CHAPITRE 17

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PARTIE 1 : Cela

LOUIS

L'averse qui me tombe dessus ne m'atteint pas réellement. Les gouttes tombent, nombreuses, sur ma peau découverte. Mais cela n'atteint pas mon âme errante - alors, je remarque à peine. Je continue à marcher, trempant mes chaussures en tissu à cause des flaques dans lesquelles je mets les pieds.

J'ai conscience d'à quel point cette situation est complexe, et je me rends compte d'à quel point elle m'échappe.

Tout m'échappe.

Je me fais petit à petit à l'idée que Zayn n'est plus là. Qu'il ne va pas débarquer pour me secouer, m'hurler dessus, ou je ne sais quoi.

Et pourtant, j'ai parfois l'impression de l'entendre, le voir. Je crois qu'à ma manière, j'aimerais l'entendre me demander en criant ce que je fous. J'aimerais le voir m'embarquer quelque part, loin de cette situation.

Sauf que j'y suis à cause de sa disparition éternelle. C'est le serpent qui se mord la queue.

Et même si on ne dirait pas, tandis que je marche le regard vide sous la pluie pour rejoindre la maison, je commence à me faire à sa disparition.

Ce que je ne digère cependant pas, c'est à quel point tout cela est trop, en même temps. Je peux gérer la tempête - mais pas le fait d'être foudroyé. Je peux échapper à l'avalanche - mais pas au fait d'être enseveli sous la neige.

Arrivé sur le paillasson, j'essuie mes pieds comme je peux, et pousse la porte. Aussitôt, je mouille le parquet de par les dizaines de gouttes qui tombent de mes vêtements. Todd et Ernie arrivent, presque en courant.

     - Louis ? Ca va ? Me lance le roux.
     - Tu es trempé, s'inquiète l'autre.

     - Je vais bien, je dis, confus. Je vais bien, je rajoute, plus distant.

Les deux agents hochent la tête, mais je constate bien qu'ils se demandent plusieurs fois pourquoi je suis dans cet état-là, ce qu'il se passe.

     - Qu'est-ce que tu fais là ? S'interroge Mike, en arrivant.

     - Oui, il y avait entraînement, ajoute Todd. Et c'est important, on se rapproche du but.

     - Et plus vite il sera atteint, plus vite on pourra tous rentrer chez nous en laissant ça derrière nous, parle Ernie.

Je me retiens de soupirer, de rouler des yeux également. Je sais que tout repose sur mes épaules - je le sais, je le sais parfaitement.

Peut-être un peu trop parfois.

     - J'étais fatigué, j'explique en enlevant mes chaussures. Je n'avais pas envie.

Je lis de la confusion sur le visage des différents agents. Il y a un silence pesant quelques instants sur la pièce, jusqu'à ce que Mike reprenne :

     - Tu n'avais pas... envie ?

     - Non, je ne le sentais pas.

     - Tu ne le sentais pas ? S'insurge presque Ernie.

     - Eh, je fronce les sourcils. Je suis humain, les gars. Je ne me sentais pas d'y aller - pas après cette journée. Je me suis dit qu'une journée ce n'était pas grave, que vous comprendriez.

Apparemment, pas.

Je soupire et me passe une main sur le visage. J'ai du mal à affronter leur regard, et peut-être le prennent-ils mal. Je ne veux pas les vexer, je ne veux pas leur causer quelconque problème de par mon attitude. De par mes choix.

Mes erreurs.

Mon erreur.

Ici, trempé, dans cette entrée, je me rappelle le regard que m'a lancé Harry. Ce regard que j'ai d'abord cru triste, mais maintenant, après une longue réflexion sous la pluie, je réalise.

Il n'avait rien de triste.

Il était fermé. Il était hypocrite. Faux. Il m'a ressorti son regard commercial, global. Qu'il offre à tout le monde.

Et puis merde, pourquoi est-ce que cela a une importance de toute manière ?

E.r.r.e.ur.

     - Louis ? Parle Ernie. Tu m'écoutes ?

     - Oui, excuse-moi, je secoue la tête pour y remettre de l'ordre. Je t'ai dit - je ne suis pas super en forme.

     - Et je le comprends, mais on est une équipe. Tu es humain, tu es jeune, et c'est beaucoup. D'accord, c'est ok. Mais on est une équipe et on fonctionne comme tel. Tu es parti sans rien dire à personne, sans parler dans ton micro, et sans prévenir Niall qui est sûrement encore planté là-bas.

Je reste statique suite à ses mots, que je sais pourtant vrais. Comme pour lui montrer que je l'ai écouté, et prends en compte ses propos, j'hoche lentement la tête. Andrea soupire et s'approche de moi.

