parle Harry. Évidemment que des choses vont, et d'autres pas du tout. Ça t'est peut-être sorti de la tête, mais je suis aussi soupçonné d'avoir tué quelqu'un.

Mon souffle se coupe alors que le vert de ses yeux semble m'aveugler.

C'est la première fois qu'il m'en parle de lui-même, la première fois qu'il me le lâche comme cela. Et même si constamment, je lie sa personne à cette affaire, et suis plus que lié à tout ça, c'est comme si à cet instant, dans ma vulnérabilité la plus totale, je me prenais la claque dans la gueule.

C'est réel, tout ça. C'est plus que réel. Je ne peux pas le toucher, le sentir, le voir, car c'est une situation, et non pas un objet - pourtant, j'ai l'impression de me la manger en pleine face.

     - Je sais tout ça, je réponds en gardant le calme.

     - Évidemment que tu le sais. Comment rater l'information.

     - Mais je ne parlais pas de ça, je ne me laisse pas démonter. Tu étais soupçonné de ça il y a un moment déjà - et pourtant c'est depuis peu que quelque chose ne va pas.

Face à son visage inchangé, je reste statique. J'attends qu'il parle, cette fois. C'est à lui de parler.

     - Je rentre chez moi maintenant, dit-il doucement. Tâche de ne pas trop rester dans les douches, je serai pas là pour te sauver cette fois.

Sur ces mots, le bouclé retrouve le vestiaire, sa serviette autour de la taille. Il s'y change en un temps record, et dit au revoir aux joueurs comme absolument tous les autres soirs.

× × ×

Je pourrais m'arrêter là. Je dirais même que je devrais, m'arrêter là.

Pourtant, me voilà. A être parti de la maison en prétextant partir pour un jogging, avec une idée très précise derrière la tête.

Cela me trotte à l'intérieur, mais c'est probablement ma punition pour partir beaucoup trop loin dans ce rôle, pour enfreindre le peu de règles fixées.

Et pour cesser de faire cela, pour cesser de briser un à un les piliers de cette mission, je ne devrais pas me retrouver là. Je devrais sagement tourner dans mon lit, à alimenter cette haine que je devrais avoir pour Harry Styles.

Je n'ai aucune haine pour lui, en réalité. Inutile d'essayer d'en chercher une. Au début, c'était là, car je me devais de détester ce mec.

Mais maintenant, après ce que je vois, vis, je peux l'affirmer ; je ne déteste pas Harry.

Je l'apprécie, en fait.

Je mens à Harry, et désormais, je mens également à mon équipe. À ceux qui semblent être devenus des amis, à leur manière.

Et cela fout tout à l'eau, n'est-ce pas ? Car j'espère secrètement qu'il n'a rien à voir là-dedans. Mon objectivité est troublée, j'en ai quelque chose à faire de ce qu'il pense, et de pourquoi il semble aller... mal.

Oui, c'est définitivement pour cela que je suis là, devant sa grande maison. Je souffle un bon coup et viens sonner. La seconde suivante, la porte s'ouvre et j'arque les sourcils face à cette rapidité, mais ce n'est qu'une femme. Je reconnais Lucia.

     - Oh - bonjour... Louis, c'est ça ?

     - Oui, c'est ça, je réponds. Comment allez-vous ?

Éternellement, son visage s'affiche doux, au même titre que ses mots. Je remarque cependant qu'elle a un sac sur l'épaule, contenant probablement des affaires, comme si elle partait quelque part.

Je n'arrive pas du tout à lire son expression ou cerner ce qu'il se passe, mais elle semble bien pressée, comme si elle devait vite quitter la maison.

     - Je vais bien, merci. Comment vas-tu mon garçon ? J'ai appris que tu avais fait gagné l'équipe.

Le genre de femme qui, même si on ne la voit pas souvent, nous rappelle nos bons moments et complimente. C'est fou de tenir un tel discours sur quelqu'un que je ne connais pas, mais je peux juste deviner cela, l'affirmer.

Je crois qu'Harry a de la chance de l'avoir, au moins. Et peut-être a-t-elle de la chance en retour.

     - Oui, merci, je réponds avec un petit sourire.

     - C'est génial alors, oui, c'est vraiment super.

Quelques secondes, elle me regarde dans les yeux, et je me sens presque intimité. Son regard est perçant, venant contraster avec cette fragilité qu'elle dégage, et j'ai presque l'impression qu'elle parvient à déceler mes secrets les plus profonds.

Évidemment, c'est impossible. Et heureusement.

     - J'adorerais discuter davantage avec toi mon garçon, mais je suis pressée, reprend Lucia.

