2 - Surprise
J'émerge lentement de ce sommeil sans rêves, aussi placide que ma vie, à cause de ma main qui semble me brûler. J'ouvre légèrement les yeux, papillonne quelques instants des paupières afin de m'habituer à la lumière qui est entrée dans ma maison, et tombe sur ma main décorée d'une dizaine de coupures plus ou moins profondes, avec des bouts de verre enfoncés ici et là. Ma main et mon poignet sont recouverts de sang séché et de croûtes, je soupire à cette vue hideuse et décide d'aller dans la salle de bain pour désinfecter tout ça et garder une apparence normale. Difficilement, je me relève, mes jambes pèsent si lourd que j'ai du mal à marcher. Mon équilibre assez précaire m'agace, je sens ma tête tourner un peu alors que je m'appuie contre les murs du couloir.
Enfin arrivé devant le miroir de la pièce que je convoitais, je reste abasourdi face au reflet auquel je suis confronté. Ma peau est plus blafarde que jamais, mes cernes soulignent tellement mes yeux que cela contraste avec ma brûlure de sorte à ce que l'on ne voit qu'elles, je tremble de partout.. J'ai l'air pathétique. Je prends du désinfectant avec ma main valide et en verse généreusement après avoir retiré les principaux morceaux qui déchiraient ma chair, une énième brûlure me fait grimacer de douleur. Je me sens vide, épuisé, blasé. À quoi bon continuer ? Je ne sais pas si je vais en avoir la force. De toujours mentir. De toujours supporter cette sempiternelle solitude, accompagné de ce silence qui m'angoisse.
Je me sens si épuisé. Je ne prends pas la peine de bander mes plaies et me dirige vers ma chambre, où la retrouvaille avec mon lit a été la plus belle chose qui me soit jamais arrivée. Je m'affale dans mes draps et, dès que mes yeux se ferment, je plonge à nouveau dans les bras de Morphée.
Ainsi, mon esprit se balance entre conscience et inconscience, entre éveil et sommeil, entre rêve et cauchemar. Je ne sais pas exactement depuis combien de temps je suis emmitouflé sous mes couvertures, je ne sais même pas s'il fait nuit ou si le soleil est encore haut dans le ciel. J'entends soudainement quelques bruits feutrés, qui brisent le silence qui englobait ma léthargie. Je pense que quelqu'un frappe à la porte, mais je n'en suis pas certain : je suis tout de même assez loin de l'entrée, alors peut-être que c'est un oiseau qui s'est pris la fenêtre en pleine tête ? Mon esprit recommence à partir loin, jusqu'à ce que les bruits reprennent en intensité plus forte que la dernière fois.
Je me redresse dans la pénombre, essaie de raisonner mon cerveau fatigué qui m'envoie des signaux d'angoisse, et pose mes pieds nus contre le sol froid. Un grand frisson me parcourt lorsque j'entends les bruits qui proviennent directement de mes volets. Je fixe ma fenêtre de longues secondes, totalement éveillé par l'adrénaline qui court dans mes veines, et me lève doucement, prêt à utiliser mon Alter en cas d'urgence. Puis, j'avance doucement vers la source de mon irrationnelle crainte, ouvre lentement la fenêtre, attends quelques secondes et ouvre le volet avec violence. Le bout de bois se brisa au contact du mur de mon domicile, j'entends un petit cri et quelque chose qui tombe en contrebas.
Une nouvelle pique de douleur vient me rappeler l'état de ma main gauche, et c'est en serrant les dents que j'essaie de voir ce qui est tombé de ma fenêtre. Quelques rayons du soleil commençaient à percer le manteau sombre de la nuit, je suppose qu'il est tôt. Dans les herbes en contrebas, j'aperçois une touffe de cheveux hirsutes, et la couleur de ceux-ci me font rater un battement de cœur.
Que fais-tu ici, Midoriya ?
Pendant de longues minutes je reste bloqué à sa vue, alors qu'il se redresse en riant. Avec des herbes coincées dans les mèches de ses cheveux et son allure maladroite, on dirait un rêve. Pourquoi es-tu là si tôt ?
« Je suis heureux de voir que tu es en forme Todoroki ! En levant les yeux vers moi, son sourire disparaît et une lueur inquiète passe dans son regard. Enfin, je le croyais.. »
Le souvenir de mon reflet me revient en mémoire, et pendant que je tente de contrôler le morceau de métal que mon cœur semble vouloir absolument jouer, j'essaie de me cacher dans la pénombre de ma chambre.