     - Ça va aller Louis, dit-elle, rassurante. On t'en demande peut-être beaucoup, on va mettre le frein.

     - Qu'est-ce qu'il se passe ici ?

Je tourne la tête vers Nick, descendant les escaliers. Il arrive au même niveau que nous tous.

     - T'es trempé Louis, reprend-il. Et qu'est-ce que tu fais là ?

     - Je n'ai pas été à l'entraînement. Un jour de repos, c'est tout ce que je prends - ça ne me fera pas de mal.

     - Et il a jugé bon de ne pas nous prévenir, soupire Todd.

     - Hey, j'ai déconné, je sais, je rétorque. J'ai compris. Mais je suis crevé, je dors mal et c'est pas si simple que ça tout ça, alors j'ai voulu faire une pause. C'est tout.

     - Calmez-vous, parle Andrea.

Mike reste silencieux, ce qui semble tous nous perturber. Ce type n'a rien de fixe en lui non plus - père bancal, veuf éploré, découvrant de nouvelles relations et émotions à travers cette situation glauque et tragique.

Nous ne sommes pas différents, finalement. À sa manière, comme moi, il essaie. Et le voir si effacé maintenant, me perturbe. Je crois que je ressens le besoin de le voir garder la tête hors de l'eau, pour essayer de m'accrocher aux branches aussi.

La porte derrière moi s'ouvre, venant me cogner brutalement le dos.

     - Aïe, je m'exclame en me décalant.

Judith apparaît, suivie de Niall. La blonde nous regarde, tous un par un, et sans un mot, monte à l'étage.

Je ressens comme un pic dans le coeur. Pour la, au moins, vingt-septième fois aujourd'hui.

     - Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Demande Niall, essoufflé.

     - Pourquoi tu es essoufflé ? Parle Andrea, confuse.

     - J'ai roulé vite, puis j'ai couru. J'ai cru à une sorte d'urgence, je ne sais pas - personne ne me répondait, et je ne captais plus le signal du micro de Louis.

Je baisse les yeux, peu fier de moi.

     - Tout va bien, dit Nick. Juste Louis qui a décidé qu'aujourd'hui il avait la flemme.

Je relève la tête si rapidement que ma nuque craquerait presque. Je le regarde, confus :

     - Tu t'y mets aussi, alors ?

     - Bien-sûr que je m'y mets, Louis. C'est fatiguant pour nous tous, et pourtant on continue.

     - C'est encore plus fatiguant pour moi.

     - Ah, vraiment ?

Le brun lâche un petit rire nerveux, et s'approche légèrement. L'averse extérieure est ridicule à côté de la tempête prônant dans les yeux de Nick à ce moment précis.

Je sais que sa colère va s'abattre sur moi.

Et à juste titre.

     - Je suis ici, toute la journée, enfermé. Alors certes, je suis avec Todd et Ernie, parfois Niall, Andrea, Mike - et ce sont des personnes incroyables. J'ai découvert des personnes incroyables - mais je n'ai pas envie d'être ici Louis.

Ma bouche reste fermée, mes yeux restent dans les siens.

     - Je ne suis pas sûr que quiconque ait envie, et toi non plus, je le sais. Et je sais à quel point j'ai été dur auparavant avec toi, et je sais que ça me donne probablement pas le droit d'ouvrir ma gueule à cet instant précis, mais s'il te plaît, vois moi comme le petit-ami du mec mort deux secondes. Vois-moi comme ce mec.

     - Je le vois, Nick.

     - Non - pas réellement. Je compte sur toi, Louis. Tu es mon seul espoir pour coincer ce mec, pour faire payer le coupable, pour me donner la chance de faire mon deuil tranquillement et d'arrêter de pleurer Zayn. Tu es ma seule chance.

Ses émotions l'engloutissent, et deviennent eux la tempête qui s'abat sur lui. Peut-être même le tsunami. Je le vois se noyer sous cette masse de sentiments, au fur et à mesure que ses yeux s'humidifient.

     - J'ai besoin d'être égoïste deux secondes, reprend-il. Sa voix tremble. J'ai besoin de l'être parce que ça me fait plus mal que ce que je veux l'avouer. Je t'ai rencontré réellement, et je découvre quelqu'un que j'apprécie, et tu es mon ami. Tu l'es devenu et j'ose espérer que d'une certaine manière, je suis ton ami aussi désormais.

     - Oui, je parle. Tu l'es.

Tous les agents sont autour de nous, mais c'est comme s'il n'y avait que Nick et moi, là, tout de suite. Je ne remarque même pas Judith, postée à la dernière marche des escaliers, assistant à la scène.