Elle est pressée, oui, mais pourtant elle parle toujours lentement, laissant ses mots flotter dans l'atmosphère. Drôle de personnage captivant.

     - Bien-sûr, dis-je. Je voulais juste... voir Harry, en fait.

     - Il est dans sa chambre. Je te laisse y aller.

Pour conclure notre échange, elle m'adresse un fin sourire, venant créer des petites rides autour de ses yeux fatigués. La maladie l'a marquée, et d'un autre côté, aucunement.

Elle part s'enfoncer dans l'allée en direction du portail, et me laisse simplement avec la porte d'entrée ouverte face à moi. Je me dis un instant que c'est étirage, qu'elle me fasse confiance ainsi, mais je ne bataille pas davantage et entre dans la demeure.

Comme d'habitude - selon ce qu'Harry m'a dit -, l'immersion salon est vide. Cela sent toujours aussi bon, c'est toujours aussi propre, mais peu vivant. Le bouclé n'est pas là, et je referme la porte derrière moi.

     - Harry ? J'appelle timidement.

Il n'y a pas de réponse, mais en tendant l'oreille, je peux entendre de la musique, jouée plus loin dans la maison. C'est un réel labyrinthe ici, mais en utilisant ma mémoire, je peux me souvenir à peu près de la disposition des pièces.

Je m'enfonce dans le couloir menant au bruit. La dernière fois que je suis venu dans ici, j'ai fini dans une piscine chauffée, avec un mec en train de m'embrasser. A cette pensée, je frissonne, et me reconcentre.

J'arrive devant la pièce émettant de la musique - soit, la chambre d'Harry - et doucement, je pousse la porte.

Le garçon y est allongé sur son lit, traînant sur son téléphone. Il baigne dans cette grande chambre avec de la musique classique qui retentit dans ses enceintes. J'ose à peine avancer, parler. Même dans des situations si banales, il a une prestance, une présence ; du charme.

Il est bourré de charme.

Cette scène est si relaxante, avec un Harry posé sur son lit, pieds nus, les cheveux peu coiffés, et de la musique douce retentissante, que je pourrais presque m'imaginer à côté de lui, vaquant à de banales occupations aussi.

Le bouclé finit par remarquer que quelqu'un se tient dans l'embrochure de sa porte, et aussitôt, il fronce les sourcils, coupe la musique et se redresse. Violent retour à la réalité.

     - Qu'est-ce que tu fais là ? Il s'étonne.

     - Eh bien...

     - Louis, reprend-il en se levant, quittant aussi sa détente. Tu n'as rien à faire là.

     - Je voulais te parler.

     - On a parlé plusieurs fois aujourd'hui, se défend le bouclé. Venir jusque'à chez moi, c'est limite, si tu veux mon avis.

     - Hey, je fronce les sourcils. Ne m'accuse pas de faire quoi que ce soit de bizarre. Lucia m'a dit de rentrer, et puis, quand je veux quelque chose, je l'ai.

Harry arque un sourcil à ma phrase à double-sens, et je secoue la tête aussitôt.

     - Non, j'ajoute en fermant les yeux une seconde. Je ne voulais pas dire...

Je ne voulais pas dire que je le veux, et donc l'aurais. Non.

     - Peu importe, je reprends.

Et puis, merde, ça fait seulement une minute que je suis là, et je perds déjà mes moyens.

     - Tu ne peux pas être là, reprend Harry.

     - Pourquoi ? Je suis déjà venu là.

     - Aujourd'hui est différent. Il faut que tu t'en ailles -

     - Je suis inquiet pour toi.

Mes mots semblent venir lui mettre une claque, et au passage, à moi également. Ils sont sortis tellement vite, tellement naturellement, et sont pensés, à 100%. Je sens une légère vague de panique m'envahir, que je chasse en soufflant un coup.

Aujourd'hui, maintenant, je veux être maitre de ce que je dis, de comment je réagis.

     - Je sais que quelque chose ne va pas, j'explique. Et - je veux dire, on s'est embrassés, d'accord ? Ça n'a pas à signifier quelque chose, ça m'arrangerait d'ailleurs si ça ne signifie rien, mais c'est arrivé, et depuis, je sais pas, on se parle juste pas, et je sais que quelque chose ne va pas aujourd'hui. Tu ne me dois rien, tu ne me dois vraiment rien, mais je ne te comprends pas, Harry.

Ce dernier reste devant moi, sa mâchoire carrée contractée, et il me fixe. Je lis malgré tout une tendresse sur son visage ; il n'a vraiment pas l'habitude d'entendre que quelqu'un en a quelque chose à faire, à part probablement Liam, Lucia, son père.