« Tu n'es pas venu en cours hier, et ce n'est pas ton genre.. Je me souviens de la fois où tu étais tellement malade que tu avais passé plus de temps aux toilettes que dans la salle de classe. Tu avais même pris une grande bassine au cas où ! Alors je me suis inquiété.. Et apparemment, j'ai eu raison. »
Cet épisode étant fort désagréable, je fais semblant de ne pas t'avoir écouté, alors que ta voix et tes paroles sont deux choses dont je ne pourrais jamais me passer.
« Pas de quoi s'inquiéter tu sais, j'ai juste un peu trop dormi, j'allais me préparer pour venir là. »
Ma voix enrouée me donne l'envie de me frapper. Je ne sais pas quoi faire, il continue de me fixer, comme s'il attendait que je lui révèle autre chose. Impossible que tu aies entendu mes appels à l'aide (d'hier, ou avant-hier?), qu'attends-tu ? J'essaie de garder ce masque impassible autant que je le peux.
« Tu peux entrer en attendant si tu veux, j'ai besoin d'aller prendre une douche. »
Un sourire rassuré se dessine sur son doux visage, et je lui tourne le dos pour ne plus à avoir à contrôler mes expressions faciales. Je sens mes joues chauffer, et je me dépêche d'aller déverrouiller la porte d'entrée afin de fuir le plus vite possible dans la salle de bain. Une fois ceci fait, je ferme la porte de la salle de bain à clé et vérifie qu'il soit bien entré quant au bruit de ses pas sur mon plancher.
Je glisse le long de ma cabine de douche, m'asseyant sur le sol froid tandis que l'eau ruisselle sur mon corps. Dès que je l'ai vu, j'ai senti mon cœur libéré d'un énorme poids. Rien que de le savoir à côté, j'en ai des bouffées de chaleur. Je me lave précipitamment, je n'ai pas envie de le faire attendre mais d'un autre côté je n'ai ni envie de sortir, ni envie de revoir mes camarades, mes profs, ou qui que ce soit.
L'eau chaude me pique la main et m'engourdit, je sens la crasse sur ma peau qui s'enfuit avec les larmes translucides de la paume de douche. Est-ce qu'il s'inquiétait vraiment pour moi ? Au point de venir me voir ? Peut-être qu'il passait juste par là et est tombé par hasard ici, et qu'il s'est souvenu de mon absence. Oui, ça doit être ça. Mon absence n'a pas pu l'inquiéter au point qu'il soit venu de lui-même, il y a juste pensé une fraction de secondes en passant par là. Je ne peux pas être dans sa tête, tout du moins, pas autant qu'il demeure dans la mienne. Il est le maître de chacune de mes pensées et de mes actions. Moi, je ne suis probablement qu'un songe qui lui a traversé rapidement l'esprit, mort aussi rapidement qu'il est apparu.
C'est pas juste.
Je quitte la cabine de douche et me sèche avec une serviette, toujours pensif. Pourquoi je pense tout le temps à lui ? Quand je suis triste, quand je souris, quand je pleure, quand je cours, quand je me bats, quand je lis, quand j'étudie, quand je m'entraîne. Lors de mes rêves, de mes crises d'angoisse, de mes moments de doute, de mes entraînements. Midoriya, tu es toujours avec moi. Tu es comme une ombre, celle que j'aimerais matérialiser afin de la garder toujours là, contre moi, envers et contre tous, envers et contre tout. Celle que j'aimerais qu'elle soit de chair et de sang afin de la serrer fort contre moi, pour pleurer, pour rire, pour aimer. Celle que j'aimerais qu'elle soit réelle afin de lui parler, pour la connaître, pour la rendre heureuse, pour l'adorer. J'aimerais que tu sois toujours avec moi, Midoriya. Pas en tant que songe, en tant que réalité tangible à laquelle je pourrais désespérément m'accrocher afin de ne pas pourrir dans ce néant qui me ronge..
Seras-tu encore là lorsque je ne serai plus qu'un cadavre ?
Un long frisson parcourt ma colonne vertébrale alors que je sors de la pièce. Je me dirige rapidement vers ma chambre, m'habille à la même vitesse, et me dépêche de me rendre dans la pièce où il m'attend. Lorsque je passe la porte, je demeure seul dans la pièce principale. Je fronce les sourcils et cherche du regard celui qui est devenu le monopole de mes songes..
Rien.
Face au silence, mon compagnon d'infortune, et la solitude accompagnée d'un goût amer de déception, je rigole face à l'ironie de la scène, alors que je sens quelques larmes qui humidifient mes yeux. Quel gros con. J'y ai vraiment cru jusqu'au bout hein ? J'ai vraiment cru qu'il pourrait s'intéresser à moi, au point de m'attendre pour faire un bout de chemin avec mon ennuyeuse personne ? Espèce de crétin, Shouto. T'es vraiment trop naïf.