     - Alors si je le suis, reprend le brun. Il faut que tu te surpasses. Pour moi - pour lui. Il le faut, Louis.

     - Je suis juste fatigué.

     - Oh, on l'est tous. Et tu as le droit d'être fatigué - et je me déteste de te le reprocher, là, tout de suite. Je n'ai pas à te reprocher ça parce que c'est dur pour toi aussi, et je le sais, je le comprends. Mais tu n'as pas idée d'à quel point c'est dur pour nous aussi. À quel point cela implique des choses difficiles. On souffre tous. On aime, on perd, on se ramasse, on découvre, on pleure. Nous tous, ici.

Autour de moi, je les vois tous. Mike et Andrea avec leur amour naissant - mais également un fantôme dans le coeur, et un amour passé dans la maison. Niall, devant voir son ex petite-amie tomber pour un autre. Judith, devant accepter que le garçon qui lui plaît ne ressent pas la même chose. Nick, devant pleurer un amour perdu pour toujours. Ernie et Todd, devant gérer leurs familles lointaines, et trouver un équilibre dans ce bordel constant.

Moi-même, devant gérer une couverture, et mes sentiments personnels. Faire la part des choses, apprendre, comme eux tous, à surpasser cela.

J'ai été égoïste. Nick a raison. Non pas en fuyant l'entraînement aujourd'hui - mais en pensant que seule ma situation était insurmontable.

En pensant que j'étais seul.

Ce que je vis, n'est pas drôle. Et tout le côté secret que je ne peux pas leur dire, est absolument terrifiant. Mais je ne suis pas le seul à marcher en terrain inconnu, à vivre des moments qui n'étaient pas prévus par l'entraînement.

Nous marchons tous à l'aveugle, de manière bancale.

Ensemble, nous apprendrons peut-être à nous tenir la main et à marcher droit.

Je prends la main de Nick.

     - Je comprends, je dis.

     - Tu ne comprends pas, il pleure.

     - Je comprends, je répète.

Non pas sa douleur exacte, mais je comprends que nous avons tous mal, d'une certaine manière. Je comprends qu'il faut que j'arrête de fuir.

Demain, j'irai affronter Styles.

Je me comporterai normalement avec lui, trouvant un équilibre entre mon rôle et mon but.

Et j'irai au but. D'ici quelques jours, tout sera terminé, et j'oublierai cet écart stupide.

Pour mes amis.

Pour Zayn.

Pour moi-même.

      - Je comprends, je dis encore.

Nick laisse enfin ses sanglots éclater.

Automatiquement, j'appuie sur sa tête pour que son front vienne s'appuyer sur mon épaule. Il s'accroche à mon dos si fort qu'il en éponge mes vêtements. Et il pleure.

Il lâche tout. Comme si l'air expiré par ses poumons étaient les maux qui l'habitaient. Il lâche tout.

     - Je suis désolé, dit-il. Je suis désolé, je sais que ce n'est pas ta faute, que tu es fatigué... mais je veux juste que ça se finisse vite.

     - Ça se finira vite.

Cette fois, ce n'est pas moi qui parle, mais Judith. Je sens sa main sur mon bras, et vois que l'autre est posée sur le dos de notre ami commun. Elle ne m'adresse pas de sourire ou de regard chaleureux, mais elle est là. Elle dépasse ses sentiments négatifs pour le bien des autres.

Elle nous enlace tous deux, alors que les adultes restent auprès de nous, montrant leur soutien comme ils peuvent.

Ce n'est pas insurmontable.

Cela m'échappe totalement - mais ce n'est pas insurmontable.

Je vais me ressaisir.




*
PARTIE 2 : M'échappe

MIKE

Un soupir quitte mes lèvres.

Assis sur cette chaise en bois peu confortable, je demeure silencieux de mots. Andrea reste à mes côtés, comme cette présence qu'elle est, mais ne parle pas non plus.

La maison est calme, je sais que personne ne dort, ce n'est que la fin d'après-midi - mais il y a cette lourdeur dans l'air, qui donne l'impression que la nuit est froide et longue. Tous les adolescents ici semblent aller mal, pour diverses raisons.

Aucun d'eux ne mérite ce traitement. Aucun d'eux ne mérite d'avoir été embarqué là-dedans. J'étais uniquement inquiet pour ma fille au début, et voilà maintenant

Il m'est déjà si compliqué de gérer la vie d'une adolescente, maintenant je dois gérer une maison entière avec des gens qui se font une place dans mon coeur.

Peut-être devrais-je fermer ses portes, ou plutôt les expulser de l'espace qu'ils ont pris. Seulement porter une importance pour mon sang, pour la chair de ma chair.