Je n'ai clairement pas la même importance qu'eux, et dieu merci. Et peut-être que c'est totalement hypocrite de ma part d'en avoir quelque chose à faire de ce qu'il ressent, de ne pas avoir envie de le savoir en mal-être, alors que de toute évidence, le but de cette mission est de le faire souffrir.

Mais je ne veux pas.

     - C'est moi qui ne te comprends pas.

Je l'interroge du regard.

     - Tu ne devrais pas être ici, répète t-il. Mon père va rentrer d'une minute à l'autre.

     - Et tu n'as pas le droit de recevoir quelqu'un ?

     - Louis.

La manière dont il dit mon nom sonne désespéré, et j'ai l'impression qu'il me veut ici, qu'il apprécie ma présence et l'effort fourni, mais qu'encore une fois, quelque chose bloque.

     - Pourquoi tu m'as embrassé ? Je tente.

     - Pourquoi tu m'as embrassé ? Il rétorque.

     - Nous l'avons tous les deux fait, mais toi en premier.

     - Tu flirtais avec moi.

     - Toi aussi, je me défends.

     - Oui, et donc s'embrasser, c'est la suite logique des étapes.

J'ouvre la bouche, puis la referme.

     - Tu m'évites depuis.

     - Toi aussi, dit-il.

    - Alors c'est ça ? On va se lancer la balle jusqu'à ce que l'un de nous dise ce qui lui a passé par la tête ? Tu m'as dit toute à l'heure que je voulais parler, mais que je ne disais rien. Là, je veux parler, je suis là pour parler, et tu me rejettes encore.

     - On en parlera, m'assure le bouclé en s'approchant de moi. On en parlera, si tu veux, mais là, il faut vraiment que tu t'en ailles. Mon père est très spécial, dans son genre.

     - Oui, c'est le deuxième homme le plus puissant du pays, j'ironise. Mais c'est aussi un homme normal, je n'ai pas peur de lui.

Harry ne me répond pas oralement, simplement avec ses yeux dans les miens. C'est comme s'il pouvait contrôler ce qu'on pouvait y voir ou non - car là, j'ai la sensation de lire que peut-être, je devrais.

Cela me donne froid dans le dos.

Harry va jusqu'à la baie vitrée de sa chambre, l'ouvre et me saisis par les épaules pour m'indiquer la direction. Je suis presque déboussolé.

     - Je t'en supplie, Louis.

Mon coeur se serre à l'entente de ses mots. Harry, ce garçon mystérieux et complexe, bien plus puissant que moi sur bien des domaines, me supplie de faire quelque chose. Cela montre une faiblesse, un problème.

Je n'ai pas envie de lâcher, de fuir. Je fronce les sourcils.

     - Tu peux me parler, j'assure.

Et quel putain d'hypocrisie, mais pourtant, je le pense.

     - Louis, s'il te plaît.

Ses yeux sont dans les miens. J'ai envie de secouer la tête, de parler, de comprendre -

     - Harry -

     - Je l'ai fait parce que j'en avais envie, il rétorque, déblatérant ses mots à toute vitesse. Je l'ai fait parce que tu étais là, parce que j'y pensais, et parce que j'en avais envie. J'avais envie de t'embrasser, toi. Alors je l'ai fait, comme n'importe quel humain l'aurait fait, et pas comme le gosse de riche que je suis. Il n'y avait aucun pouvoir, aucune intimidation, juste moi. Je l'ai fait pour ça, sans penser au reste et à quel point ce n'était pas raisonnable. Tu as ta réponse maintenant ?

Je n'ai même pas le temps de répondre, trop sonné par la rapidité de ses paroles. Je ne sais même pas s'il le pense, ou s'il me dit simplement ce que j'ai envie d'entendre. Les pas dans le couloir sont de plus en plus proches, et toute cette situation me dépasse.

Les yeux d'Harry plantés dans les miens, il ajoute :

     - Il faut que tu partes maintenant.

     - Je... je commence.

Seulement, il est déjà trop tard.

La porte de sa chambre s'ouvre, Harry se recule, et cet homme en costard apparaît. Je pensais qu'il n'y avait pas plus intimidant qu'Harry ou Mike Carter, mais visiblement, je me trompais totalement. Desmond Styles est grand, et sur son visage, le démon politique se lit.

Il y a quelque chose chez cet homme qui fait peur, qui impressionne - et je ne parle pas seulement de son poste ni de sa notoriété pour les Etats-Unis. Il y a quelque chose... d'autre. Et je retire ce que j'ai dit toute à l'heure : cet homme fait peur.