Un bruit derrière moi me fait sursauter, je me retourne pour tomber sur le visage gêné d'Izuku Midoriya. Mon cœur se libère du poids immense de mes doutes et de ma peine, et je ressens un profond soulagement alors que ses pupilles croisent les miennes. La main dans sa chevelure hirsute, il me lance un grand sourire.
« Désolé Todoroki, je cherchais tes toilettes et je me suis perdu dans ta maison... Eh mais tu pleures ? »
Lorsque j'entends sa question, je cache mon visage avec mon bras, séchant au passage les quelques traîtresses qui ont voulu explorer les sillons de ma peau. T'es vraiment un abruti, Shouto. Même Midoriya fait caca.
« Je suis juste encore un peu malade, ne t'en fais pas. »
Il a l'air convaincu de mon mensonge. On sort de mon domicile, il sourit et me parle tandis que chaque mètre que l'on fait nous rapproche de l'académie. J'aimerais tant que l'on cesse de marcher, et que l'on reste là, ensemble. Je veux continuer d'écouter sa voix fluette, ses histoires banales, ses pensées, ses craintes. J'aimerais tant que l'on se perde, à un endroit où nul ne pourrait nous trouver.
Tu serais à moi, Midoriya. Et c'est probablement pour cette raison que jamais nous ne nous perdrons, que jamais nous ne nous arrêterons, que jamais je ne pourrai écouter chaque mot qui sort de ta bouche.
Malgré toutes mes prières, nous arrivons à l'académie Yuei, beaucoup trop vite à mon goût. Certaines personnes viennent me voir pour me demander si tout va bien, je les rassure avec quelques mots. Je te vois t'éloigner pour discuter avec Ochako, et j'ai l'impression que tu me poignardes avec le pieu de la jalousie. Mon cœur me pince. Alors je reprends mes habitudes. Je m'assois à cette place où pas grand monde peut m'observer, mais où je peux observer presque tout.
On n'apprend pas à connaître les gens en leur parlant. Les observer est beaucoup plus efficace.
Pourquoi ? Les gens mentent, jouent des rôles, se complaisent dans l'image qu'ils donnent à autrui avec ce qu'ils débitent. La communication non-verbale ne ment jamais, elle. Les recoins des gens, comme j'aime surnommer ainsi leur côté secret et dangereux la plupart du temps, sont presque inaccessibles par la parole. Les gestes ne trompent pas.
Je sais que Ochako est amoureuse de toi. Je sais que Bakugo a un complexe d'infériorité vis-à-vis de toi. Je sais que Tenya ne supporte pas de douter et de ne pas savoir. Je sais que Momo dépend beaucoup trop de l'image que les autres ont d'elle. Je sais que tu es beaucoup trop altruiste. Je sais que je t'aime beaucoup trop.
Les cours passent lentement. J'essaie de camoufler ma blessure, et après la vague d'intérêt que j'ai suscité ce matin, je retourne à mon éternelle solitude. Je prends quelques notes, dessine quelques trucs, me perd dans mes pensées.
Une autre journée à laquelle j'ai survécu. Une de moins à vivre.
Sur le chemin du retour, une myriade de larmes envahit mon visage. Je sens mon cœur trembler dans ma cage thoracique qui m'oppresse et prive mes poumons de quelques litres d'air. Mes pensées sont un brouillon opaque d'idées aussi sombres que le néant dans lequel je me débats tous les jours.
Je suis seul. Alors je mourrai seul. Voici probablement la dernière ligne de mon histoire. Un sourire amer se dessine sur mes lèvres craquelées, puis mon visage se transforme en une grimace informe et laide qui laisse la liberté à mes sanglots d'exploser. Je m'assis dans un coin de la rue, cache mon visage derrière mes genoux, et libère mes pleurs et ma respiration erratique.
Tu n'es pas là. Tu ne seras jamais là, n'est-ce-pas ? Je suis probablement trop enfoncé dans l'obscurité pour que tu viennes me sauver. Tu ne me vois peut-être même pas m'étouffer dans ces ténèbres qui me noient et qui me dévorent. Tu n'es pas mon héros. Tu ne pourras jamais être mon héros.
« Todoroki ! »
Ta voix empressée me fait sursauter, et je bloque ma respiration pour cesser de geindre. Je cache ma tête le plus possible dans les plis de mon pantalon, mes larmes me noient, mon nez est bouché par la morve, mon cœur tressaute entre le désespoir et la douce chaleur que ta présence me procure.
Tu es là.
« Todoroki, tout va bien ? Tu es blessé ?! »
Peut-être que tu pourrais bien être mon héros ? Si tu veux bien, si tu peux.
Peux-tu me sauver de ce rien que je suis ? De ce monstre que je suis ?
Peux-tu me sauver de moi-même ?
Izuku Midoriya, veux-tu être mon héros ?
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