Mais le sang a-t-il réellement une importance ? S'attacher est-il si mal que ça ?

Me voilà alors, assis dans cette pièce, avec seulement la fille avec qui je semble être à mes côtés. Elle attend que je le fasse en premier. Chose que je fais, après un petit temps :

Cela m'échappe totalement.De quoi ? Demande-t-elle doucement.

Éternellement, elle reste douce, comme pour ne pas brusquer l'air elle-même. Et pourtant, elle sait être très piquante également quand elle veut.

Andrea a cette passion en elle. Dans l'intimité aussi, comme j'ai pu constater.

Je chasse ce flashback peu approprié de mon esprit. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas eu ces espèces de souvenirs soudains de moments intimes, qui font accélérer le coeur et décrocher un sourire.

La scène à laquelle on a assisté toute à l'heure, je réponds finalement, gardant la face.

Je ne la regarde même pas. Je fixe ce mur blanc.

Cela manque cruellement d'éléments, sur cette peinture imparfaite. Et cela est carrément déprimant.

Comme chez moi, en réalité. Peut-être qu'en rentrant, Judith et moi devrions redécorer tout cela. Ajouter de la vie, aux murs. A la maison.

Parce que peut-être qu'enfin, je ne suis plus mort de l'intérieur.

     - Pourquoi cela t'échappe ? Demande la détective.

     - C'est juste, beaucoup.

     - Mais c'est normal. Tout le monde est sur les nerfs. Nick reste ici toute la journée, à stresser, à s'ennuyer. Probablement à penser à des choses peu agréables. Rester quelque part sans cesse n'est pas bon.

     - Bien-sûr - mais je ne parle pas que de cela, pas que de ça.

Je marque une pause. Comme d'habitude, elle me laisse le temps. Je soupire et viens mettre mes avants bras sur le dessous de mes genoux, courbant ainsi mon dos.

Elle ne me pose pas la question. Je me dois de continuer de moi-même. Ce que je fais :

     - Les relations humaines en général. Ça, ça semble m'échapper totalement.

Je suis rouillé, comme une vieille barrière de ville qu'on aurait laissé dans une forêt depuis trop longtemps.

     - Tu sais que je ne suis pas réellement doué en général avec ça - tu as remarqué comment j'ai été avec toi, comme je suis avec ma fille. Je veux dire, je vois bien qu'un truc ne va pas chez elle en ce moment, on n'en a parlé, mais je me sens impuissant, je suis incapable de savoir quoi faire.

     - Tu lui as demandé ?

     - Quoi ?

Je tourne enfin ma tête vers elle.

     - Tu dis que tu ne sais pas comment l'aider, comme être présent. Mais est-ce que tu lui as demandé ?

Confus, mes sourcils se froncent. Mon manque de réponse donne celle-ci à la brune.

     - Parler, c'est la clé. Surtout avec une adolescente.

     - Comment tu peux savoir ça ? Je m'étonne. Tu n'as jamais eu à élever une adolescente.

     - J'ai deux petits frères. On a douze ans d'écart. Alors quand ils ont atteint le passage de l'adolescence, j'étais adulte. Et mes parents se sont dit qu'ils avaient besoin de sortir, de s'aérer, tout ce qui va avec. Ils me les ont envoyés de New-York, et on vit ensemble depuis. Basiquement, je les ai élevés le temps de leur adolescence.

     - Je ne savais pas que tu avais deux frères.

     - Tu ne savais pas non plus que j'avais un grain de beauté sur la fesse droite, elle sourit. Et pourtant maintenant tu le sais.

Je pourrais presque rougir à l'entente de ses mots. Je me ressaisis. Bon sang, je ne suis pas un adolescent !

     - Alors, je n'ai jamais élevé d'enfants, non, elle avoue. Je n'en aurais peut-être jamais, vu mon âge...

     - Tu peux encore en avoir, tu n'as même pas 40 ans.

     - Bien-sûr mais, ce n'est pas le but de ma vie, je crois. Je travaille trop et puis, comme je te dis, j'ai déjà eu à gérer la phase d'adolescence de deux monstres que je continue d'avoir.

Soudainement, cela paraît plus clair. Sa douceur, sa prestance, sa manière d'être si douée au travail et également si parfaite en relation humaine. Elle sait faire la part des choses, mesurer la balance.

     - Plus jeunes, ils étaient durs, reprend Andrea. Deux garçons, parfois cruels avec la femme qu'était leur grande soeur. J'ai dû les éduquer sur plein de sujets. M'ouvrir à leur univers, aussi. Douze ans de différence dans une enfance, c'est énorme. Nous n'avions pas les même centres d'intérêt.