En tournant les yeux vers Harry, qui regarde son père, je réalise que malgré l'entrain qu'il met à tenter de le cacher, il en a peur aussi. Et tous ces éléments en tête me font tilter :

C'est lui.

Mes jambes me lâchent presque alors que cela se connecte dans mon cerveau. C'est ça, l'élément manquant. C'est ça, le raisonnement à avoir putain !

     - Harry, dit son père en avançant dans sa chambre. Et...

     - Louis, je parle malgré que difficilement. Louis Tomlinson. Je joue dans l'équipe.

     - Louis Tomlinson...

Lui aussi laisse planer ses mots, mais cela n'a rien à voir avec Lucia et son comportement. Avec le père d'Harry, c'est comme s'il les répétait pour y donner un sens minuscule, pour écraser leur signification comme il écrase sûrement d'autres choses.

     - Il partait justement, reprend Harry.

     - Desmond Styles. Enchanté.

Pour suivre ses mots, le concerné me tend la main. Poliment, je la serre. Sa poigne est ferme, assurée, comme sa silhouette.

Il se fait un sourire, apparaissant comme faux. Comme son fils, il est très difficile à lire - mais bien plus froid et terrifiant que ce dernier.

     - De même, dis-je.

     - Si tu es ici, c'est qu'il y a une raison, rajoute-t-il. Probablement, une raison intéressante. Nous n'ouvrons pas nos portes à n'importe qui.

     - Non, il venait me rapporter quelque chose, intervient Harry. Louis et moi nous connaissons à peine. Il partait justement.

Harry semble affronter les yeux de son père, et une lutte étrange s'installe entre leurs regards. Je suis clairement en trop dans cette scène, ne comprenant pas les foudres et mots silencieux qu'ils s'envoient. J'aurais dû partir, oui.

Le politicien me regarde, de haut en bas. Je me retiens de déglutir, et garde la face. Je crois qu'à ce moment précis, ma colère et ma haine dues au deuil se dirige vers cet individu. C'est facile de blâmer une figure du gouvernement, mais je lui reproche bien plus que le malheur du pays.

     - Très bien, cède t-il. Je t'attendrais dans le salon, Harry.

Le père de ce dernier tourne les talons et quitte la chambre comme il y est entré. Je reste béant pendant un instant qui me paraît être une minute entière. Cela dure bien moins de temps, car Harry est très réactif et se tourne aussitôt vers moi.

     - Tu aurais dû partir, dit-il.

     - Ce n'est que ton père. Un père impressionnant, oui, un peu bizarre peut-être... J'hausse les épaules. Pas mon parti politique préféré si tu veux mon avis, mais je ne vais pas partir en courant sous prétexte que ton père est un puissant politique.

Je sais que c'est plus profond que cela, je le sais, je ne suis pas bête, et bien renseigné sur le sujet. Malgré cela, je me montre rassurant auprès d'Harry.

     - Il faut que j'y aille, reprend ce dernier. Vraiment, ajoute-t-il avec un ton plus ferme.

Il me l'a répété de nombreuses fois, donc évidemment, je comprends qu'il perde patience. Il commence à fermer la baie vitrée, mais...

     - Harry, je parle soudainement.

Pour me faire taire, pour me faire cesser de parler et surtout, me faire quitter la propriété sur le champ, Harry prend mon visage en coupe et pose ses lèvres sur les miennes. C'est gratuit, et je ne ressens pas du tout la même chose que la première fois. Il n'y a pas de mouvement, pas de passion, probablement peu de désir. Il souhaite me faire comprendre quelque chose, et il y parvient.

Alors qu'il recule, je suis à bout de mots, trop surpris par l'action. Lentement, j'hoche la tête, pour lui faire comprendre que c'est bon. D'un coup, il ferme la baie vitrée et se dirige vers la porte de sa chambre.

Il se retourne une dernière fois vers moi, m'adressant un regard avant de quitter la pièce et de sortir de mon champ de vision.

Je pourrais presque jurer que ses yeux étaient tendres en me regardant.

À l'arrière de cette immense maison, seul dans ce jardin taillé et - trop - entretenu, je reste planté quelques instants. J'apporte une main presque tremblante à mes lèvres.

Tout fait sens dans ma tête, et le choc est certain. En voyant Harry avoir peur comme ça, j'ai réalisé, compris, et me suis répété une chose :

À quel point j'avais envie de lui dire que je comprends, et qu'il n'est pas seul là-dedans.

Et quel putain de monde à l'envers c'est.




*

PARTIE 2 : Les règles changent

MIKE

     - Tu as quoi ? Je m'énerve.