     - Alors imagine une vingtaine d'années, je pouffe.

     - Bien-sûr. Ça s'apprend.

     - C'est plutôt un constant apprentissage, je corrige.

     - Oui, tu as raison.Tu n'es pas nul en relations humaines, Mike. R aucun niveau.

     - Oh, ça, je rigole nerveusement.

     - Non, tu ne l'es pas. Tu es encore un apprentissage - c'est constant, comme tu dis. Les choses ont évoluées. C'est évident. Juste, regarde-nous. Tu as réussi à créer ça.

Elle pose la main sur ma cuisse, et je pourrais presque sentir ma peau se réchauffer à ce contact.

Une pensée optimiste me traverse l'esprit, et j'apprécie ce sentiment que je découvre. Il m'a déjà possédé, bien-sûr, mais cela fait tellement longtemps que j'ai l'impression que c'est la première fois.

Une pensée optimiste, simple, basique. Véridique.

Je me suis amélioré. Je m'améliore.

     - Nous n'en avons pas... je me racle la gorge. Parlé, justement. De ce qu'il s'est passé.

     - Tu veux en parler ?

     - Pas forcément ? Je demande. Je veux dire, ce n'est pas nécessaire.

Un rire quitte les lèvres de la jeune femme - le genre de rire sincère, qui fait pencher la tête en arrière et dévoiler les dents blanches. Je ne sais pas si je l'ai déjà vue rire comme ça, auparavant.

     - Mauvaise réponse. Je te disais ça, comme pour te tendre la perche pour que tu démarres la conversation.

     - Oh.

     - Oui, oh. Je suppose qu'on devrait en... parler, alors.

Cela semble si difficile, et pourtant si simple. Il faut dire que la personne en face aide. Avec son sourire et sa main sur moi, je la sens ouverte et tolérante.

Beaucoup de choses sont fermées chez moi - mais l'espace d'un instant, je laisse mes épaules tomber alors que j'expire l'air que je garde dans mes poumons. Ça permet de se détendre, l'espace de quelques instants.

     - Est-ce que tu regrettes ? Elle demande, pour faire un pas.

     - Non - je veux dire, non, c'était génial - enfin, pour moi, c'était...

     - Pour moi aussi. Ne stresse pas. Ça l'était.

     - J'aurais pu mieux faire, ça faisait longtemps, et justement ça n'a pas duré longtemps mais...

     - Mike.

Je lève les yeux vers elle.

     - Tu es un homme. Tu es un adulte. Tu es passé par des épreuves difficiles, et tu continues chaque jour. Tu es un excellent détective. Ce n'est pas parler de sexe avec la fille avec qui tu l'as fait pour la dernière fois que tu vas être déstabilisé. J'ai apprécié. C'était bien. Je me doute que ça pourrait être mieux, je te crois, mais c'était bien. Ne te pose pas tant de questions.

De nouveau, ces souvenirs récents traversent mon esprit. Nos corps pressés dans ce petite espace totalement inapproprié, ses cheveux longs s'emmêlant, ses cuisses serrées contre moi, sa gorge lâchant des bruits étouffés.

Ma mâchoire se serre alors que je lâche ces pensées, encore. Je suis peut-être un adulte, mais j'ai l'impression de retrouver le cerveau d'un adolescent découvrant les hormones.

Cela faisait définitivement longtemps.

Malheureusement, ces chaudes pensées sont remplacées par certaines plus sombres. Cette place que je connais par coeur dans le cimetière, cette maison vide par une certaine présence manquante.

Mon ancienne vie, en confrontation directe avec ce qui semble être la nouvelle.

     - Je ne suis pas sûr d'être prêt, j'avoue. C'est confus, mais ça fait beaucoup d'engagements en ce moment, de nouveautés - et je ne suis pas sûr d'être prêt. Je suis désolé, je sais que je t'ai assuré que je l'étais - mais je ne sais pas...

C'est comme si la chaleur du moment retombait instantanément, laissant le froid glacial de l'ambiance de la maison nous envelopper violemment. Un frisson me parcourt même alors que je relève les yeux vers Andrea.

À ma grande surprise, elle a toujours son sourire rassurant. Au fond, je crois que j'aimerais lui trouver des gros défauts pouvant me donner un prétexte pour fuir. Cependant, je n'en vois aucun.

     - Moi non plus.

     - Toi non plus ?

     - Non, bien-sûr, dit-elle, normalement. Cela fait peur. Nous sommes collègues, et il y a encore un moment de ça je n'aurais jamais pensé qu'on en arriverait là. Comme tu dis, ça implique beaucoup de choses. C'est assez...

     - Inattendu, je complète sa phrase.

Lentement, elle acquiesce.

     - Inattendu, tout à fait. Et peut-être que c'est une erreur, mais peut-être pas. Je pense que tu es bien plus que ce détective acharné, et crois-le ou non, je suis plus que cette flic énervée de taper des rapports à longueur de journée.

     - Tu es plus que ça, j'assure.

     - Oui, elle sourit. Je sais. Alors ça ira. On n'a pas besoin de... tu sais. Dire « tu veux sortir avec moi? ». On n'a plus vingt ans. On n'a pas besoin d'étiquette, on n'a pas besoin de tout ça. Si t'as envie de me rejoindre dans mon lit, fais-le. Si t'as envie de discuter de choses personnelles, fais-le. Si t'as envie qu'on passe des moments à deux, dis-le. Et je ferai pareil. Et si tu te rends compte que tu n'es pas du tout prêt à envisager quoi que ce soit, que ça ne te va pas, ne te plaît pas. On redevient des collègues. Ok ?

Mon esprit change totalement de paysage, et je ne vois qu'elle. C'est trop tôt pour dire de quoi demain sera fait, au niveau personnel ainsi qu'au niveau professionnel.

J'ai encore tellement de chemin à parcourir.

Nous avons, l'équipe, encore tellement de chemin à parcourir.

     - Ok, je réponds. On verra.

     - On verra, elle chuchote en retour.

     - On verra, je répète, encore.

Alors, je l'embrasse. Parce que ça n'engage à rien, que l'on verra.

Ses lèvres contre les miennes, je me dis à nouveau que oui, cela m'échappe totalement.

Beaucoup de choses m'ont échappées dans ma vie ; ma femme, l'éducation de ma fille, mes passions ; et cela continue. Mais c'est comme si la liste se diminuait.

Je suis en apprentissage.

J'apprends.




*

PARTIE 3 : Totalement

HARRY

Perdu dans mes pensées, je n'entends pas le monde autour de moi. Moi doigt pulse à un rythme irrégulier sur le verre que je tiens dans ma main droite. Mon regard est vide, concentré sur aucun point.

Comme ma vie actuelle, en réalité. Je l'ai laissée vaguer, jusqu'à ne plus fixer de point, d'objectif.

J'ai des responsabilités, des obligeances, et je les ai laissées errer, stupidement. Je ne peux que payer pour mes erreurs.

Car c'est ce que l'on fait, lorsque nous manquons d'objectif. Nous errons, jusqu'aller en terrain inconnu ; jusqu'à marcher sur des ronces, se frotter à des orties. Parfois même jusqu'à tomber dans un ravin mortel.

Statique comme je suis, je pourrais entendre chaque bruit de cette propriété, chaque chat marchant dans le jardin, chaque brindille craquer sous les pas de mon meilleur ami approchant. Mais je n'entends rien de tout cela, mon esprit criant toute sorte de choses.

Je n'entends pas Liam qui toque, et passe par la porte d'entrée après avoir reçu aucune réponse. Je ne l'entends pas déambuler dans les couloirs de la maison, jusqu'à ouvrir la porte dans laquelle je me trouve : la grande bibliothèque de mon père.

     - Qu'est-ce que tu fous ? S'insurge Liam, s'approchant de moi.

Sans que je ne l'empêche, il enlève mon verre de ma main. Je ne lève même pas les yeux.

     - Assis dans ce siège en cuir, un verre de whisky à la main, avec tes bagues sur tes doigts et tes jambes croisées ? On dirait ton père, sérieux.

Nerveusement, je ris alors que mon meilleur ami prend place sur le fauteuil face au mien.

     - Oh, tu sais définitivement appuyer là où ça fait mal, dis-je.

     - Tu n'es pas comme lui, soupire le brun. Arrête de faire ça.

Par moment, j'ose l'espérer. Et à d'autres, je me dis qu'à sa manière bancale, il a atteint le sommet de l'échelle sociale, et qu'ainsi rien ne peut lui arriver, peu importe à quel point son rythme de vie est désagréable. Mais est-ce réellement cela, le but d'une vie ?

Que je le veuille ou non, je ressemble à mon père. Évidemment, le pantin qu'est Pinocchio était obligé de ressembler à celui qui l'a façonné de toute pièce. Je ne le nierai pas. J'évite simplement de me regarder dans un miroir.

     - Lucia n'est pas là ? Parle de nouveau mon ami.

     - Je lui ai dit de rentrer chez elle.

     - Pourquoi ?

     - Parce qu'elle a bien le droit de rentrer chez elle, de profiter de sa fille.

     - Harry, tu es son chez toi. Arrête de faire cet espèce de système de défense que tu remontes quand quelque chose de négatif arrive.