Tous debout dans le salon malgré la nuit tombée, je regarde Louis avec fureur. Mes traits sont tirés, ma voix haussée, mes sourcils froncés. Je n'arrive pas à croire ce qu'il raconte, je n'arrive pas à croire qu'il ait pris autant de risques.

Louis, lui, me répond en gardant son calme :

     - J'étais chez Harry.

     - Tu étais supposé aller faire un jogging, et tu étais chez Harry ? Ma voix monte d'un cran.

Tous les autres sont présents dans la pièce, mais n'interviennent pas. Et malgré ma colère certaine, l'adolescent devant moi ne se laisse pas démonter. Il serait presque intimidant, malgré son jeune âge et sa petite carrure.

     - Quelque chose me trottait dans la tête, et il fallait que j'y aille, s'explique-t-il.

     - Sans ton micro ? C'était risqué, et c'était stupide ! Comme toutes ses fois où tu as fait exprès de l'enlever aujourd'hui.

     - Et ne pas le porter est probablement la meilleure chose qui me soit arrivée jusque'à maintenant ! Se défend l'adolescent.

     - Et pourtant, c'était dangereux, pour toi ainsi que pour nous tous ! J'enchéris. Sérieusement, je ne peux pas être le seul à penser ça ?

Comme pour appuyer mes propos, je regarde les autres, qui demeurent dans leur silence. Je crois qu'aucun n'ose parler, vu la tension présente dans l'air. Il y a trop d'enjeux pour agir stupidement, que cela fasse plaisir ou non.

Ce dernier soupire, jette à son tour un coup d'oeil à nos acolytes, et me regarde de nouveau :

     - J'ai été le voir, parce que c'est quand même le but de tout ça, non ? Que je passe du temps avec lui. Et son père est rentré - je pense qu'on devrait se concentrer sur lui.

Sans que je puisse le contrôler, un rire quitte mes lèvres. Cela dur bien quelques secondes, jusqu'à ce que je remarque le sérieux que garde Louis. Mon visage retombe aussitôt.

     - Tu quoi ? Dis-je.

Mon coeur pourrait lâcher.

     - Tu aurais dû le voir. Il avait peur, il y avait de la peur dans ses yeux. Ce n'est pas anodin.

     - Non, là, c'est trop -

     - Il avait peur, maintient Louis. Au début j'étais comme toi, je n'ai pas vu ça et je n'ai pas compris. Mais il y a quelque chose de pas net chez son père, d'encore plus terrifiant. Harry n'aime pas son père, et c'est sûr qu'il a quelque chose à voir là-dedans.

     - On le savait déjà, Louis. On savait déjà que son père était probablement un politique corrompu. On ne t'a pas attendu pour y penser -

     - Je crois qu'Harry est innocent.

Louis lâche une bombe qui vient glacer l'air que nous respirons. L'espace d'une seconde, j'ai l'impression qu'il n'y en a plus du tout. L'adolescent se tourne vers nos équipiers, et particulièrement Nick. Son visage est tiré par la révélation de son ami, et je crois que Louis craint sa réaction.

D'un autre côté, le châtain a l'air lui-même brusqué par les mots qu'il sort pourtant avec tant d'assurance. Comme si penser cela le dépassait lui-même.

J'ouvre la bouche, la referme. Je passe une main sur mon visage.

     - Tu ne peux pas nous faire ça, je reprends. Tu es notre élément clé, tu ne peux pas commencer à nous lâcher.

     - Mais je ne vous lâche pas ! Sa voix monte à son tour. Je ne vous lâche pas. Je suis là - plus là que jamais. Son père était vraiment suspect, Mike.

Je m'approche davantage.

     - Et on n'aurait peut-être pu en juger si tu avais ton micro !

     - Oh, oui, bien-sûr - et à quoi ça aurait servi que je le porte si tu étais encore dans la camionnette à coucher avec Andrea ?

Deuxième bombe, dans la même minute. Je me pince les lèvres et regarde tout le monde. Niall arque un sourcil, Andrea rougit, Judith se retient de lâcher un rire jaune. Je me reconcentre
sur le jeune devant moi, essayant d'ignorer les regards insistants sur moi.

Touché.

     - Alors ça... Dit Niall, avec un petit rire.

     - Cocasse, reprend Judith.

     - Surprenant, s'étonne Todd.

Tel un jeune garçon, je n'ose pas affronter le regard de mes collègues.

     - Là n'est pas le sujet, je reprends en me raclant la gorge.

     - Ce qui est le sujet, c'est qu'il faut que les choses changent. Harry n'a rien à voir là-dedans - enfin, si, bien-sûr, sûrement. Mais ce n'est pas la tête, c'est sûr. Et... je ne crois pas qu'il ait tué Zayn.