Je grimace, et évite de le contredire.

     - T'as pas à remonter tes murs avec moi.

     - Je ne le fais pas.

     - Bien.

Liam est, plus que certainement, une des seules personnes avec qui j'ai laissé tomber définitivement ces espèces de barrière.

Et peut-être qu'à sa manière, c'est lui, ma personne.

Car malgré mon statut social, le montant sur mon compte en banque, ma possibilité à avoir à peu près tout ce que je veux dans la vie - il semble très facile d'arriver à la conclusion que je suis plutôt seul.

Je n'aime pas cette conclusion ;

Cette fatalité.

     - J'ai déconné, je parle finalement. Et je le sais. Il m'évite maintenant. Et dieu sait ce qu'il pense.

     - Qu'est-ce qu'on en a à foutre de ce qu'il pense ? Harry, tu le connais à peine. Depuis quand tu en as quelque chose à foutre de ce que les gens pensent de toi ?

     - Je sais, c'est fou, hein ?

Cela m'échappe complètement.

Cela a quitté mon contrôle - si je l'ai eu un jour.

Avec son visage craintif, ses manières, sa voix aigue et son manque clair de confiance en lui, il a su s'imposer étrangement. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais ce garçon a une prestance.

Quand il est dans la pièce, on ne voit que lui.

Quand il est dans une pièce, je ne vois que lui.

     - Je ne sais pas. Ça m'échappe. Ça me file entre les doigts.

     - Alors rattrape ça. Rattrape toi.

Enfin, je lève les yeux vers le châtain.

     - J'adore Louis, il continue, il est génial. Mais s'il peut pas gérer qu'un mec l'ait embrassé et qu'il commence à se comporter en imbécile, je veux dire - c'est pas grave. Il va s'en remettre et ça sera ok. Te mets pas dans ces états là pour les autres gens, Harry. Tu es fermé, distant, et le peu de personnes qui comptent pour toi se comptent sur une seule main.

     - Parce que tu crois que la description que tu fais là est positive ?

Liam ferme sa bouche, réfléchit, et réalise.

     - Tu dis la vérité, ta description est bonne. Et c'est ça le problème. Car cela n'a rien de positif.

     - Je suis désolé, parle-t-il aussitôt. Tu es plus que ça.

     - Vraiment ?

Aussitôt, mon meilleur ami veut me rassurer, mais je le coupe. J'ai bien conscience que certaines choses ont fait que je suis devenu ainsi - je n'ai probablement pas choisi. Mais le fait est là.

N'ayant plus de verre en main, je me mets à tapoter un espèce de rythme sur le cuir du fauteuil. Une chanson que ma mère me chantait, avant que je m'endorme. Il me reste peu de souvenirs de mon enfance tendre, mais cette chanson me reste.

Par moment, cela me fait du bien de me la chanter. Cela calme toutes les tempêtes de ma tête.

C'est à la fois ce qui semble le mieux fonctionner pour moi, vu ma position, et c'est à la fois mon plus grand fardeau. Etre cet espèce de pantin qu'il a créé... Je secoue la tête. Mais c'est probablement une bonne chose - que j'ai tenté d'embrasser Louis, qu'il m'ait repoussé, que maintenant on s'évite. Au moins tout est arrivé avant qu'il rentre. Je n'aurais rien à cacher, ou je ne sais quoi. Tu sais à quel point il peut tout découvrir.

Un grand silence de plomb s'installe dans la pièce. Celui-ci est si lourd que je le sentirais presque appuyer sur mon crâne, provoquant une migraine désagréable.

     - Quand ? Parle doucement Liam.

     - Demain, je murmure en retour.

J'ai l'impression qu'en le disant le moins fort possible, cela rend la chose encore moins réelle.

Il rentre demain.

Je ferme les paupières, penche la tête en arrière. Puis, je lâche tout l'air contenu dans mes poumons. Je reste dans cette position quelques secondes, sans bruit ni dérangement.

Liam est là, mais sait à quel point c'est sensible, délicat. Ainsi, il ne me perturbe pas.

Puis, soudainement, je me lève et commence à faire les cents pas dans la pièce.

     - J'aimerais que ça ne m'atteigne pas, j'avoue. D'habitude, lorsque mon père s'apprête à rentrer, rien au monde ne me préoccupe davantage. C'est mon pire cauchemar et ça le reste. Même cette année où tu étais à l'hôpital, j'étais plus inquiet par son retour.

     - Ouais, grimace mon ami, merci pour ça.

     - Je suis venu te voir à l'hopital.

     - Une fois.

     - Désolé.

Le brun hausse les épaules, répétant que c'est le passé.