Il lâche cela et malgré notre désaccord, je lis dans son regard que lui-même a du mal à comprendre cela, qu'il a mis du temps à arriver à cette conclusion, mais que c'est ainsi.

La voix plus posée - il faut dire qu'il m'a calmé -, j'ajoute :

     - Ce que tu dis est de la folie, Louis.

     - C'est de la folie seulement parce qu'on s'est mis en tête que c'était comme ça, et pas autrement. Que c'était lui, parce que c'était le coupable parfait - et justement, tu ne trouves pas bizarre que ça soit juste le mec parfait ?

     - Les gens font parfois des choses stupides, sans penser au fait qu'ils sont ou non le suspect idéal.

     - Oui, et il doit avoir fait des choses, je ne dis pas qu'il est tout blanc. Mais ça plus loin que ça. Ça va plus loin que lui.

Je me retiens de lâcher un énième soupir et secoue légèrement la tête. Je suis désemparé, et je ne pensais pas que nous aurions cette conversation un jour.

     - Notre plan était ferme, je rappelle.

     - Oui, notre plan était ferme, et très bien. Mais le but d'un plan, c'est de s'adapter à une situation. Et là, on change de situation. Donc on change de plan.

     - Quoi ?

Ma voix redevient calme, posée - non pas parce que mon incompréhension est passée, mais simplement parce que mon étonnement est tel qu'il me coupe l'herbe sous le pied.

Changer de situation ? Changer de plan ?

Louis souffle, et reprend un ton normal à son tour.

     - Je n'en peux plus de porter un micro, de sans cesse être surveillé. Je n'arrive pas à être moi-même, à agir correctement, en sachant que vous allez tout écouter et examiner. Je ne suis déjà pas très doué pour me faire des amis, mais alors là, c'est trop.

     - C'est pour te protéger, j'explique. Si jamais on doit intervenir.

Car pour le coup, c'est la vérité. Outre notre désaccord, un but principal de la mission est essentiellement de protéger Louis. Si quoi que ce soit lui arrive dans cette mission, si Harry, ou qui que ce soit lui fait du mal...

Oh, je crois que je ne pourrais jamais me le pardonner.

     - Et je le comprends, reprend le concerné. Mais c'est aussi pour récolter des preuves, chaque petit détail qu'on peut espérer. J'ai passé la journée avec lui, sans micro - j'ai été à une fête où mon micro s'est cassé, j'ai été au lycée toute une journée sans micro, et je l'ai croisé. Tout le temps ce mot à la bouche, s'il avait dû m'arriver quelque chose de par sa faute, ça serait déjà arrivé.

     - Il y a constamment des risques.

     - Tout comme quand je traverse la route, ou utilise un couteau pour couper ma viande. Il y a toujours des risques dans la vie.

     - Ne compare pas l'incomparable, je soupire.

     - Est-ce que c'est vraiment incomparable ? Notre plan était super, oui. Mais regarde jusqu'où ça nous a menés aujourd'hui.

Je ne peux le contredire. Cela fait des jours que nous attendons, mettons en place des systèmes, et pourtant, pas d'avancée. Rien n'a été détecté dans leurs cheveux, dans leurs urine ; personne n'a parlé du trafic à Louis, personne n'a montré de lien direct avec Zayn.

Où est-ce que cela nous a menés ? Pour l'instant, nul part. Nous faisons du sur-place.

     - Je veux qu'on revoit les choses, poursuit Louis. Je vais avoir besoin que vous me fassiez confiance. De toute façon, vous allez avoir besoin de m'écouter et de me faire confiance, parce que vous avez besoin de moi pour continuer.

Je ne peux m'empêcher de me demander à quel moment Louis a pris autant d'assurance, mais objectivement, je dois dire que cela lui va bien. Il a la hargne.

     - Je sais que toi et moi avons laissés certains aspects personnels interférer là-dedans, vis à vis de Zayn, de ta femme. Mais ça va au-delà de ça, le but n'est pas d'envoyer derrière les barreaux quelqu'un d'autre, juste pour faire notre deuil. Ça va plus loin que ça.

Coulé.

Pendant un instant, je ne réagis pas. Mon corps reste fixe, et je demeure silencieux. Tout le monde semble respecter cela, jusqu'à ce que j'ouvre les lèvres :

     - Qu'est-ce que tu proposes ?

     - Je veux que les règles changent.