     - Le fait est, je reprends, que là je trouve le moyen d'être tracassé par autre chose.

     - Tu es humain, quoi.

     - Permets-moi d'en douter.

Cela fait rire mon ami, même s'il y a une part de vérité dans mes mots. Du sang coule dans mes veines, de l'air passe dans mes poumons. Mais tellement, tellement d'autres choses ne tournent pas ronds dans ma vie.

Je reprends ma marche frénétique dans la pièce, perdu dans mes pensées. Encore et toujours, Liam me laisse faire, même si cette situation est inédite pour lui aussi. Je ne joue aucun rôle avec lui, mais je ne me retrouve jamais face à cette situation.

À... en avoir quelque chose à faire.

Xander et moi nous sommes disputés des milliers de fois, il m'a évité et ignoré pendant des semaines entières, et j'attendais simplement que les jours passent - comme tous les autres.

Je m'arrête face à la porte secrète, dos à Liam, et ferme les yeux. Après un silence, Liam parle :

     - Il ne s'en fout pas, Harry.

J'ouvre de nouveau les yeux, mais ne me tourne pas vers lui.

     - Il ne s'en fout pas, répète mon ami. Je ne suis pas dans sa tête et je ne peux pas te dire ce qu'il pense ou... ressent. Mais je l'ai vu, aujourd'hui. Et quelque chose ne tourne pas rond chez ce garçon.

     - Comment ça ?

     - Il s'est séparé de sa copine. Ce n'est pas anodin.

J'arque un sourcil, et me tourne vers le châtain.

     - Pourquoi ?

     - Il ne me l'a pas dit. Mais ça a peut-être un rapport avec vous deux, je n'en sais rien. Je ne vois rien d'autre.

     - Ils semblaient amoureux, pourtant.

     - Tu t'y connais en amour maintenant ? S'amuse mon ami.

     - J'ai été avec Xander.

     - Et tu étais amoureux de lui ?

Je grimace, et hausse nonchalamment les épaules. On avait tout - le couple, les moments, l'intimité, certains secrets. Ça doit être ça, l'amour.

     - Peu importe, je rétorque. Ce que je veux dire, c'est simplement qu'il ne s'en fout pas. Je ne peux pas te dire qu'il est aussi en train de faire les cents pas dans sa chambre, parce que j'en ai aucune putain d'idée, mais je suis sûr qu'il est attaché aussi, d'une certaine manière. Comme toi.

      - Je ne suis pas attaché ! Je m'offusque.

Cette pensée me paraît si effrayante que je fais un pas en arrière, tel un mouvement de recul, de peur.

     - Non, bien-sûr, reprend Liam avec des pincettes. Tu t'interroges juste.

     - Ça n'a pas d'importance, je me braque directement. Ça n'en a pas.

De nouveau, je tourne le dos à Liam pour faire face à la porte invisible. Cette fois, j'appuie sur le bouton, déclenchant son ouverture.

Cela n'a rien à voir avec ce que l'on voit dans les films. Il n'y a pas de grande pièce blanche à en faire mal aux yeux qui apparaît devant nous. Seulement une bibliothèque se tournant à moitié, laissant alors la possibilité d'entrer dans une pièce.

Cela m'impressionne à chaque fois, parle Liam.

J'acquiesce, et entre dans la pièce avec mon meilleur ami.

Devant nous, la dose de drogues ne peut même pas se calculer avec une unité de mesure existante.

Il y en a énormément.

Un stock immeasurable.

L'allégorie de l'illégalité.

Du mal.

De mon père.

     - Ça n'a pas d'importance que Louis s'en fiche ou non, ça n'a pas d'importance que je m'en fiche ou non, je parle. Ça n'a pas d'importance que ça m'échappe complètement pour le moment.

     - Pourquoi ? Demande Liam.

Je laisse mes yeux trainer sur toutes les bouteilles de gaz dopant qu'il y a partout. Tout est étiqueté, tout est prévu. Je connais chaque parcelle de son trafic, je connais tous ses mouvements et le pourquoi du comment.

Je connais tout, je le vois le soir avant de m'endormir, et lorsque je ferme les yeux.

Ce trafic, est mon ombre.

     - Parce que mon père arrive demain, pour 24h, je dis. Et que lorsqu'il est là, rien n'a plus d'importance.

Car le mode survie est activé.











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Bonjour ! J'espère que ça va vous ?

Ce chapitre ainsi que le précédent sont complémentaires. Nos personnages sont perdus, blessés. C'est important dans le chemin humain de la vie.

J'espère que la lecture vous plaît toujours autant. J'ai hâte de publier le prochain chapitre...

Merci encore ❤️

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