Louis tourne la tête vers Nick, comme attendant son approbation. L'adolescent a les sourcils froncés, probablement marqué par le moment. Il reste stoïque un moment, avant de faire un pas vers Louis, ainsi qu'un hochement de tête.

Il lui donne son accord. Le châtain n'attend pas davantage pour se retourner vers nous, les agents, et continuer son speech.

     - Je ne veux plus porter ce fichu micro tout le temps. Que lorsqu'on est sûrs que c'est nécessaire.

Je soupire longuement, me retenant de rétorquer encore que nous risquerions de louper beaucoup de choses. Je me tais, venant m'appuyer sur la table en posant mes deux paumes à plat. Louis poursuit :

     - Je veux que vous me fassiez confiance.

     - On te fait confiance, intervient Andrea.

Toujours là pour venir être tendre et rassurante.

     - Non, objecte le garçon. On ne peut pas dire que c'est vraiment de la confiance. Je suis votre meilleur atout. Mais je veux que vous me fassiez vraiment confiance. Laissez-moi passer du temps avec Harry, au maximum, avec l'équipe aussi. J'en attendrais plus sur le trafic et surement le meurtre comme ça.

On pourrait presque croire, à l'entendre, qu'il a fini par apprécier la présence de ce garçon.

Je me tais, mais continue à regarder l'adolescent, et mon visage en dit probablement long sur ce que je pense de tout cela. C'est pour cela que Louis enchérit :

     - Comment tu pourrais te prononcer sur quelque chose que tu n'as pas vu ? Tu veux qu'on règle enfin cette histoire, que le trafic soit démantelé, que les meurtres de nos proches soient vengés ? Je suis sur le terrain. Je n'ai pas votre expérience à tous, mais j'y suis. C'est moi, et il faut me croire moi dans ce cas-là. J'ai rencontré cet homme aujourd'hui, et je ne saurais pas te dire - mais je sens quelque chose. Il y a quelque chose à creuser, Mike. Tu veux de la justice ? Alors applique la.

Au fond de l'océan.

M'avouant vaincu, je me redresse et acquiesce lentement. Ce geste n'a rien à voir avec les précédents ; réellement, je m'ouvre au dialogue et accepte d'écouter ce qu'il a à dire. Il semble lire sur mon expression ce que cela signifie, car à son tour, il m'offre un hochement de tête, signifiant « merci ». Et, reprend :

     - À partir de maintenant, j'aimerais qu'on fonctionne comme ça. Je vous ferais des rapports complets sur les choses intéressantes que je vois ou entends. Mais surtout, je vais creuser du côté du père. Plus de micro tout le temps, plus de surveillance constante. Sérieux, parfois c'est à se demander qui c'est le suspect. Et je veux qu'on trouve une solution pour Nick, aussi. Il reste enfermé ici toute la journée et ça ne va pas.

Le concerné ne montre pas d'objection.

     - Très bien, je réponds doucement. C'est noté.

Louis continue son discours en détaillant ses idées, tout en restant très évasif. Je ne perds pas de vue que cela est risqué, et que nous violons clairement le protocole basique d'un agent sous couverture. Mais au-delà de l'aspect policier, il y a étalement un aspect humain, social.

Et il ne faut pas être un grand pro pour savoir qu'il est important de s'adapter aux sentiments, ressentis des gens. Constamment, je m'adapte à ceux des autres ; et surtout aux miens, que je découvre à chaque heure qui passe.

Mes yeux se tournent comme automatiquement vers Andrea. Ses joues sont encore un peu rosées par l'information personnelle que Louis a lâché devant les autres. Cela pourrait presque me faire sourire.

Je me reconcentre sur le jeune, qui nous explique désormais qu'il veut que Nick l'accompagne à son déplacement. Qu'il faut que l'on réfléchisse mieux à comment se traiter les uns les autres. Malgré mon silence et ma réserve, je lui accorde ma bénédiction.

Louis a pris le contrôle.

Très bien, les règles vont changer.

× × ×

     - Hey.

Allongé dans mon lit, je me redresse pour voir Andrea, debout dans l'embrochure de ma porte. Ma lampe de chevet étant toujours allumée, je la vois parfaitement.

On pourrait presque croire une scène entre deux adolescents. Elle ne fait pas de bruit et viens jusqu'à mon lit.

      - Hey, je réponds doucement.

Définitivement un adolescent.

     - Désolée de te déranger. Je venais voir si... tu allais bien.

     - Pourquoi ça n'irait pas ?

     - Tu avais l'air énervé, contre Louis.

Je soupire et me redresse encore un peu plus. C'est si étrange, de me retrouver à parler avec elle en pyjama, dans ma chambre, tout en sachant que la sienne est à quelques mètres. C'est si étrange, de me retrouver à vivre avec tant de gens, que je vois constamment.

Et je crois que le plus étrange est que globalement, cela se passe bien. Nous tissons des liens.

     - Je ne m'attendais pas à ça, j'avoue. Et il était tellement déterminé. Je ne l'avais vraiment pas vu venir.

     - Il est à bout de nerfs.

    - J'ai cru comprendre.

La jeune femme se tait, mais je devine qu'au fond, elle se retient de me donner une espèce de cours sur pourquoi un adolescent peut réagir de la sorte. J'apprécie l'idée, mais j'apprécie aussi qu'elle s'abstienne pour cette fois.

Elle soupire, et reprend la parole face au silence :

     - Et peut-être qu'on devrait aussi parler du fait que tout le monde le sait maintenant.

     - Oui, ça...

Pris dans la dispute, je n'ai pas prêté plus d'attention que cela à ce détail, mais quelque chose est vrai : les relations entre collègues dans la brigade sont strictement interdits. Développer des liens est normal à force de travailler tous les jours avec quelqu'un, mais entamer une relation amoureuse est strictement interdit.

Nous sommes en plein dedans.

     - Ça ne me dérange pas, j'ajoute. Je veux dire - il n'y a pas de raison que Todd et Ernie appellent Tanson pour lui dire qu'on a couché ensemble.

     - Je ne pense pas non plus. Ils n'y gagneraient rien...

     - Et puis, j'ai risqué mon poste en mettant en place cette mission. Je ne suis pas à un risque près, je crois.

     - Oui, tu ne l'es pas.

Elle laisse planer ses mots dans l'air, tout en gardant une mine confuse, presque professionnelle. Et cela frappe mon esprit.

     - Mais tu risques ton poste, dis-je.

     - ... Mais je risque mon poste.

Dans ses yeux, je constate une dualité difficile à cerner. Comme si elle était dans ma chambre sans réellement savoir pourquoi, comme si elle réfléchissait sans réellement le contrôler.

     - Et... ça te pose problème, je continue de constater.

Son silence est ma réponse.

Mon coeur se serre légèrement, et c'est stupide. Je l'ai repoussée, je suis très difficile d'accès pour elle, et malgré cela, j'ai peur de la perdre. C'est que je dois être stupide, pas vrai ?

     - Oh, je dis doucement. Tu préfères arrêter ?

Elle ne me répond pas, et soupire en venant se blottir contre moi. Je reste sans bouger quelques instants, avant de venir fermer mes bras sur son dos. Un contact tendre, avec une femme que j'apprécie. Je peux sentir mon coeur se réchauffer.

Andrea ne parle pas, et dans ce silence, j'essaie de trouver ma place. J'ai l'impression de me préparer à entendre la fin d'une histoire à peine débutée. Cela me fait bien plus mal que ce que je n'avais prévu.

     - Non, répond-elle doucement. Je crois que non, justement.

Pour m'adapter à la douceur de sa voix et ne pas la brusquer, j'adopte le même ton :

     - Tu penses que non ?

     - Je crois que même si c'est risqué... je n'ai pas envie d'arrêter. C'est ça le problème.

     À court de mots, je me contente de commencer à me pencher en arrière, jusqu'à coller mon dos contre le matelas. Andrea suit forcément mon mouvement, jusqu'à avoir sa tête posée sur mon torse.

Ma main trouve son chemin dans ses cheveux. Ils sont longs, doux. Je laisse le silence nous posséder alors que je fixe le plafond. Ce geste de tendresse me laisse si simple, si naturel. Je n'ai pas l'impression d'être rouillé.

     - Alors on n'a pas à le faire, je dis doucement.

Cela lui fait peur, et je peux le sentir à son rythme cardiaque que je sens accélérer de par notre proximité.

Peut-être que oui, même si je râle, il est temps que les règles changent.

Car les règles de ma vie, de mon coeur, ont déjà évoluées ; pour le meilleur.

Parfois, le changement n'est pas négatif.

Et peut-être que finalement, ce livre se fermant pour en ouvrir le début d'un autre, ce n'est que le vrai commencement de cette histoire.









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Bonjour à tous ! Vous allez bien ? Passez une bonne journée/soirée/nuit !

Un long chapitre, qui contient cependant tellement d'éléments importants pour la suite. Le vrai commencement des choses, finalement...
Le fait qu'on ne voit pas le père d'Harry est fait exprès. Étant dans la tête de Louis la majeure partie du temps, il faudra encore un peu de temps pour qu'il décrypte ce grand homme d'état. D'abord le fils...

Merci encore de lire ❤️

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